Pour les francs-maçons, l'année débute
en mars, comme dans tout l'Occident sous
Charlemagne, et comme en Angleterre
avant 1752. C'est, nul ne l'ignore, Charles IX qui, en 1564, reporta,
en France, le nouvel an à
janvier. Auparavant, depuis le XIIe
siècle, l'
Eglise, modifiant la coutume du Haut
Moyen Age, avait
obtenu que le commencement de l'année fût fixé au
Samedi-Saint, c'est-à-dire la veille de Pâques. Le nombre
de
jours d'une année variait donc suivant la mobilité
de la fête de la
Résurrection.
Sur un autre point, la maçonnerie a conservé
une pratique très ancienne :
elle admet une ère,
l'E
:. M
:., qui a pour point de départ l'an 4000
av. J.-C. Notre année 1950 est donc pour elle l'an 5950. Toutefois,
janvier et
février 1950 ne sont à ses yeux que
janvier
et
février 5949, l'année 5950 ne commençant qu'au
1er mars.
D'où provient cette date de 4000 av. J.-C.
?
Jules Boucher, dans sa
Symbolique
Maçonnique (pp. 71-72), rappelle qu'un savant
prélat
anglican, James Usher, né à Dublin en 1580, et enterré
à Westminster sur l'ordre de Cromwell, qui avait apprécié
sa science, a fixé à 4004 avant l'ère chrétienne
la création du monde (
Annales veteris et
novi Testamenti, ouvrage publié de 1650 à 1654).
C'est cette supputation qui aurait été admise par les
francs-maçons, soucieux de prendre, pour point de départ
de la durée, la formation des choses par le Grand Architecte
de l'Univers. Ce qui appuie cette
vue, c'est que la chronologie d'Usher
cadre entièrement avec le système de James Anderson, l'auteur
du célèbre
Livre des Constitutions
des Francs-Maçons, publié en 1723.
Cette explication est fort plausible. Nous nous
demandons toutefois si la maçonnerie n'a pas, en réalité,
conservé obscurément, sur ce point comme sur tant d'autres,
des traditions anciennes, venues du néolithique. La date de 4000
ans
a toujours été populaire, et n'a pas été
connue seulement de quelques érudits. De vieux
noëls proclamaient
en France :
Depuis plus de 4000 ans, Nous l'annonçaient tous les prophètes
;
Depuis plus de 4000 ans,
Nous attendions cet heureux temps.
Comment supposer que ce chiffre de 4000 ait été,
en l'occurrence, choisi au hasard ?
Une coïncidence curieuse veut que la
théocratie
néolithique ait été établie sur la Grande
Montagne (les
Monts Ararat de la Bible, l'
Olympe
des Grecs, le
Merou de l'Inde, etc...) vers la fin du Ve millénaire
avant l'ère chrétienne (voir, à ce sujet, notre
ouvrage
Ce que fut le Déluge).
D'autre part, il est indiscutable que cette "
recréation"
du monde, opérée après la période dite diluvienne,
fut identifiée avec la création
primordiale,
le même
sacré, extrinsèque à l'espace et au temps, se trouvant
en cause. Il est établi, en outre, que la Grande
Montagne
fut confondue avec le Paradis Terrestre.
Ne peut-on pas considérer dès lors
: 1) que la tradition des 4000 ans a maintenu le vague souvenir de cet
inoubliable cuménisme
religieux, qui caractérisa
la fin du néolithique ; 2) que la maçonnerie a recueilli
de plusieurs sources cette tradition, et ne s'est pas fondée
uniquement sur l'uvre de James Usher, celle-ci elle-même
attestant d'ailleurs l'existence du courant de pensée envisagé
?
Les francs-maçons contemporains, qui semblent
avoir honte de ces 4000 ans, utilisent d'ailleurs, le plus souvent,
l'ère vulgaire pour dater leurs actes officiels. Ou bien, dans
le dessein d'adopter un usage de portée scientifique, ils ne
gardent que les trois derniers chiffres du millésime, et remplacent
le premier par un 8 couché (
symbole mathématique de l'
infini).
Ils reculent ainsi de façon illimitée le début de leur
ère, et les trois chiffres qui subsistent n'offrent plus dès
lors aucune espèce de sens. Mieux vaudrait vraiment, s'ils ont
souci de ne pas laisser le legs initiatique parvenu jusqu'à eux,
conserver sans fléchir les 4000 ans, qui les rattachent aux
dieux
de l'
Olympe, c'est-à-dire à la
théocratie initiatique
préhistorique. Une tradition ne doit jamais être abandonnée
à la légère.