L'ÉVANGILE SELON LE SPIRITISME
CHAPITRE XII Aimez vos ennemis
Rendre le bien pour le mal. Les ennemis désincarnés. Si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre. Instructions des Esprits : La vengeance. La haine. Le duel.
Rendre le bien pour le mal
1. Vous avez appris qu'il a été dit
: Vous aimerez votre prochain et vous haïrez vos
ennemis. Et moi je vous
dis :
Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent,
et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient ; afin que
vous soyez les
enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever
son
soleil sur les bons et sur les méchants, et fait pleuvoir sur les justes
et les injustes ; car si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle
récompense en aurez-vous ? Les
publicains ne le font-ils pas aussi ?
Et si vous ne saluez que vos
frères, que faites-vous en cela de plus que
les autres ? Les païens ne le font-ils pas aussi ? Je vous dis que
si votre justice n'est pas plus abondante que celle des
Scribes et des
Pharisiens,
vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. (
Saint Matthieu, ch. V, v. 20
et de 43 à 47.)
2. Si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on,
puisque les gens de mauvaise vie aiment aussi ceux qui les aiment ? Et
si vous ne faites du bien qu'à ceux qui vous en font, quel gré vous
en saura-t-on, puisque les gens de mauvaise vie font la même chose ?
Et si vous ne prêtez qu'à ceux de qui vous espérez recevoir
la même grâce, quel gré vous en saura-t-on, puisque les gens
de mauvaise vie s'entre-prêtent de la sorte, pour recevoir le même
avantage ? Mais pour vous, aimez vos
ennemis, faites du bien à tous,
et prêtez sans en rien espérer, et alors votre récompense
sera très grande, et vous serez les
enfants du Très-Haut, parce
qu'il est bon aux ingrats, et même aux méchants. Soyez donc
pleins de
miséricorde, comme votre
Dieu est plein de
miséricorde.
(
Saint Luc, ch. VI, v. de 32 à 36.)
3. Si l'
amour du prochain est le principe de la
charité, aimer ses
ennemis en est l'application sublime, car cette vertu est une des plus grandes
victoires remportées sur l'égoïsme et l'orgueil.
Cependant on se méprend généralement
sur le sens du mot
aimer en cette circonstance ;
Jésus n'a point
entendu, par ces paroles, que l'on doit avoir pour son
ennemi la tendresse qu'on
a pour un
frère ou un ami ; la tendresse suppose la confiance ; or, on
ne peut avoir confiance en celui qu'on sait nous vouloir du mal ; on ne peut avoir
avec lui les épanchements de l'amitié, parce qu'on le sait capable
d'en abuser ; entre gens qui se méfient les uns des autres, il ne saurait
y avoir les élans de sympathie qui existent entre ceux qui sont en communion
de pensées ; on ne peut enfin avoir le même plaisir à se trouver
avec un
ennemi qu'avec un ami.
Ce sentiment même résulte d'une loi physique : celle de l'assimilation
et de la répulsion des fluides ; la pensée malveillante dirige un
courant fluidique dont l'impression est pénible ; la pensée bienveillante
vous enveloppe d'un effluve agréable ; de là la différence
des sensations que l'on éprouve à l'approche d'un ami ou d'un
ennemi.
Aimer ses
ennemis ne peut donc signifier qu'on ne doit faire aucune différence
entre eux et les amis ; ce précepte ne semble difficile, impossible même
à pratiquer, que parce qu'on croit faussement qu'il prescrit de leur donner
la même place dans le cur. Si la pauvreté des langues humaines
oblige à se servir du même mot pour exprimer diverses nuances de
sentiments, la raison doit en faire la différence selon les cas.
Aimer ses
ennemis, ce n'est donc point avoir pour eux une
affection qui n'est pas dans la nature, car le contact d'un
ennemi fait
battre
le cur d'une tout autre manière que celui d'un ami ; c'est n'avoir
contre eux ni haine, ni rancune, ni désir de vengeance ; c'est leur pardonner
sans arrière-pensée et sans condition le mal qu'ils nous
font ; c'est n'apporter aucun obstacle à la réconciliation ; c'est
leur souhaiter du bien au lieu de leur souhaiter du mal ; c'est se réjouir
au lieu de s'affliger du bien qui leur arrive ; c'est leur tendre une main secourable
en cas de besoin ; c'est s'abstenir
en paroles et en actions de tout ce qui peut
leur nuire ; c'est enfin leur rendre en tout le bien pour le mal,
sans intention
de les humilier. Quiconque fait cela remplit les conditions du commandement :
Aimez vos
ennemis.
4. Aimer ses
ennemis, est un non-sens pour l'incrédule ; celui pour
qui la vie présente est tout ne voit dans son
ennemi qu'un être nuisible
troublant son repos, et dont il croit que la mort seule peut le débarrasser
; de là le désir de la vengeance ; il n'a aucun intérêt
à pardonner, si ce n'est pour satisfaire son orgueil aux yeux du monde
; pardonner même, dans certains cas, lui semble une faiblesse indigne de
lui ; s'il ne se venge pas, il n'en conserve pas moins de la rancune et un secret
désir du mal.
Pour le croyant, mais pour le spirite surtout, la manière
de voir est tout autre, parce qu'il porte ses regards sur le passé et sur
l'avenir, entre lesquels la vie présente n'est qu'un point ; il sait que,
par la destination même de la terre, il doit s'attendre à y trouver
des hommes méchants et pervers ; que les méchancetés auxquelles
il est en butte font partie des épreuves qu'il doit subir, et le point
de
vue élevé où il se place lui rend les vicissitudes moins
amères, qu'elles viennent des hommes ou des choses ;
s'il ne murmure
pas contre les épreuves, il ne doit pas murmurer contre ceux qui en sont
les instruments ; si, au lieu de se plaindre, il remercie
Dieu de l'éprouver,
il doit remercier la main qui lui fournit l'occasion de montrer sa patience
et sa résignation. Cette pensée le dispose naturellement au
pardon ; il sent en outre que plus il est généreux, plus il grandit
à ses propres yeux et se trouve hors de l'atteinte des traits malveillants
de son
ennemi.
L'homme qui occupe un rang élevé dans le monde ne se croit pas offensé
par les insultes de celui qu'il regarde comme son inférieur ; ainsi en
est-il de celui qui s'élève dans le monde moral au-dessus de l'humanité
matérielle ; il comprend que la haine et la rancune l'aviliraient et l'abaisseraient
; or, pour être supérieur à son adversaire, il faut qu'il
ait l'
âme plus grande, plus noble, plus généreuse.
Les ennemis désincarnés
5. Le spirite a encore d'autres motifs d'
indulgence envers ses
ennemis.
Il sait d'abord que la méchanceté n'est point l'état permanent
des hommes ; qu'elle tient à une imperfection momentanée, et que,
de même que l'
enfant se corrige de ses défauts, l'homme méchant
reconnaîtra un
jour ses torts, et deviendra bon.
Il sait encore que la mort ne le délivre que de la
présence matérielle de son
ennemi, mais que celui-ci peut le poursuivre
de sa haine, même après avoir quitté la terre ; qu'ainsi la
vengeance manque son but ; qu'elle a au contraire pour effet de produire une irritation
plus grande qui peut se continuer d'une existence à l'autre. Il appartenait
au spiritisme de prouver, par l'expérience et la loi qui régit les
rapports du monde visible et du monde invisible, que l'expression :
Eteindre
la haine dans le sang, est radicalement fausse, et que ce qui est vrai, c'est
que le sang entretient la haine même au-delà de la tombe ; de donner,
par conséquent, une raison d'être effective et une utilité
pratique au pardon, et à la sublime maxime du Christ :
Aimez vos ennemis.
Il n'est pas de cur si pervers qui ne soit touché des bons procédés,
même à son insu ; par les bons procédés, on ôte
du moins tout prétexte de représailles ; d'un
ennemi, on peut se
faire un ami avant et après sa mort. Par les mauvais procédés
on l'irrite,
et c'est alors qu'il sert lui-même d'instrument à
la justice de Dieu pour punir celui qui n'a pas pardonné.
6. On peut donc avoir des
ennemis parmi les incarnés et parmi les
désincarnés ; les
ennemis du monde invisible manifestent leur malveillance
par les obsessions et les subjugations auxquelles tant de gens sont en butte,
et qui sont une variété dans les épreuves de la vie ; ces
épreuves, comme les autres, aident à l'avancement et doivent être
acceptées avec résignation, et comme conséquence de la nature
inférieure du globe terrestre ; s'il n'y avait pas des hommes mauvais sur
la terre, il n'y aurait pas d'
Esprits mauvais autour de la terre. Si donc on doit
avoir de l'
indulgence et de la bienveillance pour des
ennemis incarnés,
on doit en avoir également pour ceux qui sont désincarnés.
Jadis on sacrifiait des victimes sanglantes pour apaiser
les
dieux infernaux, qui n'étaient autres que les
Esprits méchants.
Aux
dieux infernaux ont succédé les démons, qui sont la même
chose. Le spiritisme vient prouver que ces démons ne sont autres que les
âmes des hommes pervers qui n'ont point encore dépouillé les
instincts matériels ;
qu'on ne les apaise que par le sacrifice de sa
haine, c'est-à-dire par la charité ; que la
charité n'a
pas seulement pour effet de les empêcher de faire le mal, mais de les ramener
dans la voie du bien, et de contribuer à leur salut. C'est ainsi que la
maxime :
Aimez vos ennemis, n'est point circonscrite au cercle étroit
de la terre et de la vie présente, mais qu'elle rendre dans la grande loi
de la solidarité et de la fraternité universelles.
Si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui
encore l'autre
7. Vous avez appris qu'il a été dit
: il pour il, et dent pour dent. Et moi je vous dis de ne point
résister au mal que l'on veut vous faire ; mais
si quelqu'un vous a
frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre ;
et si quelqu'un veut plaider contre vous pour prendre votre robe, abandonnez-lui
encore votre manteau ; et si quelqu'un veut vous contraindre de faire mille
pas avec lui, faites-en encore deux mille. Donnez à celui qui vous
demande, et ne rejetez point celui qui veut emprunter de vous. (
Saint Matthieu,
ch. V, v. de 38 à 42.)
8. Les préjugés du monde, sur ce que
l'on est convenu d'appeler le point d'honneur, donnent cette susceptibilité
ombrageuse, née de l'orgueil et de l'
exaltation de la personnalité,
qui porte l'homme à rendre injure pour injure, blessure pour blessure,
ce qui semble la justice pour celui dont le sens moral ne s'élève
pas au-dessus des passions terrestres ; c'est pourquoi la loi mosaïque disait
: il pour il, dent pour dent, loi en
harmonie avec le temps où
vivait Moïse. Christ est venu qui a dit : Rendez le bien pour le mal. Il
dit de plus : « Ne résistez point au mal qu'on veut vous faire ;
si l'on vous frappe sur une joue, tendez l'autre. » A l'orgueilleux,
cette maxime semble une lâcheté, car il ne comprend pas qu'il y ait
plus de courage à supporter une insulte qu'à se venger, et cela
toujours par cette cause qui fait que sa
vue ne se porte pas au-delà du
présent. Faut-il, cependant, prendre cette maxime à la lettre ?
Non, pas plus que celle qui dit d'arracher son il, s'il est une occasion
de scandale ; poussée dans toutes ses conséquences, ce serait condamner
toute répression, même
légale, et laisser le champ libre aux
méchants en leur ôtant toute crainte ; si l'on n'opposait un frein
à leurs agressions, bientôt tous les bons seraient leurs victimes.
L'instinct même de conservation, qui est une loi de nature, dit qu'il ne
faut pas tendre bénévolement le cou à l'assassin. Par ces
paroles
Jésus n'a donc point interdit la défense, mais
condamné
la vengeance. En disant de tendre une joue quand l'autre est frappée,
c'est dire, sous une autre forme, qu'il ne faut pas rendre le mal pour le mal
; que l'homme doit accepter avec humilité tout ce qui tend à rabaisser
son orgueil ; qu'il est plus glorieux pour lui d'être frappé que
de
frapper, de supporter patiemment une injustice que d'en commettre une lui-même
; qu'il vaut mieux être trompé que trompeur, être ruiné
que de ruiner les autres. C'est en même temps la condamnation du
duel, qui
n'est autre qu'une manifestation de l'orgueil. La foi en la vie future et en la
justice de
Dieu, qui ne laisse jamais le mal impuni, peut seule donner la
force
de supporter patiemment les atteintes portées à nos intérêts
et à notre amour-propre ; c'est pourquoi nous disons sans cesse : Portez
vos regards en avant ; plus vous vous élèverez par la pensée
au-dessus de la vie matérielle, moins vous serez froissés par les
choses de la terre.
INSTRUCTIONS DES ESPRITS
La vengeance
9. La vengeance est une dernière épave abandonnée
par les murs barbares qui tendent à s'effacer du milieu des hommes.
Elle est, avec le
duel, un des derniers vestiges de ces murs sauvages sous
lesquelles se débattait l'humanité dans le commencement de l'ère
chrétienne. C'est pourquoi la vengeance est un indice certain de l'état
arriéré des hommes qui s'y livrent et des
Esprits qui peuvent encore
l'
inspirer. Donc, mes amis, ce sentiment ne doit jamais faire vibrer le cur
de quiconque se dit et s'affirme spirite. Se venger, est, vous le savez, tellement
contraire à cette prescription du Christ : « Pardonnez à vos
ennemis ! » que celui qui se refuse à pardonner, non seulement n'est
pas spirite, mais il n'est pas même chrétien. La vengeance est une
inspiration d'autant plus funeste que la fausseté et la bassesse sont ses
compagnes assidues ; en effet, celui qui s'abandonne à cette fatale et
aveugle passion ne se venge presque jamais à
ciel ouvert. Quand il est
le plus fort, il fond comme une bête fauve sur celui qu'il appelle son
ennemi,
lorsque la
vue de celui-ci vient enflammer sa passion, sa colère et sa
haine. Mais le plus souvent il revêt une apparence hypocrite, en dissimulant
au plus profond de son cur les mauvais sentiments qui l'animent ; il prend
des chemins détournés, il suit dans l'ombre son
ennemi sans défiance
et attend le moment propice pour le
frapper sans danger ; il se cache de lui tout
en l'épiant sans cesse ; il lui tend des pièges odieux et sème
à l'occasion le poison dans sa coupe. Quand sa haine ne va pas jusqu'à
ces extrémités, il l'attaque alors dans son honneur et dans ses
affections ; il ne recule pas devant la calomnie, et ses insinuations perfides,
habilement semées à tous les vents, vont grossissant en chemin.
Aussi, lorsque celui qu'il poursuit se présente dans les milieux où
son souffle empoisonné a passé, il est étonné de trouver
des visages froids où il rencontrait autrefois des visages amis et bienveillants
; il est stupéfait quand des mains qui recherchaient la sienne se refusent
à la serrer maintenant ; enfin il est anéanti quand ses amis les
plus chers et ses proches se détournent et s'enfuient de lui. Ah ! le lâche
qui se venge ainsi est cent fois plus coupable que celui qui va droit à
son
ennemi et l'insulte à visage découvert.
Arrière donc ces coutumes sauvages ! Arrière
ces murs d'un autre temps ! Tout spirite qui prétendrait aujourd'hui
avoir encore le droit de se venger serait indigne de figurer plus longtemps dans
la phalange qui a pris pour devise :
Hors la charité, pas de salut !
Mais non, je ne saurais m'arrêter à une telle idée qu'un membre
de la grande famille spirite puisse jamais à l'avenir céder à
l'impulsion de la vengeance autrement que pour pardonner. (Jules Olivier.
Paris,
1862.)
La haine
10. Aimez-vous les uns les autres, et vous serez heureux.
Prenez surtout à tâche d'aimer ceux qui vous inspirent de l'indifférence,
de la haine et du mépris. Le Christ, dont vous devez faire votre modèle,
vous a donné l'exemple de ce dévouement ; missionnaire d'
amour,
il a aimé jusqu'à donner son sang et sa vie. Le sacrifice qui vous
oblige à aimer ceux qui vous outragent et vous persécutent est pénible
; mais c'est précisément ce qui vous rend supérieurs à
eux ; si vous les haïssez comme ils vous haïssent, vous ne valez pas
mieux qu'eux ; c'est l'hostie sans tache offerte à
Dieu sur l'
autel de
vos curs, hostie d'agréable odeur, dont les parfums montent jusqu'à
lui. Quoique la loi d'
amour veuille que l'on aime indistinctement tous ses
frères,
elle ne cuirasse pas le cur contre les mauvais procédés ;
c'est au contraire l'épreuve la plus pénible, je le sais, puisque
pendant ma dernière existence terrestre j'ai éprouvé cette
torture ; mais
Dieu est là, et il punit dans cette vie et dans l'autre
ceux qui faillissent à la loi d'
amour. N'oubliez pas, mes chers
enfants,
que l'
amour rapproche de
Dieu, et que la haine en éloigne. (Fénelon.
Bordeaux, 1861.)
Le duel
11. Celui-là seul est véritablement grand qui, considérant
la vie comme un voyage qui doit le conduire à un but, fait peu de cas des
aspérités du chemin ; il ne se laisse jamais un instant détourner
de la voie droite ; l'il sans cesse dirigé vers le terme, il lui
importe peu que les ronces et les épines du sentier menacent de lui faire
des égratignures ; elles l'effleurent sans l'atteindre, et il n'en poursuit
pas moins sa course. Exposer ses
jours pour se venger d'une injure, c'est reculer
devant les épreuves de la vie ; c'est toujours un crime aux yeux de
Dieu,
et si vous n'étiez pas abusés comme vous l'êtes par vos préjugés,
ce serait une ridicule et suprême folie aux yeux des hommes.
Il y a crime dans l'homicide par le
duel ; votre législation
même le reconnaît ; nul n'a le droit, dans aucun cas, d'attenter à
la vie de son semblable ; crime aux yeux de
Dieu qui vous a tracé votre
ligne de conduite ; ici, plus que partout ailleurs, vous êtes
juges dans
votre propre cause. Souvenez-vous qu'il vous sera pardonné selon que vous
aurez pardonné vous-mêmes ; par le pardon vous vous rapprochez de
la Divinité, car la clémence est sur de la puissance. Tant
qu'une goutte de sang humain coulera sur la terre par la main des hommes, le vrai
règne de
Dieu ne sera pas encore arrivé, ce règne de
pacification
et d'
amour qui doit à tout jamais bannir de votre globe l'animosité,
la
discorde, la guerre. Alors le mot
duel n'existera plus dans votre langue que
comme un lointain et vague souvenir d'un passé qui n'est plus ; les hommes
ne connaîtront entre eux d'autre antagonisme que la noble rivalité
du bien. (Adolphe,
évêque d'Alger.
Marmande, 1861.)
12. Le
duel peut, sans doute, dans certains cas, être
une preuve de courage physique, du mépris de la vie, mais c'est incontestablement
la preuve d'une lâcheté morale, comme dans le suicide. Le suicidé
n'a pas le courage d'affronter les vicissitudes de la vie : le
duelliste n'a pas
celui d'affronter les offenses. Christ ne vous a-t-il point dit qu'il y a plus
d'honneur et de courage à tendre la joue gauche à celui qui a frappé
la joue droite, qu'à se venger d'une injure ? Christ n'a-t-il point dit
à Pierre au
jardin des Oliviers : « Remettez votre
épée
dans son fourreau, car celui qui tuera par l'
épée périra
par l'
épée » ? Par ces paroles,
Jésus ne condamne-t-il
point à jamais le
duel ? En effet, mes
enfants, qu'est-ce donc que ce courage
né d'un tempérament violent, sanguin et colère, rugissant
à la première offense ? Où donc est la grandeur d'
âme
de celui qui, à la moindre injure, veut la laver dans le sang ? Mais qu'il
tremble ! car toujours, au fond de sa conscience, une voix lui criera :
Caïn
!
Caïn ! qu'as-tu fait de ton
frère ? Il m'a fallu du sang pour sauver
mon honneur, dira-t-il à cette voix ; mais elle lui répondra : Tu
as voulu le sauver devant les hommes pour quelques instants qui te restaient à
vivre sur la terre, et tu n'as pas songé à le sauver devant
Dieu
! Pauvre fou ! que de sang vous demanderait donc Christ pour tous les outrages
qu'il a reçus ! Non seulement vous l'avez blessé avec l'épine
et la lance, non seulement vous l'avez attaché à un gibet
infamant,
mais encore au milieu de son agonie, il a pu entendre les railleries qui lui étaient
prodiguées. Quelle réparation, après tant d'outrages, vous
a-t-il demandée ? Le dernier cri de l'
agneau fut une prière pour
ses bourreaux. Oh ! comme lui, pardonnez et priez pour ceux qui vous offensent.
Amis, rappelez-vous ce précepte : « Aimez-vous
les uns les autres, » et alors au coup donné par la haine vous répondrez
par un sourire, et à l'outrage par le pardon. Le monde sans doute se dressera
furieux, et vous traitera de lâche ; levez la tête haute, et montrez
alors que votre front ne craindrait pas, lui aussi, de se charger d'épines
à l'exemple du Christ, mais que votre main ne veut point être complice
d'un meurtre qu'autorise, soi-disant, un faux-semblant d'honneur qui n'est que
de l'orgueil et de l'amour-propre. En vous créant,
Dieu vous a-t-il donné
le droit de vie et de mort les uns sur les autres ? Non, il n'a donné ce
droit qu'à la nature seule, pour se réformer et se reconstruire
; mais à vous, il n'a pas même permis de disposer de vous-mêmes.
Comme le suicidé, le
duelliste sera marqué de sang quand il arrivera
à
Dieu, et à l'un et à l'autre le Souverain
Juge prépare
de rudes et longs châtiments. S'il a menacé de sa justice celui qui
dit à son
frère Racca, combien la peine ne sera-t-elle pas
plus sévère pour celui qui paraîtra devant lui les mains rougies
du sang de son
frère ! (
Saint Augustin.
Paris, 1862.)
13. Le
duel est, comme autrefois ce qu'on appelait
le
jugement de
Dieu, une de ces institutions barbares qui régissent encore
la société. Que diriez-vous cependant si vous voyiez plonger les
deux antagonistes dans l'
eau bouillante ou soumis au contact d'un fer brûlant
pour vider leur querelle, et donner raison à celui qui subirait le mieux
l'épreuve ? vous traiteriez ces coutumes d'insensées. Le
duel est
encore pis que tout cela. Pour le
duelliste émérite, c'est un assassinat
commis de sang-froid avec toute la préméditation voulue ; car il
est sûr du coup qu'il portera ; pour l'adversaire presque certain de succomber
en raison de sa faiblesse et de son inhabileté, c'est un suicide commis
avec la plus froide réflexion. Je sais que souvent on cherche à
éviter cette alternative également criminelle en s'en remettant
au hasard ; mais alors n'est-ce pas, sous une autre forme, en revenir au
jugement
de
Dieu du moyen âge ? Et encore à cette époque était-on
infiniment moins coupable ; le nom même de
jugement de Dieu indique
une foi, naïve il est vrai, mais enfin une foi en la justice de
Dieu qui
ne pouvait laisser succomber un innocent, tandis que dans le
duel on s'en remet
à la
force brutale, de telle sorte que c'est souvent l'offensé qui
succombe.
Ô amour-propre stupide, sotte vanité et fol
orgueil, quand donc serez-vous remplacés par la
charité chrétienne,
l'
amour du prochain et l'humilité dont Christ a donné l'exemple
et le précepte ? Alors seulement disparaîtront ces préjugés
monstrueux qui gouvernent encore les hommes, et que les lois sont impuissantes
à réprimer, parce qu'il ne suffit pas d'interdire le mal et de prescrire
le bien, il faut que le principe du bien et l'horreur du mal soient dans le cur
de l'homme. (Un
Esprit protecteur.
Bordeaux, 1861.)
14. Quelle opinion aura-t-on de moi, dites-vous souvent,
si je refuse la réparation qui m'est demandée, ou si je n'en demande
pas une à celui qui m'a offensé ? Les fous, comme vous, les hommes
arriérés vous blâmeront ; mais ceux qui sont éclairés
par le flambeau du progrès intellectuel et moral diront que vous agissez
selon la véritable sagesse. Réfléchissez un peu ; pour une
parole souvent dite en l'
air ou très inoffensive de la part d'un de vos
frères, votre orgueil se trouve froissé, vous lui répondez
d'une manière piquante, et de là une provocation. Avant d'arriver
au moment décisif, vous demandez-vous si vous agissez en chrétien
? quel compte vous devrez à la société si vous la privez
d'un de ses membres ? Pensez-vous au remords d'avoir enlevé à une
femme son mari, à une mère son
enfant, à des
enfants leur
père et leur soutien ? Certainement celui qui a fait l'offense doit une
réparation ; mais n'est-il pas plus honorable pour lui de la donner spontanément
en reconnaissant ses torts, que d'exposer la vie de celui qui a droit de se plaindre
? Quant à l'offensé, je conviens que quelquefois on peut se trouver
gravement atteint, soit dans sa personne, soit par rapport à ceux qui nous
tiennent de près ; l'amour-propre n'est plus seulement en
jeu, le cur
est blessé, il souffre ; mais outre qu'il est stupide de jouer sa vie contre
un misérable capable d'une
infamie, est-ce que, celui-ci étant mort,
l'affront, quel qu'il soit, n'existe plus ? Le sang répandu ne donne-t-il
pas plus de renommée à un fait qui, s'il est
faux, doit tomber de
lui-même, et qui, s'il est vrai, doit se cacher sous le silence ? Il ne
reste donc que la satisfaction de la vengeance assouvie ; hélas ! triste
satisfaction qui souvent laisse dès cette vie de cuisants regrets. Et si
c'est l'offensé qui succombe, où est la réparation ?
Quand la
charité sera la règle de conduite
des hommes, ils conformeront leurs actes et leurs paroles à cette maxime
: « Ne faites point aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît
; » alors disparaîtront toutes les causes de dissensions, et avec
elles celles des
duels, et des guerres, qui sont les
duels de peuple à
peuple. (François-Xavier.
Bordeaux, 1861.)
15. L'homme du monde, l'homme heureux, qui, pour un mot blessant,
une cause légère, joue sa vie qu'il tient de
Dieu, joue la vie de
son semblable qui n'appartient qu'à
Dieu, celui-là est plus coupable
cent fois que le misérable qui, poussé par la cupidité, par
le besoin quelquefois, s'introduit dans une demeure pour y dérober ce qu'il
convoite, et tue ceux qui s'opposent à son dessein. Ce dernier est presque
toujours un homme sans éducation, n'ayant que des notions imparfaites du
bien et du mal, tandis que le
duelliste appartient presque toujours à la
classe la plus éclairée ; l'un tue brutalement, l'autre avec méthode
et politesse, ce qui fait que la société l'excuse. J'ajoute même
que le
duelliste est infiniment plus coupable que le malheureux qui, cédant
à un sentiment de vengeance, tue dans un moment d'exaspération.
Le
duelliste n'a point pour excuse l'entraînement de la passion, car entre
l'insulte et la réparation il a toujours le temps de réfléchir
; il agit donc froidement et de dessein prémédité ; tout
est calculé et étudié pour tuer plus sûrement son adversaire.
Il est vrai qu'il expose aussi sa vie, et c'est là ce qui réhabilite
le
duel aux yeux du monde, parce qu'on y voit un acte de courage et un mépris
de sa propre vie ; mais y a-t-il du vrai courage quand on est sûr de soi
? Le
duel, reste des temps de barbarie où le droit du plus fort faisait
la loi, disparaîtra avec une plus saine appréciation du véritable
point d'honneur, et à mesure que l'homme aura une foi plus vive en la vie
future. (Augustin.
Bordeaux, 1861.)
16. Remarque. Les
duels deviennent de plus en plus
rares, et si l'on en voit encore de temps en temps de douloureux exemples, le
nombre n'en est pas comparable à ce qu'il était autrefois. Jadis
un homme ne sortait pas de chez lui sans prévoir une rencontre, aussi prenait-il
toujours ses précautions en conséquence. Un signe caractéristique
des murs du temps et des peuples est dans l'usage du port habituel, ostensible
ou caché, des armes offensives et défensives ; l'abolition de cet
usage témoigne de l'adoucissement des murs, et il est curieux d'en
suivre la gradation depuis l'époque où les chevaliers ne chevauchaient
jamais que bardés de fer et armés de la lance, jusqu'au port d'une
simple
épée, devenue plutôt une parure et un accessoire du
blason qu'une arme agressive. Un autre trait de murs, c'est que jadis les
combats singuliers avaient lieu en pleine rue, devant la foule qui s'écartait
pour laisser le champ libre, et qu'aujourd'hui on se cache ; aujourd'hui la mort
d'un homme est un événement, on s'en émeut ; jadis on n'y
faisait pas attention. Le Spiritisme emportera ces derniers vestiges de la barbarie,
en inculquant aux hommes l'
esprit de
charité et de fraternité.