LÉGENDES ARGIENNES
Bellérophon
Bellérophon était fils de
Glaucus, roi d'Ephyre ou de Corinthe, et d'Eprymède, fille de
Sisyphe.
Son véritable nom,
Hipponoüs (rac.
hippos,
cheval,
nous, intelligence), lui avait été donné parce que, le premier, il enseigna l'art de dresser le
cheval et de le mener avec le secours de la bride. Selon certains mythologues, le nom sous lequel il est connu lui venait de Belléros qu'il avait tué (rac.
phoneus ou
phoneutès, meurtrier).
Ayant donc eu le malheur de tuer à la chasse son
frère Belléros ou
Pyrène, il alla se réfugier à la cour de Prtus ou
Proclus, roi d'
Argos.
Antée ou Sténobée, femme de ce prince, s'étant éprise du jeune héros, et l’ayant trouvé insensible, l'accusa, devant son mari, d'avoir voulu la séduire. Le roi, pour ne point violer les droits de l'hospitalité, l'envoya en
Lycie, avec des lettres adressées à Iobate, roi de cette contrée et père de Sténobée, par lesquelles il l'informait de l'injure qu'il avait reçue, et le priait d'en tirer vengeance.
Le roi Iobate lui fit un accueil hospitalier ; les neuf premiers
jours de son arrivée se passèrent en fêtes et en festins ; enfin le dixième, le roi de
Lycie, ayant décacheté les lettres dont son hôte était porteur, lui ordonna d'aller combattre la
Chimère, monstre né de
Typhon et d'
Echidna et élevé par Amisodar. Elle avait la tête d'un
lion, la queue d'un
dragon, et le
corps d'une chèvre ; sa gueule béante vomissait des tourbillons de
flamme et de
feu.
Bellérophon la vainquit et l'extermina.
On lui suscita une infinité d'
ennemis dont, il triompha, ainsi que de tous les dangers. Il vainquit le peuple des Solymes, les
Amazones et les
Lyciens. Ce fut alors que Iobate, reconnaissant l'innocence de
Bellérophon et la protection spéciale dont le
ciel l'honorait, lui donna sa fille en
mariage, et le déclara son successeur.
Sur la fin de sa vie, s'étant attiré la haine des
dieux, il se livra à la mélancolie la plus sombre, errant seul dans les déserts et évitant la rencontre des hommes. C'est du moins le récit d'
Homère.
On raconte différemment l'
histoire de ce héros.
Minerve, dit-on, lui donna le
cheval Pégase pour combattre la
Chimère. Le prince monté sur ce coursier ailé, et le cur enflé par ses succès, ayant voulu s'élever jusqu'aux cieux, un taon, envoyé par Jupiter, piqua le
cheval et fit culbuter le cavalier qui se tua en tombant.
On ajoute que
Bellérophon, mécontent d'lobate qui l'avait exposé à tant de dangers, pria
Neptune, son aïeul, de le venger. A sa prière, les flots de la mer le suivirent et inondèrent le pays. Les
Lyciens, alarmés, le supplièrent d'apaiser
Neptune, mais en vain. Les femmes
lyciennes seules réussirent à le fléchir. Alors il se tourna vers la mer, et en fit retirer les flots.
Bellérophon se trouve avec Pégase sur les monnaies antiques. Dans le faubourg de Corinthe, il y avait un
bois de cyprès, nommé le Cranée, dont une partie était consacrée à ce héros. C'est là que les Corinthiens allaient solennellement lui rendre leurs
hommages. Mais ils l'honoraient aussi sur les bords de leur fontaine de
Pyrène, en mémoire du
cheval ailé, Pégase, qui buvait à cette source fraîche quand
Bellérophon se saisit de lui par surprise, et monta dessus pour aller combattre la terrible
Chimère.
Io
Suivant Ovide,
Io était fille du
fleuve Inachus ; selon d'autres, d'Inachus, premier roi d'
Argos, ou même de
Triopas, sixième successeur d'Inachus. Jupiter devint amoureux de cette princesse ; et, pour éviter la fureur de
Junon, jalouse de cette intrigue, il la couvrit d'un nuage, et la changea en vache.
Junon soupçonnant un mystère, fut frappée de la beauté de cet
animal, et le demanda à Jupiter. Le
dieu n'ayant osé le lui refuser de peur d'augmenter ses soupçons, elle le donna en garde à
Argus aux cent
yeux. Après que
Mercure eut tué ce vigilant gardien et délivré
Io,
Junon irritée envoya une Furie, d'autres, disent un taon, persécuter cette malheureuse princesse.
Io fut si agitée, qu'elle traversa la mer à la nage, alla dans l'
Illyrie, passa le mont Hémus, arriva en
Scythie et dans le pays des
Cimmériens ; et, après avoir erré dans d'autres contrées, elle s'arrêta sur les bords du Nil où, Jupiter ayant apaisé
Junon, sa première forme lui fut rendue. C'est là qu'elle mit au monde
Epaphus, et elle y mourut peu de temps après.
Quant à
Epaphus, dès sa naissance il fut enlevé par la jalouse
Junon qui le donna à garder aux
Curètes ; ce qui étant venu à la connaissance de Jupiter fut cause qu'il les tua tous.
Prtus et les Prtides
Prtus,
frère d'Acrisius, détrôné par son
frère, se réfugia à la cour d'lobate, roi de
Lycie, son
beau-père, qui lui donna des secours avec lesquels il remonta sur le trône d'
Argos. Ce prince avait épousé Sthénobée. Il fut tué par Persée, pour avoir usurpé le trône d'
Argos sur Acrisius ; mais
Mégapenthe son fils vengea sa mort sur Persée.
Les Prtides, ou filles de Prtus, ayant osé comparer leur beauté à celle de
Junon, en furent punies par une folie qui leur fit croire qu'elles étaient changées en vaches, et elles parcouraient les campagnes en poussant des beuglements ; Mélampe, fils d'
Amithaon et neveu de
Jason, médecin très habile, les guérit avec de l'ellébore noir, appelé plus tard de son nom
Mélampodion, et épousa l'une d'elles. Les trois Prtides se nommaient
Iphianasse, Iphione et Lysippe. Cette cure eut lieu sur la place publique où Prtus, leur père, fit bâtir un temple dédié à la Persuasion, preuve que les discours de Mélampe avaient eu au moins autant de part à leur guérison que les secours de la médecine. L'ellébore, plante qui abonde sur l'
Hélicon, était préparé surtout à Anticyre, ville de
Phocide. Sur Mélampe on raconte une singulière
histoire. Un
jour, comme il s'était endormi, des
serpents apprivoisés vinrent, pendant son sommeil, lui nettoyer les oreilles avec leurs langues, et, à son réveil, il ne fut pas peu étonné d'entendre et de comprendre le langage de tous les
animaux.
Persée, fils de Danaé
Danaé, fille d'Acrisius, roi d'
Argos, fut enfermée fort jeune dans une tour d'
airain par son père, sur la foi d'un oracle qui lui annonçait que son petit-fils devait un
jour lui ravir la
couronne et la vie ; mais Jupiter se changea en
pluie d'or, et, s'étant introduit dans la tour, rendit
Danaé mère de Persée. Acrisius, ayant appris la naissance de l'
enfant, fit exposer la mère et son fils sur la mer dans une méchante barque ou dans un coffre que les flots jetèrent heureusement sur les côtes
de l'ile de Sériphe. Un pêcheur, qui l'aperçut, ouvrit le coffre, trouva les deux infortunés encore vivants, et les conduisit sur-le-champ au roi Polydecte qui les reçut favorablement, et prit soin de l'éducation du jeune prince.
Mais dans la suite, Polydecte, devenu amoureux de
Danaé et voulant l'
épouser, chercha à éloigner son fils. C'est pourquoi il lui ordonna d'aller combattre les
Gorgones, et de lui apporter la tête de Méduse. Persée, aimé des
dieux, reçut pour le succès de cette expédition, de
Minerve son
bouclier et son miroir, de
Pluton son casque, et de
Mercure ses ailes et ses talonnières. Gràce à son armure divine et aussi à sa vaillance, il vainquit les
Gorgones, et coupa la tête de Méduse.
De crainte d'être pétrifié par les yeux de Méduse, il disposa devant lui le miroir de la déesse, et sa main, conduite par
Minerve, fit tomber la tête de la Gorgone qu'il porta depuis avec lui dans toutes ses expéditions. Il s'en servit pour pétrifier ses
ennemis.
Du sang qui sortit de la plaie de Méduse, quand sa tête fut coupée, naquirent Pégase et
Chrysaor ; et, lorsque Persée eut pris son vol par-dessus la Libye, toutes les gouttes de sang qui découlèrent de cette fatale tête se changèrent en autant de
serpents.
Dès que Pégase,
cheval ailé, eut vu la lumière, il s'envola au séjour des immortels, dans le palais même de Jupiter dont il porta la foudre et les éclairs. Il fut dompté par
Minerve. Depuis lors, il obéit à cette déesse qui parfois le met au service de ses favoris.
Chrysaor, au moment de sa naissance, tenait une
épée d'or à la main, ce qui lui a valu son nom (rac.
Chrysos, or, et
aor,
épée). Il épousa
Callirhoé, fille de l'Océan et de Téthys, et de leur union naquirent
Echidna, moitié
serpent et moitié nymphe, la
Chimère, autre monstre, et le
géant Géryon. C'est à cette monstrueuse famille qu'appartenaient
Typhon, autre
géant, le
chien Cerbère, le
Sphinx, l'
Hydre de Lerne, etc.
Persée, monté sur Pégase que
Minerve lui avait prêté, se transporta à travers les airs dans la Mauritanie, où régnait le célèbre
Atlas. Ce prince, qui avait été averti par un oracle de se tenir en garde contre un fils de Jupiter, refusa à ce héros les droits de l'hospitalité. Mais il en fut puni sur l'heure : la tête de Méduse, que Persée lui montra, le pétrifia et le changea en cette chaîne de
montagnes qui porte aujourd'hui son nom.
On lui attribue comme à
Hercule l'honneur d'avoir enlevé les pommes d'or du
jardin des
Hespérides.
De la Mauritanie il passa en Ethiopie. Là
Andromède, fille du roi Céphée et de
Cassiopée, avait eu la témérité de disputer le prix de la beauté à
Junon et aux Néréides.
Neptune, pour venger la déesse, suscita un monstre marin qui désolait le pays. L'oracle d'
Ammon, consulté sur les moyens d'apaiser les
dieux, répondit qu'il fallait exposer
Andromède à la fureur du monstre. La jeune princesse fut liée sur un rocher par les Néréides ; et le monstre, sortant de la mer, était prêt à la dévorer, lorsque Persée, monté sur Pégase, tua ou pétrifia le monstre, brisa les chaînes d'
Andromède, la rendit à son père, et devint son
époux. Cependant la cérémonie de leurs noces fut troublée par la jalousie de
Phinée,
frère de Céphée. Ce prince, à qui
Andromède avait été promise en
mariage, rassembla tous ses amis, entra avec eux dans la salle du festin, et y porta le carnage et l'horreur. Persée aurait succombé sous le nombre, s'il n'eût eu recours à la tête de Méduse dont la
vue pétrifia
Phinée et ses
compagnons.
Il revint ensuite en Grèce avec la jeune princesse. Quoiqu'il eût à se plaindre de son grand-père Acrisius qui avait voulu le faire périr dès sa naissance, il ne laissa pas de le rétablir sur le trône d'
Argos, d'où Prtus l'avait chassé, et il tua l'usurpateur. Mais, bientôt après, il eut le malheur de tuer lui-même Acrisius, d'un coup de palet, dans les
jeux qu'on célébrait pour les funérailles de Polydecte. Il eut tant de douleur de cet accident, qu'il abandonna le séjour d'
Argos, et s'en alla bâtir une nouvelle ville dont il fit la capitale de ses Etats, et qui fut nommée
Mycènes, à cinquante stades au nord d'
Argos.
On dit qu'il fut aussi cause de la mort de Polydecte. Un
jour que celui-ci voulut dans un festin faire outrage à
Danaé, Persée ne trouva pas de plus court moyen de défendre sa mère que de présenter la tête de Méduse au roi qui fut pétrifié.
En se retirant à
Mycènes, il avait cédé généreusement le trône d'
Argos à Mégapenthe, fils de
Prtus, espérant ainsi faire la paix avec lui. Mais ce prince fut insensible à ses bienfaits ; il lui dressa des embûches, et le fit périr par
ressentiment de ce qu'il avait tué Prtus son père.
Honoré à
Argos, à
Mycènes, à Sériphe, en Egypte même, où il eut un temple, ce héros fut placé dans le
ciel parmi les constellations
septentrionales, avec
Andromède, son
épouse,
Cassiopée et Céphée.
Danaüs et les Danaïdes
Danaüs, prince égyptien, ayant tenté de
ravir la
couronne à son
frère Egyptus, fut contraint de s'enfuir d'Egypte. Il se réfugia dans le
Péloponèse, chassa d'
Argos le roi
Sthénélus, fils de Persée et d'
Andromède, et s'empara de son royaume.
Danaüs avait cinquante filles, et son
frère Egyptus cinquante fils. Celui-ci, jaloux de la puissance de son
frère, et craignant de la voir grandir encore si, par le
mariage de ses filles, il contractait de nombreuses alliances avec les princes de la Grèce, voulut donner pour épouses à ses fils leurs cousines germaines. Il les envoya donc à
Argos, à la tête d'une armée, pour appuyer sa demande.
Danaüs, trop faible pour leur résister, consentit au
mariage de ses cinquante filles avec ses cinquante neveux, mais sous condition secrète que les
Danaïdes, armées d'un poignard caché sous leurs robes, massacreraient leurs maris la première nuit de leurs noces. Ce projet s'exécuta, et la seule
Hypermnestre épargna Lyncée son
époux.
Jupiter, pour punir ces filles cruelles, les condamna à remplir éternellement dans le Tartare un tonneau percé.
Hypermnestre, qui avait eu horreur d'exécuter l'ordre de son père, bien qu'elle en eût fait le serment, fut jetée en prison par
Danaüs qui voulait la faire mourir comme coupable de trahison. Il la cita en justice, mais elle fut
absoute par les Argiens. En mémoire de ce
jugement, elle consacra à
Vénus une statue sous le nom de
Nicéphore (qui donne la victoire). Plus tard, Lyncée devint le successeur de
Danaüs.
Tel est le fond de la
légende des
Danaïdes, mais il s'en faut de beaucoup que les poètes soient unanimes à l'accepter. D'après une croyance ancienne,
Argos était en quelque sorte la mère-patrie des rois d'Egypte, puisque la maison de
Danaüs était issue d'
Io, qui était Argienne. S'étant sauvées d'Egypte avec leur père pour se dérober au
mariage que désirait
Egyptus, elles furent favorablement accueillies par Pélasgus, roi d'
Argos. Cette arrivée des
Danaïdes à
Argos fait le sujet de la tragédie d'Eschyle, intitulée
Les Suppliantes.
D'après Strabon, le châtiment
fabuleux infligé aux
Danaïdes dans les Enfers n'est qu'une
allégorie purement historique. Ces princesses, venues d'Egypte à
Argos, y apportèrent l'usage de canaliser l'
eau des rivières et des fontaines, comme dans leur pays. On creusa un grand nombre de citernes ou de puits, et, grâce à l'invention des pompes, qui
leur est attribuée, les Argiens eurent des sources intarissables, versées, pour ainsi dire, par les
Danaïdes.