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Le Grand-Maître

article de Gustave Mesureur (octobre 1912)
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Cet article a paru originellement dans le N°1 de la revue Le Symbolisme (octobre 1912). Il a été ressaisi et corrigé par France-Spiritualités.
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      Définir les devoirs d'un Grand-Maître n'est pas chose aisée, si on imagine la diversité des Obédiences, françaises et étrangères, le milieu dans lequel elles évoluent, leur mentalité particulière et les conditions qui ont présidé à leur formation.

      L'idée que nous nous faisons actuellement en France d'un Grand-Maître nous vient en ligne directe de la Maçonnerie des hauts grades, et notre Maçonnerie bleue, d'essence démocratique, ne s'est pas débarrassée d'une appellation grandiloquente, désormais dépour­vue de sens au sein d'organisations qui, rejetant le principe autoritaire de la hiérarchie dogmatique, ac­ceptent la loi de l'égalité qui exige que toutes les fonc­tions se recrutent par l'élection.

      La Maçonnerie est essentiellement traditionnaliste et l'appellation de Grand-Maître a été réservée, en prin­cipe, aux présidents des Grandes Loges des trois premiers degrés ; mais des Suprêmes Conseils, notam­ment celui de France, ayant sous leur juridiction des Loges bleues, usèrent également de ce titre, de là une confusion ou une fusion des droits et des devoirs des uns et des autres ; aussi leurs attributions ne doivent-­elles plus, à mon sens, avoir le même caractère que, jadis.

      Si je rappelle mes souvenirs de jeune Maçon, si je rassemble les enseignements que j'ai pu acquérir, un Grand-Maître à ce moment, c'est-à-dire le très puissant souverain, Grand-Commandeur, Grand-Maître d'une Maçonnerie, représentait une fonction mystérieuse, en quelque sorte sacrée, dogmatique et, par cela même, autoritaire.

      Il faut reporter sa pensée vers le passé et particulièrement sur l'histoire du siècle dernier pour com­prendre comment, dans notre pays, cette conception, si contraire à nos principes, s'est imposée à nous comme une nécessité.

      La Maçonnerie, Société secrète, tolérée par les Gou­vernements, mais étroitement surveillée par eux, était constituée sur tous les points du territoire en Loges dis­tinctes. Ces Loges ne pouvaient pas naître spontané­ment sans guide et sans liens entre elles ; elles se seraient exposées à toutes les investigations de la police, à une époque où on n'avait pas le droit de s'asso­cier, ni même de se réunir plus de vingt et un. Il leur fallait un répondant, un tuteur au regard du pouvoir civil.

      D'autre part, les Gouvernements ne pouvaient pas se donner le ridicule, si un Atelier manifestait trop vive­ment ses opinions, d'agir par leurs commissaires de police au risque de faire rire la galerie pour des inci­dents minuscules. En sévissant contre des groupes qui, soi-disant, n'existaient pas, on se donnait le tort de les avoir tolérés.

      L'autorité dogmatique, c'est-à-dire le Grand-Maître, était là pour quelque chose ; il couvrait ses Ateliers, garantissait la liberté de leurs débats, engageait sa responsabilité et se faisait leur défenseur auprès des pouvoirs publics ; par contre, il exerçait sur eux un droit de surveillance et de discipline, les modérait et, parfois, les mettait en sommeil pendant quelques mois pour laisser passer l'orage qui les menaçait ; il pouvait même les démolir si leur attitude était de nature à compromettre la sécurité du Rite.

      Ce rôle de protecteur, les Grands-Maîtres du Rite Ecossais et du G:. O:. de France l'ont joué au cours du XIXème siècle, souvent avec éclat, toujours avec di­gnité.

      Il faut se rappeler aussi que la Franc-Maçonnerie a toujours été, sinon l'ennemie de l'Eglise catholique, au moins le contre-poids de son influence politique dans la société, que c'est une force qui ne fut pas inutile et que n'ont pas dédaignée même les Gouvernements légi­timistes et impérialistes pour réfréner les exigences des cléricaux et modérer l'envahissement des Jésuites ; les attaques violentes et répétées de la presse cléricale ac­tuelle contre les Francs-Maçons nous montrent qu'il n'y a rien de changé et que la bataille continue.

      C'est cette lutte contre une puissance admirablement disciplinée, où l'obéissance passive est un devoir, où les croyances et les directions venues de haut ne se discutent pas, qui devait, par une sorte de similitude, fortifier, avec le temps, le dogmatisme et le symbolisme maçonniques, accroître l'autorité de ses chefs, depuis le Vénérable de Loge, jusqu'au Grand-Maître de l'Ordre.

      La très-puissante Souveraineté, le Grand Comman­dement, la Grande-Maîtrise ont encore, à notre époque, une autre raison d'être. Ils doivent assurer les rela­tions internationales, pour resserrer et maintenir les liens qui unissent les FF:. des deux mondes ; le Su­prême Conseil de France du Rite Ecossais a fait de grands sacrifices pour prendre et maintenir sa place dans le concert des Suprêmes Conseils. Il en a fait notamment en 1875, en maintenant dans ce but, la formule à L:.G:.D:.G:.A:.D:.l'U:. ; il y a risqué une révolution intérieure ; puis, il a provoqué un schisme en 1879, où un grand nombre de Loges se sont sépa­rées de lui pour fonder la Grande Loge Symbolique et, enfin, encore, en consentant, en 1905, l'abandon de toute autorité sur ses Loges bleues qui forment aujour­d'hui une puissance indépendante : La Grande Loge de France.

      C'était payer un peu cher sa place dans le consortium maçonnique universel, qui n'a pas été réalisé du reste, puisque l'Amérique maçonnique considère les Maçons français comme indésirables et que la Grande Loge d'Angleterre ne veut pas les connaître. Cette grande Loge Anglaise est mieux avec Berlin qu'avec Paris, c'est la seule tache à l'Entente cordiale ; nos FF:. Anglais voudront certainement l'effacer au plus tôt.

      Mais ce n'est pas le moment de juger si, au Rite Ecossais, on a eu tort de faire des avances à l'étran­ger et si nous n'aurions pas mieux fait de rester nous­-mêmes, en arborant nettement notre drapeau de libres penseurs.

      Il faut reconnaître que le Grand Orient de France a été plus logique, il n'a pas fait de concession, mais il n'a pas été jusqu'au bout de la logique. En juin 1865, en révisant sa Constitution, il a été sur le point de créer une Maçonnerie française d'essence et d'esprit ; l'aboli­tion des hauts grades a été repoussée par 86 voix contre 83, trois voix ont assuré le triomphe des cordons et des vanités inutiles et fait échouer la constitution d'une Maçonnerie essentiellement démocratique.

      En tant que membres de la Grande Loge de France, ces questions nous importent peu; nous considérons la Maçonnerie des trois premiers grades : Apprenti, Com­pagnon et Maître, comme la synthèse la plus complète et la plus belle de l'organisation sociale ; l'œuvre d'édu­cation philosophique que nous accomplissons s'arrête au Maçon parfait qui est le Maître, et cette hiérarchie si simple se retrouve partout, parce qu'elle est dans la nature même de l'homme qui ne peut s'élever que par la lente ascension du savoir, quel que soit le rôle social qu'il est appelé à jouer.

      Ces principes, comme celui que je rappelais plus haut, que toutes les fonctions doivent se donner à l'élec­tion en vertu de la loi de l'égalité, nous montrent suffi­samment que le rôle du Grand-Maître d'une Grande Loge symbolique se réduit à une direction morale et administrative qui respecte le pacte fondamental résumé dans la formule : « Le Maçon libre dans la Loge libre. »

      Jamais, comme Grand-Maître, il ne m'est venu à l'idée de restaurer l'autoritarisme et le dogmatisme des Grands-Maîtres passés et des Grands-Maîtres issus des Ateliers des hauts grades. Cela n'est plus de notre temps, en France du moins, puisqu'on voit encore en Amérique des Grands-Maîtres légiférer de leur autorité privée.

      Le Grand-Maître, ou plus modestement et plus exac­tement le Président de la Grande Loge, doit faire res­pecter la séparation des pouvoirs ; la souveraineté réside dans les Loges et elles l'exercent par leurs délégués au Convent : mettre en échec la volonté des Convents, passer au-dessus de leurs décisions, c'est supprimer les garanties de liberté que la Constitution donne aux Loges et entrer dans la pratique des abus qui conduisent au despotisme.

      Le Grand-Maître doit veiller à ce qu'on n'altère pas le symbolisme maçonnique et qu'on ne transforme pas les habitudes, les traditions rituéliques qui rattachent tous les Maçons du globe entre eux et leur permet de se comprendre et se reconnaître; mais le Grand-Maître, dans ce cas, ne fait encore que veiller à la stricte exécu­tion des engagements pris par les Loges et par chaque Maçon en particulier.

      L'action morale, conciliatrice et paternelle d'un Grand-Maître n'a pas de limite ; maintenir la bonne harmonie, l'entente, la vraie confraternité entre ses collaborateurs, les Grands Officiers et le Conseil Fédé­ral, c'est-à-dire dans le sein du pouvoir exécutif, est le premier de ses devoirs. Apaiser les conflits qui peuvent s'élever entre les Loges, leur donner des conseils auto­risés, le cas échéant, défendre ses Loges et ses Frères auprès des Obédiences étrangères, enfin donner aux manifestations maçonniques l'éclat et la dignité qui convient, sont encore des devoirs de sa charge, et, en ce qui me concerne, l'affection de mes Frères me les a rendus aisés à remplir.

      Cette méthode, pleine de réserve, respectueuse de la Constitution et de la liberté des Loges, de leur auto­nomie et de leur initiative, a le mérite de ne pas pro­voquer les oppositions, de calmer les passions et de permettre à notre Ordre de se développer dans la paix et dans la liberté ; j'estime que c'est la bonne.

      Elle répartit les responsabilités, elle respecte toutes les opinions, elle permet à toutes les conceptions philo­sophiques et sociales de se soumettre à l'épreuve de la contradiction, elle a enfin le rare mérite de faire de la Maçonnerie une grande Ecole de solidarité et de former des citoyens que la République retrouve toujours quand l'heure sonne de la défendre.

      C'est ainsi que la Grande Loge de France s'est développée magnifiquement depuis dix ans ; elle est bien la fille des Maçons qui ont donné au monde la formule Liberté-Egalité-Fraternité.




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