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Le Travail maçonnique

article d'Oswald Wirth (novembre 1933)
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Cet article a paru originellement dans le N°178 de la revue Le Symbolisme (octobre-novembre 1933). Il a été ressaisi et corrigé par France-Spiritualités.
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      Le verbe « travailler » peut s'appliquer à une activité improductive : un dompteur fait « travailler » ses fauves, mais il est évident que ce n'est pas là le sens propre du terme. En Maçonnerie latine, nous appelons « travail » une œuvre accomplie, tel un « morceau d'architecture ». Nos FF:. anglo-saxons entendent par « work » l'accomplissement des cérémonies maçonniques : quand rien n'a cloché dans la récitation du rituel, ils se félicitent d'avoir participé à un travail parfait.

      Cette manière de parler détourne du travail véritable qui s'applique à la Pierre, autrement dit à la personnalité humaine.

      Suivre avec assiduité les travaux de Loge. s'instruire du rituel, écouter les conférences, intervenir dans les discussions fraternelles, c'est travailler, mais en mode relativement passif, en laissant agir sur soi le travail d'autrui. L'erreur serait de s'en tenir à ce trop facile mode de travail.

      En réalité, la Loge enseigne à travailler, mais ce n'est pas en son sein que l'activité productive du Maçon se déploie. Instruit, fortifié, le Constructeur d'une Humanité meilleure travaille au dehors, dans la vie pratique.

      Il travaille discrètement sur lui-même, afin de se perfectionner en tant qu'homme et que citoyen. Nous n'exerçons un pouvoir direct que sur nous-mêmes et c'est en réformant notre personnalité, qu'il nous devient possible de contribuer sans utopie à la réforme générale humaine qui est notre suprême objectif, figuré par le Grand-Œuvre des anciens Sages. L'effort de l'individu pour s'élever à la perfection réalisable de l'espèce n'est pas perdu. Visons à réaliser en nous l'idéal de l'homme compréhensif, sage et bon, dévoué, aimant et nous servirons utilement la noble cause humanitaire.

      Mais ne nous laissons pas détourner du travail sur nous-mêmes par les formules des batteurs d'estrade qui prétendent guérir les collectivités. Guérissons-nous individuellement afin de rendre la santé au corps social. Tel est le devoir de chacun de nous : assainissons-nous au triple point de vue intellectuel, moral et physique.

      Nous n'avons pas à insister ici sur la santé du corps, car l'enseignement de l'hygiène est d'ordre profane ; mais la santé du jugement et celle de notre sentimentalité sont du ressort de l'Initiation.

      Savons-nous juger équitablement ? Chacun de nous le croit avec candeur, sans se méfier des préjugés qui faussent ses appréciations. Ceux qui se sont rituéliquement dépouillés de leurs métaux sont-ils plus avancés, à cet égard, que le commun des mortels ? Les Maçons se conforment-ils intellectuellement à l'attitude qu'ils prennent pour se mettre à l'ordre d'Apprenti ? Savent-ils empêcher de monter à leur cerveau le bouillonnement de leur poitrine, siège symbolique des passions ? Juger en stricte équité n'est pas un art facile, car tout homme a ses penchants, ses goûts, ses sympathies et ses répulsions, d'où ses opinions, ses croyances et ses parti-pris. Il faut qu'il se libère de tout ce qui le retient ainsi captif, s'il veut discerner sainement. C'est difficile et nous sommes loin d'y parvenir d'une manière irréprochable, même à la suite d'efforts persévérants !

      Puisqu'il en est ainsi, gardons-nous de tout absolutisme dans nos jugements. Résistons au mauvais exemple de nos adversaires. Si nous étions, comme eux, intolérants et incompréhensifs, où serait notre supériorité ?

      Nous avons l'avantage de ne pas nous croire en possession de la vérité, de nous rendre compte, au contraire, de l'erreur en laquelle nous restons plongés et dont nous nous dégageons péniblement, grâce à notre travail incessant. Dans ces conditions, le contradicteur est loin d'être pour nous un ennemi : c'est un auxiliaire précieux s'il est de bonne foi, un très instructif sujet d'étude dans le cas contraire. Le sage s'instruit en s'efforçant de connaître l'homme, tant en lui-même qu'en ses semblables. Pour connaître, il faut se rendre compréhensif, autrement dit, réceptif à la pensée d'autrui. Il importe donc de savoir changer de point de vue, afin d'adopter celui de l'interlocuteur. Ainsi se découvrent les raisons de son opinion, qui a grande chance de ne pas être entièrement fausse, car ce n'est pas l'erreur qui gagne les intelligences, celles-ci se laissant abuser, le plus souvent, par des déguisements de la vérité. Or, un discernement supérieur perce l'enveloppe fallacieuse et met à nu le grain véridique dissimulé sous des dehors choquants.

      En réalité, un échange d'idées entre gens de même opinion est beaucoup moins profitable qu'une explication entre champions de thèses opposées. Pour s'assimiler la Lumière, le Compagnon doit voyager, afin d'entrer en contact avec les penseurs de tous les points cardinaux.

      Loin de fuir ceux qui ne pensent pas comme nous, cherchons donc leur approche. Soucieux de nous instruire, allons les écouter sans esprit de dénigrement, persuadés qu'ils ne sauraient avoir tort d'une manière absolue, puisque tout est relatif, l'erreur y comprise. Celui qui s'imaginerait ne se tromper en rien, serait victime d'une funeste illusion. En réalité, tous les humains sont frères devant l'erreur et c'est fraternellement qu'ils doivent s'aborder quand ils diffèrent en la manière de se tromper. L'étincelle de vérité ne risque-t-elle pas de jaillir du choc de deux erreurs opposées ?

      Essayons ! Mais n'entamons pas une controverse arrogante. Gardons-nous de vouloir imposer nos idées, appliquons-nous, au contraire, à nous assimiler celles d'autrui. Elles nous choquent. le plus souvent, parce que nous ne savons pas les envisager sous un point de vue qui nous échappe. Déplaçons-nous jusqu'à ce que notre optique tombe sous l'angle voulu. Alors, nous comprendrons notre contradicteur, nous discernerons le fort et le faible de sa thèse, ce qui nous permettra de la juger équitablement. Courtoises et judicieuses, nos objections ne révolteront pas un esprit capable de réfléchir, pour qui la conversation portera ses fruits, peut-être plus encore que pour nous-mêmes. De part et d'autre, elle aura contribué à se mieux comprendre.

      Or, à quoi doivent travailler les Maçons ? Précisément à la conciliation des opinions opposées. Les trois points :. de leur signature affirment qu'ils savent s'élever au-dessus des disputes stériles, figurées, par des deux points inférieurs . . Leur jugement devient équitable, parce qu'il est prononcé de la hauteur du troisième point médiant . Pour qu'ils soient tolérants, il faut que leurs trois points :. correspondent à une réalité mentale, à une capacité de comprendre, en les respectant, des opinions qu'ils ne partagent pas. La Tolérance établit un accord tacite supérieur entre hommes qui pensent différemment, chacun en la plénitude de sa liberté d'appréciation.

      Cette vertu distinctive du vrai Maçon lui met en main la Truelle de l'indulgence, à l'aide de laquelle s'applique le ciment, de la fraternité humaine. Sachons manier cet instrument, nous qui aspirons à édifier une humanité harmonieuse ! Travaillons en conciliateurs de toutes les discordes !

      Ce rôle de pacificateurs exige de notre part une stricte indépendance. Si nous étions de parti-pris, nous serions de mauvais arbitres. Il importe donc de conquérir, puis de défendre jalousement notre liberté intellectuelle et morale. Nous ne serions pas libres, si nous étions inféodés à une école ou à un parti, si, renonçant à juger avec impartialité, nous ne jurions que d'après le mot d'ordre d'une collectivité. Accepter une opinion toute faite est beaucoup plus facile que de s'en faire une par soi-même, en pleine connaissance de cause. Se dire Franc-Maçon, donc Libre-Constructeur, c'est s'affirmer affranchi des esclavages de l'esprit ; mais nous ne nous affranchissons pas sans travail.

      Travaillons à nous libérer de tout ce qui nous empêche de juger impartialement, selon l'Equerre, qui est notre « première Lumière » traditonnelle. Ne nous laissons aveugler par aucun parti-pris et sachons rester libres en nos appréciations. Méfions-nous de ceux qui ameutent les foules et s'en font les mauvais bergers. Refusons de nous laisser exciter à la haine de concitoyens qui, de bonne foi, pensent autrement que nous. Contentons-nous d'intensifier, en leur faveur, la Vraie Lumière dans la mesure où nous croyons l'apercevoir. Appliquons-nous avec une pieuse ferveur, à penser lumineusement, en stricte équité calme, sans nous laisser troubler par aucune passion. (Ordre d'Apprenti.) Si nous y réussissons, notre pensée devient juste et ses vibrations se transmettent en ondes harmoniques, propres à influencer les penseurs inconnus, soucieux, eux aussi, de penser juste.

      La parole parlée ou écrite exerce une action puissante, mais qui reste d'ordre profane. Or, la tradition initiatique préconise le silence qui fait la force de conspirateurs sachant penser dynamiquement. Travaillons en vue d'avoir raison, de voir vraiment clair, en discernant les erreurs humaines. Un état d'esprit éclairé propage silencieusement une lumière secrète à laquelle rien ne résiste, car elle s'insinue sans éclat et sans éblouir. C'est la Vraie Lumière que recherchent les Initiés.

      Ceux qui l'ont conquise n'imposent pas leur opinion, mais ils stimulent la réflexion d'autrui à la manière de Socrate, en posant d'habiles questions, facilitant l'accouchement des idées personnelles. La Vérité se cache au fond du puits de tout entendement humain. Il s'agit donc de la faire sortir de nous initiatiquement et non de la pousser en nous de l'extérieur, selon le procédé profane.

      Si les Maçons savaient se comporter maçonniquement, ils exerceraient une irrésistible puissance spirituelle, non en s'agitant, mais par leur seule action de présence. La Pierre cubique est le noyau de cristallisation d'un meilleur ordre humain. Travaillons sur nous-mêmes afin d'agir efficacement sur la collectivité. L'harmonie du Microcosme harmonise le Macrocosme.




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