CHAPITRE PREMIER
Enfance et débuts du Maître Philippe
Il y a en Savoie, dans l'arrondissement de
Chambéry, au couchant de la Dent du
Chat, près de
Yenne, perché à mille mètres d'
altitude et isolé des grandes voies de communication, un petit village du nom de
Loisieux.
C'est là que naquit, le 25 avril 1849, celui qui devait avoir une étrange destinée sous le nom de Philippe.
Il était fils de simples paysans, de
vieille souche savoyarde : Joseph Philippe et
Marie Vachod, petits
propriétaires-cultivateurs. Il reçut les prénoms de Nizier-Anthelme.
Il eut deux
frères, dont l'un mourut
jeune d'une maladie mal déterminée ; l'autre, encore vivant, est resté
au pays natal, où il continue la culture de la terre.
Son enfance se passa au milieu de ce
paysage grandiose et paisible de Savoie, dans les vallons et sur les
flancs du mont Tournier, où il conduisait les moutons dans les
pâturages.
Son instruction première fut tout à
fait rudimentaire ; à cette époque, en Savoie, il n'y avait pas ou peu
d'écoles, et les petits paysans gardiens de troupeaux ne les
fréquentaient guère !
Le jeune Nizier, d'une intelligence
naturelle très développée, inquiétait, dès l'âge de six ans, son curé
qui lui apprenait à lire et écrire en même temps qu'il lui enseignait
le catéchisme, et qui attribuait au diable la précocité de son
intelligence et certaines prédispositions étranges qu'il avait
observées chez l'
enfant.
Déjà à cette époque, en effet, des
dons mystérieux se manifestaient en lui ; et, plus il grandissait, plus
il se sentait possédé par la faculté de consoler, de guérir, de prévoir
à longue échéance les destinées. Voici ce qu'il disait plus tard, au
cours d'une interview : «
J'ignore tout de moi. Je n'ai
jamais compris et n'ai jamais cherché à m'expliquer mon propre mystère.
J'avais six ans à peine, et déjà le curé de mon village s'inquiétait de
certaines manifestations dont je n'avais pas conscience, et me disait :
"Petit, tu as dû être mal baptisé, car le diable me paraît être ton
maître !" J'opérais des guérisons dès l'âge de treize ans, alors que
j'étais encore à peine capable de me rendre compte des choses étranges
qui s'accomplissaient par moi. »
Vers l'âge de douze ans, ses parents
le placèrent à l'
Arbresle (Rhône) comme garçon tripier. II y resta
quelques mois, puis vint à
Lyon chez un oncle, boucher à la
Croix-Rousse, pour le compte duquel il portait la viande chez les
clients. Entre-temps, il fréquentait l'institution
Sainte-Barbe, tenue
par les abbés Chevalier, où il reçut quelques leçons qui lui permirent,
plus tard, d'obtenir un certificat de grammaire.
On raconte qu'à l'âge de treize ans,
étant tombé malade pendant qu'il était chez son oncle, à la
Croix-Rousse, il fut guéri par une vieille sorcière qui lui dit, après
lui avoir examiné les lignes de la main : «
Ecoute, petit, me
voilà vieille ; je vois que tu es doué, je vais te donner mes recettes.
» Il se mit, dès lors, à guérir les malades.
Après avoir opéré quelques cures
heureuses, il abandonna la boucherie de son oncle pour ouvrir, en 1872,
à l'âge de vingt-deux ans, un cabinet de consultation magnétique au n°
4 du boulevard du Nord, aujourd'hui boulevard des Belges.
Tels furent les débuts du maître
Philippe comme thaumaturge.
En septembre 1877, il épousa une jeune
fille qu'il avait connue jadis à l'
Arbresle, Mlle Jeanne Lansard, qui
fut toujours et à tous points de
vue une femme charmante et accomplie.
Le
mariage eut lieu à
Lyon, à la chapelle
Saint-Vincent-de-Paul, dans
le deuxième arrondissement. De cette union naquit une fille, objet de
sa tendresse la plus vive, et qu'il maria plus tard au Dr L..., de
Lyon.
Entre-temps, M. Philippe avait résolu
d'étudier la médecine. Il prit à cet effet quatre inscriptions
d'officiat de santé à la Faculté de Médecine de
Lyon. Il fréquenta
divers services de l'Hôtel-Dieu, et particulièrement la clinique du
Professeur Benedict Teissier, suivant assidûment les leçons, apprenant
surtout à parler aux malades. Un
jour, on apprit à l'Hôtel-Dieu qu'il
était guérisseur et qu'il n'attendait pas de posséder son diplôme de
docteur en médecine pour soigner les malades. Sur l'intervention du Dr.
Albert, alors interne, il fut écarté du service du professeur Teissier
et se vit refuser par la Faculté de Médecine sa cinquième inscription,
parce qu'il pratiquait «
la médecine occulte, en véritable
charlatan ».
En 1881, il adjoignit à son cabinet de
consultation un laboratoire de chimie, science à laquelle il
s'intéressait particulièrement. On doit à ses recherches certaines
spécialités d'hygiène telles que la
Philippine,
eau
de quinine concentrée, régénératrice de la chevelure, et la poudre
dentifrice Rubathier.
Après avoir habité pendant quelque
temps rue d'Algérie, il vint, en 1885, se
fixer au n° 35 de la rue
Tête-d'Or, dans un petit hôtel particulier, maison mystérieuse où tant
de gens devaient venir bercer leurs espoirs.
*
* *
C'est dans cet hôtel de la rue
Tête-d'Or, petite maison à un étage, séparée de la rue par un jardinet
et un mur élevé, que le maître Philippe donna ses consultations les
plus retentissantes. Les malades affluaient ; son cabinet ne
désemplissait pas.
Il eut bientôt maille à partir avec la
justice lyonnaise.
Les médecins, jaloux de ce "charlatan"
qui leur enlevait leur clientèle, le firent traduire plusieurs fois
devant le tribunal correctionnel pour exercice illégal de la médecine.
L'année 1887 est celle de sa première
condamnation. Il fut condamné, le 03 novembre, à une amende de 15
francs : «
attendu, dit le Tribunal, que tes faits
constituent le délit prévu et puni par l'article 35 de la loi du 19
ventôse, an XI ».
En 1890, il fut de nouveau poursuivi
et condamné à quarante-six amendes de 16 francs ; puis en 1892, il fut
traduit deux fois devant le Tribunal correctionnel, acquitté la
première fois, et condamné la deuxième fois à vingt-neuf amendes de 15
francs.
Ses défenseurs habituels étaient Me
Clozel, avocat à la Cour d'Appel, et Me Fleury-Ravarin, ancien député.
A la longue, les médecins se lassèrent
de poursuivre cet "empirique", à qui les condamnations pour exercice
illégal de la médecine ne faisaient que de la réclame et ne servaient
qu'à accroître la clientèle. Plusieurs même finirent par lui envoyer
des clients dont le cas était embarrassant.
C'est vers cette époque qu'il entra en
rapport avec les occultistes, et notamment Papus, qui allait devenir un
de ses plus fervents
disciples.
C'est également à cette époque qu'il
eut, par des voies mystérieuses, la révélation de ses origines,
révélation dont Papus a parlé en termes voilés dans sa revue
L'Initiation
de mars 1896, en un article intitulé : "
L'incarnation de l'élu".
Je fus présenté au maître Philippe, au
cours d'une de ses séances de la rue Tête-d'Or, par son gendre, le Dr.
L... Il voulut bien m'accepter au nombre de ses élèves.
Au premier abord, rien dans le Maître
ne frappait. Petit,
carré d'épaules, de corpulence assez forte et
légèrement bedonnant, d'aspect
jovial, on l'eût volontiers pris pour un
petit rentier
débonnaire. Des
cheveux bruns, abondants, partagés au
milieu, bordaient un front haut et découvert. Un pli assez marqué
séparait ses yeux qui, par contraste, étaient bleus, sous des paupières
tombantes, indice de prédisposition à la clairvoyance. Il portait une
forte moustache, à moitié tombante. Un cou ramassé supportait cet
ensemble physionomique.
Il avait gardé de son origine paysanne
une allure bonhomme et des
goûts simples.
Telle était l'impression qu'il
produisait à première
vue.
C'est seulement après un entretien que
l'étonnante douceur de son regard, jointe à sa pénétration peu commune,
que le son de sa voix, la mesure de ses propos, son sourire,
possédaient. Il était au suprême degré un persuasif, servi par de
merveilleuses qualités psychiques.
Avec son charme et le torrent
d'effluves magnétiques qu'il projetait hors de lui, il pouvait tenter
sur des sujets accessibles tous les redressements de volonté, imposer
les plus sévères disciplines, morigéner ou absoudre avec une autorité
que nul autre homme n'aurait été à même d'acquérir. Il était de la race
des Cagliostro et des Vintras, de ceux qui engendrent la foi, la foi
qui soulève les
montagnes !
Nous allons voir maintenant le Maître
Philippe dans sa salle de consultation, devant ses malades.
Au début, les séances étaient données
gratuitement ; mais plus tard, il fit payer un léger droit d'entrée.
Les séances étaient bi-quotidiennes.
Dès l'arrivée des malades, il opérait deux sélections, leur demandant
s'ils venaient pour la première fois ou s'ils avaient déjà suivi le
traitement, puis il renvoyait les personnes susceptibles de troubler
l'atmosphère fluidique. Les assistants étaient placés sur des rangées
de chaises, comme à l'
église, et il était recommandé de se recueillir
pendant que lui-même se retirait dans une pièce voisine. Lorsqu'il
faisait son entrée définitive, il disait ordinairement : «
Levez-vous
! » Puis il prescrivait le recueillement pendant quelques
minutes et une invocation à
Dieu. Pendant ce temps, il regardait tour à
tour et fixement les assistants. Il les faisait asseoir, et, les mains
derrière le dos, appliqué à tout voir, il se promenait dans la travée
centrale. Les yeux le suivaient dévotement. Puis, brusquement, il
s'arrêtait devant un malade, le touchait, et, le regardant fixement, il
lui intimait l'ordre de guérir. Il poursuivait le tour de l'assemblée,
accordait à chacun quelques minutes d'entretien, et, posant bien
souvent la main sur l'épaule, il disait : «
Allons, allons !
Ca ira ! », parlant avec assurance de la guérison.
Il faisait des passes magnétiques sur
certains malades, recommandait à d'autres de prier dans des conditions
déterminées.
J'ai assisté là à de bien étranges
séances de
magnétisme occulte. Les guérisons opérées par le Maître
semblaient vraiment tenir du miracle. Ses facultés de clairvoyance et
de clairaudience, sa perception des maladies à distance étonnaient
toujours, même ses élèves, qui en pouvaient voir cependant de fréquents
exemples. J'en pourrais citer plusieurs, mais je préfère en reproduire
ici deux qu'un de ses élèves les plus célèbres, Papus, a rapporté jadis
dans
L'Initiation sous le titre "
Enrichissez-vous". Ils sont des
exemples tout à fait caractéristiques des hautes facultés
occultes du
Maître. Les voici :
«
Dans le cours d'un voyage
que nous avons eu l'occasion d'exécuter, il nous fut donné d'assister à
diverses séances de haute théurgie dont nous voudrions résumer certains
points pour nos lecteurs.
A l'une des séances arrive une pauvre
femme du peuple tenant dans ses bras un enfant rachitique âgé de 78
mois. Cet enfant est examiné par deux docteurs eu médecine et par dix
témoins. On constate une déviation en arc de cercle des tibias, telle
qu'il est impossible à l'enfant de rester une seconde droit sur ses
petites jambes.
-- Comme cette femme est très riche,
dit le Maître, nous allons demander à Dieu la guérison de son enfant.
En dix secondes, c'est fait, et les
deux médecins et les dix témoins constatent le redressement des tibias
et voient l'enfant se tenir droit sur les jambes, tandis que la mère
pleure de joie.
Le lendemain arrive une autre mère
dont l'extérieur dénote une certaine aisance. Son enfant, une petite
fille de dix mois environ, est atteinte d'une bronchite tuberculeuse
compliquée de tuberculose intestinale. Le médecin de la famille vient,
en consultation avec un professeur, de déclarer l'enfant
irrémédiablement perdue.
-- Madame, dit le Maître, vous n'êtes
pas assez riche pour nous payer. Vous pouvez avoir de la richesse
matérielle, vous dites tant de mal des mis et des autres et vous avez
si peu partagé votre avoir avec les pauvres, que vous n'avez que bien
peu de cette monnaie d'épreuves, de souffrance et de dévouement, la
seule que le ciel connaisse, la seule que dans son insigne faveur il
nous ait autorisé, bien que nous en soyons indigne, à escompter. La
monnaie de César n'a pas cours ici ; seule la monnaie du Christ y est
respectée. Et cependant vous venez à nous pour que le Ciel guérisse
votre enfant ?
On devine la réponse de la mère.
-- Eh bien ! Nous allons demander aux
personnes de se cotiser pour guérir votre enfant. Mesdames, Messieurs,
voulez-vous que cette enfant soit guérie ?
Voix unanimes. -- Oui !
-- Eh bien ! Promettez-moi tous de ne
pas dire du mal de votre prochain hors de sa présence pendant trois
jours. Est-ce promis ?
-- Oui.
-- Madame, me promettez-vous, et
faites attention que la vie de votre enfant en dépend, de ne plus
calomnier vos amies ?
-- Oh ! Je le promets de tout cur et
pour toujours.
-- Je vous demande seulement trois
mois d'efforts. Allez, votre enfant est guérie. »
Nota
Bene : Nous avons pu constater le maintien intégral de la
guérison dix
jours après. Ces deux exemples montreront la vérité de
cette parole :
Enrichissez-vous.
«
Il suffit simplement de
savoir de quelle richesse il s'agit. »