CHAPITRE VI : Le Chemin pour aller à Dieu
Le lendemain du
jour où Séraphîta pressentit sa fin et fit ses adieux à la
Terre comme un prisonnier regarde son cachot avant de le quitter à jamais, elle ressentit des douleurs qui l'obligèrent à demeurer dans la complète
immobilité de ceux qui souffrent des maux
extrêmes. Wilfrid et Minna vinrent la voir, et la trouvèrent couchée sur son divan de pelleterie. Encore voilée par la chair, son
âme rayonnait à travers son voile en le blanchissant de
jour en
jour. Les progrès de l'
Esprit qui minait la dernière barrière
par laquelle il était séparé de l'
infini s'appelaient
une maladie, l'heure de la Vie était nommée la mort. David
pleurait en
voyant souffrir sa maîtresse sans vouloir écouter
ses consolations, le vieillard était déraisonnable comme
un
enfant. Monsieur Becker voulait que Séraphîta se soignât
; mais tout était inutile.
Un
jour elle demanda les deux êtres qu'elle
avait affectionnés, en leur disant que ce
jour était le
dernier de ses mauvais
jours. Wilfrid et Minna vinrent saisis de terreur,
ils savaient qu'ils allaient la perdre. Séraphîta leur sourit
à la manière de ceux qui s'en vont dans un monde meilleur,
elle inclina la tête comme une
fleur trop chargée de rosée
qui montre une dernière fois son calice et livre aux airs ses
derniers parfums ; elle les regardait avec une mélancolie inspirée
par eux, elle ne pensait plus à elle, et ils le sentaient sans
pouvoir exprimer leur douleur à laquelle se mêlait la gratitude.
Wilfrid resta debout, silencieux,
immobile, perdu dans une de ces contemplations
excitées par les choses dont l'étendue nous fait comprendre
ici-bas une immensité suprême. Enhardie par la faiblesse
de cet être si puissant, ou peut-être par la crainte de
le perdre à jamais, Minna se pencha sur lui pour lui dire : -
Séraphîtüs, laisse-moi te suivre.
- Puis-je te le défendre ?
- Mais pourquoi ne m'aimes-tu pas assez pour rester
?
- Je ne saurais rien aimer ici.
- Qu'aimes-tu donc ?
- Le
Ciel.
- Es-tu digne du
Ciel en méprisant ainsi
les créatures de
Dieu ?
- Minna, pouvons-nous aimer deux êtres à
la fois ? Un bien-aimé serait-il le bien-aimé s'il ne
remplissait pas le
cœur ? Ne doit-il pas être le premier, le dernier,
le seul ?
Celle qui est tout
amour ne quitte-t-elle pas le monde pour
son bien-aimé ? Sa famille entière devient un souvenir,
elle n'a plus qu'un parent, Lui !
Son âme n'est plus à
elle, mais à Lui ! Si elle garde en elle-même quelque chose
qui ne soit pas à Lui, elle n'aime pas ; non, elle n'aime pas
! Aimer faiblement, est-ce aimer ? La parole du bien-aimé la
fait tout joie et se
coule dans ses veines comme une pourpre plus rouge
que n'est le sang ; son regard est une lumière qui la pénètre,
elle se fond en Lui ; là où Il est, tout est beau. Il
est chaud à l'
âme, Il éclaire tout ; près
de Lui, fait-il jamais froid ou nuit? Il n'est jamais absent, il est
toujours en nous, nous pensons en Lui, à Lui, pour Lui. Voilà,
Minna, comment je l'aime.
-
Dieu ! répondit Séraphîtüs
dont la voix brilla dans les
âmes comme un
feu de
liberté
qui s'allume de
montagne en
montagne.
Dieu qui ne nous trahit jamais
!
Dieu qui ne nous abandonne pas et comble incessamment nos désirs,
qui seul peut constamment
abreuver sa créature d'une joie infinie
et sans mélange !
Dieu qui ne se lasse jamais et n'a que des
sourires !
Dieu qui, toujours nouveau, jette dans l'
âme ses trésors,
qui purifie et n'a rien d'amer, qui est tout
harmonie et tout
flamme
!
Dieu qui se met en nous pour y fleurir, exauce tous nos veux, ne compte
plus avec nous quand nous sommes à lui, mais se donne tout entier
; nous ravit, nous amplifie, nous multiplie en lui ! Enfin DIEU ! Minna,
je t'aime, parce que tu peux être à lui ! Je t'aime, parce
que, si tu viens à lui, tu seras à moi.
-
Hé ! bien, conduis-moi donc ? dit-elle
en s'agenouillant. Prends-moi par la main, je ne veux plus te quitter.
- Conduisez-nous, Séraphîta ? s'écria
Wilfrid qui vint se
joindre à Minna par un mouvement impétueux.
Oui, tu m'as enfin donné soif de la Lumière et soif de
la Parole ; je suis altéré de l'
amour que tu m'as mis
au
cœur, je conserverai ton
âme en la mienne ; jettes-y ton vouloir,
je ferai ce que tu me diras de faire. Si je ne puis t'obtenir, je veux
garder de toi tous les sentiments que tu me communiqueras ! Si je ne
puis m'unir à toi que par ma seule
force, je m'y attacherai comme
le
feu s'attache à ce qu'il dévore. Parle ?
-
Ange ! s'écria cet être incompréhensible
en les enveloppant tous deux par un regard qui fut comme un manteau
d'azur.
Ange, le
ciel sera ton héritage !
Il se fit entre eux un grand silence après
cette exclamation qui détona dans les
âmes de Wilfrid et
de Minna comme le premier accord de quelque musique céleste.
- Si vous voulez habituer vos pieds à marcher
dans le chemin qui mène au
Ciel, sachez bien que les commencements
en sont rudes, dit cette
âme endolorie.
Dieu veut être cherché
pour lui-même. En ce sens, il est jaloux, il vous veut tout entier
; mais quand vous vous êtes donné à lui, jamais
il ne vous abandonne.
Je vais vous laisser les
clefs du royaume où
brille sa lumière, où vous serez partout dans le sein
du Père, dans le
cœur de l'
Epoux. Aucune sentinelle n'en défend
les approches, vous pouvez y entrer de tous côtés ; son palais,
ses trésors, son sceptre, rien n'est gardé ; il a dit
à tous : Prenez-les ! Mais il faut vouloir y aller. Comme pour
faire un voyage, il est nécessaire de quitter sa demeure, de
renoncer à ses projets, de dire adieu à ses amis, à
son père, à sa mère, à sa sœur, et même
au plus petit des
frères qui crie, et leur dire des adieux éternels,
car vous ne reviendrez pas plus que les
martyrs en marche vers le bûcher
ne retournaient au logis ; enfin, il faut vous
dépouiller des
sentiments et des choses auxquels tiennent les hommes, sans quoi vous
ne seriez pas tout entiers à votre entreprise. Faites pour
Dieu
ce que vous faisiez pour vos desseins ambitieux, ce que vous faites
en vous vouant à un art, ce que vous avez fait quand vous aimiez
une créature plus que lui, ou quand vous poursuiviez un secret
de la science humaine.
Dieu n'est-il pas la science même, l'
amour
même, la source de toute
poésie ?
Son trésor ne
peut-il exciter la cupidité ?
Son trésor est inépuisable,
sa
poésie est infinie, son
amour est
immuable, sa science est
infaillible et sans mystères ! Ne tenez donc à rien, il
vous donnera tout. Oui, vous retrouverez dans son
cœur des biens incomparables
à ceux que vous aurez perdus sur la terre. Ce que je vous dis
est certain : vous aurez sa puissance, vous en userez comme vous usez
de ce qui est à votre amant ou à votre maîtresse. Hélas
! La plupart des hommes doutent, manquent de foi, de volonté,
de persévérance. Si quelques-uns se mettent en route,
ils viennent aussitôt à regarder derrière eux, et reviennent.
Peu de créatures savent choisir entre ces deux
extrêmes
: ou rester ou partir, ou la fange ou le
ciel. Chacun hésite.
La faiblesse commence l'égarement, la passion entraîne dans la
mauvaise voie, le vice, qui est une habitude, y embourbe ; et l'homme
ne fait aucun progrès vers les états meilleurs. Tous les
êtres passent une première vie dans la
sphère des
Instincts où ils travaillent à reconnaître l'inutilité
des trésors terrestres après s'être donné
mille peines pour les amasser. Combien de fois vit-on dans ce premier
monde avant d'en sortir préparé pour recommencer d'autres
épreuves dans la
sphère des Abstractions où la
pensée s'exerce en de fausses sciences, où l'
esprit se
lasse enfin de la parole humaine ; car la Matière épuisée,
vient l'
Esprit. Combien de formes l'être promis au
ciel a-t-il
usées, avant d'en venir à comprendre le prix du silence
et de la solitude dont les steppes étoilées sont le parvis
des Mondes Spirituels ! Après avoir expérimenté
le vide et le néant, les yeux se tournent vers le bon chemin.
C'est alors d'autres existences à user pour arriver au sentier
où brille la lumière. La mort est le relais de ce voyage.
Les expériences se font alors en sens inverse : il faut souvent
toute une vie pour acquérir les vertus qui sont l'opposé
des erreurs dans lesquelles l'homme a précédemment vécu.
Ainsi vient d'abord la vie où l'on souffre, et dont les tortures
donnent soif de l'
amour. Ensuite la vie où l'on aime et où
le dévouement pour la créature apprend le dévouement
pour le créateur, où les vertus de l'
amour, ses mille
martyres, son angélique espoir, ses joies suivies de douleurs,
sa patience, sa résignation, excitent l'appétit des choses
divines. Après vient la vie où l'on cherche dans le silence
les traces de la Parole, où l'on devient humble et charitable.
Puis la vie où l'on désire. Enfin, la vie où l'on
prie. Là est l'éternel midi, là sont les
fleurs,
là est la moisson ! Les qualités acquises et qui se développent
lentement en nous, sont les liens invisibles qui rattachent chacun de
nos existers l'un à l'autre, et que l'
âme seule se rappelle,
car la matière ne peut se ressouvenir d'aucune des choses spirituelles.
La pensée seule a la tradition de l'antérieur. Ce legs
perpétuel du passé au présent et du présent
à l'avenir, est le secret des génies humains: les uns
ont le don des Formes, les autres ont le don des Nombres, ceux-ci le
don des Harmonies. C'est des progrès dans le chemin de la lumière.
Oui, qui possède un de ces dons touche par un point à
l'
infini. La parole, de laquelle je vous révèle ici quelques
mots, la terre se l'est partagée, l'a réduite en poussière
et l'a semée dans ses uvres, dans ses doctrines, dans ses
poésies. Si quelque grain impalpable en reluit sur un ouvrage,
vous dites : " Ceci est grand, ceci est vrai, ceci est sublime ! " Ce
peu de chose vibre en vous et y attaque le pressentiment du
ciel. Aux
uns la maladie qui nous sépare du monde, aux autres la solitude
qui nous rapproche de
Dieu, à celui-ci la
poésie ; enfin
tout ce qui vous replie sur vous-même, vous frappe et vous écrase,
vous élève ou vous abaisse, est un retentissement du Monde
Divin. Quand un être a tracé droit son premier sillon,
il lui suffit pour assurer les autres : une seule pensée creusée,
une voix entendue, une souffrance vive, un seul écho que rencontre
en vous la parole, change à jamais votre
âme. Tout aboutit
à
Dieu, il est donc bien des chances pour le trouver en allant
droit devant soi. " Quand arrive le
jour heureux où vous mettez
le pied dans le chemin et que commence votre
pèlerinage, la terre
n'en sait rien, elle ne vous comprend plus, vous ne vous entendez plus,
elle est vous. Les hommes qui arrivent à la connaissance de ces
choses, et qui disent quelques mots de la Parole vraie ; ceux-là
ne trouvent nulle part à reposer leur tête, ceux-là
sont poursuivis comme bêtes fauves, et périssent souvent
sur des échafauds à la grande joie des peuples assemblés,
tandis que les
Anges leur ouvrent les portes du
ciel. Votre destination
sera donc un secret entre vous et
Dieu, comme l'
amour est un secret
entre deux
cœurs. Vous serez le trésor enfoui sur lequel passent
les hommes affamés d'or, sans savoir que vous êtes là.
Votre existence devient alors incessamment active ; chacun de vos actes
a un sens qui se rapporte à
Dieu, comme dans l'
amour vos actions
et vos pensées sont pleines de la créature aimée
; mais l'
amour et ses joies, l'
amour et ses plaisirs bornés par
les sens, est une imparfaite image de l'
amour infini qui vous unit au
céleste fiancé. Toute joie terrestre est suivie d'angoisses,
de mécontentements ; pour que l'
amour soit sans dégoût,
il faut que la mort le termine au plus fort de sa
flamme, vous n'en
connaissez alors pas les cendres ; mais ici
Dieu transforme nos misères
en délices, la joie se multiplie alors par elle-même, elle
va croissant et n'a pas de limites. Ainsi, dans la vie Terrestre, l'
amour
passager se termine par des tribulations constantes ; tandis que, dans
la vie Spirituelle, les tribulations d'un
jour se terminent par des
joies infinies. Votre
âme est incessamment joyeuse. Vous sentez
Dieu près de vous, en vous ; il donne à toutes choses
une saveur sainte, il rayonne dans votre
âme, il vous empreint
de sa douceur, il vous désintéresse de la terre pour vous-même,
et vous y intéresse pour lui-même en vous laissant exercer
son pouvoir. Vous faites en son nom les uvres qu'il
inspire :
vous séchez les larmes, vous agissez pour lui, vous n'avez plus
rien en propre, vous aimez comme lui les créatures d'un inextinguible
amour ; vous les voudriez toutes en marche vers lui, comme une véritable
amante voudrait voir tous les peuples du monde obéir à
son bien-aimé. La dernière vie, celle en qui se résument
les autres, où se tendent toutes les
forces et dont les mérites
doivent ouvrir la Porte Sainte à l'être parfait, est la
vie de la Prière. Qui vous fera comprendre la grandeur, les majestés,
les
forces de la Prière ? Que ma voix tonne dans vos
cœurs et
qu'elle les change. Soyez tout à coup ce que vous seriez après
les épreuves !
Il est des créatures privilégiées,
les Prophètes, les
Voyants, les Messagers, les
Martyrs, tous
ceux qui souffrirent pour la Parole ou qui l'ont proclamée ;
ces
âmes franchissent d'un bond les
sphères humaines et
s'élèvent tout à coup à la Prière.
Ainsi de ceux qui sont dévorés par le
feu de la Foi. Soyez
un de ces couples hardis.
Dieu souffre la témérité,
il aime à être pris avec violence, il ne rejette jamais
celui qui peut aller jusqu'à lui. Sachez-le ! Le désir,
ce torrent de votre volonté, est si puissant chez l'homme, qu'un
seul jet émis avec
force peut tout faire obtenir, un seul cri
suffit souvent sous la pression de la Foi. Soyez un de ces êtres
pleins de
force, de vouloir et d'
amour ! Soyez victorieux de la terre.
Que la soif et la faim de
Dieu vous saisissent ! Courez à Lui
comme le cerf altéré court à la fontaine ; le Désir
vous armera de ses ailes ; les larmes, ces
fleurs du Repentir, seront
comme un
baptême céleste d'où sortira votre nature
purifiée. Elancez-vous du sein de ces ondes dans la Prière.
Le silence et la méditation sont les moyens efficaces pour aller
dans cette voie.
Dieu se révèle toujours à l'homme
solitaire et recueilli. Ainsi s'opérera la séparation
nécessaire entre la Matière qui vous a si long-temps environnés
de ses ténèbres, et l'
Esprit qui naît en vous et vous
illumine, car il fera alors clair en votre
âme. Votre
cœur brisé
reçoit alors la lumière, elle l'inonde. Vous ne sentez
plus alors des convictions en vous, mais d'éclatantes certitudes.
Le Poète exprime, le Sage médite, le Juste agit ; mais
celui qui se pose au bord des Mondes Divins, prie ; et sa prière
est à la fois parole, pensée, action ! Oui, sa prière
enferme tout, elle contient tout, elle vous achève la nature,
en vous en découvrant l'
esprit et la marche. Blanche et lumineuse
fille de toutes les vertus humaines, arche d'alliance entre la terre
et le
ciel, douce compagne qui tient du
lion et de la
colombe, la Prière
vous donnera la
clef des cieux. Hardie et pure comme l'innocence, forte
comme tout ce qui est un et simple, cette Belle Reine invincible s'appuie
sur le monde matériel, elle s'en est emparée ; car, semblable
au
soleil, elle le presse par un cercle de lumière. L'univers
appartient à qui veut, à qui sait, à qui peut prier
; mais il faut vouloir, savoir et pouvoir ; en un mot posséder
la
force, la sagesse et la foi. Aussi la prière qui résulte
de tant d'épreuves est-elle la consommation de toutes les vérités,
de toutes les puissances, de tous les sentiments.
Fruit du développement
laborieux, progressif, continu de toutes les propriétés
naturelles animé par le souffle divin de la Parole, elle a des
activités enchanteresses, elle est le dernier culte : ce n'est
ni le culte matériel qui a des images, ni le culte spirituel
qui a des formules ; c'est le culte du monde divin. Nous ne disons plus
de prières, la prière s'allume en nous, elle est une faculté
qui s'exerce d'elle-même ; elle a conquis ce caractère
d'activité qui la porte au-dessus des formes ; elle relie alors
l'
âme à
Dieu, avec qui vous vous unissez comme la racine
des
arbres s'unit à la terre ; vos veines tiennent au principe
des choses, et vous vivez de la vie même des mondes. La Prière
donne la conviction extérieure en vous faisant pénétrer
le Monde Matériel par la cohésion de toutes vos facultés
avec les substances élémentaires ; elle donne la conviction
intérieure en développant votre
essence et la mêlant
à celle des Mondes Spirituels. Pour parvenir à prier ainsi,
obtenez un entier dépouillement de la chair, acquérez
au
feu des creusets la pureté du
diamant, car cette complète
communication ne s'obtient que par le repos absolu, par l'apaisement
de toutes les tempêtes. Oui, la prière, véritable
aspiration de l'
âme entièrement séparée du
corps, emporte toutes les
forces et les applique à la constante
et persévérante union du Visible et de l'Invisible. En
possédant la faculté de prier sans lassitude, avec
amour,
avec
force, avec certitude, avec intelligence, votre nature spiritualisée
est bientôt investie de la puissance. Comme un vent impétueux
ou comme la foudre, elle traverse tout et participe au pouvoir de
Dieu.
Vous avez l'agilité de l'
esprit ; en un instant, vous vous rendez
présent dans toutes les régions, vous êtes transporté
comme la Parole même d'un bout du monde à l'autre. Il est
une
harmonie, et vous y participez ! il est une lumière, et vous
la voyez ! Il est une mélodie, et son accord est en vous. En
cet état, vous sentirez votre intelligence se développer,
grandir, et sa
vue atteindre à des distances prodigieuses : il
n'est en effet ni temps, ni lieu pour l'
esprit. L'espace et la durée
sont des proportions créées pour la matière, l'
esprit
et la matière n'ont rien de commun. Quoique ces choses s'opèrent
dans le calme et le silence, sans agitation, sans mouvement extérieur
; néanmoins tout est action dans la Prière, mais action
vive, dépouillée de toute substantialité, et réduite
à être, comme le mouvement des Mondes, une
force invisible
et pure. Elle descend partout comme la lumière, et donne la vie
aux
âmes qui se trouvent sous ses rayons, comme la Nature est
sous le
soleil. Elle ressuscite partout la vertu, purifie et sanctifie
tous les actes, peuple la solitude, donne un avant-goût des délices
éternelles. Une fois que vous avez éprouvé les
délices de l'ivresse divine engendrée par vos travaux
intérieurs, alors tout est dit ! Une fois que vous tenez le sistre
sur lequel on chante
Dieu, vous ne le quittez plus. De là vient
la solitude où vivent les
esprits Angéliques et leur dédain
de ce qui fait les joies humaines. Je vous le dis, ils sont retranchés
du nombre de ceux qui doivent mourir ; s'ils en entendent les langages,
ils n'en comprennent plus les idées ; ils s'étonnent de
leurs mouvements, de ce que l'on nomme politique, lois matérielles
et sociétés ; pour eux plus de mystère, il n'est
plus que des vérités. Ceux qui sont arrivés au
point où leurs yeux découvrent la Porte Sainte, et qui,
sans jeter un seul regard en arrière, sans exprimer un seul regret,
contemplent les mondes en en pénétrant les destinées
; ceux-là se taisent, attendent, et souffrent leurs dernières
luttes ; la plus difficile est la dernière, la vertu suprême
est la Résignation : être en exil et ne pas se plaindre,
n'avoir plus
goût aux choses d'ici-bas et sourire, être
à
Dieu, rester parmi les hommes ! Vous entendez bien la Voix
qui vous crie : -
Marche !
Marche ! Souvent en de célestes visions,
des
Anges descendent et vous enveloppent de leurs chants ! Il faut sans
pleurs ni murmures, les voir revolant à la ruche. Se plaindre,
ce serait déchoir. La résignation est le
fruit qui mûrit
à la porte du
ciel. Combien est puissant et beau le sourire calme
et le front pur de la créature résignée ! Radieuse
est la lueur qui lui pare le front ! Qui vit dans son
air, devient meilleur
!
Son regard pénètre, attendrit. Plus éloquente
par son silence que le prophète ne l'est par sa parole, elle
triomphe par sa seule présence. Elle dresse l'oreille comme le
chien fidèle qui attend le maître. Plus forte que l'
amour, plus
vive que l'espérance, plus grande que la foi, elle est l'adorable
fille qui, couchée sur la terre, y garde un moment la palme conquise
en laissant une empreinte de ses pieds blancs et purs ; et quand elle
n'est plus, les hommes accourent en foule et disent : " - Voyez ! "
Dieu l'y maintient comme une figure aux pieds de laquelle rampent les
Formes et les Espèces de l'Animalité pour reconnaître
leur chemin. Elle secoue, par moments, la lumière que ses
cheveux
exhalent, et l'on voit ; elle parle, et l'on entend, et tous se disent
: - Miracle ! Souvent elle triomphe au nom de
Dieu ; les hommes épouvantés
la renient, et la mettent à mort ; elle
dépose son
glaive,
et sourit au bûcher après avoir sauvé les peuples.
Combien d'
Anges pardonnés sont passés du
martyre au
ciel
! Sinaï,
Golgotha ne sont pas ici ou là ; l'
Ange est crucifié
dans tous les lieux, dans toutes les
sphères. Les soupirs arrivent
à
Dieu de toutes parts. La terre où nous sommes est un
des épis de la moisson, l'humanité est une des espèces
dans le champ immense où se cultivent les
fleurs du ciel. Enfin,
partout
Dieu est semblable à lui-même, et partout, en priant,
il est facile d'arriver à lui. "
A ces paroles, tombées comme des lèvres
d'une autre
Agar dans le désert, mais qui, arrivées à
l'
âme, la remuaient comme des
flèches lancées par
le Verbe enflammé d'Isaïe, cet être se tut soudain pour
rassembler ses dernières
forces. Ni Wilfrid, ni Minna n'osèrent
parler. Tout à coup, IL se dressa pour mourir.
-
Ame de toutes choses, ô mon
Dieu, toi que j'aime
pour toi-même ! Toi,
Juge et Père, sonde une ardeur qui
n'a pour mesure que ton infinie bonté ! Donne-moi ton
essence
et tes facultés pour que je sois mieux à toi ! Prends-moi
pour que je ne sois plus moi-même. Si je ne suis pas assez pur,
replonge-moi dans la
fournaise ! Si je suis taillé en
faulx,
fais de moi quelque Soc nourricier ou l'
Epée victorieuse ! Accorde-moi
quelque
martyre éclatant où je puisse proclamer ta parole.
Rejeté, je bénirai ta justice. Si l'excès d'
amour
obtient en un moment ce qui se refuse à de durs, à de
patients travaux, enlève-moi sur ton char de
feu ! Que tu m'octroies
le triomphe ou de nouvelles douleurs, sois béni ! Mais souffrir
pour toi, n'est-ce pas un triomphe aussi ! Prends, saisis, arrache,
emporte-moi ! Si tu le veux, rejette-moi ! Tu es l'adoré qui
ne saurait mal faire. - Ah ! cria-t-il, après une pause, les
liens se brisent !
"
Esprits purs, troupeau sacré, sortez des
abîmes, volez sur la surface des ondes lumineuses ! L'heure a sonné,
venez, rassemblez-vous ! Chantons aux portes du
Sanctuaire, nos chants
dissiperont les dernières nuées. Unissons nos voix pour
saluer l'aurore du
Jour Eternel. Voici l'aube de la Vraie Lumière
! Pourquoi ne puis-je emmener mes amis ? Adieu, pauvre terre ! Adieu ! "