CHAPITRE VIII
Une histoire d'incendie
Une autre expérience du même jeune Cyril est presque exactement semblable à certains récits, déjà publiés, cités
au commencement de cet ouvrage. Cyril et son ami plus âgé s'en allaient, une nuit, au cours de leur travail ordinaire, quand, apercevant au-dessous d'eux la lueur intense d'un
incendie considérable, ils se hâtèrent de descendre pour voir s'ils pouvaient se rendre utiles. C'était un hôtel qui brillait, un énorme caravansérail au bord d'un vaste lac. L'édifice, qui comprenait de nombreux étages, entourait une sorte de
jardin et formait trois des côtés d'un rectangle dont le lac formait le quatrième. Les deux ailes allaient jusqu'au lac, les larges baies qui les terminaient surplombant presque l'
eau, de manière à ne laisser de chaque côté qu'un passage fort étroit.
La façade et les ailes étaient construites autour de puits intérieurs qui contenaient les cages en
bois des ascenseurs.
Dès le début, l'
incendie se propagea donc avec une rapidité presque incroyable et, avant le moment où nos amis l'aperçurent
au cours de leur voyage astral, tous les étages situés à mi-hauteur de chacun des trois grands bâtiments étaient en
flammes.
Les habitants, à l'exception d'un petit garçon, avaient heureusement été sauvés, bien que plusieurs eussent reçu de très
graves brûlures et d'autres blessures.
L'
enfant avait été oublié dans une des
chambres supérieures de l'aile gauche ; ses parents étaient au bal
et ne se doutaient pas de l'
incendie et, assez naturellement, personne ne pensa
au petit garçon avant qu'il ne fût beaucoup trop tard. Le
feu avait
pris un tel développement dans les étages situés à
mi-hauteur de cette aile qu'il n'y aurait rien eu à faire, même si
l'on avait pensé à l'
enfant, sa
chambre donnant sur le
jardin intérieur
dont j'ai parlé.
Aucun secours extérieur ne pouvait donc plus l'atteindre.
En outre, il ne se doutait même pas du danger, car la fumée épaisse
et suffocante avait si graduellement envahi la
chambre que son sommeil, devenant
de plus en plus profond, s'était presque changé en léthargie.
Il fut trouvé dans cet état par Cyril, qui
semble spécialement attiré par les
enfants ayant besoin d'aide ou
menacés par un danger. Cyril essaya d'abord, mais en vain, de rappeler
aux habitants de l'hôtel l'existence de l'
enfant. D'ailleurs, il semblait
à peine possible qu'ils fussent parvenus à le secourir, et il devint
bientôt évident que c'était là du temps perdu. Le plus
âgé des deux aides matérialisa donc Cyril, comme il l'avait
déjà fait, et lui dit de réveiller et de rappeler à
lui l'
enfant déjà presque inconscient. Cyril y parvint jusqu'à
un certain point, non sans peine, mais l'
enfant, pendant tout ce qui suivit, resta
dans un état partiel d'étourdissement et d'inconscience, si bien
qu'il fallut le pousser et le tirer, le guider et l'aider à chaque changement
de direction.
Les deux garçons, se traînant sur les mains,
passèrent de la
chambre dans le corridor qui parcourait toute l'aile. Là,
voyant que la fumée et les
flammes, commençant à traverser
le plancher, rendaient le passage impossible pour un
corps physique, Cyril ramena
l'autre
enfant dans la
chambre, le fit sortir par la fenêtre et le plaça
sur un rebord en pierre qui régnait tout le long, du bâtiment immédiatement
au-dessous des fenêtres. Sur ce rebord il parvint à guider son
compagnon,
lui-même était à la fois appuyé sur ce rebord et flottant
sur le vide, mais restait toujours en dehors de l'autre
enfant, pour lui éviter
le vertige et la peur de tomber.
Presque au bout du bâtiment le plus rapproché
du lac, direction où l'
incendie semblait le moins avancé, ils rentrèrent,
en escaladant une fenêtre ouverte, et se retrouvèrent dans le corridor.
Ils espéraient trouver, à cette extrémité, l'escalier
encore praticable, mais il était trop envahi par les
flammes et par la
fumée. Ils revinrent donc en arrière, en rampant le long du corridor.
Cyril conseillant à son
compagnon de maintenir la bouche près du
plancher. Ils atteignirent ainsi la cage à claire-voie de l'ascenseur occupant
le grand-puits placé au centre du bâtiment.
L'ascenseur naturellement était en bas, mais ils parvinrent
à descendre par le treillis intérieur de la cage jusqu'à
ce qu'ils se trouvassent sur le toit de l'ascenseur lui-même. Là
ils se virent bloqués, mais Cyril découvrit heureusement une porte
donnant de la cage de l'ascenseur dans une sorte d'entresol situé juste
au-dessus du rez-de-chaussée. Par cette issue ils gagnèrent le corridor,
le petit garçon étant à moitié asphyxié, puis
ils traversèrent une des
chambres en face et, finalement, sortant par la
fenêtre, se trouvèrent sur le haut de la véranda qui régnait
d'un bout à l'autre du rez-de-chaussée, le séparant du
jardin.
De là, il était assez facile de descendre,
en se laissant glisser le long d'un des piliers, et d'atteindre le
jardin. Mais
ici même la
chaleur était intense et le danger y eût été
extrême quand les murs seraient tombés. Cyril tenta donc de conduire
son protégé au bout d'une des ailes, mais, sur ces deux points,
les
flammes avaient fait irruption, et ces passages étroits que surplombait
le bâtiment étaient complètement impraticables. Enfin ils
se réfugièrent dans un des canots amarrés à des marches
descendant d'une sorte de quai, situé au bout du
jardin, jusque dans l'
eau,
et, détachant l'embarcation, s'éloignèrent du rivage en ramant.
Cyril aurait voulu gagner à l'aviron l'autre côté de l'aile
en
flammes et y faire débarquer l'
enfant qu'il avait sauvé ; mais,
à peine étaient-ils partis, qu'ils furent rencontrés par
un bateau à vapeur faisant le service du lac et aperçus, car la
lueur de l'hôtel incendié illuminait toute cette scène, et
chaque objet se voyait comme en plein
jour. La bateau à vapeur accosta
le canot pour prendre à bord les
enfants, mais l'équipage, au lieu
des deux garçons qu'on avait vus, n'en trouva plus qu'un. L'ami plus âgé
s'était hâté de faire reprendre à Cyril sa forme astrale,
en dissipant la matière plus dense qui lui avait momentanément servi
de
corps physique. Cyril était donc de nouveau invisible.
On fit naturellement des recherches, mais sans trouver trace du deuxième
enfant. On en conclut qu'il était tombé à l'
eau et s'était noyé, au moment où le canot était accosté. L'
enfant qui avait été recueilli s'évanouit dès qu'il fut à bord et en sûreté ; on ne parvint donc à obtenir de lui aucune explication et, en reprenant connaissance, il ne put dire qu'une chose, c'est qu'il avait vu l'autre garçon au moment où le vapeur approchait et qu'il ne savait rien de plus.
Le bateau à vapeur avait pour destination une localité située plus loin au bord du lac, mais à deux
jours de route ; aussi se passa-t-il une semaine environ avant que l'
enfant recueilli pût être rendu à ses parents qui, bien entendu, supposaient qu'il avait péri dans les
flammes. On tenta de leur suggérer mentalement que leur fils était sauvé, mais ce fut impossible. Le lecteur peut donc se figurer avec quelle joie ils le retrouvèrent.
L'
enfant est aujourd'hui heureux et en bonne santé et ne se lasse pas de raconter sa merveilleuse aventure. Il a bien souvent regretté la mort mystérieuse de son bon ami, survenue au moment même où tout danger semblait passé. A vrai dire, il a bien essayé d'insinuer que son ami n'avait peut être pas péri, que c'était peut-être un prince de
fées ; mais, naturellement, cette idée ne provoqua chez les personnes plus âgées que des sourires de supériorité indulgente. Le lien karmique unissant l'
enfant à son sauveteur n'a pas encore été trouvé, mais il en existe certainement un quelque part.