Biographie universelle ancienne et moderne Louis-Claude de Saint-Martin, dit le
Philosophe Inconnu,
né à
Amboise d'une famille noble le 18
janvier 1743, dut à
une belle-mère les premiers
éléments de cette éducation
qui le fit, disait-il, aimer pendant toute sa vie de
Dieu et des hommes. Au
collège du Pont-Levoy, où il avait été mis de bonne heure, le livre qu'il goûta le plus et qui eut sur lui la plus grande
influence fut celui
d'
Abadie, intitulé
L'Art de se connaître
soi-même. Destiné par ses parents à la magistrature,
il s'attacha dans son cours de droit plutôt aux bases naturelles de la justice
qu'aux règles de la jurisprudence. Aux fonctions de magistrat, il préféra la profession des armes, qui, durant la paix, lui laissait des loisirs pour s'occuper de méditations. Il entra comme lieutenant, à 22 ans, au régiment de
Foix, en garnison à
Bordeaux.
Initié par des formules, des
rites, des pratiques, à des opérations qu'on appelait
théurgiques, et que dirigeait
Martinez Pasqualis, chef de la secte des martinistes, il lui demandait souvent : « Maître, eh quoi ! Faut-il donc tout cela pour connaître
Dieu ? » Cette voie, qui était celle des
manifestations sensibles, n'avait
point séduit notre philosophe. Ce fut toutefois par là qu'il entra
dans la voie du
spiritualisme. La doctrine de cette école, dont
les membres prenaient le titre hébreu de
cohen (
prêtre), et
que Martinez présentait comme un enseignement biblique secret dont il aurait
reçu la tradition, se trouve exposée d'une manière mystérieuse dans les premiers ouvrages de
Saint-Martin, et surtout dans son
Tableau naturel des rapports entre Dieu, l'homme, etc. Après la mort de Martinez, l'école fut transférée à
Lyon ; et lorsque ses opérations cessèrent en 1778, elle vint se
fondre
à
Paris dans la société des G. P. (Grands Profès)
ou dans celles des
philalèthes, professant en apparence la doctrine de
Martinez et celle de Swedenborg, mais cherchant moins la vérité
que le
grand uvre.
Saint-Martin fut invité, en 1784, à cette dernière réunion ; mais il refusa de participer aux opérations de ses membres, qu'il jugeait ne parler et n'agit qu'en purs francs-maçons et en véritables
initiés.
Saint-Martin suivait les réunions où l'on s'occupait d'exercices qui annonçaient des
vertus actives ; les manifestations d'un
ordre intellectuel, obtenues par la voie sensible, lui décelaient, dans les séances de Martinez, une science des
esprits : les visions de Swedenborg, d'un
ordre sentimental, une
science des âmes. Quant aux phénomènes du
magnétisme somnambulique qu'il suivit à
Lyon, il les regardait comme étant d'un
ordre sensible inférieur ; mais il y croyait. Dans une conférence qu'il eut avec
Bailly, l'un des commissaires rapporteurs, pour lui persuader l'existence d'un pouvoir magnétique sans soupçon d'intelligence de la part des malades, il raconte qu'il lui cita des opérations faites sur des
chevaux que l'on traitait alors par ce procédé.
Bailly lui répondit : «
Que savez-vous si les chevaux ne pensent pas ? » L'étude des mathématiques, dont
Saint-Martin s'occupait, occasionna sa liaison avec
Lalande ; mais leur opinion différait trop, celle liaison dura peu.
Saint-Martin croyait avoir plus de rapports avec Jean-Jacques Rousseau, qu'il avait étudié. Il pensait, comme lui, que les hommes sont naturellement bons ; mais il entendait par la nature celle qu'ils avaient originellement perdue et qu'ils pouvaient recouvrer par leur bonne volonté ; car il les jugeait, dans le monde, plutôt entraînés par l'habitude vicieuse que par la méchanceté. A cet égard, il ressemblait peu à Rousseau, qu'il regardait comme
misanthrope par excès de sensibilité et
voyant les hommes non tels qu'ils étaient, mais tels qu'il voulait qu'ils fussent. Pour lui, au contraire, il aima toujours les hommes comme meilleurs au fond qu'ils ne paraissaient être ; et la bonne société lui faisait imaginer ce que pouvait valoir une réunion plus parfaite
dans
ses rapports intimes avec son principe. Ses occupations, comme ses plaisirs,
furent toujours conformes à cette
disposition. La musique instrumentale, des promenades champêtres, des conversations amicales étaient
les délassements de son
esprit ; et des actes de bienfaisance ceux de son
âme. C'est à ses liaisons avec des personnages des plus distingués
par leur rang (tels que le
duc d'
Orléans, la
duchesse de Bourbon, le
marquis
de
Lusignan, le maréchal de
Richelieu, le chevalier de
Boufflers, etc.),
qui trouvaient avec raison son
spiritualisme trop élevé pour
l'
esprit du siècle, qu'il dit avoir dû la confirmation et le développement de ses idées sur les grands objets dont il cherchait le principe. Il voyagea dans cette
vue, comme Pythagore, pour étudier l'homme et la nature, et pour confronter le témoignage des autres avec le sien. Enfin, il quitta
le service militaire pour se livrer tout entier à ses rêveries. Ce
fut à
que, par l'organe d'une amie (madame de Bclin),
il eut la connaisance des ouvrages du philosophe allemand
Jacob Boehme, regardé
en France comme un visionnaire ; et il étudia, dans un âge déjà avancé, la langue de
Boehme, afin de traduire pour son usage, en français, les ouvrages de cet illuminé, qui lui découvrirent, dit-il, ce que dans les documents de son premier maître il n'avait fait qu'entrevoir. Il le regarda toujours depuis comme
la plus grande lumière humaine qui eût
paru.
Saint-Martin visita ensuite l'Angleterre, où il se lia, en 1787,
avec Barthélémy, et connut
William Law, éditeur d'une version
anglaise du livre de
Jacob Boehme et d'un précis de sa doctrine. Il fit,
l'année suivante, le voyage d'Italie avec le prince Alexis Galitzin, qui
adopta complètement ses idées et qui dit alors à Fortia d'Urban
qu'il vit à Rome : «
Je ne suis un homme que depuis que j'ai connu
M. Saint-Martin. » De retour de ses excursions en Allemagne et en Angleterre,
Saint-Martin reçut la
croix de St-Louis pour ses anciens services militaires.
La révolution qui survint ensuite le détourna peu de ses habitudes
méditatives. N'ayant point de préjugés de naissance, il n'émigra pas ; il reconnut les desseins terribles de la Providence dans les événements de cette période, et crut voir un
grand instrument temporel dans l'homme qui vint plus tard arrêter la tourmente révolutionnaire. Compris bientôt dans le décret d'expulsion du 27 germinal an 2 (1794) contre les nobles, il quitta
Paris. Dans le moment des plus vives agitations politiques, il correspondait, sur des objets de sa doctrine, avec le suisse
Kirchberger, membre du conseil souverain de Berne. Vivant solitaire, séparé de ses connaissances, il se regardait dans son isolement comme le
Robinson Crusoé de la
spiritualité. Cependant, la conspiration prétendue, connue sous le nom de la
Mère de Dieu, ayant donné lieu à plusieurs arrestations, le
philosophe inconnu ne fut point à l'abri d'un mandat d'arrêt. Mais le 9
thermidor vint le délivrer d'autant
plus à propos que sa correspondance avec
Kirchberger aurait pu le compromettre aux yeux de gens fort étrangers au
spiritualisme.
Les deux philosophes se lièrent intimement sans jamais se voir, et ils
échangèrent leurs portraits. Durant le discrédit des assignats,
le Français accepta du
Suisse, mais seulement en dépôt, l'offre
d'une somme en numéraire dont sa philosophie lui avait appris à
se passer.
Saint-Martin nous apprend lui-même qu'après être
sorti de prison, il monta la garde au
Temple, où était détenu
le fils de Louis XVI. On l'avait compris, trois ans auparavant, sur la liste des
candidats pour le choix d'un gouverneur du
Dauphin. En mai 1794, chargé
de dresser l'état de la partie donnée à sa commune des livres
provenant des dépôts nationaux, ce qui l'intéressa surtout
c'est qu'il y trouva des
richesses spirituelles dans une vie de la sur
Marguerite du Saint-Sacrement.
Vers la fin de la même année, quoique
sa qualité de noble lui interdît le séjour de
Paris, il fut
désigné par le district d'
Amboise comme un des élèves
aux écoles normales destinées à former des instituteurs pour
propager l'instruction ; il accepta cette mission dans l'espérance qu'il
pourrait, en présence de 2000 auditeurs animés de ce qu'il appelait
le
Spiritus mundi, déployer son caractère de
spiritualité
religieuse, et combattre le philosophisme matériel et antisocial. Requis
de rentrer dans la capitale, il y vint tout à propos pour défendre
et développer la cause du
sens moral contre le professeur de la
doctrine du
sens physique ou de l'analyse de l'entendement humain. La pierre
qu'il jeta, ce sont ses termes, au front de l'
analyste philosophe (
Garat)
retentit encore dans les débats dont le souvenir est resté aux
adeptes
(
Correspondance inédite de St-Martin,
19 mars 1795). La paix entre la France et la
Suisse rendit plus active avec Berne
sa relation, qui lui servit d'intermédiaire pour une autre correspondance
de prédilection à
, suspendue par les circonstances. C'était
aussi, plus que jamais, entre les deux amis, un commerce d'explications pour l'un
sur le texte de
Jacob Boehme, et d'éclaircissements pour l'autre sur la
doctrine de
Saint-Martin. Les écrits de celui-ci en avaient besoin, même
ceux où il paraît le moins obscur. Au milieu d'une révolution
au sujet de laquelle il disait, dans son langage
spiritualiste, que la
France avait été
visitée la première et très
sévèrement parce qu'elle avait été la plus coupable,
il émit des principes différents de ceux qui étaient alors
professés, quoiq'uil donnât l'exemple de la soumission à l'ordre
établi. Dans son
Eclair, entre
autres,
sur l'association humaine, il
monte la base de l'ordre social dans le régime
théocratique,
comme le seul vraiment légitime. Cependant, il ne paraît pas avoir
eu le projet de fonder une secte. Ses écrits anonymes étaient toujours
ceux du
Philosophe inconnu ; il les distribuait à quelques
amis,
et leur recommandait le secret, qui était d'autant plus sûrement gardé que personne ne s'occupait de tels objets.
Saint-Martin
avait beaucoup lu les
Méditations
de
Descartes et les ouvrages de Rabelais, et il aimait d'autant plus à
visiter les lieux où ces deux auteurs avaient pris naissance que leur contrée
était aussi la sienne. Cela peut expliquer comment le même homme avait
pu composer le
Ministère de l'homme-esprit,
ouvage des plus sérieux comme des plus obscurs, et le
Crocodile,
poème grotesque des plus bizarres, même après Rabelais : c'est
une fiction
allégorique qui met aux prises le bien et le mal, et qui couvre
sous une enveloppe de féerie des instructions et une critique dont la vérité
trop nue aurait pu blesser des
corps scientifiques et littéraires. Au milieu
de ce roman énigmatique se trouvent 80 pages de métaphysique, la
question de l'
Influence des signes sur la formation des
idées, proposée par l'Institut. La discussion de
cette question
amène des résultats singuliers par les notions tirées
de l'
ordre spirituel auxquelles elle touche, telles que le
Désir,
antéieur ou supérieur à l'idée, etc. Malgré
l'originalité de son
esprit, qui lui faisait tout ramener à son
spiritualisme, on admirait quelquefois dans
Saint-Martin un sens droit
et une modestie simple et aimable.
Son caractère liant et communicatif
eût pu lui acquérir beaucoup de partisans, mais il ne cherchait point
à faire des prosélytes. Ne voulant que des amis pour
disciples,
il tenait un journal de ses liaisons, et, de même que ses traductions de
son
cher philosophe étaient des
provisions pour ses vieux
jours, il regardait ses nouveaux amis comme des acquisitions et il se jugeait
très riche en
rentes d'âmes. Un autre philosophe, de Gerando, nous a fait part d'une conversation qu'il eut
avec lui sur les spectacles (
Archives littéraires, tome 4, p. 337).
Saint-Martin les avait beaucoup aimés. Souvent, pendant les quinze dernières
années de sa vie, il s'était mis en route pour jouir de l'émotion
que lui promettait la
vue d'une action vertueuse mise en scène par Corneille
ou Racine. Mais en chemin, la pensée lui venait qu'avec le même
argent
il pouvait réaliser quelque bienfait. Jamais il n'avait pu, disait-il,
résister à cette idée ; il montait chez une malheureux, y
laissait la valeur de son billet de parterre et rentrait chez lui satisfait.
En 1803, il disait qu'entré dans sa soixantaine, il
avançait vers les
grandes jouissances qui lui étaient annoncées
depuis longtemps. Il fit, l'été de cette année, des voyages
à
Amboise, à
Orléans, etc. pour revoir quelques amis. A son
retour, un entretien qu'il avait désiré avoir avec un mathématicien
profond sur la science des nombres, dont le sens caché l'occupait toujours,
eut lieu avec de Rossel. Il dit en finissant : «
Je sens que je m'en
vais ; la Providence peut m'appeler, je suis prêt. Les germes que j'ai tâché
de semer fructifieront ; je rends grâce au ciel de m'avoir accordé
la dernière faveur que je demandais. » Le lendemain, l'un de
ses
disciples zélés le vit monter dans la voiture qui le transporta
chez le sénateur Lenoir la
Roche, au village d'Aunay. Après un léger
repas, s'étant retiré dans sa
chambre, il eut une attaque d'apoplexie.
Quoique sa langue fût embarrassée, il put cependant se faire entendre
de ses amis accourus et réunis auprès de lui. Sentant que tout secours
humain devenait inutile, il exhorta ceux qui l'entouraient à mettre leur
confiance dans la Providence et à vivre entre eux en
frères dans
les sentiments
évangéliques. Ensuite, il pria
Dieu en silence, et
il expira sans agonie le 13
octobre 1803. Quoique
Saint-Martin fût encore
alors assez répandu, il était si peu connu dans le monde que les
feuilles publiques annonçant son décès le confondirent avec
Martinez Pasquallis, son maître, mort en 1779 à Saint-Domingue.
Saint-Martin a beaucoup écrit, et ses livres ont été
commentés et traduits en partie, mais principalement dans les langues du
nord de l'
Europe. Suivant ses
disciples, le but de ses écrits est non seulement
d'expliquer la nature par l'homme, mais de ramener toutes nos connaissances au
principe dont l'
esprit humain peut être le centre. La nature actuelle, déchue
et divisée d'avec elle-même et d'avec l'homme, disent-ils, conserve
néanmoins dans ses lois, comme l'homme dans plusieurs de ses facultés,
une
disposition à rentrer dans l'unité originelle. Par ce double
rapport, la nature se met en
harmonie avec l'homme, de même que l'homme
se coordonne à son principe. Suivant la même doctrine, le
spiritualisme,
dont la voie lui avait été d'abord ouverte par Pasqualis, et ensuite
par
Jacob Boehme, n'était pas simplement la
science des esprits,
mais celle de
Dieu. Les
mystiques du
moyen-âge et ceux des derniers temps,
en s'unissant par la contemplation à leur principe, suivant la doctrine
de leur maître Rusbrock, étaient
absorbés en Dieu par l'affection.
Ici, disent les martinistes, c'est une porte plus élevée ce n'est
pas seulement la
faculté affective, c'est la faculté intellectuelle
qui connaît en elle son principe divin, et par lui le modèle de cette
nature que Malbranche voyait, non activement en lui-même, mais spéculativement en
Dieu, et dont
Saint-Martin voit le type dans son
être inérieur par une opération active et spirituelle, qui est le germe de la connaissance.
C'est vers ce but que tous ses ouvrages sont dirigés.
1° Des erreurs
et de la vérité, ou les hommes rappelés au principe universel
de la science, par un Ph... inc..., Edimbourg (
Lyon), 1775, in-8°.
Un court aperçu de cet ouvrage, le plus remarquable de ceux qu'a publiés
Saint-Martin, suffira pour faire apprécier ses autres productions. Autrefois,
selon lui, l'homme avait une armure impénétrable, et il était
muni d'une lance composée de quatre métaux et qui frappait toujours
en deux endroits à la fois ; il devait combattre dans une
forêt formée de 7
arbres, dont chacun avait 16 racines et 490 branches ; il devait occuper le centre de ce pays ; mais s'en étant
éloigné, il perdit sa bonne armure pour une autre qui ne valait
rien ; il s'était égaré en allant de 4 à 9, et il
ne pouvait se retrouver qu'en revenant de 9 à 4. Il ajoute que cette loi
terrible était imposée à tous ceux qui habitaient la région
des pères et des mères ; mais qu'elle n'était point comparable
à l'effrayante et épouvantable loi du nombre de 56, et que ceux
qui s'exposaient à celle-ci ne pouvaient arriver à 64 qu'après
l'avoir subie dans toute sa rigueur, etc., etc. Voilà sous quelles
énigmes
est cachée, ou plutôt voilà par quelles ridicules aberrations
s'annonce une doctrine qui compte encore des
sectaires ; qui au
XVème siècle eût fait élever des bûchers, mais qui dans le XVIIIème est restée tellement inaperçue, que le titre le plus exact et le plus mérité qu'ait obtenu son chez est celui de
Philosophe inconnu, qu'il s'était donné lui-même.
La suite des
Erreurs et de la vérité, etc. (Salomonopolis (
Paris), 1785, in-8°), a été signalée par
Saint-Martin comme frauduleuse et entachée du vice des
faux systèmes qu'il combattait (cf. Holbach).
2° Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers, avec l'
épigraphe (tirée de l'ouvrage précédent suivant l'usage :
Expliquer les choses par l'homme et non l'homme par les choses, 2 parties, Edimbourg (
Lyon), 1782, in-8°. Ces deux ouvrages ont paru en allemand,
avec commentaires par un anonyme, 2 tomes in-8°, 1784.
3° L'homme de désir,
Lyon, 1790, in-8°, revu et plusieurs fois réimprimé ; nouvelle
édition,
Metz, an 10 (1802),
in-12.
Saint-Martin composa cet ouvrage à
l'instigation du philosophe Thieman durant ses voyages à
et
à Londres. Lavater, dans son journal allemand de décembre 1790,
en fait l'éloge comme de l'un des livres qu'il avait le plus goûtés,
quoiqu'il avoue ingénument, quant au fond de la doctrine, l'avoir peu entendu.
Kirchberger le regarde comme le plus riche en
pensées lumineuses,
et l'auteur dit qu'en effet il s'y trouve
des germes épars çà
et là, dont il ignorait les propriétés en les semant,
et qui se développaient chaque
jour pour lui depuis qu'il avait connu Jacob
Boehme.
4° Ecce homo, imprimerie du cercle social, an 4 (1796),
in-12. Ce fut à
Paris qu'il écrivit
ceet opuscule, d'après une
notion vive (dit-il) qu'il avait eue
à
.
Son objet est de montrer à quel degré d'abaissement
l'homme infirme est déchu, et de le guérir du penchant au merveilleux
d'
un ordre inférieur, tels que le somnambulisme, les prophéties
du
jour, etc. Il avait plus particulièrement en
vue la
duchesse de Bourbon,
son amie de cur, modèle de vertus et de piété, mais livrée à ce même entraînement pour le merveilleux.
5° Le nouvel homme,
Paris, ibid., an 4 (1792), 1 vol. in-8°. C'est plutôt une exhortation qu'un enseignement. Il l'écrivit à
en 1790, par le conseil du chevalier Silverhielm, ancien aumônier du roi de Suède et neveu de Swedenborg. L'idée fondamentale de cet ouvrage est que l'homme porte en lui une espèce de
texte dont sa vie entière devrait être le développement, parce que l'
âme de l'homme, dit-il, est primitivement
une pensée de Dieu. Il a dit plus tard qu'il n'aurait pas écrit ce livre ou qu'il l'aurait écrit autrement, si alors il avait eu la connaissance des ouvrages de
Boehme.
6° De l'esprit
des choses, ou Coup d'il philosophique sur la nature des êtres et
sur l'objet de leur existence, avec l'
épigraphe :
Mens
hominis rerum universalitatis speculum est,
Paris, an 8 (1800), 2 vol. in-8°.
Saint-Martin pensait qu'il devait y avoir une raison à tout ce qui existait,
et que
l'il interne de l'observateur en était le
juge. Il
considère ainsi l'homme comme ayant en lui un miroir vivant qui lui réfléchit tous les objets et qui le porte à tout voir et à tout connaître ; mais ce miroir vivant étant lui-même un reflet de la Divinité, c'est par cette lumière que l'homme acquiert des idées saines et qu'il découvre l'
éternelle nature dont parle
Jacob Boehme.
Cet ouvrage est celui des
Révélations naturelles, dont l'auteur annonçait le projet en 1797 à
Kirchberger, et au
sujet duquel celui-ci conseillait à
Saint-Martin de supprimer tout ce
qui pouvait
sentir le mystère. Les
adeptes pensent que si l'
Anthropologie,
dont s'occupe un de ses
disciples, secondé de tout ce que les connaissances
modernes ont pu découvrir, embrassait les principes applicables aux diverses
branches de la science de l'homme physique, moral et intellectuel, on aurait
un véritable
Esprit des choses.
7° Lettre à
un ami, ou Considérations politiques philosophiques et religieuses sur
la révolution française,
Paris, an 3 (1795).
Saint-Martin
regardait la révolution française comme celle du genre humain
et comme
une image en miniature du jugement dernier, mais où les choses
devaient se passer successivement, à commencer par la France. Il
serait difficile, d'après ce galimatias, de deviner ce que furent à
cette époque les opinions du
philosophe inconnu ; mais on a dit
qu'il était lié avec des illuminés étrangers, et
que plusieurs de ceux qu'il appelait ses
amis étaient de ce parti.
8° Eclair sur
l'association humaine,
Paris, an 5 (1797), in-8°. L'auteur
découvre dans le principe de l'ordre social le foyer d'où émanent
la sagesse, la justice et la puissance, sans lesquelles il n'existe point d'association
durable, etc.
9° Réflexions
d'un observateur sur la question proposée par l'Institut
:
Quelles sont les institutions les plus propres à fonder la morale
d'un peuple, an 6 (1798). Après avoir passé en revue les divers
moyens qui peuvent tendre à ce but en liant la morale à la politique,
il montre l'insuffisance de ces moyens si le législateur n'assoit lui-même
sur les bases intimes de notre nature cette morale dont un gouvernement ne doit
être que le résultat mis en action. Il avait traité, quinze
ans auparavant, un sujet analogue proposé par l'académie de Berlin,
sur
la meilleure manière de rappeler à la raison les peuples
livrés à l'erreur ou aux superstitions, question qu'il croit
insoluble par les seuls moyens humains (mémoire inséré
dans ses uvres posthumes.
10° Discours
en réponse au citoyen Garat, professeur d'entendement humain aux écoles
normales, sur l'existence d'un sens moral et sur la distinction entre les sensations
et la connaissance. Ce discours, prononcé à la
suite d'une conférence publique (27
février 1795), se trouve imprimé
dans la collection des écoles normales (tome 3 des Débats), publiée
en 1801.
11° Essai relatif
à la question proposée par l'Institut : Déterminer l'influence
des signes sur la formation des idées, avec l'
épigraphe
:
Nascuntur ideæ, fiunt signa, an 7 (1799), 80 pages in-8°.
Un passage où le professeur soutenait l'antériorité des
signes sur les idées paraît avoir donné naissance à
la question de l'Institut, qui suppose cette antériorité, et à
laquelle l'auteur répond en traitant la question suivant des formes moitié
théosophiques, moitié académiques. dans l'
allégorie
facétieuse dont nous avons parlé, cet essai, qui s'y trouve intercalé,
quoique d'un ton bien différent, est censé l'ouvrage d'un petit-cousin
de madame
Jof (la Foi), tracé par un psychographe dans le cabinet
de
Sedir (le Désir). Ce sont les deux personnages allégoriques
principaux du livre qui a pour titre :
12° Le Crocodile
ou la guerre du bien et du mal, arrivée sous le règne de Louis
XV, poème épico-magique en 102 chants, etc., en
prose mêlée de vers ; ouvrage posthume d'un amateur de choses cachées,
Paris, an 7 (1799), in-8° de 460 pages ;
13° Le Ministère
de l'homme-esprit,
Paris, Migneret, an 11 (1802), in-8°,
3 parties :
De l'homme, De la nature, De la parole. L'objet
de ce livre est de montrer comment l'
homme-esprit (ou exerçant
un ministère spirituel) peut s'améliorer et régénérer
lui-même et les autres, en
rendant la parole ou le logos (le verbe)
à l'homme et à la nature.
14° Traductions d'ouvrages de
Jacob Boehme,
savoir :
1. L'Aurore
naissante ou la Racine de la philosophie, etc., contenant une
description de la nature dans son origine, etc., traduit sur l'édition
allemande de Gichtel, 1682, par le
Philosophe inconnu,
Paris, an 9 (1800),
in-8°. Cette nature originelle, que
Jacob Boehme appelle l'
éternelle
nature, et dont la nôtre serait une altération, n'est point
une nature sans
engendrement, puisqu'elle est l'émanation d'un
principe un et indivisible, que
Boehme considère comme
trinaire
dans son
essence et
septénaire dans ses formes ou modes. Un précis
de l'origine et des suites de l'altération de cette nature, suivant Jacob
Boehme, donné dans
Le Ministère de l'homme-esprit
(pp. 28-31), montre comment, en voulant dominer par le
feu, dans le premier
principe, au lieu de régner par l'
amour, dans le second, l'
esprit
prévaricateur entraîna dans sa chute l'homme, qui lui avait été
opposé ; comment, l'homme ayant été
absorbé
dans sa forme grossière, l'
amour divin voulut lui présenter son
modèle pour lui faire recouvrer sa ressemblance, etc.
Saint-Martin dit
au reste, avec Poiret, que l'auteur est à la fois sublime et obscur,
et qu'en particulier son
Aurore est un
chaos, mais qu'elle contient les
germes qui sont développés dans ses trois principes et dans ses
productions subséquentes.
2. Les
Trois principes de l'essence divine,
Paris, an 10 (1802), 2 vol.
in-8°. Cet ouvrage,
composé sept ans après l'
Aurore
naissante, est un peu moins informe ; et l'on peut le regarder
comme un tableau de la doctrine de l'auteur, sauf les éclaircissements
et les nouvelles explications que présentent les ouvrages suivants, quoiqu'ils
ne forment qu'une portion de ses uvres.
3. De
la triple vie de l'homme, revue par l'éditeur,
Paris,
Migneret, 1809, in-8°. C'est sur la manifestation de l'
origine de l'essence
et de la fin des choses, suivant
Les Trois principes,
qu'est établie cette
triple vie, comprenant la
vie extérieure
et corporelle, la
vie propre et interne et la
vie divine,
où l'
âme entre par une nouvelle naissance et pénètre
dans l'
esprit du Christ.
4. Quarante
questions sur l'âme, etc., suivies des six points et des
neuf textes, revus par le même,
Paris, 1807, in-8°. Ces questions
avaient été proposées à l'auteur par un amateur
de
théosophie, le docteur Balthasar Walter. Ces traductions forment à
peu près le tiers des uvres de
Boehme, dont il n'y avait que deux
ouvrages traduits jusqu'alors en vieux langage : la
Signatura
rerum, imprimée à Francfort en 1664, sous le nom
du
Miroir temporel de l'éternité,
et le second à Berlin, 1722,
in-12, intitulé
Le
Chemin pour aller à Christ.
15° uvres
posthumes de
Saint-Martin, 2 vol. in-8°,
Tours, 1807. On
distingue dans ce recueil :
1. un choix des pensées de
Saint-Martin,
par M. Tournier ;
2. un journal, depuis 1782, de ses relations, de ses
entretiens, etc., sous le titre de
Portrait de Saint-Martin
fait par lui-même ;
3. plusieurs questions et fragments
de littérature, de morale et de philosophie, entre autres un fragment
sur l'admiration et un parallèle entre Voltaire et Jean-Jacques Rousseau,
et un autre entre Rousseau et
Buffon (par Hérault de Séchelles)
;
4. des
poésies où, comme on le pense bien, l'auteur s'attachye
plus au fond qu'à la forme ;
5. des méditations et des
prières où se peint l'
homme de désir, qui forme
de nouveau le vu si souvent énoncé par l'auteur, pour que ses
semblables recherchent les vraies connaissances, les jouissances pures de l'
esprit,
en les puisant dans
leur propre centre, dans la source de la lumière
et de l'amour pour laquelle il avait soupiré toute sa vie.
[Note
de l'auteur de l'article : On a publié, en 1843, un ouvrage posthume
de Saint-Martin : Des nombres. M. Caro a fait paraître un Essai
sur la vie et les ouvrages de Saint-Martin, 1852, in-8° ; il a eu l'avantage
de pouvoir consulter sa longue correspondance inédite avec Kirchberger,
où les questions les plus délicates de la métaphysique
sont abordées. On a dit avec raison que le vaste et étrange système
de Saint-Martin était un mélange incompréhensible de pensées
sublimes et d'excentricités grossières, d'éloquence et
de déclamation, de lueurs divines et de rêves ténébreux,
où se révèle une hardiesse incomparable d'imagination.
Le panthéisme en est le dernier mot.]
Dictionnaire Bescherelle Louis-Claude de Saint-Martin, dit le
Philosophe inconnu, né à
Amboise en 1743, mort en 1803. La philosophie de
Saint-Martin fut un
mysticisme tout spiritualiste.
Son but est d'expliquer la nature par l'homme, et de ramener la nature et l'homme à leur principe, qui est
Dieu.
M. Bescherelle, aîné, Dictionnaire
national ou Dictionnaire universel de la langue française - Volume XXVII
(Sacellum - Soria), (1856), p. 1252.