Biographie universelle ancienne et moderne Paul Ier Petrowitz, empereur de Russie, fils de Pierre III et de Catherine II, naquit le 1er
octobre 1754. Il fut élevé avec soin par le célèbre physicien Epinus, et par le comte Panin, dont il n'oublia jamais les services. Ce jeune prince épousa, en 1774, une fille du landgrave de Hesse-Darmstadt ; et ce
mariage, qui semblait parfaitement heureux, allait donner des héritiers au trône, lorsque la grande-duchesse mourut en couches. Comme l'
impératrice n'aimait pas cette princesse, et que Grégoire Orloff était alors dans la plus haute faveur, cette mort subite fut le sujet de beaucoup de conjectures. Cependant les funérailles étaient à peine achevées, que l'on songea à donner une nouvelle
épouse au grand-duc. Profitant d'un voyage que le prince Henri de Prusse fit à Pétersbourg, Catherine lui demanda pour son fils la main de sa nièce, la princesse de Wurtemberg. Les deux princes partirent ensemble pour Berlin, et Paul reçut sa nouvelle
épouse des mains du grand Frédéric, ravi de resserrer de plus en plus les nuds qui l'unissaient à la Russie. Les deux
époux, enivrés de bonheur, se hâtèrent de venir à Pétersbourg (1776) ; et cette union. qui devait donner à l'empire de si nombreux et de si dignes héritiers, commença sous les lus heureux auspices.
Catherine en parut fort satisfaite, et, ne semblant plus rien craindre de son fils, elle voulut montrer à l'
Europe les héritiers de son trône dans le plus grand éclat. Le
duc et la
duchesse partirent de Pétersbourg en 1781, suivis d'un nombreux cortège, et ils parcoururent successivement la Pologne, l'Autriche, l'ltalie, la France et la Hollande. Partout les souverains et les peuples se montrèrent également empressés de les recevoir. En France surtout on leur fit l'accueil le plus brillant, le plus affectueux ; et ils laissèrent dans ce pays des souvenirs fort honorables. On leur donna des fêtes somptueuses à
Versailles, et le prince de
Condé, qui conçut pour le grand-duc une véritable amitié, le reçut avec beaucoup d'éclat dans son palais de
Chantilly. Ce voyage dura quatorze mois, et pendant tout ce temps, l'
impératrice ne perdit pas un seul instant de
vue les jeunes voyageurs. Elle avait exigé que des courriers vinssent lui apporter sans cesse de leurs nouvelles, et elle n'ignora rien de tout ce qui leur arriva.
Après son retour, le grand-duc fut traité par sa mère avec beaucoup de tendresse ; cependant cette princesse continua de ne lui laisser aucune part dans le gouvernement, et l'héritier du trône, confiné dans le palais de Gatschina, s'y montra très prudent et très modéré au milieu des suggestions ambitieuses qui l'environnaient. Ce prince était fort aimé du peuple et des soldats. On chercha plus d'une fois à se servir de son crédit et de son
influence contre l'
Impératrice ; mais il refusa toujours de se prêter à de tels projets. Cependant, entraîné par son ardeur naturelle, il désirait vivement se signaler à la tête des armées. Lorsqu'il vit la guerre déclarée aux Turcs, en 1788, il sollicita avec beaucoup d'instance la permission de se rendre à l'armée : « Toute l'
Europe, écrivait-il à sa mère, connaît le désir que j'ai de combattre les Ottomans ; que dira-t-elle en apprenant que je ne puis le faire ? » L'
impératrice répondit par cette seule phrase : « L'
Europe dira que le grand-duc est un fils respectueux. » Elle lui permit néanmoins eu de temps après d'aller a l'armée de Finlande ; mais elle ne lui donna aucun commandement, et l'héritier de l'empire, se
voyant encore sans pouvoir, revint malade à Gatschina, et continua de vivre dans la retraite jusqu'à la mort de Catherine, qui termina le 17 novembre 1796 sa longue et brillante carrière.
Devenu maître de l'empire, Paul Ier fit faire à sa mère des obsèques magnifiques, et dans une autre cérémonie où se révéla complétement son caractère à la fois juste et bizarre, il fit décerner à la mémoire de son père les honneurs dont ce prince avait été privé après sa mort. Tout alors changea de face dans l'empire russe. Né avec des passions impétueuses et longtemps comprimées, le nouveau monarque voulut que dans un instant tout se conformât à sa volonté, que tout sentît le poids de sa puissance. La plupart des anciens favoris de Catherine furent exilés ou destitués de leurs emplois, et ceux que cette princesse avait disgrâciés jouirent de la plus haute faveur. La cour prit un aspect tout nouveau, et l'empereur voulut même que les usages et les costumes y fussent changés. On était sûr de mériter sa faveur si l'on paraissait devant lui avec un habit militaire exactement pareil à celui qu'il portait lui-même. L'ordre qu'il donna pour que personne dans son empire ne portât de chapeau rond a donné lieu à plus d'une critique. Il obligea ensuite toutes les personnes qui se trouvaient sur son passage à descendre de voiture et à se prosterner devant lui. Ce nouvel ordre, qui fut la cause d'un grand nombre de vexations, indisposa surtout la noblesse et le haut commerce de Pétersbourg.
Paul Ier faisait en même temps de nombreuses réformes dans toutes les parties de l'administration, et principalement dans l'armée. Mais toutes ces réformes, et même d'autres actes discutables, tenaient plus à l'
esprit d'inquiétude qu'il avait contracté dans l'espèce de disgrâce où il avait passé les plus belles années de sa vie, et surtout à la violence de son naturel, qu'à un penchant décidé pour l'autorité ; on le vit souvent combler de faveurs les personnes que par erreur ou par précipitation il avait condamnées injustement (Voyez
Kotzebue). Il allait lui-même au-devant de la vérité, et il permit à tout le monde de l'aborder et de lui présenter des pétitions. Il fit plus ; il établit à côté de l'escalier de son palais un bureau destiné à recevoir toutes les lettres que l'on voudrait lui écrire, et il annonça qu'il n'en laisserait aucune sans réponse ; mais bientôt, effrayé de l'immensité des réclamations, il renonça à les lire.
Comme l'on s'y était attendu, le système de changement et d'innovation de ce monarque ne tarda pas à s'étendre hors de son empire. On avait vu Catherine II fort opposée aux principes de la révolution française, et cette princesse s'était montrée, dès le commencement, très disposée à seconder les efforts des puissances qui combattaient cette révolution ; mais elle s'était bornée à des promesses et à des démonstrations ; son fils embrassa au contraire la cause des rois avec une ardeur et une franchise bien rares en pareil cas. Il entra dans la coalition contre la France, reçut dans ses Etats le roi Louis XVIII, voulut que ce prince résidât au palais de Mittau avec la magnificence d'un souverain, signa le
mariage du
duc d'
Angoulême avec la fille de Louis XVI, et ordonna n'une copie en fût déposée dans les archives du sénat. Il ne traita pas avec moins d'égards et de générosité le prince de
Condé, qui l'avait autrefois si bien accueilli lui-même. Enfin, il envoya en Italie une armée de quatre-vingt mille hommes, et tandis que cette armée faisait la plus brillante campagne sous les ordres de Souvarow, il en fit partir une autre pour la
Suisse, sous les ordres de Korsakow. Il fournit dans le même temps un
corps de troupes aux Anglais, pour les aider à soumettre à Hollande ; mais ce
corps, engagé imprudemment, fut obligé de capituler (Voyez
Brune), tandis que l'armée de Korsakow, abandonnée par les Autrichiens, essuyait un échec devant Zurich (Voyez
Masséna).
Tous ces événements excitèrent au dernier point la défiance et le mécontentement de Paul Ier contre ses alliés ; et le cabinet de Londres ayant semblé, vers la même époque, apporter quelques obstacles à ses projets sur l'île de Malte, dont il venait de se proclamer lui-même le grand maître, il ne garda plus de mesures, accusa hautement le ministère de
Vienne et celui de Londres, et rappela ses armées. Ses alliés se flattèrent encore un instant de le ramener ; mais les explications qu'ils donnèrent ne lui parurent ni franches ni catégoriques. Il avait réellement agi de bonne foi et avec l'intention droite et désintéressée de relever les
trônes, de rétablir la
religion et le bon ordre.
Son indignation fut au comble quand il crut voir que l'Autriche voulait s'approprier une partie des Etats du pape et du roi de Sardaigne. Il donna ordre à son ambassadeur de quitter
Vienne, et M. de Cobenzl fut obligé de s'éloigner de Pétersbourg. L'ambassadeur anglais fut également contraint de partir, et toute espèce de relation se trouva rompue entre les puissances alliées et Paul Ier.
Comme il arrive souvent, ce prince se jeta aussitôt dans des mesures tout à fait contraires à ses principes et à ses premiers plans. C'était pour arrêter la révolution qu'il avait pris les armes ; dès qu'il les eut déposées, il entra en négociation avec les hommes qui étaient à cette époque à la tête du gouvernement français. Il avait annoncé son projet de rétablir Louis XVIII sur le trône ; il avait comblé ce prince de bienfaits ; Louis XVIII dut sortir de son royaume, et Paul Ier devint l'allié de l'empereur Napoléon. Ses anciens alliés, livrés à leurs propres
forces, se virent contraints de traiter de la paix : de là les traités de
Lunéville et d'
Amiens.
Dans la nuit du 11 au 12 mars 1801, Paul Ier périt inopinément à Saint-Pétersbourg ; et nous croyons devoir renvoyer, pour plus de détails sur cet événement, aux diverses
Histoires de Russie publiées tant en Russie que dans les autres pays de l'
Europe. On raconte que, quelques heures avant sa mort, le prince avait paru de la meilleure humeur. Il était entré dans la
chambre de l'
impératrice et lui avait parlé du ton le plus affectueux ; il avait pressé son plus jeune
enfant dans ses bras, et. après avoir ainsi passé en famille la plus grande partie de la soirée, selon sa coutume, il était allé tranquillement se coucher. Nous ne rapportons ce détail que pour faire voir que ce prince ne méritait pas le reproche qu'on lui a fait d'être mauvais
époux et mauvais père. Simple dans ses
goûts et dans ses plaisirs, il ne connaissait le luxe et la magnificence que dans la pompe des cérémonies. On ne lui connut point de maîtresse en titre, et il ne sacrifia jamais les intérêts de l'Etat à ses
goûts personnels.
Son valet de
chambre Koutaïcoff eut seul quelque ascendant sur lui.
Paul Ier n'aimait ni les sciences spéculatives, ni les arts de pur agrément. Toute son attention se portait sur la science du gouvernement, et sur les moyens d'
ajouter encore à la
force et à la vigueur de son pouvoir. On découvre, même dans les écarts de sa politique versatile et bizarre, une intention évidente d'élever la puissance russe au-dessus de toutes les autres ; et, jusque dans sa résolution de se faire grand maître de Malte, qui fut regardée par beaucoup de monde comme un acte de folie, on est forcé de reconnaître un but d'ambition très plausible, celui de donner à la marine et au commerce russes un boulevard au milieu de la Méditerranée. On voit encore que ce plan, s'il eût pu être exécuté, aurait assuré à cette puissance des appuis nombreux dans la noblesse de tous les Etats de l'
Europe, intéressée à la conservation de l'ordre de Malte. Les Anglais ne s'y méprirent point, et les obstacles qu'ils apportèrent à ce projet furent une des premières causes du mécontentement de Paul Ier. Ce prince fit ouvrir plusieurs canaux, et Saint-Pétersbourg lui doit le beau palais de Michaïlow. C'est aussi par lui qu'a été fondée dans cette ville la maison des orphelins militaires, où huit cents
enfants sont élevés et placés ensuite convenablement. Enfin la Russie lui doit une de ses lois fondamentales, et qui doit peut-être le plus efficacement contribuer à la paix et à la durée de cet empire : c'est la succession au trône dans l'ordre de
primogéniture, et en n'y admettant les femmes qu'à défaut d'
enfant mâle.
La
Correspondance littéraire de Laharpe fut adressée par l'auteur au grand-duc Paul, qui lui faisait pour cela un traitement annuel. Ce prince laissa, de son second
mariage, quatre garçons et cinq filles.
Son fils aîné lui succéda sous le nom d'Alexandre. M. de Châteaugiron a publié une
Notice sur la mort de Paul Ier, empereur de Russie, in-8° de 24 pages.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 32 - Pages 284-286)
Dictionnaire universel d'histoire et de géographie de Bouillet Marie-Nicolas Bouillet, Dictionnaire universel d'histoire et de géographie, 20ème édition (1866), p. .