LETTRE ENCYCLIQUE DE N.
T. S. P. LÉON XIII
SUR LA SECTE DES FRANCS-MAÇONS
(20 avril 1884)
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L'autre dessein, à la réalisation duquel les francs-maçons
emploient tous leurs efforts, consiste à détruire les fondements
principaux de la justice et de l'honnêteté. Par là, ils se
font les auxiliaires de ceux qui voudraient qu'à l'instar de l'
animal,
l'homme n'eût d'autre règle d'actions que ses désirs. Ce dessein
ne va rien moins qu'à déshonorer le genre humain et à le
précipiter
ignominieusement à sa perte. Le mal s'augmente de tous
les périls qui menacent la société domestique et la société
civile. Ainsi que Nous l'avons exposé ailleurs, tous les peuples, tous
les siècles s'accordent à reconnaître dans le
mariage quelque
chose de sacré et de
religieux, et la loi divine a pourvu à ce que
les unions conjugales ne puissent pas être dissoutes. Mais, si elles deviennent
purement
profanes, s'il est permis de les rompre au gré des contractants,
aussitôt la constitution de la famille sera en proie au trouble et à
la confusion ; les femmes seront découronnées de leur dignité
; toute protection et toute sécurité disparaîtront pour les
enfants et pour leurs intérêts.
Quant
à la prétention de faire l'Etat complètement étranger
à la
religion et pouvant
administrer les affaires publiques sans tenir
plus de compte de
Dieu que s'il n'existait pas, c'est une témérité
sans exemple, même chez les païens. Ceux-ci portaient si profondément
gravée au plus intime de leurs
âmes, non seulement une idée
vague des
dieux, mais la nécessité sociale de la
religion, qu'à
leur sens, il eût été plus aisé à une ville
de se tenir debout sans être appuyée au sol que privée de
Dieu. De fait, la société du genre humain, pour laquelle la nature
nous a créés, a été constituée par
Dieu, auteur
de la nature. De Lui comme principe et comme source, découlent dans leur
force et dans leur pérennité les bienfaits innombrables dont elle
nous enrichit. Aussi, de même que la voix de la nature rappelle à
chaque homme en particulier l'obligation où il est d'offrir à
Dieu
le culte d'une pieuse reconnaissance, parce que c'est à Lui que nous sommes
redevables de la vie et des biens qui l'accompagnent, un devoir semblable s'impose
aux peuples et aux sociétés.
De là
résulte avec la dernière évidence que ceux qui veulent briser
toute relation entre la société civile et les devoirs de la
religion
ne commettent pas seulement une injustice, mais, par leur conduite, prouvent leur
ignorance et leur ineptie. En effet, c'est par la volonté de
Dieu que les
hommes naissent pour être réunis et pour vivre en société
; l'autorité est le lien nécessaire au maintien de la société
civile, de telle sorte que, ce lien brisé, elle se dissout fatalement et
immédiatement. L'autorité a donc pour auteur le même Etre
qui a créé la société. Aussi, quel que soit celui
entre les mains de qui le pouvoir réside, il est le ministre de
Dieu. Par
conséquent, dans la mesure où l'exigent la fin et la nature de la
société humaine, il faut obéir au pouvoir légitime
commandant des choses justes, comme à l'autorité même de
Dieu
qui gouverne tout ; et rien n'est plus contraire à la vérité
que de soutenir qu'il dépend de la volonté du peuple de refuser
cette obéissance quand il lui plaît.
De même, si l'on considère que tous les hommes sont de même
race et de même nature et qu'ils doivent tous atteindre la même fin
dernière, et si l'on regarde aux devoirs et aux droits qui découlent
de cette communauté d'origine et de destinée, il n'est pas douteux
qu'ils ne soient tous égaux. Mais, comme ils n'ont pas tous les mêmes
ressources d'intelligence et qu'ils diffèrent les uns des autres, soit
par les facultés de l'
esprit, soit par les énergies physiques ;
comme enfin il existe entre eux mille distinctions de murs, de
goûts,
de caractères, rien ne répugne tant à la raison que de prétendre
les ramener tous à la même mesure et d'introduire dans les instructions
de la vie civile une égalité rigoureuse et mathématique.
De même, en effet, que la parfaite constitution du
corps humain résulte
de l'union et de l'assemblage des membres qui n'ont ni les mêmes
forces
ni les mêmes fonctions, mais dont l'heureuse association et le concours
harmonieux donnent à tout l'organisme sa beauté plastique, sa
force
et son aptitude à rendre les services nécessaires, de même,
au sein de la société humaine, se trouve une variété
presque infinie de parties dissemblables. Si elles étaient toutes égales
entre elles et libres, chacune pour son compte, d'agir à leur guise, rien
ne serait plus difforme qu'une telle société. Si, au contraire,
par une sage hiérarchie des mérites, des
goûts, des aptitudes,
chacune d'elles concourt au bien général, vous voyez se dresser
devant vous l'image d'une société bien ordonnée et conforme
à la nature.
Les malfaisantes erreurs que
Nous venons de rappeler menacent les Etats des dangers les plus redoutables. En
effet, supprimez la crainte de
Dieu et le respect dû à ses lois ;
laissez tomber en discrédit l'autorité des Princes ; donnez libre
carrière et encouragement à la manie des révolutions ; lâchez
la bride aux passions populaires, brisez tout frein, sauf celui des châtiments,
vous aboutirez par la
force des choses à un bouleversement universel et
à la ruine de toutes les institutions : tel est, il est vrai, le but avéré,
explicite que poursuivent de leurs efforts beaucoup d'associations communistes
et socialistes ; et la secte des francs-maçons n'a pas le droit de se dire
étrrangère à leurs attentats, puisqu'elle favorise leurs
desseins et que, sur le terrain des principes, elle est entièrement d'accord
avec elles. Si ces principes ne produisent pas immédiatement et partout
leurs conséquences
extrêmes, ce n'est ni à la discipline de
la secte ni à la volonté des
sectaires qu'il faut l'attribuer, mais
d'abord à la vertu de cette divine
religion qui ne peut être anéantie
; puis aussi à l'action des hommes qui, formant la partie la plus saine
des nations, refusent de subir le joug des sociétés secrètes,
et luttent avec courage contre leurs entreprises insensées.
Et plût à
Dieu, que tous, jugeant l'
arbre par ses
fruits,
sussent reconnaître le
germe et le principe des maux qui nous accablent,
des dangers qui nous menacent ! Nous avons affaire à un
ennemi rusé
et fécond en artifices. Il excelle à chatouiller agréablement
les oreilles des Princes et des peuples ; il a su prendre les unes et les autres
par la douceur de ses maximes et l'appât de ses flatteries. Les Princes
? Des francs-maçons se sont insinués dans leur faveur sous le masque
de l'amitié, pour faire d'eux des alliés et de puissants auxiliaires,
à l'aide desquels ils opprimeraient plus sûrement les
catholiques.
Afin d'aiguillonner plus vivement le zèle de ces hauts personnages, ils
poursuivent l'
Eglise d'impudentes calomnies. C'est ainsi qu'ils l'accusent d'être
jalouse de la puissance des souverains et de leur contester leurs droits. Assurés
par cette politique de l'impunité de leur audace, ils ont commencé
à jouir d'un grand crédit sur les gouvernements. D'ailleurs, ils
se tiennent toujours prêts à ébranler les fondements des empires,
à poursuivre, à dénoncer et même à chasser les
Princes toutes les fois que ceux-ci paraissent user du pouvoir autrement que la
secte ne l'exige. Les peuples ? Ils se jouent d'eux en les flattant par des
procédés semblables. Ils ont toujours à la bouche les mots
de «
liberté » et de «
prospérité
publique ». A les en croire, c'est l'
Eglise, ce sont les souverains
qui ont toujours fait obstacle à ce que les masses fussent arrachées
à une servitude injuste et délivrées de la misère.
Ils ont séduit le peuple par ce langage
fallacieux, et excitant en lui
la soif des changements, ils l'ont lancé à l'assaut des deux puissances
ecclésiastique et civile. Toutefois, la réalité des avantages
qu'on espère demeure toujours au-dessous de l'imagination et de ses désirs.
Bien loin d'être devenu plus heureux, le peuple, accablé par une
oppression et une misère croissantes, se voit encore dépouillé
des consolations qu'il eût pu trouver avec tant de facilité et d'abondance,
dans les croyances et les pratiques de la
religion chrétienne. Lorsque
les hommes s'attaquent à l'ordre providentiellement établi, par
une juste punition de leur orgueil, ils trouvent souvent l'affliction et la ruine
à la place de la fortune prospère sur laquelle ils avaient témérairement
compté pour l'assouvissement de tous leurs désirs.
Quant à l'
Eglise, si, par-dessus toute chose, elle ordonne
aux hommes d'obéir à
Dieu, souverain Seigneur de l'univers, l'on
porterait contre elle un
jugement calomnieux, si on croyait qu'elle est jalouse
de la puissance civile ou qu'elle songe à entreprendre sur les droits des
Princes. Loin de là. Elle met sous la sanction du devoir et de la conscience
l'obligation de rendre à la puissance civile ce qui lui est légitimement
dû. Si elle fait découler de
Dieu Lui-même le droit de commander,
il en résulte pour l'autorité un surcroît considérable
de dignité et une facilité plus grande de se concilier l'obéissance,
le respect et le bon vouloir des citoyens.
D'ailleurs,
toujours amie de la paix, c'est elle qui entretient la
concorde, en embrassant
tous les hommes dans la tendresse de sa
charité maternelle. Uniquement
attentive à se procurer le bien des mortels, elle ne se lasse pas de rappeler
qu'il faut toujours tempérer la justice par sa clémence, le commandement
par l'équité, les lois par la modération ; que le droit de
chacun est inviolable ; que c'est un devoir de travailler au maintien de l'ordre
et de la tranquillité générale, et de venir en aide, dans
toute la mesure du possible, par la
charité privée et publique,
aux souffrances des malheureux. Mais, pour employer fort à propos les paroles
de saint Augustin, «
ils croient ou ils cherchent à faire croire
que la doctrine chrétienne est incompatible avec le bien de l'Etat, parce
qu'ils veulent fonder l'Etat non sur la solidité des vertus, mais sur l'impunité
des vices ». Si tout cela était mieux connu, Princes et peuples
feraient preuve de sagesse politique et agiraient conformément aux exigences
du salut général, en s'unissant à l'
Eglise pour résister
aux attaques des francs-maçons, au lieu de s'unir aux francs-maçons
pour combattre l'
Eglise.
Quoi qu'il en puisse advenir,
Notre devoir est de nous appliquer à trouver des remèdes proportionnés
à un mal si intense et dont les ravages ne se sont que trop étendus.
Nous le savons : notre meilleur et plus solide espoir de guérison est dans
la vertu de cette
religion divine que les francs-maçons haïssent d'autant
plus qu'ils la redoutent davantage. Il importe donc souverainement de faire d'elle
le point central de la résistance contre l'
ennemi commun. Aussi, tous les
décrets portés par les
Pontifes romains, Nos prédécesseurs,
en
vue de paralyser les efforts et les tentatives de la secte maçonnique
; toutes les sentences prononcées par eux pour détourner les hommes
de s'affilier à cette secte ou pour les déteminer à en sortir,
Nous entendons les ratifier de nouveau, tant en général qu'en particulier.
Plein de confiance à cet égard dans la bonne volonté des
chrétiens, Nous les supplions au nom de leur salut éternel, et Nous
leur demandons de se faire une obligation sacrée de conscience de ne jamais
s'écarter, même d'une seule ligne, des prescriptions promulguées
à ce sujet par le Siège
Apostolique.