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La Franc-Maçonnerie marseillaise au XIXème siècle

Avant-propos : Le culte de la vérité
Article de Jean-Charles Cagniat & Philippe Cyrnaqua
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      Sans aucun doute, nous sommes d'une curiosité insatiable. Une saine curiosité, d'ailleurs, qui nous a permis de découvrir dans la poussière du temps, la pensée, l'action et la vie, souvent difficile, parfois dangereuse, d'hommes et de femmes rêvant de liberté ou, plus simplement, de fraternité : ce que Romain Rolland appelait « les utopies à la française ». Il faut ajouter qu'entre autres passions, nous sommes tournés vers la découverte de la partie cachée de l'iceberg du monde ésotérique.

      L'un travaille sur la famille de Lelio et Fausto Socin. Les deux Italiens ont donné naissance, dès le milieu du XVIème siècle, au "socinianisme". Or, il semblerait que les communautés sociniennes se répandent dans toute l'Europe et, pour la France, à Lyon, alors capitale financière de l'Europe occupant une position géographique privilégiée. Il reste évidemment à démontrer qu'à cette lointaine époque la famille Socin a ouvert la voie à une société initiatique, sorte de Franc-Maçonnerie en gestation. [Note : Voir à ce propos Le voile levé pour des curieux, par l'Abbé Lefranc, chez Lepetit et Guillemard l'Ainé - Paris - 1792.]

      L'autre tisse les fils d'une immense toile d'araignée avec trois points d'ancrage : Italie, Corse, Provence, où Carbonari et Francs-Maçons se rejoignent dans un même combat pour la liberté des peuples de la Méditerranée Occidentale. Giuseppe Mazzini crée à , chez Démosthène Ollivier, la "Jeune Italie" ; Fillipo Buonarroti s'installe à Bastia pour humer l'air de la Révolution de 1789. Il est prêt, dit-il, à « sacrifier sa vie pour la défense de la liberté et la destruction de la tyrannie »... Tous deux sont Francs-Maçons et Carbonari...

      Ainsi, après des années de recherche dans les archives nationales, régionales et municipales, avons-nous réussi à exhumer quelques documents étonnants sur la Franc-Maçonnerie provençale. Il nous restait à publier ces textes, manuscrits émouvants à l'écriture régulière, issus de travaux de la dernière société initiatique du monde moderne.


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      Mais, devant ces témoignages plus que centenaires, la vigilance s'impose parce que seule la vérité fait loi. Beaucoup de questions restent sans réponse. Il faut avoir toujours présent à l'esprit que c'est par milliers que les pièces d'archives écrites, ou imprimées plus rarement, ont été livrées de tout temps au pillage et à la destruction. [Note : Dernier exemple de pillage : le 03 août 1944, quelques jours avant la Libération de Paris, Mlle de Mohrenschildt s'est emparée de pièces d'archives concernant la Loge marseillaise "La Réunion des Amis Choisis". Elle a emporté notamment les dossiers 10, 11, 12 allant de la période de 1801 à 1900. Ces documents ont-ils pris le chemin de l'Allemagne nazie ?]

      En effet, dès sa naissance en Provence, la Franc-Maçonnerie est attaquée de toutes parts. A , Monseigneur de Belsunce, évêque, écrit le 28 septembre 1737 à l'intendant de police : « Je ne sais, Monsieur, ce que sont les Francmaçons (sic), mais je sais que ces sociétés sont pernicieuses à la religion et à l'Etat. » Monseigneur de Belsunce ignore ce que sont les Francs-Maçons, mais il les condamne !... On peut ajouter, à titre d'exemple, que le ridicule prend quelquefois le relais du dogme de la bêtise. En 1740, dans plusieurs cités de la Péninsule Italienne, de nombreux prêtres accusent le savant Ludovico Antonio Muratori d'être l'inventeur de la Franc-Maçonnerie (liberi Muratori = libres Maçons) et réclament, le plus sérieusement du monde, sa mise au cachot. Détails inquiétants : Muratori était non seulement un archéologue réputé, mais également... prêtre.

      C'est Clément XII qui va mettre le feu aux poudres. Dès 1738, le pape lance une première bulle d'excommunication contre les Francs-Maçons. D'autres suivront : de 1738 à 1902, onze papes lanceront des bulles visant en général les sociétés dites "secrètes", et plus particulièrement la Franc-Maçonnerie.

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      Le temps ne compte pas quand on cherche et qu'on a la chance de trouver quelques bribes d'histoire, modestes lumignons éclairant les difficiles chemins d'un passé souvent oublié. Disons, sans prétention, que la moisson a été bonne. Prenons quelques exemples. Et d'abord un échec ! Nous n'avons pas réussi, pour le moment, à cerner la personnalité de Julien Gastinel qui avait la passion de collectionner les documents maçonniques. On peut s'interroger sur les relations que pouvait avoir cet homme avec la Franc-Maçonnerie marseillaise pour accumuler de telles pièces d'archives émanant d'une société sinon secrète, du moins discrète.

      La question à laquelle nous avons tenté d'apporter une réponse pourrait se résumer ainsi : Julien Gastinel était-il Franc-Maçon ? Aucun des nombreux tableaux de loges en notre possession ne mentionne son nom. Jamais non plus il n'est cité dans les correspondances que nous avons dépouillées émanant des préfets, sous-préfets et maires, concernant la vie des Loges face aux lois et règlements en vigueur, appliqués avec vigueur, et sous tous les régimes, par les services de police.

      Le "fonds Gastinel", conservé aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, nous a permis grâce à un tableau de loge d'apprendre qu'un dénommé Augustin Fabre appartenait à "La Française de Saint-Napoléon", importante Loge du Grand Orient de France qui comptait une centaine de Frères, dont neuf professeurs de musique (!), un commissaire général de la police, un notaire impérial, deux membres de l'Académie de (le sculpteur Bartélémi Chardigni et le musicien Joseph Delattre), le général de brigade François Liegard, de nombreux négociants et hommes de loi... S'agissait-il de l'auteur de l'impressionnante Histoire des rues de ? Nos recherches nous ont mis en présence de plusieurs Fabre portant le prénom d'Augustin. Alors, il a fallu jouer les détectives privés ! Résultat de nos enquêtes dans les pages qui suivent !...

      Julien Gastinel garde tout son mystère. Il n'en reste pas moins un "curieux impénitent" : c'est pour cela que nous apprécions sa constance dans son fructueux travail de recherches...


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      C'est par une communication de l'avocat Second-Cresp que nous avons découvert que Jean-Baptiste Grosson, auteur de vingt-et-un numéros de L'Almanach Historique de Provence (1770-1790), était lui aussi Franc-Maçon et adjoint à l'orateur de la Vénérable Mère-Loge Ecossaise de France à l'Orient de . Le texte de maître Second-Cresp se trouve dans le répertoire des travaux de la Société de Statistiques de (Tome 33 - 1871).

      Et puis nous avons tenté de dresser un inventaire des Loges dites "sauvages" ignorées des obédiences régulières et des historiens de la Maçonnerie. Peut-être apprendrons-nous un jour qui étaient les Frères de la Loge "Les Disciples de la Lumière", travaillant "A La Gloire Du Sublime Architecte De Tous Les Mondes" (A:. L:. G:. D:. S:. A:. D:. T:. L:. M:.). Pas facile à décoder !...

      Par contre, "Les Disciples de l'Arche d'Alliance de Salomon" ont laissé quelques traces de leurs travaux. Avec un peu de chance, nous avons mis à jour une Loge classée "clandestine"par la police qui n'a jamais pu dénicher le lieu de réunion des Frères. Ce qui leur servait de Temple se trouvait du côté de la plaine Saint-Michel, aujourd'hui place Jean Jaurès – exactement, au N°4 de la rue Ferrari. Dans le domaine de l'ancienneté, nous avons toujours pensé que la première Loge Maçonnique provençale avait allumé ses feux symboliques à . Erreur de notre part que corrige M. Michel Chazottes, archiviste aux Archives Municipales d'Avignon. A l'appui de documents irréfutables publiés dans son ouvrage La Franc-Maçonnerie Avignonaise et Vauclusienne au XIXème Siècle (Edisud), il apporte la précision suivante : « Dès 1737, Avignon a été le premier centre Maçonnique du Midi Méditerranéen, avant , et . » La présence d'émigrés Jacobites a permis au marquis de Calvière la création de la première Loge dite "Loge de Saint-Jean de Jérusalem". On retrouve d'ailleurs les mêmes notations dans le texte d'Alain Merger publié dans la Provence Historique (janvier-mars 1978) sous le titre "Le Marteau et le Maillet".


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      La vie des Loges est parfois troublée par des décisions autoritaires du pouvoir, fût-il royaliste, républicain ou impérial. Quand, par exemple, Napoléon III décrète le 11 janvier 1862 que le Grand Maître du "Grand Orient de France" sera, selon son bon vouloir, le maréchal Magnan, un vent de fronde va souffler sur les Loges provençales. Des paroles définitives, nous le verrons, seront prononcées contre « le despotisme et l'ultramontanisme » de l'Empereur, ancien Carbonaro, initié dans une Vente en Italie.

      Dans une étude publiée dans l'Encyclopédie des Bouches-du-Rhône (Tome X - Le Mouvement Social), Nicolas Estier et Raoul Busquet donnent une image vivifiante de la vie maçonnique marseillaise : « Le travail, écrivent-ils, ne s'était jamais interrompu dans les Ateliers. On s'y livrait à l'étude de questions sociales, juridiques, philosophiques. Surtout l'on s'y occupait pratiquement de bienfaisance. Les Loges participaient à la distribution des bons municipaux de pain et de viande. Elles distribuaient des secours par leurs propres moyens... »

      Autre facette de l'activité des Loges. C'est Alfred Saurel qui, dans son Guide-Almanach de daté de 1870, indique qu'il existait dans la ville deux écoles maçonniques : l'une 49, bd du Musée (actuellement Bd Garibaldi), l'autre 133, Grand Chemin de Toulon. Pas question de légende d'Hiram ou du mystérieux pentagramme pour les élèves. Dans les classes, on apprend à lire aux ouvriers et on prépare les enfants aux divers examens d'études primaires.

      Et puis, on parlera de solidarité ! En 1815, à est fondée l'une des premières Sociétés de Secours Mutuel par les membres de la Loge "La Réunion des Amis Choisis". Cet esprit de fraternité active continuera plus tard. En 1868, cette même Loge créera une Caisse Centrale de Secours. Elle était alors présidée par Gaston Crémieux, fusillé le 30 novembre 1871 au Pharo. Le marseillais Adolphe Thiers était alors chef du pouvoir exécutif !...

      Nous avons dit en ouverture de ces pages que nous étions d'impénitents curieux. Par contre, nous ne sommes pas des juges et encore moins des censeurs. Pour nous, les hommes ont le droit à la plus totale liberté, quelles que soient les lignes de vie qu'ils ont choisies. Leurs croyances, leurs philosophies, leurs combats doivent nous inciter à la tolérance...

      A remuer le passé, nous avons acquis une certitude : celle d'un respect inconditionnel dû à tous ceux qui pensent que l'homme n'est pas un loup pour l'homme, mais plus simplement un être humain auquel il faut toujours tendre la main.  (suite)




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