LÉGENDES THESSALIENNES
Le Centaure Chiron
Dès que le centaure fut grand, il se retira sur les
montagnes et dans les
forêts, où, chassant avec
Diane, il acquit la connaissance de la botanique et de l'astronomie. Il apprit surtout les vertus des plantes médicinales, et enseigna la médecine et la chirurgie à un grand nombre de héros.
Son nom même, dérivé du grec
cheir (main), dénotait son habileté. Sa grotte, située au pied du mont Pélion, en Thessalie, devint, pour ainsi dire, l'école de toute la Grèce héroïque. Il eut pour
disciples Esculape, Nestor,
Amphiaraüs,
Pélée, Télamon, Méléagre,
Thésée, Hippolyte,
Ulysse,
Diomède,
Castor et Pollux,
Jason,
Phénix, etc., et surtout
Achille, dont il prit, comme aïeul maternel, un soin particulier. Ce fut lui qui dressa le
calendrier dont se servirent les
Argonautes dans leur expédition. C'est à son école qu'
Hercule apprit la médecine, la musique et la justice. Il porta le talent de la musique jusqu'à guérir les maladies par les accords seuls de sa lyre, et la connaissance des
corps célestes jusqu'à savoir en détourner ou en prévenir les
influences funestes à l'humanité.
Il eut une longue existence et une robuste vieillesse : on le fait vivre avant et après l'expédition des
Argonautes, à laquelle prirent part deux de ses petits-fils. Dans la guerre qu'
Hercule fit aux
Centaures, ceux-ci, espérant désarmer la fureur du héros par la présence de son ancien maître, se retirèrent à Malée, où
Chiron vivait dans la retraite ; mais
Hercule ne laissa pas de les y attaquer, et une de ses
flèches, trempée dans le sang de l'
hydre de Lerne, ayant manqué sa
destination, alla
frapper Chiron au genou.
Hercule, désespéré, accourut promptement, et appliqua un remède que son ancien maître lui avait
appris ; mais le mal était incurable ; et le malheureux centaure, souffrant d'horribles douleurs, pria Jupiter de terminer ses
jours. Le père des
dieux, touché de sa prière, fit passer à Prométhée l'immortalité que
Chiron devait à sa qualité de
fils de Saturne, et
plaça le centaure dans le Zodiaque où il forma la constellation du Sagittaire.
Un des restes les plus précieux de la peinture antique est le tableau trouvé à
Herculanum, où
Chiron est représenté donnant une leçon de musique à
Achille.
Pélée
Pélée, père d'
Achille, était fils d'
Eaque, roi d'
Egine, et de la nymphe
Endéis, fille de
Chiron. Ayant été condamné à un exil perpétuel avec son
frère Télamon, pour avoir tué leur
frère Phocus, quoique par mégarde, il alla chercher une retraite à
Phthie en Thessalie, où il épousa
Antigone, fille du roi Eurytion, qui lui apporta en dot la troisième partie de son royaume.
Pélée, invité à la fameuse chasse de Calydon, y alla avec son beau-frère, qu'il eut le malheur de tuer en lançant son javelot contre un sanglier, autre meurtre involontaire qui l'obligea encore à s'exiler. Il se rendit à Iolchos, capitale de la Thessalie, auprès du roi
Acaste, qui lui fit la cérémonie de l'
expiation.
Mais une nouvelle aventure vint encore troubler son repos en cette cour.
Il
inspira de l'
amour à la reine qui, le trouvant insensible, l'accusa auprès d'
Acaste d'avoir voulu la séduire.
Acaste le fit conduire sur le mont Pélion, lié et garrotté, et ordonna qu'on l'y laissât ainsi exposé à la merci des bêtes sauvages.
Pélée trouva le moyen de rompre ses chaînes, et, avec le secours de quelques amis,
Jason,
Castor et Pollux, il rentra de
force dans Iolchos, et y tua la reine.
Sur la fausse nouvelle qu'il allait
épouser Stérope, fille d'
Acaste, sa femme
Antigone se tua de désespoir.
Pélée épousa, en secondes noces, Thétis, fille de
Nérée et de Doris, sur de Nicomède, roi de Scyros, la plus belle des Néréides. Cette nymphe, peu contente d'avoir un mortel pour
époux, après avoir vu Jupiter,
Neptune et
Apollon rechercher son
amour, prit, comme un autre
Protée, différentes formes pour se dérober à
Pélée. Mais ce prince, par les conseils de
Chiron, l'attacha, et la retint dans des chaînes. Les noces se firent sur le mont Pélion avec beaucoup de magnificence, et tous les
dieux y furent invités, excepté la déesse
Discorde. De
Pélée et de Thétis naquirent plusieurs
enfants qui périrent en bas âge, et enfin
Achille.
Pélée envoya son fils et son petit-fils,
Pyrrhus ou
Néoptolème, à la tête des Myrmidons, au siège de
Troie. Il voua au
fleuve Sperchius la chevelure d'
Achille, s'il revenait sain et sauf dans sa patrie. Il eut la douleur d'apprendre la mort de ce vaillant héros, et survécut de plusieurs années à la
guerre de Troie.
Dans l'
Andromaque d'Euripide, le vieux
Pélée paraît dans le temps que
Ménélas et
Hermione, sa fille, se préparent à faire mourir
Andromaque : il la délivre de leurs mains après une vive contestation, dans laquelle les deux princes en viennent aux invectives. Bientôt après, il apprend la mort tragique de son petit-fils,
Pyrrhus ; il se désespère, et voudrait qu'il eût été enseveli sous les ruines de
Troie. Thétis vient le consoler, et lui promet la divinité. Pour cela, elle lui ordonne de se retirer dans une grotte des îles Fortunées, où il recevra
Achille déifié. Elle lui promet que là elle viendra le prendre avec cinquante Néréides pour l'enlever, comme son
époux, dans le palais de
Nérée, en lui donnant la qualité de demi-dieu.
Les habitants de Pella, en Macédoine, offraient des sacrifices à
Pélée. On prétend que même, à une époque reculée, on lui
immolait tous les ans une victime humaine.
Athamas
Athamas, fils d'Eole, arrière-petit-fils de
Deucalion,
était roi de Thèbes ou d'Orchomène en
Béotie. De Néphélé, sa première femme, naquirent un fils et une fille,
Phryxus et Hellé.
Bacchus ayant inspiré ses fureurs à Néphélé, elle s'enfuit dans les
forêts.
Athamas, après l'avoir cherchée inutilement, épousa
Ino, ou Leucothoé, fille de
Cadmus, dont les mauvais traitements forcèrent
Phryxus et Hellé à prendre la fuite. Rendu furieux par
Tisiphone que
Junon avait suscitée contre lui, il courut en forcené dans son palais, criant qu'il voyait une
lionne et deux
lionceaux, et arracha des bras d'
Ino son fils Léarque qu'il écrasa contre la muraille.
Phryxus et Hellé
Phryxus et Hellé, sa sur,
enfants d'
Athamas et de
Néphélé, vivaient à Thèbes ou à Orchomène, dans le palais de leur père, en butte à la haine et aux
persécutions d'
Ino, deuxième femme d'
Athamas. Cette haine avait pour cause l'
amour coupable d'
Ino dédaignée par
Phryxus.
Une famine affligeant le royaume, on consulta l'oracle sur les moyens de la faire cesser. L'oracle répondit que les
dieux exigeaient le sacrifice de deux princes.
Phryxus et Hellé furent destinés pour servir de victimes ; mais, ayant été informés de ce dessein, ils résolurent de s'enfuir loin de la Grèce, dès que l'occasion s'en présenterait.
Déjà on les menait au sacrifice quand Néphélé. leur mère, métamorphosée en
brouillard, vint à leur secours. Elle les enveloppa, les dérobant à tous les yeux, et leur donna un
bélier à la
toison d'or sur lequel ils montèrent, et qui devait les transporter d'
Europe en Asie.
Ils franchissaient ainsi le détroit séparant la Thrace de la Troade, quand Hellé, effrayée par le bruit des vagues, tomba à la mer qui, pour cette raison même, s'est appelée
Hellespont, c'est-à-dire mer d'Hellé.
Après avoir vainement essayé de sauver sa sur,
Phryxus continua sa course. Accablé de lassitude, il fit aborder son
bélier à un cap habité par des barbares voisins de la
Colchide. Les habitants se disposaient à le massacrer, lorsque le
bélier le réveilla en le secouant, et lui apprit, avec une voix humaine, le danger auquel il était exposé.
Phryxus remonta sur le
bélier et se rendit dans la
Colchide, Mingrélie actuelle, province d'Asie, qui confine à la mer Noire. Il y fut accueilli par le roi Éétes, fils du
Soleil et de Persa,
frère de
Circé et de
Pasiphaé, père d'
Absyrthe et de
Médée ; il sacrifia le
bélier, selon les uns à Jupiter, selon les autres au
dieu Mars, et en suspendit la toison sur un hêtre, dans un champ consacré à
Mars. On commit pour la garder un
dragon qui veillait
jour et nuit ; et, pour plus de sûreté, on environna le champ de taureaux furieux, qui avaient les pieds d'
airain, et qui jetaient des
flammes par les narines.
Eétes ayant fait assassiner
Phryxus, tous les princes de la Grèce, informés de cette barbarie et des précautions prises pour garder la précieuse toison, résolurent la perte du meurtrier, et formèrent le dessein de reconquérir la Toison d'Or, ce qui fut exécuté par
Jason accompagné des
Argonautes.
Les Argonautes
Les
Argonautes sont ainsi nommés du vaisseau
Argo, sur lequel ils s'embarquèrent pour aller en
Colchide conquérir la Toison d'Or. Ce célèbre navire, qui transporta l'élite de la
jeunesse grecque, s'appela
Argo, soit à cause de sa légèreté, le mot grec
argos signifiant
agile, soit à cause d'
Argus qui en avait donné le dessin, ou des Argiens qui s'y embarquèrent en plus grand nombre.
Minerve avait présidé à sa construction. Le
bois en fut coupé sur le mont Pélion, ce qui valut au vaisseau le surnom de
Pélias ou
Péliaca. Le mât fut fait d'un chêne de la
forêt de Dodone, ce qui fit dire que le navire
Argo rendait des oracles, et lui fit donner les épithètes de
disert et de
sacré.
On croit que les
Argonautes étaient au nombre de cinquante-deux, non compris les gens de leur suite ;
Jason, promoteur de l'entreprise, en fut aussi reconnu le chef.
On nomme ensuite
Hercule ;
Acaste, fils de
Pélias ; Eurythe, fameux centaure ; Méntius, père de
Patrocle ;
Admète, roi de Thessalie ; Æthalidès, fils de
Mercure ;
Amphiaraüs ;
Amphidamas et Céphée,
Arcadiens, fils d'Aléus ;
Amphion, fils d'Hypérasius, roi de Pallène, en
Arcadie ; Typhis, de
Béotie, pilote du vaisseau ;
Ancée,
fils de Neptune ;
Ancée, fils de
Lycurgue roi des Tégéates, en
Arcadie ;
Argus, fils de
Phryxus ;
Castor et Pollux ; Astérion, de la race des Eolides ; Astérius,
frère de Nestor, Augée ou
Augias, fils de Phorbas, roi d'Elide ;
Iolas,
compagnon des travaux d'
Hercule ;
Calais et Zéthée,
enfants de
Borée ; Cénée, fils d'Elatus ; Clytus et
Iphitus, fils d'Euryte, roi d'chalie ; Eumédon, fils de
Bacchus et d'
Ariane ;
Deucalion, fils du premier
Minos ; Echion, fils de
Mercure, qui servit d'espion pendant le voyage ; Ergynus et Euphéus,
fils de Neptune, qui exercèrent aussi les fonctions de pilotes ;
Glaucus, fils de
Sisyphe ;
Idas et Lyncée, fils d'
Apharée ;
Idmon, fameux devin, fils d'
Apollon ;
Iolas cousin d'
Hercule ;
Iphiclus, fils de Thestius ;
Iphiclus, père de
Protésilas ; Lærte, père d'
Ulysse ; Lyncus, fils d'Epitus, qui avait la
vue si perçante ; Méléagre, fils d'née, roi de Calydon ; Tydée, père de
Diomède ; Mopsus, célèbre devin ; Butés, Athénien ; Nauplius,
fils de Neptune et d'Amymone ; Nélée et Périclymène son fils ; Oïlée, père d'
Ajax ; Pelée, père d'
Achille ; Philammon, fils d'
Apollon et de Chioné ;
Thésée et son ami
Pirithoüs, et enfin le poète Orphée.
Les
Argonautes s'embarquèrent au cap de Magnésie, en Thessalie, abordèrent d'abord dans l'île de Lemnos, alors habitée par une colonie de femmes,
sinon par les
Amazones ; de là en
Samothrace, où ils consultèrent le roi
Phinée, fils d'
Agénor, qui leur promit, s'ils voulaient le délivrer des Harpyes, de les faire arriver sains et saufs en
Colchide ; entrèrent dans l'
Hellespont ; côtoyèrent l'Asie Mineure ;
débouchèrent dans le
Pont-Euxin par le détroit des Symplégades ou des îles
Cyanées.
Ces îles, ou plutôt ces écueils situés à l'entrée du
Pont-Euxin ne laissent entre eux qu'un espace de vingt stades. Les flots de la mer viennent s'y briser avec fracas, et les embruns forment comme un
brouillard qui obscurcit le
ciel. Effrayés à la
vue de ce détroit, les
Argonautes ne tentèrent le passage qu'après avoir fait des sacrifices à
Junon et à
Neptune. Ces terribles écueils étaient, croyait-on, mobiles, se rapprochaient les uns des autres et engloutissaient les vaisseaux qui essayaient de passer.
Neptune alors les empêcha de heurter le navire
Argo, et les fixa pour toujours.
Continuant leur course, les
Argonautes suivirent la côte d'Asie, parvinrent à Æa, capitale de la
Colchide, et exécutèrent leur entreprise. La Toison d'Or enlevée par le secours de
Médée, ils partirent pour la Grèce, et furent poursuivis par Eétes, traversèrent le
Pont-Euxin, entrèrent dans l'
Adriatique par un bras du Danube, et arrivèrent dans la mer de Sardaigne par l'
Eridan et le Rhône. Téthys et ses nymphes dirigèrent le vaisseau grec à travers le détroit de Charybde et de Scylla ; et, lorsqu'ils passèrent en
vue de l'île habitée par les Sirènes, les accords de la lyre d'Orphée les préservèrent de leurs enchantements.
A Corfou, autrefois
Phæacia, ils rencontrèrent la flotte de la
Colchide qui, les ayant poursuivis à travers les Symplégades, vint sommer Alcinoüs, roi de l'île, de lui livrer
Médée. Ce prince y consentit, si elle n'était point encore unie avec
Jason : ce qui détermina le
mariage. Ils remirent à la voile, furent jetés sur les écueils d'Egypte ; et, tirés de ce mauvais pas par la protection des
dieux tutélaires du pays, ils portèrent le vaisseau sur leurs épaules jusqu'au lac de Tritonis en Libye.
De nouveau ils prirent la mer, et leur voyage fut interrompu par le monstre Talus,
géant aux pieds d'
airain, lequel désolait la
Crète. Ce
géant invulnérable, excepté au-dessus de la cheville, s'opposa au débarquement des
Argonautes, en lançant dans la baie des rocs couronnés de
forêts pour en défendre l'entrée.
Médée, par ses enchantements, lui fit rompre une veine au-dessus de la cheville, pendant qu'il errait sur le rivage, et lui donna la mort.
Enfin ils débarquèrent à
Egine, et arrivèrent en Thessalie.
Jason, leur chef, consacra le navire
Argo à
Neptune, ou, suivant d'autres, à
Minerve, dans l'isthme de Corinthe, d'où il fut bientôt transporté dans le
ciel, pour y devenir une de ses constellations.
Jason et Médée
Jason était fils d'
Eson, le petit-fils d'Eole, et d'
Alcimède.
Son père, roi d'lolchos, en Thessalie, ayant été
détrôné par
Pélias, son
frère de mère, l'oracle prédit que l'usurpateur serait chassé par un fils d'
Eson. Aussi, dès que le prince fut né, son père fit courir le bruit que l'
enfant était malade. Peu de
jours après, il publia sa mort, et fit tous les apprêts des funérailles, pendant que sa mère le porta secrètement sur le mont Pélion, où le centaure
Chiron lui enseigna toutes les sciences dont il faisait profession. Il lui enseigna surtout la médecine, ce qui fit donner au jeune prince le nom de
Jason (d'un mot grec qui signifie
guérir), au lieu de celui de
Palamède qu'il avait reçu en naissant.
Jason, à l'âge de vingt ans, voulant quitter sa retraite, alla consulter l'oracle, qui lui ordonna de se vêtir à la manière des Magnésiens, de
joindre à cet habillement une peau de léopard, semblable à celle que portait
Chiron, de se munir de deux lances, et d'aller dans cet équipage à la cour d'Iolchos : ce qu'il exécuta.
En son chemin il se trouva arrêté par le
fleuve ou le torrent Anaure qui était débordé. Une vieille femme qu'il rencontra sur le bord lui offrit de le porter sur ses épaules. C'était
Junon que quelques auteurs font éprise de sa beauté ; d'autres prétendent que
Junon n'avait de l'affection pour
Jason, que parce qu'elle voyait en lui le héros qui devait la venger un
jour de
Pélias qu'elle haïssait. On ajoute une circonstance au passage du
fleuve : c'est que
Jason, dans le trajet, perdit un de ses souliers. Cette particularité minutieuse acquiert un peu plus d'intérêt, parce que l'oracle, qui avait prédit à
Pélias qu'un prince du sang des Eolides le détrônerait, avait ajouté qu'il se donnât de garde d'un homme qui paraîtrait devant lui un pied nu et l'autre chaussé.
Jason, arrivé à Iolchos, attire l'attention de tout le peuple par sa bonne mine et par la singularité de son équipage, se fait connaître pour fils d'
Eson, et redemande hardiment à son oncle la
couronne qu'il a usurpée.
Pélias, haï de ses sujets, et ayant remarqué l'intérêt que le jeune prince inspirait, n'ose rien entreprendre contre
lui ; et, sans la refuser ouvertement, il cherche à éluder la demande de son neveu, et à l'éloigner lui-même, en lui proposant une expédition glorieuse, mais pleine de dangers. Fatigué par des songes effrayants, il a fait consulter l'oracle d'
Apollon, et il a appris qu'il faut apaiser les mânes de
Phryxus, descendant d'Eole, cruellement massacré dans la
Colchide, et les ramener en Grèce ; mais son grand âge est un obstacle à un si long voyage.
Jason est dans la
fleur de la
jeunesse.
Son devoir et la gloire l'y appellent ; et
Pélias jure par Jupiter, auteur de leur race, qu'à son retour il lui rendra le trône qui lui appartient. A ce récit et à ces exhortations il ajoute que
Phryxus, obligé de s'éloigner de Thèbes, a emporté avec lui une toison précieuse dont la conquête doit le combler à la fois de richesse et d'honneur.
Jason était dans l'âge où l'on aime la gloire ; il saisit avidement l'occasion d'en acquérir.
Son expédition est annoncée dans toute la Grèce ; l'élite des héros et des princes se rend de tous côtés à Iolchos pour y prendre part.
Jason choisit cinquante-deux, d'autres disent cinquante-quatre des plus fameux ;
Hercule même se joint à eux, et défère à
Jason l'honneur d'être leur chef, comme à celui que cette expédition regardait de plus près, étant proche parent de
Phryxus.
Lorsque tout fut prêt pour le voyage,
Jason, avant de mettre à la voile, offre un sacrifice solennel au
dieu Eole, auteur de sa race, et à toutes les divinités qu'il croit pouvoir être favorables à son entreprise. Jupiter promit, par la voix de son tonnerre, son secours à cette troupe de héros. La navigation fut longue et périlleuse. A Lemnos, où l'on s'arrêta, on perdit deux années, pendant que
Jason restait sous le charme de la reine Hypsipyle, pour laquelle il s'était épris d'
amour. Enfin les
Argonautes arrivent à Æa, capitale de la
Colchide, et
Jason se dispose à surmonter tous les obstacles pour obtenir la Toison d'Or.
Junon et
Minerve, qui chérissaient le héros, rendent la fille du roi Eétes,
Médée, amoureuse du jeune prince. Elle possède l'art des enchantements, et promet son secours à
Jason, s'il veut lui donner sa foi. Après des serments mutuels devant le temple d'
Hécate, ils se séparent, et
Médée va préparer tout ce qui lui est nécessaire pour sauver son amant.
Voici quelles étaient les conditions auxquelles Eétes consentait à remettre la Toison d'Or au pouvoir de
Jason : il devait d'abord mettre sous le joug deux taureaux, présent de
Vulcain, qui avaient les pieds et les cornes d'
airain, et qui vomissaient des tourbillons de
flamme ; les attacher à une charrue de
diamant, et leur faire défricher quatre arpents d'un champ consacré à
Mars, pour y semer les dents d'un
dragon d'où devaient naître des hommes armés qu'il fallait exterminer jusqu'au dernier ; enfin tuer le monstre qui veillait sans cesse à la conservation de ce précieux dépôt, et exécuter tous ces travaux en un seul
jour.
Sûr du secours de
Médée,
Jason accepte tout, apprivoise les taureaux, les met sous le joug, laboure le champ, y sème les dents du
dragon, lance une pierre au milieu des combattants que la terre a engendrés, les met si fort en fureur qu'ils s'entre-tuent, assoupit le monstre avec les herbes enchantées et un breuvage magique, lui ôte la vie et enlève la précieuse Toison.
Les
Argonautes s'éloignent avec leur conquête, et
Jason, qui avec eux s'enfuit, emmène
Médée. Poursuivis dans leur fuite, les deux amants égorgent
Absyrthe,
frère de
Médée, et sèment ses membres épars pour retarder les pas du roi Eétes.
Circé les épie, sans les connaître, les reconnaît et les chasse. Ils arrivent à la cour d'Alcinoüs, roi des
Phéaciens, où leur
mariage se célèbre. De là les
Argonautes terminent leur expédition, se dispersent, et les
époux se rendent à Iolchos avec la gloire d'avoir réussi dans une entreprise où
Jason devait naturellement périr.
Eson, père du héros, était vieux ;
Médée le rajeunit.
Cependant
Pélias ne se pressait pas de tenir sa promesse, et retenait le trône qu'il avait usurpé.
Médée trouva encore le moyen de débarrasser son
époux, en faisant égorger
Pélias par ses propres filles, sous
couleur de le rajeunir. D'abord elle prit un vieux
bélier en leur présence, le coupa en morceaux, le jeta dans une chaudière, le fit bouillir avec certaines herbes, le retira, et le fit voir transformé en jeune
agneau. Elle proposa de faire la même expérience sur la personne du
roi ; mais la perfide le laissa dans la chaudière d'
eau bouillante jusqu'à ce que le
feu l'eût entièrement consumé, de sorte que ses filles ne purent pas même lui donner la sépulture. Ces malheureuses, qu'on nomme Astéropie et
Antinoé, s'enfuirent en
Arcadie où elles finirent leurs
jours dans les larmes et les regrets. Ce crime ne rendit pas à
Jason sa
couronne.
Acaste, fils de
Pélias, s'en empara, et contraignit son rival d'abandonner la Thessalie et de se retirer à Corinthe avec
Médée.
Ils trouvèrent dans cette ville des amis et une fortune tranquille, et y vécurent dix ans dans la plus parfaite union, dont deux
enfants furent le lien, jusqu'à ce qu'elle fût troublée par l'infidélité de
Jason. Ce prince, oubliant les obligations qu'il avait à son
épouse, et les serments qu'il lui avait faits, devint amoureux de Glaucé ou Créuse, fille de
Créon, roi de Corinthe, l'épousa, et répudia
Médée.
La vengeance suivit de près l'injure ; la rivale, le roi son père, et les deux
enfants de
Jason et de
Médée en furent les victimes. Suivant de vieilles
poésies, ce n'était pas à Corinthe, mais à Corcyre que
Jason s'était retiré.
Après la retraite de
Médée et la mort du roi de Corinthe, son protecteur,
Jason mena une vie errante, sans avoir d'établissement fixe.
Médée lui avait prédit que, après avoir vécu pour sentir tout le poids de son infortune, il périrait accablé sous les débris du vaisseau des
Argonautes : ce qui lui arriva en effet. Un
jour qu'il se reposait sur le bord de la mer, à l'abri de ce vaisseau tiré à sec, une poutre détachée lui fracassa la tête.
Après l'infidélité de
Jason,
Médée sortit de Corinthe sur un char traîné par des
dragons, et alla se réfugier chez
Hercule qui lui avait promis autrefois de la secourir, si
Jason lui manquait de foi. Arrivée à Thèbes, elle trouva qu'
Hercule était devenu furieux ; elle le guérit par ses remèdes. Mais,
voyant qu'elle ne pouvait attendre aucun secours de lui dans l'état où il était, elle se retira à Athènes auprès du roi
Egée qui non seulement lui donna asile dans ses Etats, mais l'épousa même dans l'espérance de se créer une florissante famille. Sur ces entrefaites,
Thésée étant revenu à Athènes pour se faire reconnaître par son père,
Médée chercha à faire périr par le poison cet héritier du trône.
Voyant qu'on la regardait partout avec méfiance comme une empoisonneuse, elle s'enfuit d'Athènes et choisit la
Phénicie pour sa retraite. Ensuite elle passa dans l'Asie supérieure où elle épousa un roi puissant et en eut un fils appelé
Midas. Ce fils, devenu roi à son tour, donna à ses sujets le nom de
Mèdes.
Plusieurs auteurs représentent
Médée sous des
couleurs différentes. Cette fille d'Eétes et d'
Hécate, disent-ils, était une princesse vertueuse ; sa grande faute fut son
amour pour
Jason qui l'abandonna lâchement, malgré les gages qu'il avait de sa tendresse, pour
épouser la fille de
Créon ; mais elle n'employait les secrets, que sa mère lui avait appris, que pour le bien de ceux qui venaient la consulter. En
Colchide, elle ne s'était occupée que de sauver la vie aux étrangers que le roi voulait faire périr ; et elle ne s'était enfuie que parce qu'elle avait horreur des cruautés de son père. Reine abandonnée, obligée d'errer de cour en cour, de passer les mers pour chercher un asile dans des contrées lointaines, elle ne fut coupable que par une sorte de
fatalité, par le concours des
dieux, surtout de
Vénus qui persécuta sans relâche toute la race du
Soleil qui avait découvert son intrigue avec
Mars.
Les aventures des
Argonautes ont fourni la matière de deux poèmes, l'un grec, d'Apollonius de
Rhodes, l'autre latin, de Valérius Flaccus ; celles de
Jason et de
Médée ont inspiré les poètes tragiques, entre autres Euripide et Corneille.
Hypsipyle
Hypsipyle était fille de Thoas, roi de l'île de Lemnos, et de Myrina. Les femmes de Lemnos ayant manqué de respect à
Vénus et négligé ses autels, cette déesse, pour les en punir, les rendit
odieuses et insupportables à leurs maris qui les délaissèrent. Offensées de cet affront, elles formèrent entre elles un complot contre tous
les hommes de leur île, et les égorgèrent pendant une nuit. Il n'y eut
qu'Hypsipyle qui conservât la vie à son père. Elle le fit se sauver secrètement dans l'île de Chio. Après ce massacre des hommes, elle
fut élue reine de Lemnos.
Vers cette époque, les
Argonautes, faisant route vers la
Colchide, s'attardèrent dans cette île,
Jason, leur chef, s'éprit d'un vif
amour pour cette reine, et ne la quitta qu'après lui avoir promis de revenir vers elle, dès qu'il aurait conquis la Toison d'Or. Mais, séduit par
Médée,
Jason ne se souvint plus d'Hypsipyle, et cette princesse resta inconsolable de tant d'ingratitude. Bientôt elle eut un autre chagrin Les
Lemniennes, ayant appris que le roi Thoas, épargné par sa fille, régnait dans l'île de Chio, obligèrent Hypsipyle à
déposer la
couronne et à s'enfuir. Elle s'était cachée au bord de la mer ; mais là elle fut prise par des
pirates, et ensuite vendue à
Lycurgue, roi de
Némée, en
Argolide, qui la fit nourrice de son fils Archémore.
Un
jour, ayant laissé son nourrisson au pied d'un
arbre, sur une touffe d'
arbre, pour aller montrer une fontaine à des étrangers, elle le trouva, à son retour, tué par un
serpent.
Lycurgue voulut la faire mourir, mais les étrangers, qui n'étaient autres qu'
Adraste, roi d'
Argos, et les princes argiens, prirent sa défense, et lui sauvèrent la vie.
On fit à l'
enfant de pompeuses funérailles.
En mémoire de cet accident, la fontaine prit le nom d'Archémore, et l'on institua, disent certains auteurs, les
jeux Néméens, qui se célébraient de trois ans en trois ans, et dans lesquels les vainqueurs se couronnaient d'ache et prenaient le deuil.
On sait que, selon d'autres, ces
jeux se célébraient en l'honneur d'
Hercule, vainqueur du
lion de
Némée. Sur l'origine de ces
jeux et, en général, de tous les
jeux de la Grèce, la tradition est incertaine.
Orphée
Orphée était fils d’agre, roi de Thrace, et de
la muse
Calliope, ou, selon d'autres, fils d'
Apollon et de
Clio, père de Musée, et
disciple de
Linus. Musicien habile, il avait cultivé surtout la cythare qu'il avait reçue en présent d'
Apollon ou de
Mercure ; il avait même ajouté deux cordes aux sept qu'avait cet instrument. Ses accords étaient si mélodieux, qu'il charmait jusqu'aux êtres insensibles. Les bêtes féroces accouraient à ses pieds
déposer leur
férocité ; les
oiseaux venaient se percher sur les
arbres d'alentour ; les vents même tournaient leur
haleine de son côté ; les
fleuves suspendaient leur cours, et les
arbres formaient des churs de danse :
allégories ou exagérations poétiques qui expriment ou la perfection de ses talents, ou l'art merveilleux qu'il sut employer pour
adoucir les murs
féroces des Thraces et les faire passer de la vie sauvage aux douceurs de la vie civilisée.
Sa réputation de sage et de poète inspiré des
dieux était répandue dans tout le monde ancien dès le temps des
Argonautes, qui se firent un honneur de l'associer à leur expédition.
Son père agre l'avait
initié aux mystères de
Bacchus, et il s'attacha à étudier l'origine, l'
histoire et les attributs de toutes les divinités ; il devint même une sorte de
pontife qualifié pour rendre aux
dieux les honneurs qu'ils préféraient. Non content de pénétrer les mystères de la
religion grecque, il entreprit de longs voyages, et séjourna quelque temps en Eygpte pour se faire instruire dans les croyances et les pratiques
religieuses des différents peuples.
C'est lui, dit-on, qui, à son retour d'Egypte, porta en Grèce l'
expiation des crimes, le culte de
Bacchus, d'
Hécate Chthonia ou Terrestre, et de
Cérès, ainsi que les mystères nommés orphiques. Pour lui, il s'abstenait de manger de la chair, et avait en horreur l'usage des ufs, persuadé que l'uf était le principe de tous les êtres, axiome de cosmogonie qu'il avait puisé chez les Egyptiens.
Sa descente aux Enfers est célèbre. Sa fiancée
Eurydice qu'il aimait passionnément étant morte le
jour de leur
hymen, il se mit en devoir d'aller la chercher jusque chez les morts. Il prit sa lyre, descendit par le Ténare sur les rives du
Styx, charma par la douceur de son chant les divinités infernales, les rendit sensibles à ses douleurs, et obtint d'elles le retour de sa fiancée à la vie.
Pluton et
Proserpine y mirent toutefois une condition, c'est qu'il ne la regarderait pas avant d'avoir franchi les limites des Enfers. Orphée s'acheminait vers la sortie des demeures infernales par un sentier en pente,
Eurydice marchait derrière lui ; déjà ils touchaient presque aux portes du
jour, quand, impatient de revoir celle qui le suivait, et oubliant la défense qui lui en était faite, le malheureux amant se retourna. Il vit
Eurydice, mais pour la dernière fois : elle, échappa à ses étreintes, et retomba dans les abîmes pour toujours.
Les
dieux ne lui permirent pas de tenter une nouvelle descente aux Enfers, et il se retira en Thrace où il ne cessait de pleurer et de chanter son malheur en s'accompagnant de la lyre. En vain les femmes de Thrace cherchèrent à le consoler ; fidèle à l'
amour d'
Eurydice, il repoussa ou dédaigna toute consolation. Enfin on raconte que, dans la célébration de leurs
orgies, les Thraciennes le mirent en pièces et jetèrent sa tête dans l'Hèbre,
fleuve de leur pays. Même alors, dit la
fable, quand les
eaux du
fleuve entraînaient cette tête dans leur rapide courant, les lèvres d'Orphée appelaient
Eurydice, et ce nom était répété par l'écho sur les deux rivages.
Ovide ajoute que la tête d'Orphée, emportée par le
fleuve jusque dans la mer, s'arrêta près de l'île de Lesbos, et que sa bouche faisait entendre des sons tristes et lugubres. Un
serpent voulut la mordre ; mais, dans le moment où il ouvrait la gueule,
Apollon le changea en rocher, et le laissa dans l'attitude d'un
serpent prêt à mordre.
Le crime des femmes de Thrace étant resté impuni, le
ciel frappa de peste leur pays ; et l'oracle consulté répondit que, pour faire cesser ce fléau, il fallait trouver la tête d'Orphée et lui rendre les honneurs funèbres. Enfin un pêcheur la retrouva vers l'embouchure du
fleuve Mélès, en Ionie, sans aucune altération, mais ayant conservé sa fraîcheur et sa beauté. Dans la suite, on y bâtit un temple où Orphée fut honoré comme un
dieu ; mais l'entrée de ce temple fut toujours interdite aux femmes.
Les habitants de Dium, ville de Macédoine, prétendaient que la scène du meurtre d'Orphée s'était passée dans leurs parages, et ils montraient prés de leur ville son tombeau.
On attribue à Orphée un certain nombre d'hymnes et de
poésies dont il n'est assurément pas l'auteur. Les Lycomides, famille athénienne, les savaient par cur, et, les chantaient en célébrant les mystères. Il fut, dit-on, l'inventeur du vers hexamètre.
On le représente ordinairement, avec une lyre, et entouré d'
animaux féroces qu'ont attirés ses accords mélodieux.