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La Loi d'Hiram

article d'Armand Bédarride (juin 1934)
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Cet article a paru originellement dans le N°185 de la revue Le Symbolisme (octobre-novembre 1953). Il a été ressaisi et corrigé par France-Spiritualités.
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      Pendant que de nombreux Maçons, de la meilleure foi du monde, recherchent vers quels programmes réformistes ou révolutionnaires ils peuvent bien aiguiller l'opinion de leurs frères, – au risque de les distraire du travail initiatique qui est l'objet même de notre Art, – il est intéressant de rechercher si nous ne trouvons pas, dans l'organisation même de notre Ordre, avec ses symboles, ses rites, et ses légendes, des indications suffisamment précises sur les préférences plus ou moins secrètes de nos fondateurs en matière politique et économique.

      Cela nous permettrait de voir, sinon les imitations textuelles, tout au moins les adaptations que nous pourrions en faire dans le monde moderne, pour nous inspirer des enseignements du passé, tout en restant de notre temps.

      Certes, le but fondamental de la Maçonnerie est de travailler au perfectionnement de l'individu pour parvenir à celui du genre humain et cette œuvre se suffirait à elle-même.

      Mais il n'est quand même pas indifférent, et il peut être profitable, puisque la construction de la Cité peut être considérée comme une application de celle du Temple, d'examiner à ce point de vue, en langage traditionnel du « métier », si le « chantier d'Hiram » ne donnerait pas un exemple allégorique de la structure de la cité, dans une organisation que l'on pourrait appeler la « loi d'Hiram ».

      Le résultat est, à mon avis, un système synthétique rappelant, par certains traits, les divers régimes politiques et sociaux du monde profane, mais possédant son originalité propre, donc, indépendant de chacun d'entre eux, et méritant une étude spéciale.

      La loi d'Hiram a trois aspects :

            Elle est morale :

            Elle est politique ;

            Elle est économique.

      Je ne m'appesantirai pas sur la partie « morale », car elle est d'abord un simple prolongement dans le « Chantier », dans la Cité, des préceptes et des applications de la morale privée, conformément aux procédés que symbolise le façonnement de la Pierre Cubique propre à la construction.

      D'ailleurs les Constitutions d'Anderson ne proclament-elles pas, dans leur premier article, que les Maçons doivent être « des hommes bons et loyaux, d'honneur et de probité » ? Est-ce moins nécessaire dans les relations civiques que dans les relations particulières ? Les actes méchants ou déloyaux, contraires à l'honneur ou à la probité ne deviennent pas louables quand ils sont commis au service de l'esprit de parti par l'électeur ou par l'élu, ou sous le couvert des affaires publiques. Et le fait qu'on affiche telle opinion ou tel programme ne dispense pas d'agir en braves gens.

      Au point de vue politique, une inspection même superficielle de la structure du « Chantier » et de la Loge suffit à montrer clairement les caractères d'un régime tout à fait différent de ceux du type profane.

      Dans le « Chantier », l'élection ne joue aucun rôle pour le choix des « compagnons » et des « maîtres », c'est-à-dire de ceux qui auront une autorité ; c'est uniquement la capacité établie par des examens et reconnue par les titulaires déjà investis du grade. Dans la Loge, le système de la « cooptation » règne pleinement pour les grades ; le suffrage intervient pour les fonctions, mais les maîtres seuls peuvent devenir officiers, dignitaires ou délégués à l'assemblée générale, et l'ancienneté est un facteur d'éligibilité comme d'aptitude à l'augmentation de salaire.

      Si donc on prend la Loge comme type de la Cité, on s'aperçoit immédiatement que l'on est en présence d'une combinaison de démocratie et d'aristocratie dans le bon sens du mot, car cette aristocratie n'est celle ni de la naissance ni de la fortune : elle a pour multiples caractères l'aptitude technique et la moralité, l'expérience et les services.

      Il paraît certain qu'en donnant ces formes spéciales à l'organisation de la Loge, nos devanciers du XVIIIème siècle ont nettement manifesté leurs préférences sur le terrain des institutions politiques. Pas d'autre souveraineté que celle de la Sagesse, de la Raison et de la Science ; aucun absolutisme, qu'il vienne d'en haut ou d'en bas ; le nombre n'est qu'un moyen empirique pour départager les hommes, sans recourir à la violence, mais il n'est pas à même d'établir la « vérité ». Ni démagogie, ni oligarchie, ni tyrannie, mais partout, en haut comme en bas, l'origine et le fonctionnement des « autorités » calculés uniquement en vue de l'exécution du « Plan », non pour le bon plaisir de ceux qui les détiennent ou l'avantage particulier d'un parti. Point d'intérêt qui puisse prévaloir contre l'intérêt général et chacun, selon la formule, ne doit se considérer que comme une pierre façonnée pour la construction de l'édifice !

      Il en est tellement ainsi qu'Hiram lui-même, dont il serait bien difficile de dire si au point de vue gouvernemental, il représente un roi élu ou un président à vie, – n'a été choisi par Salomon que comme « le meilleur architecte de Tyr, le plus vertueux et le plus sage ». C'est un « chef » qui ne peut accorder la « maîtrise » qu'avec l'assentiment des « maîtres » déjà en exercice, c'est-à-dire de l'élite du Chantier. Une des péripéties de la légende nous montre une assemblée de tous les Maçons, réunis par le signe sacré, et quand les mauvais Compagnons ont accompli leur œuvre criminelle, le roi Salomon prend bien la direction des travaux, mais c'est avec l'assistance de tous les maîtres. Dans les deux cas, impossible de mieux caractériser un mécanisme constitutionnel qui dépasse les étiquettes de monarchie et de république pour établir l'équilibre et l'harmonie entre la nation, l'élite et le chef, tous assujétis volontairement à la règle supérieure du bien public.

      Je laisse à d'autres le soin de tirer de là un type de constitution, et d'y déterminer les relations du législatif, de l'exécutif et du judiciaire : mais je dis qu'un gouvernement d'essence maçonnique diminuera l'influence arbitraire de l'individu ou du scrutin arithmétique pour accroître indéfiniment le nombre des postes et des fonctions, même d'autorité, qui seront conférés, à la suite d'examens et de concours de savoir et de moralité, par des décisions cooptatives et collégiales.

      Sans entrer dans plus de détails sur le côté politique de la loi d'Hiram, essayons maintenant d'examiner sa portée économique.

      Si sur le terrain gouvernemental, le « plan » maçonnique paraît relever de Montesquieu, de Locke, et d'Aristote, sur le terrain de l'organisation du Travail, les traditions corporatives, ainsi que des notions théoriques générales, dénotent des affinités anticipées avec les doctrines de Saint-Simon et de Proudhon, comme avec le coopératisme, le syndicalisme et les thèses de l'économie dirigée, ou si l'on veut, de l'individualisme social.

      Commençons par le commencement.

      Le ressort du travail de métier est « moral » et non égoïste, « spirituel », et non matériel. Tout le monde connaît l'aphorisme fondamental : que le salaire n'est pas le but de l'ouvrier, mais simplement la rémunération de sa tâche ; le vrai but, c'est la perfection de l'œuvre, objectif tout idéal et désintéressé. Le monde contemporain qui ne rêve que profits et jouissances, est bien inférieur à notre Tradition.

      D'anciens règlements de Loges opératives nous montrent le nouveau « Maître », après la confection de son chef-d'œuvre, s'établissant à son compte, avec le concours de Compagnons et d'Apprentis, et partageant avec eux, dans une proportion inégale, c'est évident, mais équitable et réglementée, le bénéfice d'entreprises considérables. D'autre part, la Loge enseigne à diviser la « règle-jauge » de 24 pouces en 3 parties égales, anticipation sur les fameux 3/8... c'est que ces groupements du bâtiment, par leurs lumières initiatiques et leur éducation architecturale, ont des vues plus larges et plus fraternelles que les corporations vulgaires... Nous sommes ici aussi loin de l'utopisme égalitaire ou communiste que de l'exploitation patronale et du capitalisme. Pourtant, pour construire une église, un hôtel de ville ou un manoir, il devait falloir des avances énormes pour l'époque.

      Mais laissons les chantiers réels pour le « Chantier » symbolique, afin d'en chercher l'application à l'ordre social pris en bloc.

      Préparation professionnelle et éducation morale conjuguées ; répartition des tâches suivant les aptitudes, la hiérarchie des grades, le salaire suivant les fonctions et les œuvres ; chacun à sa place et une place pour chacun ; pas d'oisifs, pas de parasites, collaboration de tous à l'œuvre commune, engrenage des libertés individuelles dans les règlements acceptés, égalité des droits à l'échelle hiérarchique, ordre solidaire, discipline rationnelle, autorité respectée, exécution du « Plan » sous la conduite des plus aptes et des plus dignes, désignés au concours par leurs supérieurs sur la proposition de leurs pairs. Travail, amour de l'art que l'on exerce, honneur du métier. L'industrie de chacun ayant pour pivot non ses calculs égoïstes, mais les besoins et la bonne marche de l'ensemble; ruche laborieuse où toutes les abeilles contribuent à produire du miel, où toutes reçoivent leur récompense : voilà l'ordre économique maçonnique.

      Loin de moi la pensée de formuler à ma manière un système venant après tant d'autres, quand mon rôle doit se borner à fixer des points de repère et à noter des données que l'on peut mettre en équation, en réalité, de plusieurs manières aussi légitimes l'une que l'autre, suivant les pays et les circonstances ! Ce qui est immuable, c'est le cadre : les conflits des compétitions, les heurts de la concurrence sont résolus et harmonisés par une direction supérieure, à travers les rouages constitués par les représentants techniques de chaque catégorie, par le contrôle et l'arbitrage des « maîtres » ; c'est un « cartel » fonctionnant partout en vue du bien public, au lieu de fonctionner seulement
dans l'intérêt privé de ceux qui en détiennent les leviers de commande.

      Nous ne sommes plus ici en présence du vieux libéralisme économique, puisque l'individu n'y est plus maître de tout fausser et de tout désorganiser ! Du communisme non plus, puisque la propriété privée n'est pas atteinte, et que chacun peut épargner et vivre à son gré ; sûrement pas de l'étatisme, car les droits des travailleurs de tous grades, s'ils sont régis par la « loi du chantier » n'en sont pas la création ; socialisme ? alors bien différent de celui des partis officiels de ce nom, car le profit personnel n'y est pas supprimé, et aussi la concentration ne s'y fait pas suivant les prévisions d'antan, mais d'une manière inattendue, sous l'impulsion de la spontanéité de la vie.

      Et puis la grenade ou la chaîne d'Union procèdent-elles des Harmonies économiques de Bastiat, ou de la socialisation de Karl Marx ?

      M'est avis qu'elles reposent sur des données de beaucoup antérieures, et d'essence différente, puisque spirituelle.

      Somme toute, et comme on a pu le voir, le « plan » politique et social qui paraît résulter de la loi d'Hiram ne correspond pas aux systèmes envisagés par les partis profanes qui se partagent l'opinion de nos jours.

      En effet il ne confère l'autorité ni la fortune, ni à la naissance, ni au nombre, mais seulement à la sagesse, à la science, et à la vertu ; le critérium pratique est dans la valeur morale et technique, dans les mérites et les services, reconnus chez les nouveaux venus par ceux qui ont déjà fait leurs preuves, comme dans la loge, pour y entrer ou accéder à un grade. Et au point de vue économique, elle ne tend nullement à supprimer la propriété individuelle, mais engrène toutes les activités dans une solidarité d'ensemble.

      Comment et dans quelle mesure pouvons-nous nous en inspirer, en un siècle où certains semblent vouloir faire régner la loi du nombre, et où d'autres proposent de tomber de Charybde en Scylla, pour éviter les défauts de la multitude, en recourant au despotisme ?

      C'est le secret de demain.

      Mais il semble que la tendance organique de certaines écoles pour attribuer une place et une influence croissante aux « capacités », aux cadres « intellectuels », aux « élites » de toute nature dans les institutions gouvernementales ou économiques, s'accorderait avec la directive hiramique ; l'antagonisme binaire du capital et du travail, de la puissance publique et des citoyens, ne cessera que le facteur « pensée » organisera et guidera les deux – vers l'harmonie ! – par sa prééminence établie sur toutes choses.

Armand Bédarride




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