Biographie universelle ancienne et moderne Marguerite de Carinthie, dite vulgairement Marguerite
à la grande bouche (en allemand,
Maultasche), comtesse souveraine du
Tyrol, avait pour père ce Henri qui, seul des trois fils de Mainard IV, réunit finalement la totalité des possessions paternelles, et pour mère sa deuxième femme, Adélaïde de Brunswick-Grubenhagen, laquelle mourut le 18 août 1320. Marguerite dut naître vers 1316, car le
mariage de sa mère eut lieu en 1315, et sa sur puînée naquit en 1317.
Henri n'ayant point d'
enfant mâle qui survécût,
Marguerite fut considérée comme une héritière d'autant
plus riche, qu'au comté du
Tyrol son père joignait le
duché
de
Carinthie, dont Maihard avait été investi ar Rodolphe de Habsbourg
(1282), après la chute d'Ottocar. Aussi fut-elle mariée de bonne
heure. Henri, qu'on nomme souvent Henri de
Carinthie, avait porté un moment
la
couronne de Bohême (1307-1309) jusqu'à ce que Jean de Luxembourg
(le fameux Jean le chevalier, le redresseur de torts et l'aveugle, qui mourut
à Crécy) l'eût emporté sur lui. Les prétentions
d'Henri durèrent longtemps encore ; cependant il y renonça contre
le paiement de quarante mille marcs d'
argent et moyennant les fiançailles
de sa fille aînée, non pas avec le fils aîné du roi
de Bohême, lequel portait le nom de Venceslas (dont la cour de France fit
Charles), et qui plus tard fut l'empereur Charles IV, mais avec le
frère
puîné de Venceslas. Jean-Henri (c'était le nom du jeune prince)
reçut par avance le serment de
fidélité des Tyroliens au
moins vers 1328, et vint habiter le pays. Le
mariage eut lieu vers 1331. Il ne
fut pas heureux. Quelque attrait que put offrir à Jean-Henri la perspective
de la
Carinthie et du
Tyrol réunis, il sentit peu de sympathie pour sa
femme, qui, bien que jeune, était fort peu jolie et que son mécontentement
quotidien n'embellissait pas. Ils n'eurent point d'
enfants. Un incident qu'on
pouvait prévoir vint mettre le comble à l'inimitié mutuelle
des deux
époux. Henri de
Carinthie ayant rendu le dernier soupir (04 avril
1335), l'empereur Louis IV de Bavière, soit afin de se créer des
amis au sein même de cette famille dont un membre lui avait disputé
l'empire, soit que le caractère inconstant de Jean de Bohême eût
indisposé contre tout ce qui lui appartenait, traita les deux contrées
comme
fiefs échus, et en donna l'investiture aux
ducs d'Autriche (02 mai),
qui avaient pour mère une fille de Mainard IV, et par conséquent
une tante de Marguerite. Jean-Henri et Marguerite ne s'étaient point préparés à la guerre, et ils avaient contre eux une ligue formée de l'empereur, des
ducs d'Autriche, du comte de Wurtemberg et du comte de Juliers. Heureusement le
Tyrol, qui fut de tout temps fidèle à ses maîtres, se déclara énergiquement, aussitôt qu'il le put, contre la domination de l'intrus ; Marguerite et son mari n'eurent qu'à paraître pour que toutes les villes s'empressassent de leur ouvrir leurs portes. Quant à la
Carinthie, elle s'accommoda de la nouvelle domination et ne fit nulle démonstration en faveur de la maison de Grz, qui d'ailleurs n'était point originaire du pays. Mais probablement les
ducs d'Autriche ne s'y fussent pas si commodément établis si le père de Jean-Henri, le roi Jean de Bohême, toujours en quête d'aventures, ne se fût en ce moment trouvé à
Paris, malade par suite d'une blessure qu'il avait reçue dans un tournoi, et ne se fût mis un peu tard en route. Toute l'activité qu'il développa quand enfin il arriva ne servit qu'à diminuer la perte dont son fils et sa bru étaient menacés. A la ligue de l'Autriche, du Wurtemberg
et de Juliers, corroborée par l'adhésion de l'empereur, il opposa
le
duc Henri de Bavière, cousin germain de l'empereur, les rois de Hongrie
et de Pologne (il était ami du dernier depuis la paix de Trentchim, en
1335) ; et, les hostilités commencées (1336), il détacha
de la ligue ennemie les
ducs d'Autriche. Il en résultat bientót
le traité d'
Ens (09
octobre 1336), par lequel les
ducs d'Autriche se contentèrent de la
Carinthie, diminuée de quelques districts, et remboursèrent les frais de la guerre à leur cousine et à son mari, qui conservèrent le
Tyrol. Bientôt Louis IV aussi changea de politique, et, au lieu de vouloir
dépouiller la comtesse, profitant de antipathie croissante qui se manifestait entre elle et Jean-Henri, il imagina de faire entrer le
Tyrol dans sa maison en
la faisant
épouser à son fils aîné. Il fallait un divorce
pour arriver là. Marguerite se prêta sans peine au projet qui devait
la délivrer d'un lien odieux pour elle et la faire bru de l'empereur, et
les scènes de la comédie à jouer furent arrangées
à l'avance. Elle présenta requête formelle à l'empereur
(1341) à effet de voir
dissoudre un
mariage qui n'avait jamais pu être
consommé, et elle offrit de prouver par serment, en
entrant dans des détails d'une excessive minutie, que ladite impossibilité provenait non d'elle, mais de Jean-Henri. L'empereur, au lieu de commettre cette affaire à un
tribunal ecclésiastique, comme c'était l'usage à cette époque, nomma lui-même une commission et voulut y siéger en personne. Il paraît que Marguerite démontra plus qu'abondamment et l'irrémédiable insuffisance du prince de Bohême et l'inépuisable complaisance par laquelle elle avait tâché d'y remédier. On devine le
jugement
qui s'ensuivit, et que sans doute n'eût pas rendu aussi facilement un tribunal
impartial, à plus forte raison l'
Eglise, à plus forte raison encore
les
agents du pape, qui étaient en lutte ouverte et acharnée avec
Louis de Bavière. Presque aussitôt la comtesse du
Tyrol donna sa
main au fils aîné de l'empereur, à Louis l'Ancien, à qui son
père avait cédé le
margraviat de Brandebourg, mais qui bientôt
se le vit contester et enlever momentanément par les antagonistes de sa
maison. Dans l'intervalle,
Marguerite à la grande bouche était devenue
mère de Mainard V, que nous verrons régner en
Tyrol et dont la naissance
achevait d'exaspérer la maison de Luxembourg, en prouvant que les motifs
de divorce allégués par la comtesse n'étaient pas dénués
de toute vérité.
A peu près au moment où le chevaleresque Jean
de Bohême se faisait tuer à Crécy, son parti élut,
en opposition à Louis de Bavière, le jeune Charles IV, qui sur-le-champ
se mit en devoir de faire la guerre directement à Louis lui-même
(1346). Quant au Brandebourg, pour l'arracher à Louis l'Ancien, on s'avisa
de ressusciter, vingt-sept ans après qu'il avait été dûment
enseveli et enterré, le
margrave Valdemar (le dernier de la branche brandebourgeoise
de la famille ascanienne) ; et, ce dont nous nous étonnons, des hommes
judicieux et savants ont pu, jusque dans ces derniers temps, soupçonner
que la réapparition de Valdemar ne fut point une imposture. A peine l'ex
meunier Hundeloff' (tel semble avoir été le nom réel du
faux
Valdemar) eut-il mis le pied en Brandebourg suivi de quelques troupes du Prince
d'Anhalt et du
duc Rodolphe de Saxe-Wittenberg, et racontant ses
pèlerinages,
ses travestissements, ses malheurs, son incognito, que presque tout le
margraviat
se déclara pour lui (1347), et que toutes les villes lui ouvrirent leurs
portes, sauf Francfort-sur-l'Oder et Wrietzen.
Louis de Bavière venait de mourir. Les événements
de la lutte qui suivit n'appartiennent pas proprement à l'
histoire de Marguerite.
Pour l'empire même elle ne dura pas trois ans : la mort de l'anti-César
Gonthier de Schwarzbourg, le deuxième couronnement de Charles IV, qui,
sans respect pour les principes, se trouvait ainsi réunir tous les suffrages,
enfin la sentence de l'électeur
palatin qui annulait toute prétention
de Charles IV et de son
frère à la
Carinthie, au
Tyrol et à
Grz, et qui reconnaissait les droits de Louis l'Ancien sur le
margraviat
de Brandebourg, mirent fin à la guerre générale. Mais, dans
le Brandebourg, elle se prolongea jusqu'en 1355. Le prétendu Valdemar avait
trouvé de l'appui dans l'affection des Brandebourgeois attachés
à la maison d'Aschersleben, et d'autre part les princes d'Anhalt, qui,
formant une autre branche de cette maison, faisaient valoir des prétentions
spécieuses au moins sur le
margraviat, favorisaient de toute leur
force
une fraude qui provisoirement écartait la maison provisoire, et dont, à
la mort de Hundeloff, ils espéraient bien recueillir le prix. Enfin pourtant
il fallut céder, et le prétendu Valdemar donna sa place (1355) au
frère de Louis l'Ancien ; car dès 1354 Louis, par le traité
de Luckau, avait troqué son
margraviat avec son
frère contre la
haute Bavière, vu le voisinage du
Tyrol. Il ne survécut que huit
ans à ce pacte et mourut en 1362.
Son fils Mainard V, très jeune
encore, mais qui avait été marié en 1359 à Marguerite
d'Autriche, fille du
duc Albert II, lui succéda en haute Bavière
et fut comme le co-régent de Marguerite en
Tyrol ; mais il mourut le 13
janvier de l'année suivante d'un verre d'
eau froide que lui avait donné
sa mère au retour de la chasse. Il ne laissait point d'
enfants.
Marguerite, toujours comtesse et qui n'avait jamais cessé
de l'être de droit, tandis que son fils n'avait de puissance au
Tyrol que
celle qu'elle lui transmettait, dut alors songer à régler sa succession.
Elle appartenait naturellement (pour ne point parler des droits
féodaux
que pouvait revendiquer le
suzerain) aux descendants de sa tante, la fille de
Mainard IV, et notamment à l'aîné,
Albert le Sage, ou à
ses représentants,
frères de sa bru, la jeune veuve de Mainard V.
C'est en leur faveur qu'elle se prononça. Mais il ne suffit point à
ces héritiers présomptifs de se faire concéder par testament
l'expectative du
Tyrol ; ils manuvrèrent si bien qu'ils déterminèrent leur tante à abandonner son comté, dont elle ne garda que quelques châteaux. Probablement les
ducs d'Autriche prenaient là une prudente précaution en se mettant incontinent en possession d'un pays qui ne leur fut point contesté à la mort de Marguerite, et qui l'eût été faute de ce soin ; mais il n'en est pas moins curieux de remarquer avec combien de sollicitude et de persévérance, dès ce temps, la maison
d'Autriche mettait en pratique la fameuse maxime :
Tu, felix Austria, nube.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 26 - Pages 551-552)