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Du danger de certaines ascèses

article de Jean Corneloup (1964)
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Cet article a paru originellement dans le N°316 de la revue Le Symbolisme (Juillet-août 1964). Il a été ressaisi et corrigé par France-Spiritualités.
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      Dans le numéro de juin 1954, Mercurius in Libra a rendu compte du livre récent de Louis Pauwells Monsieur Gurdjieff. Sa conclusion en est fort prudemment exprimée par une citation imagée de Tchoang-Tseu. Je désire mettre plus fortement en relief les dangers de pratiques que certains disent inspirées des doctrines hindoues ou thibétaines (plus ou moins déviées), et dégager les raisons profondes de ces dangers.

      Je ne prétends pas donner une solution définitive, ni complète, à ce problème complexe. Ma contribution, modeste, sera d'indiquer aux chercheurs qualifiés une voie qui leur permettra de mieux explorer un domaine resté singulièrement mystérieux.

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      J'ai exposé comment [Note de l'auteur : "Tradition et Hylozoïsme"- Le Symbolisme, N° 298.], la pensée étant considérée comme un phénomène du même type que la lumière, le cerveau constitue un émetteur d'ondes porteuses de corpuscules dits idéons [Note de l'auteur : D'autres auteurs, et mon ami le Professeur P. Chevallier, usent du mot "psychons" pour désigner les mêmes corpuscules encore hypothétiques.], qui peuvent être réfléchies, réfractées ou polarisées par les objets sur lesquels elles sont projetées. Elles peuvent alors revenir au cerveau (et peut-être à d'autres centres nerveux jouant comme lui le rôle de récepteurs), et les altérations subies sont capables de fournir des éléments d'information sur l'objet réfléchissant, réfractant ou polarisant.

      Dans l'immense majorité des cas, ces messages en retour, ces "échos", n'atteignent pas le niveau du "conscient". Ils ne provoquent alors que des réactions diffuses qui, si elles ne s'évanouissent pas purement et simplement, sont obscurément emmagasinées et pourront, par accumulation et association avec d'autres apports, contribuer dans les cas favorables à l'éclosion de certaines "intuitions".

      Ces intuitions sont en fait des "interprétations" des messages apportés par les échos. Mais, n'étant ni raisonnées ni contrôlées, ces interprétations sont généralement incomplètes et plus ou moins entachées d'erreur.
      Je considère que les ascèses traditionnelles, – tout comme la vieille rhabdomancie et la moderne radiesthésie dans leurs domaines particuliers, – constituent justement des méthodes, des techniques capables de raisonner et de contrôler ces interprétations, donc de fournir à des sujets bien doués et correctement entraînés, le moyen de déchiffrer plus fidèlement les messages enregistrés.


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      Pour illustrer cette thèse, je prends le cas du "sourcier" à la recherche d'une nappe d'eau. Son cerveau projette des ondes porteuses d'idéons. Quand elles rencontrent une nappe, elles sont réfléchies, réfractées ou polarisées de telle sorte que leurs échos provoquent chez l'opérateur qui les reçoit des réactions nerveuses aboutissant à des contractions musculaires du bras et de la main. La baguette ou le pendule ne sont que des amplificateurs rendant visibles ces réactions.
      Le principe de ce mécanisme étant bien compris, abordons le problème des ascèses qui se proposent de donner à ceux qui les pratiquent la faculté de commander dans la machine humaine le fonctionnement d'organes que la nature a placés normalement hors du contrôle de l'intellect et de la volonté.

      L'ascète possédant les dons nécessaires est d'abord soumis à un entraînement visant à le rendre capable de s'abstraire du milieu extérieur, de tendre comme un "rideau de fer" entre ce milieu et sa propre personne sur laquelle il peut alors concentrer toute son attention, condition majeure du travail auquel il devra se consacrer.

      Parvenu à ce stade, il s'exercera à se libérer des servitudes de la pensée discursive. Il établira en lui quelque chose comme un profond silence intérieur grâce auquel il "s'écoutera vivre" en quelque sorte : il sera alors en état de percevoir les "échos" de sa pensée projetée "à l'état naissant" sur telle partie, sur tel organe de son propre corps.

      Cet organe, dont il n'a qu'une superficielle et très vague notion dans l'existence normale, lui devient directement perceptible, et son fonctionnement lui étant désormais sensible ne sera plus régi par les seuls réflexes, mais pourra dépendre aussi de la volonté consciente.

      Tel est, en un schéma très simplifié, l'économie générale des divers systèmes d'ascèse créateurs des états dits "supérieurs" ou "transcendants" qui seraient une préparation à la "libération totale" ou "retour à Brahma".

      En vérité, il n'y a là rien de surnaturel, de merveilleux ou d'occulte. C'est l'application de l'adage savoir pour pouvoir et, en l'espèce, plus précisément de cette variante : connaître les moyens d'action de la nature et les utiliser pour agir sur elle (mais non contre elle). C'est le secret transmis d'une manière voilée et diffuse par certaines initiations.


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      La question qui doit être examinée maintenant est : quelles seront les conséquences de l'intrusion de la volonté consciente dans des fonctions vitales que la nature a organisées en les soustrayant à son contrôle ?

      La Vie (qui est le véritable Grand Architecte de l'Univers, qui n'a rien créé, mais tout édifié non selon un plan préétabli, mais au gré d'un processus expérimental étalé sur des millions, des milliards d'années – processus qui a mis en jeu, sinon toutes les chances possibles, au moins toutes celles de suffisante probabilité), la Vie, dis-je, a, du fait même du caractère de son action, réalisé pour chaque être la construction architecturale qui lui assure les meilleures conditions de développement et de durée dans son milieu.

      De cette conception hylozoïste de l'évolution, il découle que si, à l'origine, le hasard a seul présidé à l'élaboration .des constructions architecturales de la Vie, son rôle s'est progressivement réduit, amenuisé à mesure que le jeu des chances a éliminé les solutions instables et insuffisantes et que l'organisation est devenue plus parfaite. L'intelligence apparente de la Vie – Grand Architecte est la résultante de l'établissement expérimental d'un équilibre et d'une coordination commandés par la nature des choses.

      Donc, si la construction architecturale qu'est l'être humain s'est trouvée réalisée en mettant les fonctions vitales essentielles hors du contrôle de la volonté consciente, il s'ensuit logiquement que cette solution comporte le maximum de chances de stabilité et de durée.

      La réponse à la question ci-dessus semblerait donc devoir être totalement négative. Il convient cependant d'être prudent. Une conclusion radicale condamnerait la médecine qui peut apparaître elle aussi comme une intervention de la volonté consciente dans les fonctions vitales [Note de l'auteur : On rejoindrait ainsi la thèse des "Témoins du Christ revenu" et l'on sait où cela conduit.]. Mais, fondée sur une longue suite d'observations et d'expériences, elle ne doit intervenir légitimement que pour corriger les troubles de l'organisme, et la saine méthode consistera non à violenter la nature, mais à l'aider à rétablir la santé du malade. [Note de l'auteur : C'est ce qu'exprimait Ambroise Paré : « Je le pansai ; Dieu le guérit ».]

      Du point de vue hylozoïste, il conviendra donc avant de passer condamnation, d'examiner si l'ascèse considérée repose sur les mêmes bases d'observation et d'expérience et si elle se donne aussi pour objectif de remédier aux défaillances, non seulement spirituelles et morales, mais physiques, avec le même souci de collaboration avec la nature, – et de se poser la question : comment et sous quel contrôle cette ascèse exerce son action ?


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      Une remarque importante trouve sa place ici. L'évolution des êtres provoquée par la faculté organisatrice de la Vie est évidemment déterminée à tout moment par les conditions antérieures du milieu et par l'hérédité. Etant donnée la lenteur du processus, il y a conséquemment un retard entre les réalisations de la Vie et leurs causes. L'adaptation au milieu est déjà dépassée quand elle devient effective. Ce "déphasage" est le fait de tous les empirismes, et celui de la Vie n'y échappe pas : il est d'ailleurs aussi le moteur qui assure la continuité de l'évolution. Il peut même arriver que ce déphasage prenne des allures explosives quand certains facteurs viennent à croître en progression géométrique alors que d'autres ne varient qu'en progression arithmétique. C'est peut-être là la cause de certaines mutations brusques, de grandes transformations qui, à certaines époques, ont profondément modifié l'aspect de notre planète. L'apparition de la vie sous son aspect biologique est probablement la résultante d'un de ces déphasages explosifs. C'est alors que s'est amorcée autour de la Terre la formation de ce que le P. Teilhard de Chardin a dénommé la "biosphère". Dans la couche supérieure de cette biosphère constituée par l'humanité, nous assistons visiblement au développement d'une autre poussée explosive : elle résulte .du développement à loi exponentielle des facultés de l'homme sur certains plans (particulièrement en sciences et en techniques) alors que son développement sur d'autres plans (moral, spirituel) paraît presque stationnaire ou ne s'effectue que selon une loi linéaire à faible raison. – En résultera-t-il l'avènement de ce que le Père appelle la "noosphère" ? (expression qui me paraît singulièrement optimiste en raison justement de la quasi-stagnation au moins apparente du "noos" proprement dit).

      Si cette vue de l'esprit correspond à une réalité, on peut inférer que les ascèses découlant vraiment de la Tradition telle que je l'ai définie dans de précédents articles (celle qui résume les lois évolutives) peuvent s'insérer valablement dans le proces sus du développement de la conscience seconde (conscience de conscience) qui est la condition de cet enfantement.


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      Toutefois, si intéressante qu'elle puisse être par les horizons qu'elle ouvre, la remarque qui précède déborde le cadre de la présente étude, et j'y rentre pour conclure sur son objet, qui n'est point de peser les chances d'une anticipation, mais de voir un peu plus clair dans une question actuelle.

      La pratique des ascèses, des yogas, est-elle bénéfique ou non ? Ce qui précède permet seulement de dire que si les méthodes proposées sont authentiquement traditionnelles, donc fruit d'observations et d'expériences millénaires, elles sont la réplique, le reflet fidèle des méthodes mêmes de la Vie, elles vont dans le sens de son évolution. Elles doivent donc être bénéfiques à condition qu'elles soient correctement appliquées.

      Mais comment reconnaître une tradition authentique ? Parmi celles qui s'offrent à nous en est-il une qui le soit sans mélange ? Le mode en grande partie oral de leur transmission, le mode symbolique de leur expression qui permet plusieurs interprétations rend la réponse singulièrement hasardeuse. Hasardeuse aussi la réponse à la seconde question : l'application de la méthode est-elle correcte ?

      En dernière analyse, on se trouve conduit à conclure que dans la présente période tout repose sur la valeur personnelle du maître, du "guru". Tout repose d'abord sur son degré de connaissance, sur son expérience, sur sa prudence. Tout repose surtout sur sa charité (au sens plein), car rien ne se fait sans amour. [Note de l'auteur : C'est ce qui semble avoir manqué à Gurdjieff.]

      C'est là une réponse décevante. Je crois que c'est la seule réponse actuellement honnête. Elle me conduit à formuler une fois de plus le vœu que les hommes de science ne négligent plus, ne dédaignent plus les problèmes de la Tradition. Je sais ce que certains de leurs aspects ont d'abord de rebutant pour des esprits rompus aux disciplines scientifiques. Je comprends la lassitude exprimée par Jean Rostand dans son livre récent : Ce que je crois. N'étant rattaché à aucune tradition, peut-être est-il passé à côté de la vraie question. Je demande à tous les Jean Rostand de ne point céder à la lassitude et de consacrer une part de leur effort au problème traditionnel.

      Je pense que l'allure à tendance explosive de l'évolution humaine est l'annonce d'une ère nouvelle. L'humanité sort de la petite enfance. Il faudra la traiter demain non en bébé tenu en lisière et bercé de beaux contes voilés, mais en adolescente capable de comprendre, de marcher seule, de choisir sa route.

      Encore faut-il que les abords des sentiers possibles soient débroussaillés par une science sans oeillères retrouvant, "restituant" la Tradition et prenant le relais des traditions obscurcies et devenues par trop aléatoires, – ce qui les rend dangereuses en certaines mains.




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