Numa Pompilius, législateur des Romains, était né, dit-on, à Cires, dans la
Sabinie, le même
jour que
Romulus jeta les fondements de sa ville guerrière. Frappé de ses vertus, Tatius, roi des
Sabins, lui donna sa fille unique pour
épouse.
Numa, tout entier à la simplicité des murs domestiques et aux besoins d'une vie méditative, demeura sur le sol natal pendant que son beau-père partageait l'autorité de
Romulus.
Son amour profond pour la justice, son respect pour les
dieux, les paroles de paix qu'il semait au milieu de populations accoutumées à ne reconnaître d'autre droit que la
force, l'environnèrent d'une vénération immense ; et comme les pensées dont il entretenait ses concitoyens ne pouvaient émaner dans leur opinion que d'une nature supérieure, ils publièrent qu'il était inspiré par la nymphe
Egérie, et qu'il jouissait de communications intimes avec cette divinité. Il est curieux de voir
Plutarque discuter avec bonhomie la vraisemblance de ses traditions populaires ;
Numa les favorisa par son
goût pour la solitude et par ses habitudes de contemplation.
Il vivait ainsi au milieu de ses champs, et entrait dans sa quarantième année, lorsqu'une députation vint lui annoncer que Rome le demandait pour roi. Depuis la mort de
Romulus, les sénateurs créés par ce dernier avaient essayé d'accoutumer le peuple à les voir exercer tour à tour la souveraineté ; mais les Romains et la colonie des
Sabins incorporée parmi eux s'étaient lassés de cet
interrègne ; et, pour éviter les dissensions, on était convenu que les premiers auraient le choix du chef commun, mais qu'il serait pris dans les rangs des seconds.
Numa ne renonça point sans quelque peine à sa retraite ; enfin l'ascendant qu'il avait obtenu sur ses voisins le persuada qu'il parviendrait à amortir cet
esprit inquiet et belliqueux, qui animait Rome naissante. Il ne voulut point se revêtir des marques de la
royauté avant que le
ciel, par la voix des augures, eût confirmé son élection : il connaisait l'effet merveilleux des croyances
religieuses. Les 300 gardes dont s'était entouré
Romulus, sous le nom de
Célères, devenaient inutiles à un roi pacifique, qui se confiait à l'
amour et au respect des sujets ;
Numa supprima donc
ce
corps et se plut à créer une milice sacerdotale, avec le même
soin qu'avait mis son prédécesseur à former des soldats. Les
Saliens, le
collège des
Pontifes et les
vestales, furent les plus remarquables de ses institutions
religieuses. Il se réserva, comme
pontife suprême, de régler tout ce qui concernait les dogmes et les
rites. L'ombre qui couvrait les derniers instants de
Romulus offrit à
Numa un moyen facile de l'élever au rang des
dieux ; en lui consacrant un temple, il entoura d'un nouveau respect la majesté royale. L'importance qu'il attachait aux cérémonies, au silence, à un culte dégagé de toute représentation matérielle de la divinité, et plusieurs autres conformités de son système philosophique avec les idées de Pythagore, ont fait croire à divers
historiens de l'antiquité, peu
scrupuleux sur l'exactitude chronologique, que
Numa avait puisé sa doctrine dans ces conférences avec les sages de la Grande-Grèce, dont plus d'un siècle le séparait. On remarqua également dans les lois promulguées par ce prince quelques coutumes qui paraissaient empruntées à
Lacédémone ; ce qui s'explique par l'origine
lacédémonienne que s'attribuaient les
Sabins. C'est à
Numa que remonte la création des féciales, ministres du droit des gens, conservés par les Romains lorsqu'ils cherchèrent une nouvelle énergie dans un gouvernement
démocratique. Attentif à éloigner des Romains tout ce qui pouvait alimenter la férocité de leurs murs,
Numa substitua les offrandes de
fruits, les
libations de vin et de lait, aux sacrifices sanglants ; il consacra le culte du
dieu Terme, et éleva un temple à la Bonne-Foi, apprenant aux Romains à regarder comme le plus sacré de tous le serment prononcé au nom de cette nouvelle divinité. L'agriculture fut ensuite l'objet de sa sollicitude ; il renferma dans des limites le territoire de Rome, agrandit l'enceinte de la cité en y comprenant le mont Quirinal, et partagea entre les plus pauvres citoyens la portion du sol que
Romulus avait affectée au domaine public, convaincu que les soins de la vie rurale adouciraient leurs curs grossiers sans amollir leurs bras. Il prit en pitié le sort des esclaves ; et pour leur offrir une compensation de quelques
jours, il institua les
Saturnales, pendant lesquelles ils devenaient les égaux de leurs maîtres. Une pensée politique plus élevée fut la répartition du peuple en
corps de métiers ; dans des classes ainsi multipliées s'effaça la rivalité primitive des Romains et des
Sabins, dont l'entière
fusion ne se fût que lentement opérée sans ces morcellements salutaires.
Numa établit la forme du
mariage par confarréation, qui subsista longtemps après lui : il fixa la nubilité des filles à l'âge de souze ans, la durée du deuil pour les veuves à dix mois, et laissa, selon quelques-uns, aux
époux la faculté du divorce. Il modifia la loi de
Romulus qui autorisait les pères à vendre leurs
enfants, exceptant de cette rigueur ceux qui se seraient mariés du consentement des pères.
Sous
Romulus, l'année civile commençait au mois de mars et n'en comprenait que dix en tout ;
Numa en ajouta deux autres, mais reporta le commencement de l'année au mois de
janvier, en l'honneur de
Janus, qui avait été comme lui un roi pacifique et bienfaisant, et auquel il éleva un temple. De même que la plupart des législateurs de l'antiquité, il sut faire de la
religion la base la plus solide de ses
conceptions politiques. Il eur recours aux prodiges, et ne craignit point d'imposer aux Romains une foi aveugle, en les soumettant à des règlements qui avaient pour eux un caractère
occulte ; par exemple, de sacrifier aux
dieux célestes en nombre impair, et en nombre pair à ceux de la terre ; de se tourner, pour la prière, d'orient en occident ou d'occident en orient ; de ne point regarder derrière eux en sortant de leur maison.
L'heureuse
influence de ses réformes s'étendit à toutes les peuplades voisines : les habitudes hospitalières, les relations de commerce et d'amitié, remplacèrent l'avidité du butin et les excursions hostiles. Pendant les quarante-trois ans du règne de
Numa, la paix ne fut pas un seul instant troublée. Il mourut dans une vieillesse avancée, laissant un petit-fils en bas-âge,
Ancus Martius,
qui régna sur les Romains après Tullus Hostilius. L'affluence des peuples alliés de Rome fut la plus belle pompe de ses funérailles. Il avait ordonné que les livres sacrés qu'il avait
composés fussent, comme son
corps, confiés à la terre, déclarant avoir laissé les ministres du culte dépositaires de sa doctrine. Selon l'
historien Valerius Antias, ces écrits formaient deux parties : dans l'une étaient exposées les fonctions des
prêtres, dans l'autre les notions philosophiques de la Grèce. Quatre siècles après, sous le consulat de Publius Cornelius et de Marcus Bebius, une inondation extraordinaire mit à découvert les coffres où étaient renfermés, disait-on, le
corps et les écrits du roi. Le
corps ne s'y trouva plus, mais les livres étaient demeurés intacts. Le prêteur Petilius fut chargé de les examiner ; et, sur le rapport qu'il fit au sénat, on les brûla publiquement comme dangereux à répandre parmi la multitude.
Plutarque a comparé
Numa Pompilius à
Lycurgue. Voyez Jacques Meyer,
Delineatio vitæ gestroumque Numæ Pompilii,
Bâle, 1765, in-8°.
Numa Pompilius a fourni à Florian le sujet d'un poème en prose.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 31 - Pages 110-111)