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Cantique de l'Amour

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Ce cantique est tiré de l'ouvrage Histoire de saint François d'Assise, de Chavin de Mala (p. 576).
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      Amour de charité, pourquoi m'as-tu ainsi blessé ? Mon cœur, arraché de son sein, se consume d'amour.

      Il est enflammé, il brûle, il ne trouve point d'asile, il ne peut fuir parce qu'il est enchaîné. Il se consume comme la cire dans le feu, il meurt tout vivant, il languit doucement, il demande à pouvoir s'échapper un peu et il se trouve au milieu d'une fournaise. Hélas ! Où me conduira cette terrible défaillance ? C'est mourir que de vivre ainsi, tant l'ardeur de ce feu m'étouffe.

      Avant d'avoir fait cette épreuve, je demandais au Christ mon amour, pensant y trouver douceur, et m'y complaire dans une douce paix à une hauteur où aucune peine ne m'atteindrait ; mais j'éprouve un tourment que je ne pouvais m'imaginer, la chaleur fait éclater mon cœur, je ne puis faire comprendre ce que je souffre, je me meurs de douceur, et je vis privé de mon cœur.

      Mon cœur blessé par l'amour divin n'est plus à moi, je n'ai plus ni jugement, ni volonté, ni faculté de jouir ou de sentir ; toute beauté me semble une boue infecte, les délices et les richesses une perdition ; un arbre d'amour, chargé de fruits, est planté dans mon cœur et me donne la nourriture, il opère en moi un tel changement qu'il rejette au dehors tout ce qu'il y avait de volonté, d'intelligence et de vigueur.

      Pour acheter l'amour, j'ai donné sans réserve et le monde et moi-même ; si je possédais tout ce qui a été créé, je le donnerais sans balancer pour l'amour ; mais je trouve que l'amour m'a trompé : j'ai tout donné et je ne sais où je suis entraîné ; l'amour m'a anéanti, on m'a cru fou et puisque je suis vendu, je ne vaux plus rien.

      Le monde croyait me faire revenir, de même les amis qui sont hors de ce chemin d'amour ; mais celui qui s'est donné une fois ne peut plus se donner de nouveau, le serf ne peut pas être seigneur ; la pierre s'amollirait plutôt que l'amour ne cessât de me tenir ; toute ma volonté est brûlée d'amour, unie à lui, transformée en lui, consumée par lui.

      Ni le feu, ni le fer ne l'en séparerait ; la division ne peut entrer dans une telle union, la souffrance et la mort ne peuvent s'élever à la hauteur où elle est ravie : au-dessous d'elle, elle voit s'agiter toutes les créatures, elle se dresse elle-même au-dessus de tout. Ô mon âme, comment es-tu arrivée à posséder de tels biens ? C'est du Christ qu'ils te viennent ; embrasse-le donc avec douceur.

      Je ne puis plus voir de créature, toute mon âme crie vers le Créateur ; ni le ciel ni la terre n'ont rien qui me soit doux : tout s'efface devant l'amour du Christ ; la lumière du soleil me paraît obscure quand je vois cette face resplendissante ; les chérubins si beaux pour enseigner, les séraphins pour aimer, ne sont rien pour qui voit le Seigneur.

      Que personne ne me fasse de reproches si un tel amour me rend fou. Il n'y a pas de cœur qui se défende et qui puisse fuir devant les chaînes de l'amour. Qu'on devine si dans une telle fournaise le cœur ne peut pas se fendre et ne peut pas souffrir. Oh ! Si je pouvais trouver une âme qui pût me comprendre, avoir pitié de moi, et savoir toutes les angoisses de mon cœur !

      Le ciel et la terre, toutes les créatures me crient que je dois aimer ; chacun me dit : « De tout mon cœur aime l'amour qui t'aime, aime l'amour qui te désire, et qui t'a fait pour t'attirer tout entier à lui. » Aussi je veux puiser sans cesse à cette pieuse lumière, à cette ineffable bonté qui se répand au dehors.

      Je voudrais aimer plus si je pouvais plus, mais mon cœur ne peut trouver davantage. Je ne puis pas donner plus que moi-même, quand même le voudrais-je, c'est une chose évidente. J'ai tout donné pour posséder cet amant qui fait de moi un homme nouveau depuis que je t'ai trouvé, ô bonté ancienne et toujours nouvelle, lumière immense dont l'éclat est si doux.

      A la vue de tant de beauté, je suis entraîné hors de moi-même sans savoir où je suis porté ; mon cœur s'amollit comme une cire fondue et du Christ la figure s'y retrace. Jamais on ne vit en moi pareille métamorphose ; pour vêtir le Christ, je me suis tout dépouillé moi-même. Mon cœur se transforme, son cri est l'amour, mon âme s'anéantit tant elle est plongée dans les délices. Mon âme doucement enchaînée se précipite dans les embrassements du bien-aimé et plus elle contemple sa beauté, plus elle est hors d'elle-même ; riche du Christ elle met tout en lui, elle n'a plus aucun souvenir d'elle-même ; elle ne s'inquiète plus de se procurer quoi que ce soit, elle est incapable de rien perdre, elle ne se sent plus.

      Transformée dans le Christ, elle est presque devenue le Christ ; unie à Dieu, elle est toute divine ; ses magnifiques richesses dépassent toute grandeur ; tout ce qui est au Christ est à elle, elle est reine. Puis-je donc demeurer triste encore et demander un remède à mes fautes ? Il n'y a plus en moi de sentine où se trouve le péché, le vieil homme est mort et dépouillé de toutes ses souillures.

      Dans le Christ a pris naissance une nouvelle créature ; je me suis dépouillé du vieil homme et je suis devenu un homme nouveau ; mais l'amour est si ardent que mon cœur est fendu comme par un glaive ; ce feu m'enlève mon âme et mes pensées, le Christ si beau m'entraîne tout entier, je m'embrase en le voyant et je pousse un cri d'amour : « Ô amour que tant je désire, fais-moi mourir d'amour. »

      Pour toi, ô amour, je me consume et je languis, je vais poussant des cris et cherchant les baisers ; quand tu pars, ma vie se change en mort, je soupire, je gémis pour te retrouver ; et quand tu reviens mon cœur se dilate pour qu'en toi il puisse se transformer tout entier ; donc plus de retard, ô amour, et souviens-toi de moi, tu me tiens enchaîné, consume mon cœur.

      Doux amour, regarde ma peine ; je ne puis plus supporter une telle ardeur. L'amour s'est emparé de moi ; je ne sais plus où je suis, je ne sens plus ce que je dis et ce que je fais ; comme un homme égaré, je m'en vais par le chemin ; je tombe épuisé à force de languir, je ne sais comment soutenir pareil tourment ; la douleur qu'il me cause a ravi mon cœur.

      Mon cœur m'a été ravi, et je ne puis plus voir ce que j'ai à faire et même ce que je fais, et ceux qui me voient me demandent si un amour sans acte peut te plaire, ô Christ ; mais s'il ne te plaît pas, que puis-je faire alors ? D'une telle abondance, mon âme est épuisée ; l'amour qui m'embrase m'enlève toute action, toute volonté, toute initiative ; je perds tout sentiment.

      Je savais parler autrefois, maintenant je suis muet ; je voyais et je suis tombé aveugle ; non, jamais il n'y eut si grand abîme ; je me tais et je me parle ; je fuis et je suis lié ; je tombe et je monte, je tiens et je suis tenu, je suis à la fois dedans et dehors, je poursuis et je suis poursuivi. Amour insensé, pourquoi m'affoler et me faire mourir dans une fournaise si brûlante ?


LE CHRIST

      Mets de l'ordre en ton amour, ô toi qui m'aimes ; il n'existe point de vertu sans ordre ; puisque tu désires tant me trouver, renouvelle mon âme par la vertu, pour m'aimer je veux bien que tu m'appelles, mais que ta charité soit réglée ; l'arbre se fait connaître à la bonté de ses fruits, l'ordre préside à tout et donne à tout sa valeur.

      Toutes les choses que j'ai créées ont été faites avec nombre et mesure, elles sont toutes ordonnées à leur fin ; c'est l'ordre qui leur conserve leur valeur, et la charité, plus que toute autre, a naturellement besoin d'être réglée. Es-tu donc, ô âme, par ton ardeur devenue insensée ? C'est que tu es sortie de l'ordre et que ta ferveur n'a pas de frein.


L'ÂME

      Ô Christ, tu m'as ravi le cœur, et tu dis à mon âme de mettre de l'ordre dans mon amour ? Comment, depuis que je suis changé en toi, puis-je être resté maître de moi-même ? Comme le fer tout rougi au feu, comme l'air illuminé des rayons du soleil pendant leurs formes et revêtent une autre figure, ainsi change toute l'âme pure revêtue de ton amour.

      Et dès qu'elle a perdu sa vertu propre, elle est impuissante à agir par elle-même ; telle elle est formée, telle est sa vertu, tels sont ses œuvres et les fruits qu'elle peut produire. Si donc elle est transformée en la vérité et en toi seul, ô Christ qu'il est si doux d'aimer, c'est à toi et non à moi qu'il faut imputer les actes que je fais, et si je cesse de te plaire, ô amour, c'est que tu ne te plais plus à toi-même.

      S'il est vrai que je sois insensé, ô sagesse suprême, c'est à toi qu'en est la faute ; cela date du jour où tu me blessas et que je fis un pacte avec l'amour ; je me suis dépouillé de moi-même et revêtu de toi ; à une vie nouvelle, je ne sais comment je fus attiré ; j'étais dans l'abattement le plus complet ; mais l'amour m'a rendu fort, les portes se sont brisées et j'habite avec toi, ô amour.

      Dans une telle fournaise, pourquoi m'as-tu conduit si tu voulais que je pusse me contenir ? En te donnant à moi sans mesure, tu m'as ôté toute mesure ; puisque étant tout petit tu me suffisais, aujourd'hui que tu es grand, je ne puis plus te posséder ; et s'il y a folie, ô mon amour, cela vient de toi, non de moi ; et cette voie, c'est toi qui me l'as tracée, ô amour.

      Tu ne t'es pas défendu de l'amour, du ciel en terre il t'a fait venir, ô amour ; et tu es descendu à un tel abaissement que tu as cheminé par le monde comme un homme méprisé ; tu n'as voulu ni demeure, ni biens, et cette pauvreté était pour nous enrichir ; dans ta vie, en ta mort tu nous as donné des signes indubitables de l'amour sans mesure qui brûlait en ton cœur.

      Comme un homme ivre, tu as marché par le monde, l'amour te conduisait comme un esclave ; en toutes chose, ô amour, tu montrais que tu ne pensais pas à toi-même ; debout à la porte du temple, tu criais : « Qu'il vienne boire, celui qui a souffert de la soif d'amour ; il lui sera donné un amour sans mesure qui le rassasiera et le consolera. »

      La sagesse ne t'a point empêché de répandre sans cesse ton amour. Tu naquis de l'amour et non de la chair, ô amour incarné, pour nous sauver. Pour nous embraser, tu courus à la croix, et je sais que si tu n'as point parlé, si ton amour ne s'est pas excusé devant Pilate, c'est pour accomplir notre rachat sur la croix de l'amour.

      Je vois que la sagesse se cachait et l'amour seul se laissait voir, la puissance ne se montrait plus, et la force avait cessé de plaire ; il était grand l'amour qui s'épandait ainsi : il n'exprimait dans son regard, dans son cœur, pas d'autres sentiments que ceux de l'amour ; l'amour était enchaîné sur la croix, l'homme était étreint dans un amour immense.

      Si donc, ô Jésus, je suis tant épris d'amour, si je suis enivré d'une telle douceur, qui peut m'en faire des reproches, qui peut me reprendre si je vais comme un fou où je ne veux pas, et si je perds tout sentiment et toute force ? Puisque l'amour t'a aussi lié et dépouillé de toute grandeur, qui donc aura la hardiesse de m'empêcher de devenir insensé pour t'embrasser, ô mon amour ?

      Cet amour qui m'a rendu fou semble bien t'avoir ôté la sagesse ; et cet amour qui me fait languir, t'a enlevé toute puissance à cause de moi ; non je ne veux plus, je ne peux plus souffrir, je suis le captif de l'amour, je ne résisterai plus ; l'arrêt en est fixé, je vais mourir, je ne veux pas d'autre consolation que de mourir d'amour.

      Amour, amour qui m'as blessé de la sorte, je ne puis plus pousser qu'un cri : Amour ! Je te suis uni d'amour, je ne puis plus t'embrasser que par amour. Amour, amour qui m'as blessé de la sorte, mon cœur toujours défaille d'amour, je me pâme en toi ; ô amour, laisse-moi avec toi, et par bonté laisse-moi mourir d'amour.

      Amour, amour, ô Jésus, je touche au port ; amour, amour, ô Jésus, prends-moi ; amour, amour, ô Jésus, viens à mon secours, amour, amour à Jésus qui m'enflamme ainsi ; amour, amour, ô Jésus, je me meurs d'amour ; reçois-moi près de toi, ô amour, embrase-moi toujours ; transforme-moi en toi, ô amour, dans la vérité, dans la charité suprême.

      Amour, amour, c'est le cri du monde entier ; amour, amour, c'est la clameur de toute chose ; amour, amour, telle est ta profondeur que plus on s'attache à toi et plus on te désire ; amour, amour, tu es le cercle qui environne tout mon cœur, celui qui te possède t'aime à jamais ; tu es ma nourriture et mon vêtement, celui qui t'aime est si heureux de te posséder, de goûter ta présence qu'il crie sans cesse : Amour !

      Amour, amour, tu me fais tant souffrir que je ne puis plus durer ; amour, amour, tu m'en accordes tant que je pense en mourir ; amour, amour, tu as tant d'emprise en moi ; transforme-moi en toi ; amour, douce langueur, amour, mon désir, amour, mes délices, enchaîne-moi dans l'amour.

      Amour, amour, mon cœur se brise, tant il est blessé ; amour, amour, entraîne-moi vers ta beauté, que par toi je sois ravi ; amour, amour, ne me dédaigne pas, mon âme te reste unie ; amour, amour, tu es ma vie, oh ! ne t'en éloigne pas puisque tu l'as fait languir d'amour.

      Dans ces angoisses d'amour, amour, amour, ô mon Jésus désirable, je veux mourir en t'embrassant, ô Jésus, mon doux époux ; amour, amour, je te demande à mourir, ô Jésus compatissant, prends-moi, transforme-moi en toi, pense que je m'en vais en me mourant d'amour ; je ne sais plus où je suis ; Jésus, mon espérance, anéantis-moi dans l'amour.

Saint François d'Assise




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