PREMIÈRE PARTIE
Introduction
Signes extérieurs de la franc-maçonnerie Esprit de prosélytisme des maçons
Proposition d'un profane Le cabinet des réflexions Description de la loge
Signes extérieurs de la franc-maçonnerie. Esprit de prosélytisme des maçons. Proposition d'un profane. Le cabinet des réflexions. Description de la loge. Places, insignes et fonctions des officiers. Ouverture des travaux d'apprenti. Les visiteurs. Les honneurs maçonniques. Réception du profane. Discours de l'orateur : dogmes, morale, règles générales de la franc-maçonnerie, rites, organisation des Grandes-Loges et des Grands-Orients, etc. Clôture des travaux d'apprenti. Banquets. Loges d'adoption. Mme de Xaintrailles reçue franc-maçon. Pose de la première pierre et inauguration d'un nouveau temple. Installation d'une loge et de ses officiers. Adoption d'un louveteau. Cérémonie funèbre. Réception de compagnon. Réception de maître. Interprétation des symboles maçonniques. Les hauts grades. Carré mystique. Appendice : statistique universelle de la franc-maçonnerie. Calendrier. Alphabet. Abréviations. Protocoles. Explication des gravures.
L'attention des passants est particulièrement attirée à
Paris par certains signes hiéroglyphiques et mystérieux qui décorent les enseignes d'un assez grand nombre de marchands. Ici, ce sont trois points disposés en
triangle ; là, une
équerre et un
compas entrelacés ; plus loin, une étoile rayonnante ayant au centre la lettre G ; ailleurs, des branches d'
acacia. Quelquefois ces divers signes sont réunis et groupés. Au Palais-Royal, rue aux Fers, rue
Saint-Denis, on voit aussi figurer à l'étalage de plusieurs boutiques des objets du même genre : de petits tabliers de peau, de larges rubans bleus, rouges, noirs, blancs, orange, chargés des
emblèmes dont nous venons de parler, ou de
croix, de
pélicans, d'
aigles, de
roses, etc. Ces
symboles et ces insignes appartiennent à la
franc-maçonnerie, association secrète que le gouvernement tolère à
Paris et dans les autres villes de la France, et qui a des établissements sur tous les points du globe.
Peut-être n'y a-t-il pas un habitant de cette capitale, pas un étranger, qui n'ait été vivement sollicité de se faire agréger à la société maçonnique. « C'est, dit-on à ceux que l'on veut enrôler, une institution
philanthropique, progressive, dont les membres vivent en
frères sous le niveau d'une douce égalité. Là sont ignorées les frivoles distinctions de la naissance et de la fortune, et ces autres distinctions, plus absurdes encore, des opinions et des croyances. L'unique supériorité qu'on y reconnaisse est celle du talent ; encore faut-il que le talent soit modeste, et n'aspire pas à la
domination. Une fois admis, on trouve mille moyens et mille occasions d'être utile à ses semblables, et, dans l'adversité, on reçoit des consolations et des secours. Le franc-maçon est citoyen de l'univers : il n'existe aucun lieu où il ne rencontre des
frères empressés à le bien accueillir, sans qu'il ait besoin de leur être recommandé autrement que par son titre, de se faire connaître d'eux autrement que par les signes et les mots mystérieux adoptés par la grande famille des
initiés. » Pour déterminer les curieux, on ajoute que la société conserve
religieusement un secret qui n'est et ne peut être le partage que des seuls francs-maçons. Pour décider les hommes de plaisir, on fait valoir les fréquents banquets où la bonne chère et les vins généreux excitent à la joie et resserrent les liens d'une fraternelle intimité. Quant aux artisans et aux marchands, on leur dit que la
franc-maçonnerie leur sera fructueuse, en étendant le cercle de leurs relations et de leurs pratiques. Ainsi, l'on a des arguments pour tous les penchants, pour toutes les vocations, pour toutes les intelligences, pour toutes les classes ; mais peut-être compte-t-on un peu trop sur l'
influence des préceptes et de l'exemple maçonniques, pour rectifier les fausses idées et pour épurer les sentiments égoïstes qui portent quelques personnes à se faire recevoir.
Dès que le sujet qu'on s'efforce d'attirer a cédé aux instances ou à l'éloquence de l'apôtre maçon, il est averti qu'il aura à payer un droit de réception et plus tard une cotisation annuelle, destinés à subvenir aux frais d'assemblées et aux autres dépenses de la
loge à laquelle il sera présenté ; car les membres de la société sont distribués, même dans une seule ville, en petites communautés séparées, ou loges, distinguées entre elles par des titres spéciaux, tels que
les Neufs-surs,
la Trinité,
les Trinosophes,
la Clémente amitié, etc. Dans la plupart des villes, chaque loge a un
local ou un
temple particulier. A
Paris, à Londres, un même local sert à plusieurs loges
(4).
Le
profane, qui doit être majeur, de condition libre, de murs honnêtes, de bonne réputation et sain de
corps et d'
esprit, est
proposé à l'initiation dans la plus prochaine
tenue de la loge.
Son nom, ses prénoms, son âge, sa profession, et toutes les autres désignations propres à le faire reconnaître, sont inscrits sur un bulletin, et jetés, à la fin des
travaux, dans un sac, ou dans une boîte, appelé
sac des propositions, qui est présenté à chacun des assistants, dans l'ordre de ses fonctions ou de son grade. Le bulletin est lu par le
vénérable, ou président, à l'assemblée, qui est appelée à voter au scrutin de boules sur la prise en considération de la demande. Si toutes les boules contenues dans la capse sont blanches, il est donné suite à la proposition. S'il s'y trouve trois boules noires, le postulant est repoussé définitivement et sans appel. Une ou deux boules noires font ajourner la délibération à un mois. Dans l'intervalle, les
frères qui ont voté contre la prise en considération sont tenus de se transporter chez le
vénérable, pour lui faire connaître les motifs qui les ont dirigés dans leur vote. Si ces motifs paraissent suffisants au
vénérable, il le fait savoir à la loge dans la séance qui suit, et la proposition est abandonnée. Dans le cas contraire, il engage les
frères à se désister de leur opposition. S'il n'y peut réussir, il rend la loge
juge des raisons alléguées contre l'admission du
profane ; et, lorsque la majorité partage son avis, il est passé outre à la prise en considération.
La règle veut qu'après ce premier scrutin, le
vénérable donne secrètement à trois
frères la mission de recueillir des renseignements sur la moralité du
profane. Mais trop souvent ce devoir est enfreint : le
vénérable néglige de nommer les commissaires, ou bien ceux-ci ne remplissent point leur mandat ; et la loge ferme les yeux sur ces irrégularités. De là vient qu'on admet dans les temples maçonniques beaucoup de gens qu'on eût mieux fait de laisser dehors.
A la tenue suivante, les commissaires jettent leurs rapports écrits dans le sac des propositions, et le
vénérable en donne lecture à l'assemblée. Si les renseignements obtenus sont défavorables, le
profane est repoussé, sans qu'il soit nécessaire de consulter la loge ; dans le cas contraire, le scrutin circule de nouveau, et, quand les votes sont unanimes, la réception du
profane est fixée à un mois de là.
Le
profane n'est jamais amené au local de la loge par le
frère présentateur. Un
frère qu'il ne connaît pas est chargé de ce soin. A son arrivée, il est placé dans une
chambre tapissée de noir, où sont dessinés des
emblèmes funéraires. On
lit sur les murs des inscriptions dans le genre de celles-ci : « Si une vaine curiosité t'a conduit ici, va-t-en. Si tu crains d'être éclairé sur tes défauts, tu n'as que faire ici. Si tu es capable de dissimulation, tremble ; on te pénètrera. Si tu tiens aux distinctions humaines, sors ; on n'en connaît point ici. Si ton
âme a senti l'effroi, ne va pas plus loin. On pourra exiger de toi les plus grands sacrifices, même celui de ta vie.
Y es-tu résigné ? »
Cette
chambre est ce qu'on appelle le
cabinet des réflexions. Le candidat doit y rédiger son testament et répondre par écrit ces trois questions : « Quels sont les devoirs de l'homme envers
Dieu ? Envers ses semblables ? Envers lui-même ? »
Pendant que le
profane, laissé seul, médite dans le silence sur ces divers sujets, les
frères, réunis dans la loge, procèdent
à l'ouverture des travaux.
Ce qu'on nomme la
loge est une grande salle ayant la forme d'un parallélogramme, ou
carré long. Les quatre côtés portent les noms des points
cardinaux. La partie la plus reculée, où siège le
vénérable, s'appelle l'
orient, et fait face à la porte d'entrée. Elle se compose d'une estrade élevée de trois marches au-dessus du sol de la pièce, et bordée d'une balustrade. L'
autel, ou bureau, placé devant le
trône du
vénérable, porte sur une seconde estrade haute de quatre marches ; ce qui fait
sept marches pour arriver du parvis à l'
autel. Un
dais de
couleur bleu-ciel parsemé d'étoiles d'
argent surmonte le trône. Au fond du
dais, dans la partie supérieure, est un
delta rayonnant, ou
gloire, au centre duquel on
lit en caractères hébraïques le nom de Jéhovah. A la gauche du
dais, est le
disque du soleil ; à la droite, le croissant de la
lune. Ce sont les seules images qui soient admises dans la loge.
A l'occident, des deux côtés de la porte d'entrée, s'élèvent deux colonnes de bronze dont les
chapiteaux sont ornés de pommes de
grenades entr'ouvertes. Sur la colonne de gauche, est tracée la lettre B ; sur l'autre, on
lit la lettre J. Près de celle-ci, se place le premier surveillant ;.et, près de la première, le second surveillant. Ces deux officiers ont devant eux un
autel triangulaire chargé d'
emblèmes maçonniques. Ils sont les aides et les suppléants du
vénérable, et, ainsi que lui, ils tiennent à la main un
maillet, comme signe de leur autorité.
Le temple est orné dans son pourtour de dix autres colonnes ; ce qui en porte le nombre total à
douze. Dans la frise, ou architrave, qui repose sur les colonnes, règne un cordon qui forme douze nuds en
lacs d'amour. Les deux extrémités se terminent par une houpe, nommée
houpe dentelée, et viennent aboutir aux colonnes J et B. Le plafond décrit une courbe ; il est peint en bleu-ciel, et parsemé d'étoiles. De l'orient, partent trois rayons, qui figurent le lever du
soleil.
La Bible, un
compas, une
équerre, une
épée à lame torse, appelée
épée flamboyante, sont plaçés sur l'
autel du
vénérable, et trois grands flambeaux surmontés de longs
cierges sont distribués dans la loge ; l'un à l'est, au bas des marches de l'orient ; le deuxième à l'ouest, près du premier surveillant, et le dernier au sud.
Des deux côtés de la loge, règnent plusieurs rangs de banquettes, où prennent place les
frères non fonctionnaires. C'est ce qu'on désigne sous les noms de colonne du nord et de colonne du midi.
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(4) Les principaux locaux de
Paris sont situés rue de Grenelle-Saint-Honoré, 45 ; rue Saint-Merry, 41 ; place du Palais de Justice, au Prado, et rue de la Douane, 16. A Londres, il y a trente-sept locaux de loges ; les plus fréquentés sont ceux de Cornhill, de Covent-Garden, de Great-Queen-Street, et de Bishopsgate-Street.