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A propos de l'Atlantide

article du Dr René Verneau
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Cet article a paru originellement dans les Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris (Année 1898, Volume 9, N°1, pp. 166-171). Il a été ressaisi et corrigé par Histoire & Spiritualité ®.

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      Dans le dernier fascicule des Bulletins de la Société d'Anthropologie qu'on vous a distribué, vous avez pu lire une intéressante communication de notre collègue, M. Gabriel de Mortillet (1). A propos du travail de M. Ph. Salmon sur L'Atlantide et le Renne, M. de Mortillet vous a montré qu'il n'a jamais existé de soudure entre l'Amérique du Sud et l'Afrique australe. Il vous a cité quelques faits qui viennent à l'appui de celte manière de voir. En revanche, l'auteur admet sans restriction une Atlantide boréale qui a permis aux animaux terrestres d'un continent de gagner l'autre monde dès le milieu de l'époque tertiaire.
      M. de Mortillet se refuse à admettre l'existence d'un autre passage qui aurait réuni l'Europe à l'Amérique septentrionale par les Açores, et à l'Amérique centrale par les Antilles. « C'est, dit-il, un rêve, une conception de pure imagination, comme on peut facilement l'établir par des observations certaines et des faits bien étudiés. »
      Si j'avais entendu la communication de notre savant collègue, je n'aurais pu que me joindre à lui pour défendre les idées qu'il vous a si bien exposées. En effet, dès 1888, j'exprimais les mêmes opinions dans un assez long article publié dans la Revue Scientifique (2). J'ai même été quelque peu surpris de trouver dans la note de M. de Mortillet le passage suivant : « Une considération géologique qui, jusqu'à présent, n'a pas été produite, vient pleinement confirmer ma manière de voir. Les Canaries, Madère, les Açores sont des lies volcaniques. Au lieu d'être des témoins d'un vaste continent effondré, elles sont donc le simple produit de volcans qui les ont fait surgir au sein de l'Océan et les ont élevées au dessus de son niveau. » Or, cette considération nouvelle, vous la trouverez tout au long dans l'article que j'ai publié il y a dix ans, et je l'ai reproduite en 1891 dans mon livre intitulé Cinq années de séjour aux Iles Canaries.
      Mais ce n'est pas pour revendiquer des droits de priorité que j'ai demandé la parole. J'ai voulu simplement vous rappeler les faits qui doivent faire rejeter d'une façon absolue l'existence d'une Atlantide dont aurait fait partie l'archipel Canarien. Certes aucun de vous n'a pu songer à mettre en doute les affirmations de M. Gabriel de Mortillet. J'ai pensé, néanmoins, qu'il ne serait pas mauvais qu'on trouvât dans nos Bulletins l'énumération des principaux arguments qui viennent à l'appui de ces assertions.
      Les Canaries sont sans contredit des îles essentiellement volcaniques, qui ont émergé à une époque récente. Bory de Saint-Vincent avait, il est vrai, signalé dans l'archipel l'existence de roches anciennes, notamment de « granites parfaitement conservés » ; mais, mieux étudiés, ces granites sont devenus des roches volcaniques « à éléments très grossiers qui simulent, par leur aspect, des roches plutoniques » (3). Léopold de Buch, Lyell et Berthelot se sont également trompés quand ils ont signalé la présence, à la Grande Canarie, de micacites, d'eurites et de diabases. Ces prétendus éléments anciens examinés au microscope et étudiés chimiquement, notamment par MM. Fouqué et S. Calderon, se sont convertis en roches éruptives.
      Il en est de même des « lits de sables ferrugineux qui n'ont éprouvé aucune altération » que Bory de Saint-Vincent avait rencontrés. Leur fréquence est remarquable, car on les trouve à chaque pas ; mais ils sont modernes. Beaucoup de cônes volcaniques tout à faits récents ont leurs flancs recouverts de ce sable, qui, sur un grand nombre de points, forme la couche la plus superficielle. Je connais plusieurs « lits de sable ferrugineux » qui proviennent d'éruptions ne remontant qu'à la fin du siècle dernier.
      Les argiles de la Laguna, dans l'Ile de Ténériffe, ne dénotent pas non plus une haute antiquité de l'archipel. Elles résultent de la décomposition des cendres, des scories, etc., que les eaux pluviales ont entraînées des sommets voisins dans le fond de la cuvette limitée par les montagnes.
      C'est encore par suite d'études incomplètes que L. de Buch et S. Berthelot ont mentionné des schistes ; il s'agit simplement de phonolites, roches essentiellement volcaniques, qu'un phénomène de métamorphisme a rendues feuilletées.
      En réalité, on ne connaît en faits de roches anciennes recueillies dans les îles Canaries que les quelques fragments de diorite quartzifère, de diabase et de porphyrite décrits par M. Salvador Calderon, et ceux de sulfure de plomb, de fer oxydulé et de carbonate de cuivre que j'ai récoltés moi-même. Mais il est à remarquer que ces spécimens se sont toujours rencontrés isolés au milieu de débris volcaniques de toutes sortes et à l'état de fragments peu volumineux. Des minéralogistes d'une grande valeur, MM. Fouqué, Calderon, Scrope, Stoppani, pensent qu'il s'agit simplement de fragments arrachés, pendant les éruptions, aux assises primitives à travers lesquelles les volcans de l'Océan se sont ouvert un passage. C'est là selon moi, la seule explication plausible de leur présence.
      Donc, au point de vue minéralogique, les Canaries constituent bien un archipel purement volcanique. D'autres raisons ne permettent pas de voir dans les îles qui nous occupent les restes d'un continent affaissé. Ainsi, la commission des dragages sous-marins a rencontré, à une très faible distance des côtes, des fonds qui dépassent 5000 mètres. Ajoutons à ces 5000 mètres d'eau les 3711 mètres qui représentent la hauteur du pic du Teyde, à Ténériffe, et nous arriverons à un total de 9000 mètres environ. Ce chiffre correspondrait à l'altitude des montagnes de l'Atlantide.
      Si un continent avait existé dans la région canarienne pendant les époques tertiaire ou quaternaire, il eût vraisemblablement renfermé des êtres organisés, plantes ou animaux terrestres, dont on retrouverait les restes à l'état fossile. Bory de Saint-Vincent nous parle bien de fossiles végétaux qu'il a rencontrés à la Rambla, dans l'île de Ténériffe. J'ai moi-même fait une ample récolte de ces prétendus végétaux anciens ; ce sont de simples incrustations entièrement analogues à celles que produisent certaines sources de France. Lorsqu'on vient à briser le bloc de calcaire qui affecte la forme d'une tige ou d'une feuille, on trouve, en effet, au centre, la plante bien conservée. Or, parmi les plantes recouvertes d'incrustations que j'ai récoltées à la Rambla, figurent le mûrier, la ronce, la vigne, le châtaigner, l'oranger, le citronnier, et la plupart de ces végétaux ont été introduits dans l'archipel depuis le XVème siècle. Bory de Saint-Vincent cite exactement les mêmes plantes que celles recueillies par moi-même. Il a évidemment pris pour des fossiles les incrustations dont je viens de parler. Le fait seul que la plupart des espèces qu'il signale ont été importées de nos jours suffit amplement à démontrer qu'il s'agit d'un phénomène tout récent.
      Rencontre-t-on des animaux terrestres à l'état fossile dans l'archipel Canarien ? A cette question tous les voyageurs, tous les naturalistes ont répondu négativement. Aucun des animaux qui, d'après Platon, peuplaient les plaines et les montagnes de l'Atlantide, pas même l'éléphant, n'a laissé de traces dans les îles actuelles.
      En revanche, j'ai exploré des couches fossilifères très riches qui contiennent de nombreuses espèces animales exclusivement marines. Je n'ai pas la prétention d'avoir découvert ces couches, car elles étaient connues bien avant mon premier voyage. Les coquilles qu'on y avait recueillies avaient même fait l'objet de sérieuses études de la part de Lyell, d'Hartung, de Woodward, etc., et ces naturalistes y avaient reconnu un certain nombre d'espèces de la fin du miocène. Un banc que j'ai exploré au-dessus de Las Palmas a fourni beaucoup d'espèces que les spécialistes regardent comme plus récentes et ne rapportent qu'au quaternaire ancien.
      Il est de toute évidence que les bancs auxquels je fais allusion n'ont pu s'accumuler sur une terre émergée ; ils se sont formés au au fond des eaux.
      Aujourd'hui, par suite des soulèvements qui se sont produits depuis l'époque de leur formation, les couches fossilifères d'origine marine se trouvent à 100 et 200 mètres d'altitude. Des coquilles d'huîtres ont même été recueillies à 1000 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. C'est là, à mon sens, une des meilleures preuves qu'on puisse invoquer en faveur de la théorie que j'ai défendue et qui consiste à voir dans les Canaries, non pas les restes d'un continent affaissé, mais bien des îles que les forces volcaniques ont fait surgir des eaux à une date qui ne remonte pas au-delà de l'époque quaternaire.
      Je suis, vous le voyez, complètement d'accord avec M. Gabriel de Mortillet, relativement à l'origine volcanique de l'archipel Canarien. Je me suis cru autorisé à résumer les faits qui doivent faire rejeter l'existence d'une Atlantide située en face de la côte africaine.
      S'il m'était permis d'exprimer une opinion en ce qui concerne les autres passages signalés par M. Philippe Salmon, je dirais qu'il me paraît difficile d'admettre une communication entre l'Espagne et l'Amérique pendant les temps quaternaires. Aux arguments invoqués par M. de Mortillet, j'en ajouterai un, qui, pour n'être pas nouveau, n'en a pas moins une valeur. Vous savez que Darwin, Lyell, Hausmann, Ch. Martins, ont signalé à Madère l'existence de blocs erratiques d'origine septentrionale. Or, ces roches n'ont pu être transportées là que par les glaces flottantes. Par conséquent, il faut en conclure qu'à l'époque du boulder clay la mer était libre entre Madère et le point de l'Europe d'où sont partis les blocs ainsi charriés.
      Ce n'est donc pas vers le Sud, je le répète, qu'il faut aller chercher le « Pont-Atlantigue » qui a relié le Nouveau Monde à l'Ancien. Comme le disait si justement Bailly, « les terres récemment couvertes sont des mers nouvelles qui ont peu de fond » (4) ; je vous ai rappelé qu'il existait de grandes profondeurs dans le voisinage des Canaries. Je sais bien qu'on a signalé un plateau sous-marin recouvert en certains points de 50 à 200 mètres d'eau seulement et qui commence à l'est, en face de l'Espagne. Après s'être dirigé au sud-ouest, cet immense banc se divise en deux caps qui s'avancent l'un vers les Antilles et l'autre vers les États-Unis. Mais ce qu'on oublie de dire, c'est qu'entre ce plateau sous-marin et les continents on trouve de grands fonds qui atteignent 5000 mètres du côté de l'Europe et au moins 4000 mètres du côté de l'Amérique. D'autre part, s'il a existé un continent dans cette région, il a disparu avant la période glaciaire, ainsi que le démontre la présence de blocs erratiques à Madère. Je ne puis donc croire, comme M. Salmon, qu'une communication ait persisté, à la hauteur de l'Europe Méridionale, entre l'Europe et l'Amérique, jusqu'à la fin de l'époque magdalénienne et que l'Atlantide « soit restée soudée à la Péninsule Ibérique jusqu'au moment où le renne nous a quittés ».
      Si l'existence de grands plateaux sous-marins, situés à une faible profondeur, peut être regardée comme une preuve d'ancienne communication entre les Deux-Mondes, il serait facile de retrouver la trace de cet « intercontinent » dans les régions septentrionales. En effet, nous voyons, dans ces parages, un vaste plateau, bien mieux dessiné que le banc méridional, qui part de l'espace compris entre la Grande-Bretagne et la Scandinavie, pour atteindre sans interruption le Groënland d'un côté, le Labrador de l'autre. Là, pas de grands fonds entre le banc sous-marin et les continents actuels ; partout, au contraire, de faibles profondeurs qui paraissent bien indiquer l'emplacement de l'ancienne communication entre les Deux-Mondes.
      A quelque point de vue que nous nous placions, nous nous trouvons donc toujours ramenés vers le nord lorsque nous recherchons l'Atlantide, non pas celle de Platon que presque tous les savants regardent comme un mythe, mais bien celle que les données de la science obligent à admettre. C'est ce que vous a exposé M. G. de Mortillet, dans la communication qu'il vous a faite il y a quelques mois ; c'est ce que me semblent démontrer les faits sur lesquels je me suis permis d'appeler un instant votre attention.


DISCUSSION


      M. G. de Mortillet dit qu'il regrette de n'avoir pas cité le travail de M. Verneau et ajoute quelques détails à sa précédente communication.
      M. Hervé dit qu'à son cours, il y a quatre ans, il a nié la communication par les Canaries.


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(1)  Voy. Bulletin de la Société d'Anthropologie de Paris, t. VIII (4ème série), 1897, fascicule 5, pp. 417-451.

(2)  L'Atlantide et les Atlantes, in Revue Scientifique, 25ème année, 3ème série, 21 juillet 1888.

(3)  S. Calderon y Arassa, La Evolucion en las rocas volcànicas en general y en las Islas Canarias en particular (Anales de la Soc. esp. de Hist. natural, t. VIII, Madrid, 1879).

(4)  Bailly, Lettres sur l'Atlantide de Platon et l'ancienne histoire de l'Asie, p. 98.




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