CHAPITRE IV
La Franc-Maçonnerie
Martinisme et Franc-Maçonnerie
Les écrivains qui se sont occupés du Martinisme,
et surtout les écrivains cléricaux, ont confondu, souvent avec une
mauvaise foi voulue, le Martinisme et la
Franc-Maçonnerie.
Le Martinisme, ne demandant à ses membres aucun serment
d'obéissance passive et ne leur imposant aucun dogme, pas plus le dogme
matérialiste que le dogme clérical, les laisse parfaitement libres
de leurs actions : mais il est absolument indépendant, en tant qu'ordre,
de la
Franc-Maçonnerie telle qu'elle est pratiquée généralement en France.
Comme tout ordre d'illuminés, le Martinisme ouvre
certaines de ses réunions aux francs-maçons instruits, surtout aux
membres du
Rite Ecossais, et seulement quand ils sont pourvus au moins du grade
de 18° (Rose-Croix) ; mais ces relations se bornent à de simples démarches de politesse, et les Martinistes contemporains n'agissent pas autrement que n'agissaient, dans les mêmes circonstances, leurs ancêtres des convents des Gaules et de Wilhemsbadt.
Portant le nom kabbalistique du Christ et la reconnaissance
du Verbe créateur en tête de tous ses actes, le Martinisme ne peut
entretenir de relations qu'avec les puissances maçonniques travaillant
d'après la constitution des Rose-Croix illuminés qui ont établi
la
Franc-Maçonnerie, et tout
rite rayant
Dieu de ses planches et transformant,
sans références traditionnelles, le
symbolisme qui lui a été
confié, n'existe plus pour les Martinistes, pas plus que pour tous les
initiés d'un centre réel et sérieux.
Voilà pourquoi le
Grand-Orient de France, qui est
au ban de la véritable et universelle
Franc-Maçonnerie, ne doit
pas être confondu avec le Martinisme, comme cherchent à le faire
les cléricaux.
Cela nous
amène à déterminer la situation
actuelle des différents
rites de la
Franc-Maçonnerie en France et
leur
histoire.
La
Franc-Maçonnerie comprend trois
rites en France:
1° Le
Grand-Orient
de France, le plus puissant (en France) par le nombre de ses loges et de ses
membres,
rite matérialiste et athée par son
esprit et par son action
et cause réelle de la décadence momentanée de notre pays
;
2° Le
Rite Ecossais,
divisé en deux sections :
a) Le Suprême
Conseil et ses loges admettant les hauts grades maçonniques ;
b) La Grande
Loge
Symbolique écossaise, fédération d'anciennes loges écossaises n'admettant pas les hauts grades.
En 1897, une compromission établie entre ces deux
sections a donné naissance à la
Grande Loge de France.
Esprit du
rite : Spiritualisme éclectique. C'est par
ce
rite que la France se rattache aux
rites des autres pays.
3° Le
Rite de Misraïm, qui, de décadence en décadence, est tombé dans le ridicule avec un total de moins de vingt membres pour constituer ses loges, son chapitre
et son aéropage.
Reprenons l'
histoire rapide de chaque
rite.
La Franc-Maçonnerie de sa création
à 1789
Le Grand Orient et ses Origines
Le
Grand-Orient de France est issu d'une insurrection de
certains membres contre les constitutions et la hiérarchie traditionnelles
de la
Franc-Maçonnerie. Quelques lignes d'explication sont ici nécessaires.
La
Franc-Maçonnerie a été tout d'abord
établie en Angleterre par des hommes appartenant déjà à
l'une des puissantes fraternités secrètes d'Occident : la confrérie
des Rose-Croix. Ces hommes, et surtout Ashmole, eurent l'idée de créer
un centre de
propagande où l'on pourrait former à leur insu des
membres instruits pour la Rose-Croix. Aussi les premières Loges maçonniques
furent-elles mixtes et composées partie d'ouvriers réels, partie
d'ouvriers de l'intelligence (libres maçons). Les premiers essais (Ashmole)
datent de 1646 ; mais c'est seulement en 1717 que ta Grande Loge de Londres est
constituée. C'est cette Loge qui donne des chartes régulières
aux Loges françaises de
Dunkerque (1721),
Paris (1725),
Bordeaux (1732),
etc., etc.
Les Loges de
Paris se multiplièrent rapidement, nommèrent
un grand maitre pour la France, le
duc d'
Antin (1738-1743), sous l'
influence de
qui fut entreprise la publication de l'Encyclopédie, comme nous le verrons
tout à l'heure. Voilà l'origine réelle de la révolution,
accomplie d'abord sur le plan intellectuel avant de passer de puissance en acte.
En 1743, le comte de
Clermont succéda au
duc d'
Antin
comme grand maître et prit la direction de la
Grande Loge anglaise de
France. Ce comte de
Clermont, trop
indolent pour s'occuper sérieusement
de cette société, nomma substitut un maître de danse,
Lacorne,
individu très intrigant, mais de murs déplorables. Ce Lacorne
fit entrer dans les Loges une foule d'individus de son espèce, ce qui amena
une scission entre la Loge constituée par Lacorne (Grande Loge Lacorne)
et les anciens membres qui formèrent la
Grande Loge de France (1756).
Après un essai de rapprochement entre les deux
factions
rivales (1758), le scandale devint si grand que la police s'en mêla et ferma
les Loges de
Paris.
Lacorne et ses adhérents mirent ce repos à
profit et obtinrent l'appui du
duc de Luxembourg (15
juin 1761)
[Note
de l'auteur : Voyez Ragon, Orthodoxie Maçonnique, p. 56.].
Forts de cet appui, ils réussirent à rentrer dans la Grande Loge
d'où ils avaient été bannis, firent nommer une commission
de contrôle dont les membres leur étaient acquis d'avance. En même
temps, les
frères du
rite Templier (Conseil des Empereurs) s'associent
en secret aux menées des commissaires et, le 24 décembre 1772, un
véritable coup d'Etat maçonnique est accompli par la suppression
de l'inamovibilité des présidents des Loges et par l'établissement
du régime représentatif. Des révoltés victorieux fondèrent
ainsi le
Grand Orient de France. Aussi un maçon contemporain a-t-il
pu écrire : « Il n'est pas excessif de dire que la révolution
maçonnique de 1773 fut le
prodrome et l'avant-coureur de la Révolution
de 1789
[Note de l'auteur : Amiable et Colfavru, op. cit.]. »
Ce qu'il faut bien remarquer, c'est l'action secrète
des
frères du
rite Templier. Ce sont eux les vrais fomentateurs des révolutions,
les autres ne sont que de dociles
agents.
Ainsi, le lecteur peut maintenant comprendre notre assertion
: Le
Grand-Orient est issu d'une insurrection.
Revenons sur deux points
1° L'
Encyclopédie
(révolution intellectuelle) ;
2° L'
Histoire du Grand
Orient de 1773 à 1789.
L'Encyclopédie
Nous avons dit que les faits auxquels s'attachent surtout
ies
historiens n'étaient, le plus souvent, que des conséquences
d'actions
occultes. Or, nous pensons que la Révolution n'eût pas
été possible si des efforts considérables n'avaient été
précédemment faits pour orienter dans une nouvelle voie l'intellectualité
de la France. C'est en agissant sur les
esprits cultivés, créateurs
de l'opinion, qu'on prépare l'évolution sociale, et nous allons
trouver maintenant une preuve péremptoire de ce fait.
Le 25
juin 1740, le
duc d'
Antin, grand maître de la
Franc-Maçonnerie pour la France, prononçait un important discours
dans lequel était annoncé le grand projet en cours ; témoin
l'extrait suivant :
« Tous les grands maîtres en Allemagne, en Angleterre,
en Italie et ailleurs, exhortent tous les savants et tous les artisans de la confraternité
de s'unir pour fournir les matériaux d'un dictionnaire universel des arts
libéraux et des sciences utiles, la
théologie et la politique seules
exceptées. On a déjà commencé l'ouvrage à Londres
; et, par la réunion de nos confrères, on pourra le porter à
sa perfection dans peu d'années.
MM. Amiable et Colfavru, dans leur étude sur la
Franc-Maçonnerie
au
XVIIIème siècle, ont saisi parfaitement l'importance de ce projet
puisque, après avoir parlé de l'
English Cyclopedia de Chambers
(Londres, 1728), ils ajoutent :
« Bien autrement prodigieux fut l'ouvrage publié
en France consistant en 28 vol. in-f° dont 17 de texte et 11 de planches,
auxquels vinrent s'
ajouter ensuite cinq volumes supplémentaires, ouvrage
dont l'auteur principal fut Diderot, secondé par toute une pléiade
d'écrivains d'élite. Mais il ne lui suffisait pas d'avoir des collaborateurs
pour mener son uvre à bonne fin.; il lui a fallu de puissants protecteurs.
Comment les aurait-il eus sans la Franc-Maçonnerie?
Du reste, les dates ici sont démonstratives. Le
duc
d'
Antin prononçait son discours en 1740. On sait que, dès 1941,
Diderot préparait sa grande entreprise. Le privilège indispensable
à la publication fut obtenu en 1745. Le premier volume de l'
Encyclopédie
parut en 1751. »
Ainsi la révolution se manifeste déjà
par deux étapes :
1° Révolution
intellectuelle par la publication de l'Encyclopédie due à la
Franc-Maçonnerie française sous la haute impulsion du
duc d'
Antin
(1740).
2° Révolution
occulte dans les Loges, due en grande partie aux membres du
rite Templier
et exécutée par un groupe de francs-maçons expulsés,
puis amnistiés (groupe Lacorne). Fondation du
Grand-Orient sous la haute
impulsion du
duc de Luxembourg (1773) et présidence du
duc de
Chartres.
La révolution
patente dans la Société, c'est-à-dire l'application à la Société des constitutions des Loges ne va pas tarder.
Reprenons l'
histoire du
Grand-Orient au point où nous l'avons laissée.
Une fois constituée, la nouvelle puissance maçonnique
fit appel à toutes les Loges pour ratifier la nomination comme grand maitre
du
duc de
Chartres. En même temps (1774), le
Grand-Orient s'installait dans
l'ancien noviciat des
Jésuites, rue du Pot-de-fer, et procédait
à l'expulsion des brebis galeuses. Cent-quatre Loges firent d'abord adhésion au nouvel ordre de choses, puis 195 (1776) et enfin, en 1789, il y avait 629 Loges en activité.
Mais un fait, à notre avis considérable, s'était
produit en 1786. Les Chapitres du
rite Templier s'étaient officiellement
alliés au
Grand-Orient et avaient même opéré leur
fusion
avec lui. Nous avons vu comment les
frères de ce
rite avaient aidé
à la révolte d'où était issu le
Grand-Orient ; résumons donc rapidement l'
histoire du
rite Templier.
Le Rite templier et l'Ecossisme
La
Franc-Maçonnerie, nous l'avons vu, avait été
établie en Angleterre par des membres de la
Fraternité des Rose-Croix
désireux de constituer un centre de
propagande et de recrutement pour leur
ordre. La
Franc-Maçonnerie anglaise ne comprenait que trois grades : apprenti,
compagnon, maître. A cet exemple, la
Franc-Maçonnerie française
et le
Grand-Orient qui en était l'émanation principale étaient
formés de membres pourvus seulement de ces trois grades. Mais bientôt
certains hommes prétendirent avoir reçu une
initiation supérieure,
plus conforme aux mystères de la
Fraternité des Rose-Croix, et des
rites se créèrent décernant des grades supérieurs
à celui de maître, appelés
hauts grades.
L'
esprit des
rites à grades supérieurs ainsi
créés était, bien entendu, différent de celui de la
maçonnerie proprement dite. C'est ainsi que Ramsay avait institué
en 1728 le
Système écossais dont la base était politique
et dont l'enseignement tendait à faire de chaque
frère un vengeur
de l'Ordre du
Temple. De là, le nom de
rite Templier que nous avons
donné à cette création de Ramsay. Les réunions des
frères pourvus de hauts grades prirent le nom, non plus de Loges, mais
bien de Chapitres. Les principaux chapitres établis en France furent :
1° Le Chapitre de Clermont (
Paris
1752) d'où sortit le
baron de Hundt, créateur de la haute maçonnerie
allemande ou illuminisme allemand ;
2° Après le Chapitre de
Clermont
parut le
Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident (
Paris 1758), dont
certains membres se séparant de leurs
frères formèrent :
3° Les Chevaliers d'Orient (
Paris
1763), chacune de ces puissances délivrait des chartes de Loges et même
les principaux
frères (Tshoudy, Boileau, etc.) créèrent en
Province des
rites spéciaux.
En 1782, le Conseil des Empereurs et les Chevaliers d'Orient
se réunirent pour former le
Grand Chapitre général de
France, dont les principaux membres avaient aidé à la constitution
du
Grand-Orient par leurs intrigues.
Aussi voyons-nous, en 1786, ces
frères amener la
fusion
du
Grand Chapitre général de France. Que résulta-t-il
de cette
fusion ?
Les membres du Grand Chapitre, tous bien disciplinés,
poursuivant tous un but précis et possédant l'
intelligence,
se trouvaient disposer
du nombre fourni par le
Grand-Orient. On comprend
maintenant la genèse maçonnique de la Révolution française.
La plupart des
historiens confondent ces membres du
rite
Templier, véritables inspirateurs de la Révolution
[Note de l'auteur : Certains auteurs prétendent même que l'internement
de Louis XVI au Temple fut le résultat de la décision des
frères du rite Templier.], avec les martinistes.