DEUXIÈME
PARTIE LES SYMBOLES
CHAPITRE VII (2/2)
Les couleurs de l'uvre Concordance des philosophes Les couleurs principales et les couleurs intermédiaires
Le noir, putréfaction, tête de corbeau La blancheur L'iris Le rouge
Nous allons maintenant étudier spécialement les trois
couleurs principales, noir, blanc et rouge. La première qui apparaît est le noir, les alchimistes se sont beaucoup étendus sur cette
couleur parce que c'est elle qui indique que l'uvre est dans la bonne voie : « La matière mise en mouvement par une
chaleur convenable commence à devenir noire. Cette
couleur est la
clef et le commencement de l'uvre. C'est en elle que toutes les autres
couleurs, la blanche, la jaune et la rouge sont comprises » (Huginus a Barma :
Le règne de Saturne).
Les philosophes
hermétiques ont donné plusieurs noms au noir. « C'est la noirceur, signe de la putréfaction ; les philosophes l'ont appelé occident, ténèbres, éclipse, lèpre, tête de
corbeau, mort » (
Filet d'Ariadne).
Mais son
symbole principal était le
corbeau. « Scachez aussi que le
corbeau qui vole sans ailes dans la noirceur de la nuit et dans la
clarté du
jour, est la tête ou le commencement de l'art » (
Hermès ;
Les sept chapitres). On le nommait aussi tête de
corbeau. « L'indice de cette fécondation est cet
Aleph ou commencement ténébreux que les anciens ont appelé tête de
corbeau » (Huginus a Barma :
Le règne
de Saturne). D'après
Rouillac (
Abrégé du Grand uvre), on a symbolisé le noir par le
corbeau, parce que, dit-il, les
corbeaux naissent blancs et leurs parents les abandonnent
jusqu'à ce qu'ils aient plumes noires comme eux, de même l'alchimiste doit abandonner l'uvre si la noirceur n'apparaît pas. C'est alors signe que l'uvre est manqué et qu'il faut recommencer.
Tête de
corbeau,
corbeau,
couleur noire, sont absolument
synonymes chez les alchimistes. Flamel appelle le noir : « teste de
corbeau noire du noir très noir ».
Nous avons vu encore que
Saturne est le
symbole de la noirceur, et quand les philosophes disent : «
Saturne doit surmonter toutes les autres
planètes », cela signifie que la
couleur noire précède toutes les autres dans l'uvre.
Le noir était l'indice de l'opération appelée
putréfaction. On prenait souvent ces termes l'un pour l'autre. En voici la raison : selon une théorie en vogue au
moyen-âge, rien ne peut naître sans putréfaction ; la vie procède de la mort. « Il n'est pas possible qu'il se fasse aucune
génération sans corruption. » (Huginus a Barma,
La pierre de touche)
On croyait que les mouches naissaient du limon corrompu, et Van Helmont assurait avoir vu de vieux linges pourris donner naissance à des souris. Cette théorie s'appliquait aux trois règnes de la nature ; le commencement de l'uvre devait donc être corruption et putréfaction, après quoi la matière vivifiée évoluait et se perfectionnait jusqu'au rouge. De plus, la putréfaction est le
symbole de la mort d'où jaillira la vie. La mort c'est la nuit, le noir, la vie c'est la lumière, le blanc ; on comprend donc pourquoi les alchimistes ont nommé le noir : putréfaction.
« Ainsi, à la première opération de notre Pierre, on a donné le nom de putréfaction, car alors notre Pierre est noire. » (
Roger Bacon,
Miroir d'alchimie)
Le noir apparaît environ quarante
jours après que l'on a commencé de chauffer l'uf philosophique : « Chauffez modérément la solution philosophique dans un vaisseau scellé
hermétiquement pendant quarante
jours, jusqu'à ce qu'il se forme à la surface une matière noire, qui est la
tête du corbeau des philosophes. » (Alain de
,
Dicta Alani de lapide philosophico)
Pendant la noirceur, selon
Philalèthe et Flamel, il se manifeste une odeur forte que l'on peut sentir si pendant cette partie de l'uvre
le vaisseau vient à se rompre. « Avant la
Confection, la matière
est très
fétide, mais après son odeur est agréable ; c'est pourquoi le sage a dit : Cette
eau enlève son odeur au
corps mort et inanimé » (Morien,
De transmutatione metallorum). L'
eau dont il est parlé ici est le liquide formé par la condensation des vapeurs dans l'uf philosophique. En effet, pendant le noir, il se dégage des vapeurs jaunes, rouges, vertes (
composés oxygénés du chlore, chlore,
acide hypoazotique) qui emplissent l'uf ; ces gaz mélangés à de la vapeur d'
eau se condensent et retombent sur la matière ; enfin, il ne se dégage plus de gaz, la noirceur complète arrive, tout est en repos.
Les Alchimistes ont beaucoup moins longuement traité de la
couleur blanche. Après le noir vient le gris : La
couleur grise paraît
ensuite la noire. » (Note manuscrite en marge de la
Bibliothèque des philosophes chimiques) Enfin le blanc apparaît, mais par degrés.
« Le signe de la
blancheur parfaite est un petit cercle
très mince qui apparaît dans le vaisseau à la périphérie de la matière ; sa
couleur tire sur l'orangé. » (
L'échelle des philosophes) Puis ce cercle grandissait, il émettait de petits prolongements blancs, fins comme des
cheveux (d'où le nom quelquefois de
blancheur capillaire) convergeant vers le centre ; ces prolongements se multiplant, finalement toute la masse devenait blanche.
Flamel, dans son livre, dit que la
blancheur est le
symbole de la vie, le noir le
symbole de la mort, et qu'il a par suite représenté dans ses
hiéroglyphes du cimetière des Innocents, le
corps, l'
esprit et l'
âme ou matière de la pierre, comme des hommes et des femmes vêtus de blanc, et ressuscitant d'entre les tombeaux, pour signifier la
blancheur vivificatrice qui vient après la mort, le noir, la putréfaction.
Les philosophes ont donné plusieurs noms à la
blancheur :
nummus, ethelia,
arena,
boritis, corsufle,
cambar,
albor, ris,
duenech, ronderic,
kukul, thabitris, ebiseleth, ixir.
Enfin, pour ce qui est
allégories et
symboles de la
blancheur,
Pernéty les résume parfaitement dans son
Dictionnaire mytho-hermétique. « Les philosophes disent que lorsque la
blancheur survient à la matière du Grand uvre, la vie a vaincu la mort, que leur Roi est ressuscité, que la terre et l'
eau sont devenus
air, que c'est le régime de la
Lune, que leur
enfant est né, que le
ciel et la terre sont mariés, parce que la
blancheur indique l'union ou
mariage du fixe et du volatil, du mâle et de la
femelle. »
Quant à la
couleur rouge, les alchimistes en parlent peu ; elle indique la fin heureuse de l'uvre. La matière se
dessèche
complètement et se transforme en une poudre d'un rouge éclatant ; on chauffe plus fortement qu'on ne l'a fait jusqu'alors, on brise l'uf et l'on a la Pierre philosophale. « Lorsque la pierre parvenue au rouge commence à se crevasser et à se gonfler, on la met à
calciner au
feu de réverbère où elle achève de se
fixer complètement et parfaitement. » (
Arnauld de Villeneuve,
Nevum lumen)
Le
symbole de l'uvre achevé est un
triangle à
sommet inférieur, dont la base est surmontée du
croix. On le trouve dans la 12ème lame du Tarot.
Maintenant que le Grand uvre nous est connu dans sa pratique et dans ses
symboles, nous pouvons comprendre les paroles suivantes, qui auparavant nous eussent semblé dénuées de sens,
sinon risibles. « Eximiganus dit : Mouillez, séchez, noircissez, blanchissez, pulvérisez et rougissez, et vous avez tout le secret de l'Art en ce peu de mots. Le premier est noir, le deuxième est blanc, et le troisième est rouge, 82, 120, 280, deux les font et ils sont faits 120. Gomme, lait, marbre,
Lune, 280,
Airain, fer,
safran, sang, 80. Pêche, poivre, noix. Si vous m'entendez, vous êtes bien heureux ;
sinon ne cherchez plus rien, car tout est en mes paroles. » (
La Tourbe des philosophes) Mouillez, séchez, c'est la
dissolution et la cristallisation dans la préparation de la matière (voir chapitre IV). Noircissez, blanchissez, rougissez, indication des trois
couleurs principales. Pulvérisez, c'est-à-dire agissez par le
feu, toute opération violente, tout instrument pouvant produire blessure étant le
symbole du
feu (voir chapitre V). Tout le reste est relatif aux
couleurs. Le premier est noir, etc., c'est-à-dire la première opération est caractérisée par le noir, la seconde par le blanc, la troisième par le rouge. Gomme, lait, marbre,
Lune,
symboles du blanc.
Airain,
safran, fer, sang,
symboles du rouge. Pêche, poivre, noix,
symboles du noir et du gris. Les nombres 80, 120, 280 représentent ces trois
couleurs, et deux les font, c'est-à-dire le Soufre et le
Mercure seuls suffisent pour parfaire l'uvre en passant successivement par les trois
couleurs. Fort heureusement, les traités d'
alchimie ne sont pas tous aussi obscurs que
La Tourbe des philosophes, et l'on arrivera très facilement à les comprendre et à y démêler le vrai du
faux avec un peu de réflexion. A ceux qui voudraient pénétrer plus avant dans l'étude de l'hermétisme,
nous recommandons les traités d'
Albert le Grand,
Roger Bacon,
Bernard le
Trévisan,
d'Espagnet, Flamel, Huginus a Barma, Khunrath,
Raymond Lulle,
Paracelse,
Philalèthe, Riplée, Sendivogius,
Basile Valentin,
Arnauld de Villeneuve et Denis Zachaire, et parmi les traités anonymes le
Texte d'Alchymie et
La Tourbe des philosophes.