LIVRE TROISIÈME
Le Mystère sacerdotal ou l'Art de se faire servir par les esprits
CHAPITRE IV : Le Surnaturel et le Divin
Ce que le vulgaire appelle surnaturel, c'est ce
qui lui paraît contre nature.
La lutte contre la nature est le rêve insensé
des
ascètes ; comme si la nature n'était pas la loi même
de
Dieu.
Ils ont appelé concupiscence les attraits
légitimes de la nature. Ils ont lutté contre le sommeil,
contre la faim et la soif, contre les désirs de l'
amour. Ils
ont lutté non pas seulement pourle triomphe des attraits supérieurs,
mais dans la pensée que la nature est corrompue et que la satisfaction
de la nature est un mal. Il s'en est suivi d'étranges aberrations.
L'insomnie a créé le délire, le jeûne a creusé
les cerveaux et les a remplis de fantômes, le
célibat forcé
a fait renaître de monstrueuses impuretés.
Les
incubes et les
succubes ont infesté
les cloîtres. Le priapisme et l'hystérie ont créé
dès cette vie un enfer pour les moines sans vocation et pour
les nonnes présomptueuses.
Saint Antoine et sainte Thérèse ont
lutté contre de lubriques fantômes ; ils ont assisté
en imagination à des
orgies dont l'antique Babylone n'eût
pas ou l'idée.
Marie Alacoque et Messaline ont souffert les mêmes
tourments : ceux du désir
exalté au delà de la
nature et qu'il est impossible de satisfaire.
Il y avait toutefois entre elles cette différence,
que si Messaline eût pu prévoir
Marie Alacoque, elle en
eût été jalouse.
Résumer tous les hommes en un seul, comme
Caligula dans sa soif de sang eût voulu le faire, et voir cet
homme des hommes ouvrir sa poitrine et lui donner son
cœur tout sanglant
et tout brûlant à adorer, et à adorer pour la consoler
de n'être jamais rassasiée d'
amour, quel rêve c'eût
été pour Messaline !
L'
amour, ce triomphe de la nature, ne peut lui
être ravi sans qu'elle s'irrite. Lorsqu'il croit devenir surnaturel
il devient contre nature et la plus monstrueuse des impuretés
est celle qui
profane et prostitue en quelque sorte l'idée de
Dieu. Ixion s'attaquant à
Junon et épuisant sa
force virile
sur une nuée vengeresse était dans la haute philosophie
symbolique des anciens, la figure de cette passion
sacrilège
punie dans les enfers par des nœuds de
serpents qui l'attachaient à
une roue et la faisaient tourner dans un vertige éternel. La
passion érotique, détournée de son objet légitime
et exaltée jusqu'au désir insensé de faire en quelque
sorte violence à l'
infini, est la plus furieuse des aberrations
de l'
âme, et comme la démence du
marquis de Sade, elle
a soif de tortures et de sang. La jeune fille déchirera son sein
avec des tissus de fer, l'homme épuisé, égaré
par les jeûnes et les veilles, s'abandonnera tout entier aux délices
dépravées d'une flagellation pleine de sensations étranges,
puis à
force de fatigue viendront les heures d'un sommeil plein
de rêves énervants.
De ces excès résulteront des maladies
qui seront le désespoir de la science. Tous les sens perdront
leur usage naturel pour prêter leur concours à des sensations
mensongères, des stigmates plus effrayants que ceux de la syphilis
; creuseront dans les mains, dans les pieds, et autour de la tête,
des plaies au suintement intermittent et profondément douloureux.
Bientôt la victime ne verra plus, n'entendra plus, ne prendra
plus de nourriture, et restera plongée dans un
idiotisme profond
dont elle ne sortira que pour mourir, à moins qu'une réaction
terrible ne s'opère et ne se manifeste par des accès d'hystérisme
ou de priapisme, qui feront croire à l'action directe du démon.
Malheur alors aux Urbain Grandier et aux Gaufridy
! Les fureurs des
bacchantes qui ont mis en pièces Orphée
n'auront été que des
jeux innocents comparés à
la rage des pieuses
colombes du Seigneur livrées à la
furie d'
amour !
Qui nous racontera les indicibles romans de la
cellule du chartreux ou du petit
lit solitaire où semble dormir
la
religieuse cloîtrée. Les jalousies de l'
époux
divin, ses abandons qui rendent folle, ses caresses qui donnent soif
d'
amour ! Les résistances du
succube couronné d'étoiles.
Les dédains de la Vierge reine des
anges, les complaisances de
Jésus-Christ !
Oh ! les lèvres qui ont bu une fois à
cette coupe fatale restent altérées et tremblantes. Les
cœurs brûlés une fois par ce délire trouvent sèches
et
insipides les sources réelles de l'
amour. Qu'est-ce en effet
qu'un homme pour la femme qui a rêvé un
Dieu ? Qu'est-ce
que la femme pour l'homme dont le
cœur a palpité pour la beauté
éternelle ? Ah !
Pauvres insensés, ce n'est plus rien
pour vous et c'est tout cependant ; car c'est la réalité,
la raison, la vie.
Vos rêves ne sont que des rêves, vos
fantômes que des fantômes.
Dieu, la loi vivante,
Dieu, la
sagesse suprême, n'est point le complice de vos folies ni l'objet
possible de vos passions désespérées, un poil tombé
de la barbe d'un homme, un seul
cheveu perdu par une femme réelle
et vivante sont quelque chose de meilleur et de plus positif que vos
dévorantes
chimères. Aimez-vous les uns les autres et
adorez
Dieu.
La véritable adoration de
Dieu n'est pas
l'anéantissement de l'homme dans l'aveuglement et le délire
; c'en est au contraire l'
exaltation paisible dans la lumière
de la raison. Le véritable
amour de
Dieu n'est pas le
cauchemar
de saint Antoine ; c'est au contraire la paix profonde, cette tranquillité
qui résulte de l'ordre parfait. Tout ce que l'homme croit surnaturel
dans sa propre vie est contre nature, et tout ce qui est contre nature
offense
Dieu. Voilà ce qu'un vrai sage doit bien savoir !
Rien n'est surnaturel pas même
Dieu, car
la nature le démontre. La nature est sa loi, sa pensée
; la nature est lui-même, et s'il pouvait donner des démentis
à la nature, il pourrait attenter à sa propre existence.
Le miracle, prétendu divin, s'il sortait de l'ordre éternel,
serait le suicide de
Dieu.
Un homme peut naturellement guérir les autres
puisque Jésus-Christ, les saints et les magnétiseurs l'ont
fait et le font encore tous les
jours. Un homme peut s'élever
de terre, marcher sur l'
eau, etc ; il peut tout ce que
Jésus
a pu et c'est lui-même qui le dit : ceux qui croiront feront les
choses que je fais et des choses plus grandes encore.
Jésus a ressuscité des morts, mais
il n'a jamais évoqué des
âmes. Ressusciter un homme,
c'est le guérir de la léthargie qui précède
ordinairement la mort. L'évoquer après sa mort, c'est
imprimer à la vie un mouvement rétrograde, c'est violenter
la nature, et
Jésus ne le pouvait pas.
Le miracle divin, c'est la nature qui obéit
à la raison ; le miracle infernal, c'est la nature qui semble
se désordonner pour obéir à la folie. Le vrai miracle
de la vie humaine, c'est le bon sens, c'est la raison patiente et tranquille,
c'est la sagesse qui peut croire sans péril parce qu'elle sait
douter sans amertume et sans colère, c'est la bonne volonté
persévérante qui cherche, qui étudie et qui attend.
C'est Rabelais qui célèbre le vin, boit souvent de l'
eau,
remplit tous les devoirs d'un bon curé et écrit son
Pantagruel.
Un
jour que Jean de la
Fontaine avait mis ses bas à l'envers,
il demandait sérieusement si saint Augustin avait autant d'
esprit
que Rabelais. Retournez vos bas, bon La
Fontaine, et gardez-vous à
l'avenir de faire de semblables questions ; peut-être M. de
Fontenelle
est-il assez fin pour vous comprendre, mais il n'est certainement pas
assez hardi pour vous répondre.
Tout ce qu'on prend pour
Dieu n'est pas
Dieu et
tout ce qu'on prend pour diable n'est pas le diable.
Ce qui est divin échappe à l'appréciation
de l'homme et surtout de l'homme vulgaire. Le beau est toujours simple,
le vrai semble ordinaire et le juste passe inaperçu parce qu'il
ne choque personne. L'ordre n'est jamais remarqué ; c'est le
désordre qui attire l'attention parce qu'il est encombrant et
criard. Les
enfants sont pour la plupart insensibles à l'
harmonie,
ils préfèrent le tumulte et le bruit ; c'est ainsi que,
dans la vie, bien des gens cherchent le drame et le roman. Ils dédaignent
le beau
soleil et rêvent les splendeurs de la foudre, ils ne s'imaginent
la vertu qu'avec la ciguë et Caton eût vécu libre
; mais s'ils eussent été de vrais sages, le monde les
eût-il connus ?
Saint-Martin ne le croyait pas, lui qui donnait
le nom de philosophes inconnus aux
initiés à la vrai sagesse.
Se taire est une des grandes lois de l'occultisme. Or, se taire cest
se cacher.
Dieu, c'est la toute-puissance qui se cache et Satan, c'est
l'impuissance vaniteuse qui cherche toujours à se montrer.