sont-elles médiocres, je n'en sais trop rien, je vous conseille de laisser le combat, de le refuser. J'ai la confiance que je suis moi-même de
force à combattre sans
défaillance avec grand succès et à défendre votre renom, votre bonheur, votre honneur et votre gloire contre cette espèce, cette engeance de Cerbères aboyeurs. Du reste, si vous avez auprès de vous à
Paris cet ami dévoué qui se nomme le Père Claude (i), que j'ai nommé plus haut, dites-lui en mon nom une foule de choses agréables et communiquez-lui ces écrits-Je sais eu effet qu'il vous aime et vous vénère audelà de toute expression.
Adieu, homme heureux, le plus bel ornement (le la société des gens réellement instruits.
De
Metz, le 16 avant les
calendes de
juin 1519.
Jacques Lefebvre d'Etaples à
Henri Cornélis Agrippa, salut.
Paris, 20
juin 1519.
Très-honoré Seigneur, j'ai reçu votre lettre par l'entremise du
vénérable Père Claude
Dieudonné. Je lui ai donné moi-même une lettre et quelques écrits qu'il aura soin de vous faire tenir ou de vous remettre, ayant promis de s'acquitter ponctuellement de cette mission. Il est resté très peu de temps à
Paris, de sorte que je n'ai pas, contrairement à notre désir réciproque, pu l'entretenir souvent ni facilement. Les intérêts de la
Religion et de son Ordre prenaient presque tout son temps. Ce qui n'empêche pas que, par votre première lettre, j'aie parfaitement ressenti quelle bienveillance vous animait à mon égard, bien que n'ayant jamais rien faitpour lamériter; veuillez vous convaincre que mes sentiments à votre égard sont aussi chaleureux et aussi sincères. Dans votre seconde lettre, qu'un habitant de
Metz m'a remise, vous m'exprimez avec non moins de sincérité votre attachement. J'ai reçu par la même occasion et vos Propositions pour la défense de
sainte Anne et les ineptes conclusions adverses d'un anonyme. Le R. Père Claude m'avait déjà communiqué vos Propositions. J'eusse aimé que la question de
sainte Anne fût agitée par les savants avec moins d'acrimonie. Si cela ne peut se faire par suite de la méchanceté des temps actuels, de l'acharnement coupable des écrivains, si vous êtes décidé absolument à lutter, faites qu'en aucune façon 1'intérèt que vous portez à mon honneur ne vous y engage. Que ce soit seulement le désir de défendre la vérité et votre dévotion envers
Marie, mère de
Dieu, qui soit votre mobile. Du reste, vous ne pouvez retirer aucune gloire de la lutte que vous engagerez avec ces barbares, dont le but unique est de déshonorer les autres. Non, je ne vois pas que leurs plates et
(t) Claude
Dieudonné.
ridicules élucubrations, leurs ineptes raisonnements soient dignes d'être réfutés. Tout cet échafaudage tombera de lui-même ; la vérité sera enfin reconnue et plus solennellement, à mon avis, si on ne lutte pas contre eux que si on lutte. Quoi qu'il en soit, agissez dans cette affaire de telle sorte que
Dieu, et même le prochain (si faire se peut pour celui-ci) ne soient pas offensés. J'avoue du reste que votre cause est la plus juste, la plus vraie surtout si l'affaire est soumise à la décision d'hommes honnêtes et savants, ce qu'ils ne veulent pas, plutôt qu'à celle du vulgaire naturellement
ignorant et qui, depuis longtemps déjà, a été endoctriné par vos adversaires.
Si vous persistez à publier vos Propositions malgré tout, faites-le avec modération et en style aussi élégant que possible, aujourd'hui cc qui ne porte pas cette marque est toujours sûr de ne pas réussir. Adieu en Christ Notre Seigneur et Roi du
Ciel.
Paris, le surlendemain de la
Fête de la Sainte
Trinité.
XIV
Henri Cornélis Agrippa à Jacques Lefebvre d'
Étaples, salut.
De
Metz, 1519.
J'ai reçu la lettre charmante et agréable que vous m'avez écrite le 20
juin, excellent Lefebvre. Depuis cette époque -je n'en ai reçu aucune autre émanant de vous, et je ne vous ai rien répondu. Ce que j'en dis, c'est pour que ni vous ni moi nous ne nous regardions comme frauduleusement privés de correspondances mutuelles. Il faut aussi que vous sachiez que si, par hasard, vous m'avez écrit je n'ai rien reçu, et qu'il ne faut m'accuser ni de négligence ni d'ingratitude. Voilà pourquoi, devant vous répondre depuis si longtemps, je ne l'ai pas fait. Je n'ai pas trouvé de personne sûre pour vous envoyer ma lettre; en second lieu, j'ai été souvent absent pour les affaires publiques de notre Cité. Ce qui cependant ne nous a pas empêché de compléter, d'achever la Défense de nos Propositions et d'écrire dans ce but un livre plus volumineux que nous ne pensions. Nous en avons déjà communiqué une copie à notre adversaire, ce théologastre anonyme, qui a rougi de signer ses écrits, mais que nous avions soupçonné non sans raison, et qui maintenant est complètement dévoilé. - C'est le
frère Claude Salini, le petit docteur de
Paris, Prieur de la Congrégation des
Prédicateurs de
Metz. Je me proposais, je vous le dois bien, de vous en envoyer un exemplaire, mais je n'ai pas eu de copiste sous la main; du reste, j'étais pressé par mon départ prochain pour l'Allemagne. Je vous l'enverrai une autre fois, soit écrit à la main, soit imprimé. J'espère qu'il ne vous déplaira pas tout à fait, et cela d'autant moins qu'il déplaira d'autant plus à ces misérables sophistes. Ces gens-là, ne pouvant
XI
Jacques Lefebvre d'Etaples (1) à
Henri Cornélis Agrippa, salut.
Paris, 20 mai 1519.
Très honorable martre et docteur, le Révérend Père Claude
Dieudonné )2) m'a remis votre lettre. Je l'ai lue avec le plus grand plaisir. Quel est l'homme, en effet, qui ne lirait pas avec délices ce qui part de la sincérité d'
âme et d'une bienveillance dont il ne peut douter ? Je vous en supplie, ne vous alarmez pas de ce que plusieurs personnes se sont déclarées les adversaires de mes écrits tant au sujet d'Anne que de
Madeleine. J'espère qu'un
jour se fera la vérité sur ces matières. Du reste, je ne fais que discuter et n'avance rien de hasardé en conclusions. Je vous en supplie donc, qu'à ce sujet personne ne perde votre bienveillance. La fausseté se découvrira et succombera d'elle-même, bien que personne ne l'attaque. Je vous envoie la défense de mon argumentation, défense élaborée par un docteur en
Théologie de notre Sorbonne. Elle n'est pas sans mérite. Je vous envoie encore l'apologie de
Sainte Anne qu'on m'a envoyée d'Allemagne ex dono auctoris. J'en ai lu une autre du Vice-Général des
frères de
Saint-François, mais il la conserve chez lui. Il donne un seul mari à Anne, mais trois filles. Après l'avoir examinée, j'ai jugé qu'elle ne
concorde pas avec notre manière de voir, quelle ne vise pas notre dissertation; cependant, si vous tenez beaucoup à la counaitre, j'espère pouvoir l'obtenir. A votre première lettre, édifiez-moi là-dessus. J'ai préparé mon second travail sur
Madeleine. Attendez-le par le plus prochain cour
rier allant de votre côté. Adieu.
XII.
Henri Cornélls Agrippa à Jacques Lefebvre d'Etaples. De
Metz,
juin 1519.
Attendu que jusqu'ici,
illustre Lefebvre, nous avons été toujours séparés par une telle distance qu'aucune communication intime, aussi dési
(t)
Faber Stapulensis (1455-1536). Sa dissertation, publiée en 1517, pour prouver, contrairement à l'opinion des docteurs de l'époque, que Marie-Madeleine,
Marie, seeur de Lazare et la
Madeleine pécheresse étaient 3 personnes distinctes, dissertation condamnée parla Sorbonne,fut défendue énergiquement par Agrippa. Le Père
Dieudonné leur servit de messager, comme cette lettre et d'autres en donnent le témoignage. Il en est de même pour la question (le
sainte Anne.
13)
Dieudonné était
religieux célestin à
Paris en 1519, puis à ietz, où il se rencontra avec Agrippa dans une conférence
théologique au
couvent des Célestins de cette ville, et eut d'amicales relations avec lui. II en fut réprimandé par les
supérieurs de son ordre et envoyé au
couvent d'
Annecy.
rée qu'elle fût, n'était possible entre nous, que bien des difficultés s'y opposaient aussi, outre l'éloignement, ,j'ai retenu la plume jusqu'au moment où Je devais devenir votre voisin, bien que, plusieurs fois, l'occasion et la facilité de vous écrire se soient présentées à moi. Enfin, une occasion nouvelle se présentant, ayant pu m'assurer' de la largeur de vos unes et me contant à votre caractèt e des plus honorables, j'ai écrit récemment à votre Humanité, par l'entremise du Père célestin Claude
Dieu. donné, une lettre que vous devez avoir probablement reçue.
Ce Bon Père a dû vous présenter aussi certaines propositions sur l'unique
mariage de
sainte Anne, sur son unique et simple accouchement. J'ai rédigé ces propositions d'après ce que vous avez écrit dans votre opuscule à la fois savant et élégant par son style, opuscule intitule : Des trois et de la seule
Madeleine (1). Je me suis borné, selon mon habitude, à les extraire de votre long et remarquable travail, à les condenser le plus possible, mais non pas pour m'acquérir de la gloire aux dépens de votre mérite, veuillez m'en croire. Il en est peut-être qui agiraient ainsi pour passer comme savants auprès de ceux qui ne connaissent pas votre nom. J'ai toujours évité ce procédé comme un véritable
sacrilège. Aussi, après avoir énoncé ces propositions, après les avoir achevées, j'ai fait mention deux fois pour chacune d'elles de votre nom d'auteur, et j'ai naturellement cité votre ouvrage. Voici le motif qui m'a poussé à écrire ces Propositions: c'était, croyez-le bien, de profiter de l'occasion pour m'opposer à vos calomniateurs.
Assurément, tels qu'ils sont, ce sont des hommes
ennemis de tous les gens instruits. Parmi eux, il y en a surtout trois ici à
Metz qui vous sont ' tout à fait hostiles : le premier est un certain
frère Dominique
Dauphin, (le la Congrégation des
Frères Franciscains de l'Observance ; l'autre. le
frère Nicolas Oriei,de la Congrégation des
Frères Mineurs; le troisième enfin, le
frère Nicolas Silini, Prieur de la Confrérie des
Prédicateurs. C'est un docteur de la Faculté de
Théologie de
Paris. Or, ce fameux Docteur, à ce que ,j'apprends, bien qu'ayant caché d'abord son identité, a secoué après de longs
jours la contrainte que lui imposait la modestie et s'est décidé à écrire contre nos Propositions. II a fait plus, bien plus encore : il a écrit contre votre livre une tragédie inepte, tuais digne de lui, dont les conclusions, - ce sont les confusions que je devrais dire, - m'ont été présentées, il y a trois
jours à peine, avec accompagnement d'éloges pompeux pour cette élucubration, mais avant la victoire assurément. Je vous en adresse une copie en même temps que mes Propositions : vous y verrez que je suis le fidèle défenseur de votre honneur et aussi combien sont risibles leurs plates sottises, en quel estime vous devez les tenir ; vous y apprécierez enfin ce que sont les apôtres (le cette cité, ceux qui y prêchent l'
Evangile.Ce n'est point pour que vous leur répondiez ;je ne voudrais pas que vous prissiez la peine de prendre la plume contre le dernier surtout ; il serait capable d'aller s'imaginer qu'il est digne d'entrer en lice contre vous, du moment que vous l'acceptez comme adversaire.
Quant à moi, à qui la médiocrité seule suffit, et encore ces choses-là
(1) Voir note précédente 1, p. 66.
vous serez bien décidé. puisque vous désirezaussi savoir par quelle route, par quels moyens, avec quelle aide, vous pourrez le faire, je vous le (lirai en dernier lieu, puisque vous m'en manifestez le désir,autant que, dans la circonstance présente, il me sera possible de le faire. Je devine,en outre, combien le peu d'espoir que vous avez dans l'utilité de votre voyage auprès de nous, vous le placez entièrement en notre ami dévoué Eustache Chapuys (1). Maisvous ignorez sans doute,cher Henri, à quel point cet homme si sûr, le meilleur de vos amis, voit avec peine que vous ne lui avez absolument rien écrit. Aussi, écrivez-lui donc,écrivez-lui le plus tôt possible. Répondez à un ami si digne et si cher, (lui vous est dévoué entre tous et qui vous aime tant. Adieu, Maître vertueux, ma lumière unique. Pardonnez à une lettre un peu verbeuse, et à d'aussi grandes inepties que celles
que je vous débite.
Genève, 16 novembre.
I
Un ami à Agrippa.
De Genève, 16
janvier (niéme époque).
Je pensais vraiment, très
illustre Cornélis, que vos lettres m'apporteraient une joie d'autant plus grande qu'elles sont arrivées plus tard. Je pensais qu'après longue et mûre réflexion vous ne changeriez pas d'avis et que vous nous annonceriez enfin votre arrivée. Cet espoir m'était tellement doux, tellement agréable qu'à la Fortune elle-mème, cet être si inconstant cependant, je cédais la largeur d'un ongle, puisqu'elle m'accordait la réalisation de mon vœu le plus ardent : vous voir ici, jouir de votre présence, pouvoir vous être de quelque utilité. Malheureux que je suis!
Destin cruel, implacable! Pourquoi suscite-t-il dans les choses humaines tant de vicissitudes, tant de changements quotidiens dans les ceeurs? Qu'elle a été courte, grand
Dieu, cette joie trop profonde! Comme elle s'est vite changée en douleur, en angoisse? C'est votre lettre qui est venue
ajouter à l'anxiété de mon attente cet immense désappointement. Vous n'avez donc pas tenu compte du désir ardent que nous avions de vous voir, aucun compte de tout ce qu'on vous a dit de vive voix ou de ce que vous nous aviez (
lit dans deux lettres différentes. Quant à moi, je ne puis me reprocher d'avoir trahi la foi jurée ; toujours comme par le passé, je vous offre tout ce que je possède, je vous le donne; je vous en faisl'aban
don. Les habitants de
Metz (2), plus habiles chasseurs que nous, vous pos
sèdent à présent, très cher Henri. Déjà vous avez l'espoir certain de revoir
(t) Chapuys, d'
Annecy, était alors Official de Genève, sous l'évéque Jean-Louis
de Savoie.
(2) Agrippa avait été nommé syndic et orateur de la ville de
Metz, qu'il quitta
bientôt, le 25
janvier 1520.
bientôt vos pénates chéries. Puissent les
Dieux faire prospérer plus honorablement et vous et vos affaires; puissent-ils accorder à vos vertus les honneurs qui leur sont
dus! Pour ma part, puissent-ils faire que je supporte avec modération ce malheur accablant, puisque, dans le cours de mon existence tout entière, rien, à mon avis, n'eût pu me parai tre à coup sûr plus pénible que cette dureté de votre couur. Malgré tout, quoi qu'il advienne, votre souvenir restera toujours en mon cuœur ; je me rappellerai toujours votre bienveillance, votre pieuse et sincère amitié. En quelque lieu du inonde que vous viviez, je serai toujours, je vous le promets, malgré mon peu d'habileté, le
héraut de votre gloire, de votre renommée. Je vous supplie donc de répondre à mon affection d'après les inspirations de votre bonté naturelle. Du reste, je vous demande, avec audace peut-être, mais avec une insistance des plus grandes, qu'en considération de mon incroyable
fidélité à votre égard, de mon amitié durable, vous nie fassiez présent du volume qui contient le Discours fait par vous à la louange de votre
Duchesse. En cela, vous ferez oeuvre pie, et je vous en conserverai une gratitude qui ne s'éteindra jamais. Adieu, vertueux Agrippa.
Agrippa à un ami.
Mai 1519.
La question du péché originel et de la première transgression des hommes a été jugée de bien des manières par les plus savants, les plus éminents interprètes des Livres
Saints, tant anciens que modernes. Bien que j'aie médité longtemps et souvent sur ces opinions, ces docteurs m'ont paru n'avoir écrit à ce sujet que des choses obscures et douteuses. Laissant de côté leurs avis, sans toutefois les dédaigner, je me suis formé une méthode toute nouvelle qui m'est personnelle, discutable sans doute, mais peut-être vraie :je la ferai connaitre. Je ne sais si quelqu'un l'a formulée avant moi. Si cela était, je ne lui cause aucun tort en disant qu'elle procède de moi, puisque je l'ai arrachée aux ténèbres de l'indifférence avec le seul secours de mon travail, de nia raison et par l'examen attentif des Ecritures. J'ai donc publié une dissertation courte et sommaire sur cette manière de voir; je vous la dédie, honorable et estimable Père, afin qu'appuyée par l'autorité de votre nom contre la tourbe d'opposants qu'elle va faire surgir elle puisse résister avec honneur. Je sais, en effet, de quel
déluge de
syllogismes elle va être accablée de la part de certains Théosophistes; je veux parler de ces gens qui font fi de toute explication simple, chez qui ne sont en vigueur que la recherche et l'affectation. Je ne pourrai faire crouler leur mur de pierres sèches, me frayer un passage à travers leurs
syllogismes qu'avec votre secours, le seul efficace contre cette_ sorte de grenouilles égyptiennes du
dieu Typhon.
Les caeurs vaillants ne sont point aussi encouragés, relevés parles combats heureux que par les défaites ; c'est le désespoir qui rallume leur courage. Jusqu'ici je n'ai combattu que comme soldat mercenaire ; dorénavant je combattrai comme soldat affranchi, dorénavant vous me verrez combattre avec plus d'ardeur, parler avec plus de verve. Soyez indulgent pour ma colère ; il n'est
animal si
débonnaire que la colère ne mette hors de lui. Croyez-le bien, si je ne connaissais parfaitement votre haute impartialité, je me garderais bien de vous écrire avec tant de
liberté,
liberté qui, dans le cas contraire, serait dangereuse pour moi. vous savez que, pour une
âme ulcérée, il n'est pas de consolation plus grande que d'avoir un ami avec lequel on peut s'entretenir comme avec sui-même. Or, vous êtes pour moi un ami tel que je sais bien que ma sécurité vous est aussi à cmur que votre propre sécurité. A vous seul vous êtes plus pour moi que la Cour tout entière de la Princesse. Du reste, tranquillisez-vous. 'allez pas intercéder encore pour moi auprès (le votre souveraine, et n'essayez pas d'
adoucir son inflexible courroux. Que le
Sénéchal, s'il le veut, s'occupe de le faire. C'est lui qui, bien qu'il n'y ait pas de sa faute, a été la cause inconsciente de tout cela. Je vous supplie en outre de ne pas à l'avenir m'adresser vos lettres avec cette suscription de Conseiller ou de Médecin de la Reine; je déteste ces titres et je condamne l'espoir que j'en avais conçu; je reprends la parole et le dévouement que je lui avais jurés. Je suis résolu de la considérer à l'avenir non comme ma Souveraine (elle a cessé de l'être),mais comme une Jézabel cruelle et perfide.
N'ai-je pas raison, si son
esprit est plus accessible aux calomnies des
envieux qu'à la crainte de m'offenser, si la méchanceté des médisants a tant de puissance sur elle que la vérité et la vertu lui deviennent un objet de mépris, si elle récompense par de la haine de longs et de fidèles services, si elle
juge que de bons offices sont indignes de récompense ; si elle retire son appui, ses secours, sa bienveillance à un homme qui est devenu pauvre pour elle P Prenons pour arbitre un homme
probe et impartial et qu'il
juge ! Sans aucun doute, il convaincra ces gens perfides de méchanceté ; quant à moi, il ne pourra m'accuser que de malchance.
Adieu, très cher. Vous saluerez pour moi Lefebvre, Cep (f) et Budée (2), ces
Patriarches des Lettres et de la Sagesse, ainsi que tous ceux qui m'aiment. Je leur souhaite à tous bonne santé et toute sorte de prospérités. Quant aux autres courtisans, que les
Dieux les damnent 1 Je déteste également et les Princes et les
Cours. Adieu encore une fois. Ma chère
épouse vous salue aussi, cette compagne éprouvée et fidèle de ma bonne et mauvaise fortune.
(f ) Médecin du roi.
(2) Guillaume Budée, l'hélléniste du
Collège de France et conseiller de François
premier,était l'ami et le protecteur naturel de tous les
hellénisants. L'impétueux jeune moine cordelier qu'était Rabelais en 1524 et son camarade Pierre
Amy en savaient quelque chose aussi bien qu'Agrippa.
XLIII
Un ami à Agrippa.
Montluc], tin 1526 ou commencement de 15=7.
Salut mon cher et fidèle parent. Il est temps, et l'occasion est favorable, il faut nous venger de la perfidie des Français (lui nous ont indignement joués. Aussitôt que vous aurez vu la présente, préparez-vous à voyager, à venir me rejoindre avec le jeune serviteur que je vous envoie. Il faut vous rendre aussitôt que possible au camp de l'Empereur; il faut y voir Bourbon pour qui vous serez un messager très agréable. Ici, on vous expliquera le reste de vive voix.
Adieu. En mon nom et en celui de mon
épouse, dites mille choses aux capitaines Claude, ()thon, Jean,
François (t), vos
frères Germains et mes cousins.
Fait auprès du
Mont des
Légions (2). XLIV
Au très
illustre Prince
duc de Bourbon, au noble général
de l'armée impériale en Italie,
Henri Cornélis Agrippa, salut.
Lyon, 26
février 1527.
Illustre Prince, l'affaire que Votre Altesse m'avait confiée demandait beaucoup de temps, mais j'ai pu déployer assez de zèle et de diligence pour la terminer rapidement. Si, sur quelques points, je n'ai pu agir suivant vos désirs et selon ma volonté, la faute ne doit pas m'en être attribuée, mais bien à la précipitation des événements et à la négligence des vôtres. Cependant l'affaire est maintenant dans un tel état que nos soins et notre temps ne sauraient avoir été entièrement perdus. Vous me pardonnerez donc, et voudrez bien considérer, non pas tant ce que j'ai pu que ce que j'ai voulu faire. Veuillez m'écrire le plus tôt possible ce que vous désirez que je fasse après cela, et, dès que j'aurai terminé de quelle manière, il me faudra diriger le reste des négociations. En attendant, je déploierai tous mes efforts, et j'en mourrai, ou je mènerai à bonne fin ce
(t) Les
frères d'illins, dont la deuxième femme d'Agrippa était parente.
2) C'est probablement Moniluel près de
Lyon. Le texte latin du correspondant
l'Agrippa dit : • apud tnontein Legionum, sive, ut vulyo vucant .Uonllaï.. - Il y L aussi une localité anciennement nommée Mons'Illins dans l'Isère, qui s'appelle
Luiourd'hui Luzina.v.
P.-S. -- Les lettres que vous aurez à m'écrire, envoyez-les à l'adresse du Révérend Seigneur le
Cardinal Légat Campegio. C'est mon unique Mécène, et, sans lui, je serais devenu la proie de cette bande haletante, je veux dire dorée, de
loups ravisseurs. Adressez vos lettres à son économe, que l'on appelle vulgairement le Maître d'Hôtel. Une seconde fois. Adieu.
LIV
Agrippa au
Cardinal Campegio.
Bruxelles, 21 août 4531.
Attendu qu'il y a trois
jours, homme des plus
illustres, qu'au mépris de votre autorité, au mépris de la décision prise par le Conseil privé de l'Empereur tout entier qui avait fait défense à Alexis Falco (1) de rien entreprendre contre moi avant quinze
jours révolus, ce dernier, ne tenant aucun compte de tout cela, m'a fait jeter ce matin en prison par les
agents de la
force publique de Bruxelles, qu'avec son
acolyte Jean Platus, accompagnés tous les deux d'une foule de satellites, gens tarés et sans aveu, il a attenté à ma
liberté; qu'en le faisant et en déployant une violence coupable contre moi il a outragé Votre
Eminence et foulé aux pieds le respect que l'on doit aux décisions du Conseil privé de l'Empereur et à la Majesté du Sénat, je vous demande justice. Pour l'attentat fait contre votre décision, vengez-le, punissez-le quand vous voudrez; mais pour moi il me faut un prompt remède. Je vous appelle donc à mon secours; puisque vous le pouvez, veuillez aussi me prêter l'appui de votre autorité. Délivrez-moi de cette prison injuste : tenez compte que j'ai perdu ma fortune non par mes fautes, mais par mes vertus.
Aucun crime, aucun attentat, aucune action répréhensible, aucune loi, aucune justice, aucune équité n'ont causé ma perte. Je suis victime de l'ingratitude de César et de la négligence de ses conseillers.
Adieu.
LV
Un ami à Agrippa.
Bruxelles, ?1 août 1531.
Je me suis permis d'aller trouver le R. Panormitain, qui m'a toujours paru bien disposé pour moi et, en même temps, appréciateur de votre
(1) Créancier d'Agrippa.
mérite. Je lui ai fait le déplorable tableau de toutes les infortunes dans lesquelles vous êtes plongé ; je l'ai prié, au nom du très-Révérend Seigneur le
Légat, de vous secourir en toute bonne justice, et je lui ai parlé particulièrement de la cause pour laquelle vous êtes détenu. Pour le faire plus avantageusement et plus clairement, je lui ai montré votre lettre. Il m'a répondu avec la plus grande.bonté, me disant qu'il ferait tout son possible pour que la
liberté vous soit rendue. Il a même voulu que je vous écrivisse afin que vous soyez plus calme en attendant. Je voulais revenir chez lui dans une heure; il a dit que c'était inutile et a promis d'envoyer quelqu'un de sa suite pour annoncer au Révérend Seigneur votre mise eu
liberté. Si l'on se conforme à ses ordres, il ne sera pas nécessaire que j'y retourne. Dans le cas contraire, -
Dieu veuille qu'il n'en soit pas ainsi, - j'y retournerai et ne négligerai rien pour qu'aujourd'hui même vous soyez remis en
liberté et rendu à vos amis qui vous aiment tant. Au revoir et bon courage (1).
De la Maison du Révérend Seigneur le
Légat, Y1 aoùt 1331.
LVI
Agrippa à Charles-Quint.
Bruxelles, 1531.
J'ai été, redoutable Empereur, réduit à une telle infortune pour rester à votre service qu'à part la perte de la vie vous ne pourriez m'en souhaiter de plus grande. Bien que, dernièrement encore, poussé par je ne sais quelle dureté d'àme, vous ayez détourné les yeux de mes supplications, je veux encore une fois, imitant en cela l'exemple de la Nature à l'égard des moribonds, faire auprès de vous un dernier effort. Je reviens donc à vous comme suppliant, ne vous demandant qu'une seule chose. S'il ne m'est permis d'obtenir de votre bonté ce qui est dû à mon mérite, la récompense et le salaire de mes fonctions, que j'obtienne du moins de votre indignation, si toutefois vous êtes indigné contre moi, un congé en forme. Puisqu'il ne m'est pas permis d'espérer , qu'il me soit du moins permis par vous de désespérer. Délivrez-moi du serment de
fidélité que j'ai prêté à Votre Majesté ; reniez-moi, si vous le voulez, mais permettez que je me retire libre. Ne vous irritez donc pas si je vous parle ainsi, dans l'accès de mon désespoir ; j'y suis forcé, vous le savez : nécessité n'a pas de loi.
(1) Cette lettre est sans doute de Dont Luca Bonfius.