LIVRE TROISIÈME
Le Mystère sacerdotal ou l'Art de se faire servir par les esprits
CHAPITRE IX : Le Mouvement perpétuel
Le mouvement perpétuel, c'est la loi éternelle
de la vie.
Partout, il se manifeste comme la respiration dans
l'homme, par attraction et par répulsion.
Toute action provoque une réaction, toute
réaction est proportionnelle à l'action.
Une action harmonieuse produit sa correspondante
en
harmonie. Une action discordante nécessite une réaction
en apparence désordonnée mais en réalité
équilibrante.
Si vous opposez la violence à la violence,
vous perpétuez la violence ; mais si à la violence vous
opposez la
force de la douceur, vous faites triompher la douceur et
vous brisez la violence.
Il y a des vérités qui paraissent
opposées les unes aux autres parce que le mouvement perpétuel
les fait triompher tour à tour.
Le
jour existe et la nuit existe aussi ; ils existent
simultanément, mais pas sur le même hémisphère.
Il y a de l'ombre dans le
jour, il y a des lueurs
dans la nuit, et l'ombre, dans le
jour, rend le
jour plus éclatant,
comme les lueurs dans la nuit font paraître la nuit plus noire.
Le
jour visible et la nuit visible n'existent ainsi
que pour nos yeux. La lumière éternelle est invisible
aux yeux mortels et elle remplit l'immensité.
Le
jour des
âmes, c'est la vérité,
et la nuit pour elles, c'est le mensonge.
Toute vérité suppose et nécessite
un mensonge à cause de la limite des formes, et tout mensonge
suppose et nécessite une vérité dans les rectifications
du fini par l'
infini.
Tout mensonge contient une certaine vérité
qui est la précision de la forme, et toute vérité
pour nous est enveloppée d'un certain mensonge qui est le fini
de son apparence.
Ainsi est-il vrai ou seulement probable qu'il existe
un immense individu ou trois individus qui n'en font qu'un, lequel est
invisible et récompense ceux qui le servent en se laissant voir
par eux, est présent partout même en enfer ou il torture
les damnés en les privant de sa présence, veut le salut
de tous et ne donne sa grâce efficace qu'à un très
petit nombre, impose à tous une loi terrible en permettant tout
ce qui peut en rendre la promulgation douteuse, existe-t-il un pareil
Dieu ? Non, non et certainement non, l'existence de
Dieu affirmée
sous cette forme est une vérité déguisée
et toute enveloppée de mensonges.
Doit-on reconnaître que tout a été
et sera, que la substance éternelle se suffit à elle-même
étant déterminée à la forme par le mouvement
perpétuel, qu'ainsi tout est
force et matière, que l'
âme
n'existe pas, la pensée n'étant que le travail du cerveau
et
Dieu ne saurait être autre chose que la
fatalité de
l'être ? Non certainement, car cette négation absolue de
l'intelligence répugnerait même à l'instinct des
bêtes. Il est évident que l'affirmation contraire nécessite
la croyance en
Dieu.
Ce
Dieu s'est-il manifesté en dehors de
la nature et personnellement aux hommes leur imposa des idées
contraires à la nature ou à la raison ?
Non certainement, car le fait de cette révélation,
si elle existait, serait évidente pour tous : et de plus quand
même le fait d'une manifestation extérieure venant d'un
être inconnu serait d'une incontestable réalité,
si cet être s'est montré en opposition avec la raison et
la nature qui viennent de
Dieu, il ne saurait être
Dieu. Moïse,
Mahomet, le Pape et le Grand
Lama disent que
Dieu a parlé et
qu'il a dit à chacun d'eux que les autres étaient des
menteurs. Mais alors ils sont tous des menteurs ?
Non, ils se trompent quand ils se
divisent et
disent vrai quand ils s'accordent.
Mais
Dieu leur a-t-il ou ne leur a-t-il pas
parlé ?
Dieu n'a ni bouche ni langue pour parler à la
manière des hommes. S'il parle, c'est dans les consciences et
nous pouvons tous entendre sa voix.
C'est lui qui approuve dans nos curs la parole
de
Jésus, celle de Moïse quand elle est sage et celle de
Mahomet quand elle est belle.
Dieu n'est pas loin de chacun de nous,
dit St Paul, car c'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons
et que nous sommes.
Heureux les curs purs, dit le Christ, car
ils verront
Dieu. Or voir
Dieu qui est invisible, c'est le sentir dans
sa conscience, c'est l'écouter parler dans son cur.
Le
Dieu d'
Hermès, celui de Pythagore, d'Orphée,
celui de
Socrate, celui de Moïse et de Jésus-Christ ne font
qu'un seul et même
Dieu et il leur a parlé à tous.
Cléanthe le lycon était inspiré comme David et
la
légende de Chrisna est aussi belle que, l'
évangile
de saint
Mathieu. Il y a d'admirables pages dans le Koran ; mais il
y en a de stupides et de hideuses dans la
théologie de tous les
cultes.
Le
Dieu de la Kabbale, celui de, Moïse et
de
Job, le
Dieu de Jésus-Christ, d'Origène et de Synésius
ne peut pas être celui des auto-da-fés.
Les mystères du Christianisme tels que les
entendent St Jean l'
Evangéliste et les savants pères de
l'
Eglise sont sublimes ; mais les mêmes mystères expliqués
ou plutôt rendus inexplicables par les Garassus, les Escobar et
les Veuillot sont ridicules et
immondes. Le culte
catholique est splendide
ou pitoyable selon les
prêtres et les temples.
Ainsi l'on peut dire avec égale vérité
que le dogme est vrai et qu'il est
faux, que
Dieu a parlé et
qu'il n'a point parlé, que l'
Eglise est infaillible et qu'elle
se trompe tous les
jours, qu'elle détruit l'esclavage et conspire
contre la
liberté, qu'elle élève l'homme et qu'elle
l'abrutit.
On peut trouver d'admirables croyants parmi ceux
qu'elle appelle athées et des athées parmi ceux qui se
donnent à elle pour des croyants. Comment sortir de ses contraditions
flagrantes ? En nous rappelant qu'il y a de l'ombre dans le
jour et
des lueurs dans la nuit, en ne négligeant pas de recueillir le
bien qui souvent se trouve dans le mal et en nous gardant du mal qui
peut se mêler avec le bien.
Le pape Pie IX a donné sous le nom de Syllabus
une série de propositions qu'il condamne et dont la plupart semblent
être incontestablement vraies au point de
vue de la science et
de la raison. Chacune de ces propositions cependant renferme et cache
un sens
faux qui est légitimement condamné. Devons-nous
pour cela renoncer au sens vrai et naturel qu'elles présentent
au premier abord ? Quand l'autorité joue à cache-cache
la cherchera qui voudra, quant à nous il nous suffit de la reconnaître
quand elle se montre.
L'intelligent
évêque d'
Orléans,
le belliqueux seigneur Dupanloup, a prouvé en opposant le Pape
à lui-même que le Syllabus ne signifie pas et ne saurait
signifier ce qu'il semble dire. Si c'est un logogryphe, passons, nous
qui ne sommes pas
initiés aux profondeurs de la cour de Rome.
Combien de grandes vérités sont cachées
sous des formules dogmatiques obscures en apparence jusqu'au ridicule
le plus complet ? En veut-on des exemples ? Si l'on racontait à
un philosophe chinois que les
Européens adorent comme étant
le
Dieu suprême des univers un
Juif mort du dernier supplice et
qu'ils pensent ressusciter tous les
jours ce juif qu'ils mangent en
chair et en os sous la figure d'un petit pain, le
disciple de Confucius
n'aurait-il pas quelque peine à croire capables de ces énormités
des peuples qui à ses yeux, il est vrai, sont des barbares mais
enfin ne sont pas tout-à-fait des sauvages ; et si l'on ajoutait
que ce
Juif est né par l'incubation d'un
esprit dont la forme
est celle d'un pigeon et qui est le même
Dieu que le
Juif, d'une
femme qui était avant et pendant l'accouchement restée
matériellement et physiquement vierge, croyez-vous que son étonnement
et son mépris n'irait pas jusqu'au dégoût ? Mais
si le retenant par la manche, on lui criait dans l'oreille que le
Juif
Dieu est venu au monde pour mourir dans les tourments afin d'apaiser
son père le
Dieu des Juifs qui trouvait que ce n'était
pas assez juif et qui à l'occasion de la mort de son fils a aboli
le Judaïsme que lui-même avait juré devoir être
éternel, n'entrerait-il pas dans une véritable colère
?
Tout dogme pour être vrai doit cacher sous
une formule énigmatique un sens
éminemment raisonnable.
Il doit avoir deux faces comme la tête divine du
Zohar,
une de lumière et une d'ombre.
Si le dogme chrétien, expliqué dans
son
esprit, n'était pas acceptable pour un Israélite pieux
et éclairé, il faudrait dire que ce dogme est
faux et
la raison en est simple, c'est qu'à l'époque où
le Christianisme s'est produit dans le monde, le Judaïsme était
la vraie
religion et que
Dieu, même, rejetait, devait rejeter
et doit rejeter toujours, ce que cette
religion n'admettait pas. Il
est donc impossible que nous puissions adorer un homme ou une chose
quelconque. Nous devons être attachés, avant tout, au
Théisme
pur et au spiritualisme de Moïse. Notre communication des idiomes
n'est pas une confusion de nature ; nous adorons
Dieu en Jésus-Christ,
et non Jésus-Christ à la place de
Dieu. Nous croyons que
Dieu se révèle dans l'humanité même, qu'il
est en nous tous avec l'
esprit du Sauveur, et cela, certes, n'a rien
d'absurde. Nous croyons que l'
esprit du Sauveur, c'est l'
esprit de
charité,
l'
esprit de piété, l'
esprit d'intelligence, l'
esprit de
science et de bon conseil, et, dans tout cela, je ne vois rien qui ressemble
au fanatisme aveugle. Nos dogmes de l'Incarnation, de la
Trinité,
de
Rédemption, sont aussi anciens que le monde et ressortent
même de cette doctrine cachée que le mosaïsme réservait
pour ses docteurs et ses
prêtres. L'
arbre des Sephiroth est une
exposition admirable du mystère de la
Trinité. La déchéance
du grand
Adam, cette
conception gigantesque de toute l'humanité
déchue, demande un réparateur non moins immense que devra
être le
Messie mais qui se manifestera avec la douceur du petit
enfant se jouant avec les
lions et appelant à lui les petits
de la
colombe. Le Christianisme bien compris, c'est le plus parfait
Judaïsme
moins la circoncision et les servitudes rabbiniques, plus la foi, l'espérance
et la
charité dans une admirable communion.
Il est aujourd'hui bien avéré pour
les gens instruits que les sages égyptiens n'adoraient ni les
chiens, ni les
chats, ni les légumes. Le dogme secret des
initiés
était précisément celui de Moïse comme celui
d'Orphée. Un seul
Dieu universel,
immuable comme la loi, fécond
comme la vie, révélé dans toute la nature, pensant
dans toutes les intelligences,
aimant dans tous les
cœurs, cause et
principe de l'être et des êtres sans se confondre avec eux,
invisible, inconcevable, mais existant certainement puisque rien ne
saurait exister sans lui.
Ne pouvant pas le voir, les hommes l'ont rêvé
et la diversité des
dieux n'est autre chose que la diversité
de leurs rêves.
Si tu ne rêves pas comme moi, tu seras éternellement
réprouvé se disent les uns aux autres les
prêtres
des différents cultes. Ne raisonnons pas comme eux ; attendons
l'heure du réveil.
Sous un titre que Michelet a déjà
lancé dans la publicité, on pourrait faire un fort beau
livre. Ce serait une
concordance de la Bible, des Pourânas, des
Védas, des livres d'
Hermès, des hymnes d'
Homère,
des maximes de Confucius, du Coran, de Mahomet et même des Eddas,
des
Scandinaves. Cette compilation, dont le résultat serait certainement
catholique, pourrait s'appeler légitimement la Bible de l'Humanité
; au lieu de faire ce travail, ce vieillard, trop galant et trop fleuri,
l'a seulement indiqué et en a légèrement ébauché
la préface.
La
religion, dans son
essence, na jamais changé,
mais chaque âge, comme chaque nation, a ses préjugés
et ses erreurs. Pendant les premiers siècles du Christianisme,
on croyait que le monde allait finir et l'on dédaignait tout
ce qui embellit la vie. Les sciences, les arts, le
patriotisme, l'
amour
de la famille, tout, tombait dans l'oubli devant les rêves du
ciel. Les uns couraient au
martyre, les autres au désert, et
l'empire tombait en ruines. Puis vint la folie des disputes
théologiques
et les Chrétiens s'entr'égorgeaient pour des mots qu'ils
n'entendaient pas. Au
Moyen-Age, la simplicité des
Evangiles
fit place aux arguties de l'école et les superstitions pullulèrent.
A la Renaissance, le matérialisme reparut, le grand principe
de l'unité fut méconnu et le
Protestantisme sema, dans
le monde, des
Eglises de fantaisie. Les
Catholiques furent sans
miséricorde
et les
Protestants furent implacables.
Puis vint le sombre
Jansénisme avec ses
dogmes affreux, le
Dieu qui sauve et damne par caprice, le culte de
la tristesse et de la mort. La Révolution imposa ensuite la
liberté
par la terreur, l'égalité à coups de
hache et la
fraternité dans le sang. Il s'ensuivit une réaction lâche
et perfide. Les intérêts menacés prirent le masque
de la
religion et le coffre-fort fit alliance avec la
croix. C'est encore
là que nous en sommes. Les
anges gardiens du
Sanctuaire sont
remplacés par des
zouaves et le royaume de
Dieu, qui souffre
violence dans le
ciel, résiste à la violence sur la terre,
non plus avec le détachement et les prières, mais avec
de l'
argent et des baïonnettes. Juifs et
Protestants grossissent
le denier de saint Pierre. La
religion n'est plus une chose de foi,
c'est une affaire de parti.
Il est évident que le Christianisme n'a
pas encore été compris et qu'il réclame enfin sa
place ; c'est pour cela que tout tombe et que tout tombera tant qu'il
ne sera pas établi dans toute sa verité et dans toute
sa puissance pour
fixer l'
équilibre du monde.
Les agitations que nous traversons n'ont donc rien
qui trouble, elles sont le résultat du mouvement perpétuel
qui renverse tout ce que les hommes veulent opposer aux lois de son
éternelle balance.
Les lois qui gouvernent le monde régissent
aussi les destinées de tous les individus humains : l'homme est
né pour le repos, mais non pas pour l'oisiveté. Le repos
pour lui, c'est la conscience du son propre
équilibre, mais il
ne peut renoncer an mouvement perpétuel puisque le mouvement
c'est la vie. Il faut le subir ou le diriger. Lorsqu'on le subit, il
vous brise ; lorsqu'on le dirige, il vous régénère.
Il doit y avoir balance et non pas antagonisme entre l'
esprit et le
corps. Les soifs insatiables de l'
âme sont aussi funestes que
les appétits déréglés de la chair. La concupiscence,
loin de se calmer, s'irrite par les privations insensées. Les
souffrances du
corps rendent l'
âme triste et impuissante et elle
n'est véritablement reine que quand les organes, ses sujets,
sont parfaitement libres et apaisés.
Il y a balance et non pas antagonisme entre la
grâce et la nature, puisque la grâce est la direction que
Dieu donne lui-même à la nature. C'est par la grâce
du Très-Haut que les printemps fleurissent, que les étés
portent des épis, et les automnes des raisins. Pourquoi donc
dédaignerions-nous les
fleurs qui charment nos sens, le pain
qui nous soutient, et le vin qui nous fortifie ? Le Christ nous apprend
à demander à
Dieu le pain de chaque
jour. Demandons lui
aussi les
roses de chaque printemps et les ombrages de chaque été.
Demandons lui, pour chaque cur au moins, une vraie amitié,
et pour chaque existence un honnête et sincère
amour.
Il y a balance et il ne doit jamais y avoir antagonisme
entre l'homme et la femme. La loi d'union, entre eux, c'est le dévouement
mutuel. La femme doit captiver l'homme par l'attrait, et l'homme émanciper
la femme par l'intelligence. C'est là l'
équilibre intelligent
en dehors duquel on tombe dans l'égoïsme fatal.
A l'anéantissement de la femme par l'homme
correspond l'avilissement de l'homme par la femme. Vous faites de la
femme une chose qu'on achète, elle se surfait et elle vous ruine.
Vous en faites une créature de chair et de fange, elle vous corrompt
et elle vous salit.
Il y a balance et il ne saurait y avoir antagonisme
réel entre l'ordre et la
liberté, entre l'obéissance
et la dignité humaine.
Personne n'a droit au pouvoir despotique et arbitraire.
Non, personne, pas même
Dieu. Personne n'est le maître absolu
de personne. Le berger même n'est pas maître ainsi de son
chien.
La loi du monde intelligent, c'est la tutelle ; ceux qui doivent obéir
n'obéissent que pour leur bien ; on dirige leur volonté
mais on ne la subjugue pas ; on peut engager sa volonté mais
on ne l'aliène jamais.
Etre roi, c'est se dévouer pour protéger
les droits du roi contre ceux du peuple, et plus le roi est puissant
plus le peuple est véritablement libre. Car la
liberté
sans discipline et sans protection est la pire des servitudes. Elle
devient alors l'
anarchie qui est la
tyrannie de tous dans le conflit
des
factions. La vraie
liberté sociale, c'est l'
absolutisme de
la justice.
La vie de l'homme est alternée ; tour à
tour, il veille et il dort, plongé par le sommeil dans la vie
collective et universelle ; il rêve son existence personnelle
sans avoir conscience du temps et de l'espace. Rendu à la vie
individuelle et responsable, à l'état de veille, il rêve
son existence collective et éternelle. Le rêve, c'est la
lueur dans la nuit. La foi aux mystères
religieux, c'est l'ombre
qui apparaît au fond du
jour.
L'éternité de l'homme est probablement
alternée comme sa vie et doit se composer de veilles et de sommeils.
Il rêve quand il croit vivre dans l'empire de la mort, il veille
lorsqu'il continue soit immortalité et se ressouvient de ses
rêves.
Dieu, dit la Genèse, envoya le sommeil sur
Adam et pendant qu'il dormait, il tira de lui la Chavah afin de lui
donner une auxiliaire semblable à lui -- et
Adam s'écria
: Ceci est la chair de ma chair et les os de mes os.
N'oublions pas que dans le chapitre précédent,
l'auteur du livre sacré déclare qu'
Adam avait été
créé mâle et
femelle, ce qui exprime assez clairement
qu'
Adam n'est pas un individu isolé mais est pris pour l'humanité
toute entière. Qu'est-ce donc que cette Chavah ou Héva
qui sort de lui pendant son sommeil pour lui servir d'auxiliaire et
qui doit plus tard le vouer à la mort ? N'est-ce pas la même
chose que la Maya des Indiens, le récipient corporel, la forme
terrestre qui est l'auxiliaire et comme la forme de l'
esprit mais qui
se sépare de lui, dont il s'éveille ce que nous appelons
la mort ?
Quand l'
esprit s'endort après un
jour de
la vie universelle, il praduit de lui-même sa
Chavah ;
il pousse autour de lui sa chrysalide et ses existences dans le temps
ne sont pour lui que des rêves qui le reposent des travaux de
son éternité.
Il monte ainsi l'échelle des mondes pendant
son sommeil seulement, jouissant pendant son éternité
de tout ce qu'il acquiert de connaissances et de
force nouvelle dans
ces accouplements avec la Maya dont il doit se servir sans en devenir
jamais l'esclave. Car la Maya triomphante jetterait sur son
âme
un voile que le réveil ne déchirerait plus, et pour avoir
caressé le
cauchemar, il serait exposé à se réveiller
fou, ce qui est le véritable mystère de la vie éternelle.
Quels êtres sont plus à plaindre que
les fous, et cependant pour la plupart ils ne sentent pas leur épouvantable
malheur. Swedenborg a osé dire une chose qui, pour être
dangereuse, ne nous en semble pas moins touchante. Il dit que les réprouvés
prennent les horreurs de l'enfer pour des beautés, ses ténèbres
pour des lumières et ses tourments pour des plaisirs. Ils sont
comme ces suppliciés d'Orient qu'on enivre avec des narcotiques
avant de les livrer aux bourreaux.
Dieu ne peut empêcher la peine d'atteindre
les violateurs de sa loi, mais il trouve que c'est assez de la mort
éternelle, et ne veut pas y
joindre la douleur. Ne pouvant détourner
le fouet des
furies, il rend insensible les malheureux qu'elles vont
frapper.
Nous ne saurions admettre cette idée de
Swedenborg, parce que nous ne croyons qu'à la vie éternelle.
Ces damnés
idiots et hallucinés, se délectant dans
les ombres infectes, et cueillant des champignons vénéneux
qu'ils prennent pour des
fleurs, nous semblent inutilement punis puisqu'ils
n'ont pas conscience de leur châtiment. Cet enfer qui serait un
hôpital de gâteux, est moins beau que celui du Dante,
gouffre
circulaire qui devient plus étroit à mesure qu'on y descend
et qui finit, derrière les trois têtes du
serpent symbolique,
par un sentier étroit où il suffit de se retourner pour
remonter vers la lumière.
La vie éternelle, c'est le mouvement perpétuel
et, pour nous, l'éternité ne peut être que l'infinité
du temps.
Supposez que toute la félicité du
ciel consiste à dire
Alleluia, avec une palme dans la
main et une
couronne sur la tête, et, qu'après cinq cents
millions d'alléluia ce sera toujours à recommencer (effrayant
bonheur), mais, enfin, à chaque alleluia, on pourra assigner
un nombre ; il y en aura un en avant, il y en aura un autre après
; il y aura succession, il y aura durée, ce sera le temps enfin,
ce sera le temps, puisque cela commencera.
L'Eternité n'a ni commencement, ni fin.
Une chose est certaine, c'est que nous ne savons
absolument rien des mystères de l'autre vie ; mais il est certain,
aussi, qu'aucun de nous ne se souvient d'avoir commencé, et que
l'idée de ne plus être révolte, également
en nous, le sentiment et la raison.
Jésus-Christ dit que les justes iront dans
le
ciel, et il appelle le
ciel la maison de son père ; il assure
que dans cette maison il y a d'innombrables demeures, ces demeures sont
évidemment les étoiles. L'idée, ou, si l'on veut,
l'hypothèse des existences renouvelées dans les astres,
ne s'éloigne donc pas de la doctrine de Jésus-Christ.
La vie des rêves est essentiellement distincte de la vie réelle,
elle a ses paysages, ses amis et ses souvenirs, on y possède
des facultés qui appartiennent sans doute à d'autres formes
et à d'autres mondes.
On y revoit des êtres aimés qu'on
a jamais connus sur cette terre ; on y retrouve vivants ceux qui sont
morts, on se soutient en l'
air, on marche sur l'
eau comme cela peut
arriver dans les milieux où la pesanteur des
corps est moins
grande, on y parle des langues inconnues et l'on y rencontre des êtres
bizarrement organisés ; tout y est plein de réminiscences
qui ne se rapportent pas à ce monde, ne serait-ce point des souvenirs
vagues de nos existences précédentes ?
Est-ce le cerveau seul qui produit les songes ?
Mais, s'il les produit, qui donc les invente ? Souvent, ils nous épouvantent
et nous fatiguent. Quel est le Callot ou le Goya qui compose les
cauchemars
?
Souvent il nous semble que nous commettons des
crimes, en rêve, et nous sommes heureux de n'avoir rien à
nous reprocher quand vient l'heure du réveil. En serait-il de
même pour nos existences voilées, pour nos sommeils sous
une couverture de chair ? Néron, s'éveillant en sursaut,
a-t-il pu s'écrier :
Dieu soit loué ! Je n'ai pas fait
assassiner ma mère ?
Et l'aura-t-il retrouvée vivante et souriante
auprès de lui, prête à lui raconter, à son
tour, ses crimes imaginaires et ses mauvais rêves.
La vie présente paraît souvent un rêve
monstrueux et n'est guère plus raisonnable que les visions du
sommeil ; souvent, on y voit ce qui ne devrait pas être, et ce
qui devrait être, ne s'y fait pas. Il nous semble parfois que
la nature extravague et que la raison se débat sous un Ephiaste
effrayant. Les choses qui se passent en cette vie d'illusions et de
vaines espérances, sont, certes, aussi insensées en comparaison
de la vie éternelle que les visions du sommeil peuvent l'être,
comparées aux réalités de cette vie.
Nous ne nous reprochons pas au réveil les
péchés commis en rêve, et, si ce sont des crimes,
la société ne nous en demande pas compte, à moins,
qu'en état de somnambulisme, nous ne les ayons réalisés,
comme si, par exemple, un somnambule, rêvant qu'il tue sa femme,
lui portait, en effet, un coup mortel. C'est ainsi que nos erreurs de
la terre peuvent avoir leur retentissement dans le
ciel par suite d'une
exaltation spéciale qui fait vivre l'homme dans l'éternité
avant qu'il ait quitté la terre. Il est des actes de la vie présente
qui peuvent troubler les régions de la sérénité
éternelle. Il est des péchés qui, comme l'on dit
vulgairement, font pleurer les
anges. Ce sont les injustices des saints,
ce sont les calomnies qu'ils font remonter jusqu'à l'Etre suprême,
lorsqu'ils le présentent comme le despote capricieux des
esprits,
et comme le tourmenteur
infini des
âmes. Quand saint Dominique
et saint Pie V envoyaient des Chrétiens dissidents au supplice,
ces Chrétiens, devenus
martyrs et rentrant, par le droit du sang
versé, dans la grande
catholicité du
ciel, étaient
accueillis, sans doute, dans les rangs des
esprits bienheureux avec
des cris d'étonnement et de pitié, et les terribles somnambules
de l'
Inquisition n'auraient pas été excusés, en
alléguant, devant le
Juge suprême, les divagations de leur
sommeil.
Fausser la conscience humaine, éteindre
l'
esprit et calomnier la raison, persécuter les sages, s'opposer
aux progrès de la science, ce sont là les vrais péchés
mortels, les péchés contre le
Saint-Esprit, ceux qui ne
peuvent être pardonnés ni dans ce monde, ni dans l'autre.