Le
dieu le plus populaire des Germains ne brillait pas par la finesse ; c'était un robuste gaillard, nommé
Thor ou Thur dans le nord, d'où Thursday, en anglais, le th se prononçant à l'anglaise. Dans le sud des régions germaniques, on préférait l'appeler
Donar, de Donner, tonnerre, car ce
dieu lançait la foudre, sous forme d'un marteau qui lui revenait en main après avoir été projeté sur l'adversaire.
Se sachant invincible, ce redoutable combattant se précipitait dans toutes les aventures, quitte à n'en pas sortir triomphant. C'est ainsi qu'il lui arriva d'être dupé par des
géants qui surent lui subtiliser son marteau.
Revenu piteux auprès d'Odhin (Wuotan),
Thor sollicita l'aide du rusé Loki, qui se rendit auprès des
géants pour négocier la restitution du divin marteau.
L'ambassadeur des Ases (
dieux) fut reçu avec politesse,
mais il apprit que le marteau ne serait jamais restitué, si
Freya ne consentait
pas à
épouser son détenteur.
Lorsque la déesse entendit cette proposition, elle fit retentir le Walhall de son indignation. Tant pis pour le marteau ! Pour que cet imbécile de
Thor rentre en sa possession, elle ne consentait pas à
se livrer à la brutalité d'un
géant.
Thor désemparé, supplie alors Loki de trouver un subterfuge sauveur. L'Ase astucieux ne fut pas embarrassé. Exemptant la pudique
Freya de se dévouer, il ne lui demanda que son voile, puis en couvrit
Thor, dont l'abondante chevelure rousse fut relevée selon l'usage féminin. Puis Loki conduisit l'Ersatz de
Freya auprès de son amoureux. Celui-ci avait préparé un somptueux festin, auquel la fausse
Freya fit honneur en dévorant à elle seule un buf entier, suivi de huit saumons, le tout arrosé de trois tonneaux de met (
hydromel). Le fiancé
géant fut stupéfait d'un aussi formidable appétit, que Loki mit sur le compte d'un jeûne prolongé de la fiancée, amoureuse au point d'en avoir perdu le boire et le manger loin de l'
époux promis.
Flatté, le
géant voulut alors se délecter du visage de
Freya en écartant le voile sous lequel tant d'aliments venaient de disparaître. Seul le haut du visage se montra, car le
géant recula devant des yeux de
feu qui lançaient des éclairs. Loki le rassura en expliquant cette ardeur par l'
amour qui consumait la belle.
Le galant eut alors hâte de consommer le
mariage, qui ne pouvait être valablement consacré qu'à l'aide du marteau de
Thor, qu'il envoya quérir. Mais dès que le marteau approcha du
dieu déguisé, il vola dans sa main puis fut projeté à la tête du
géant, qui tomba foudroyé ainsi que ses serviteurs.
Thor put alors revenir fièrement vers les Ases.
Son splendide appétit valait au
dieu l'admiration
et la gratitude des Germains, car les
digestions de
Thor se traduisaient en manne
fertilisante, précieuse au paysan.
Par contraste, Odhin ne mangeait pas et ne buvait que du vin ; les mets qu'on lui servait passaient aux deux
loups qui flanquaient son trône. Dédaignant l'apparat, ce
dieu parcourait le monde sous le costume d'un vagabond, allant partout, pour tout voir de ses propres yeux. Aussi fallait-il se méfier et ne point repousser le pauvre hère en quête d'un repas et d'un gîte pour la nuit. Ce pouvait fort bien être le maître des
dieux.
Les
mythes reflètent le caractère de ceux qui les adoptent. Les anciens peuples du nord de l'
Europe furent certainement plus grossiers, plus rudes que les Méditerranéens, mais non méchants et sans doute plus hospitaliers. Une nature clémente rend moins impérieux le devoir envers l'affamé sans abri ; elle a l'inconvénient d'excuser le chacun pour soi des civilisés.
D'après Snorri STURLUSON,
scalde islandais, auteur de l'Edda en prose
(1223)