Agathocles, tyran de
Syracuse, fils d'un potier de terre nommé Cercinus, qui, banni de Reggio, sa ville natale, s'était établi à Thermes, en
Sicile, naquit vers l'an 359 avant J.-C.
Les
Syracusains goûtaient le
fruit des victoires et de l'administration paternelle de Timoléon, qui, pour repeupler
Syracuse, avait invité les Grecs à s'y établir. Cercinus s'y rendit avec son fils
Agathocles, alors âgé de dix-huit ans.
Agathocles exerça d'abord la même profession que son père, fit des vases et des statues d'argile, et servit ensuite comme simple soldat. Se beauté, sa taille et sa
force extraordinaire le firent remarquer de Demase, général des Agrigentins, homme riche et sans murs, dont il devint le favori, et qui le fit nommer chiliarque, c'est-à-dire chef de mille hommes. Après la mort de Demase, il épousa sa veuve, héritière de ses richesses, et fut dès lors puissant dans
Syracuse.
Cette ville, depuis la mort de Timoléon, était de nouveau en proie aux
factions et aux déchirements. Sosistrate, s'étant emparé de l'autorité, chassa
Agathocles, qui penchait pour la
démocratie, et le força de se réfugier à
Crotone. Accueilli d'abord par les habitants de cette ville, mais ingrat envers eux, il voulut s'emparer de l'autorité, et fut obligé de s'enfuir pour se dérober à la fureur du peuple. Il éprouva le même sort à Tarente.
N'ayant plus d'asile, son caractère audacieux lui suggéra l'idée d'assembler une bande de brigands, et de vivre de rapine à leur tête. C'est ainsi qu'il se rendit d'abord redoutable en
Sicile. Cependant son
ennemi Sosistrate ayant été chassé à son tour de
Syracuse, avec plus de six cents des principaux citoyens que le peuple accusait de vouloir abolir la
démocratie,
Agathocles fut rappelé, et on lui donna le commandement de l'armée destinée à combattre le parti de Sosistrate ; il exerça l'autorité militaire avec plus de valeur que de désintéressement ; car, ayant défait les troupes réunies de Sosistrate et des Carthaginois, dans un combat où il reçut sept blessures, il s'empara aussitôt du pouvoir souverain, et aspira ouvertement à la
tyrannie. Les
Syracusains alarmés, et n'osant plus se confier à aucun de leurs concitoyens, eurent recours aux Corinthiens, qui leur envoyèrent
Acestoride pour les commander. Ce général ne vit d'autre moyen de délivrer
Syracuse que de faire mourir
Agathocles. Instruit du danger, ce tyran n'évita la mort qu'en faisant prendre ses armes et ses habits à un jeune homme qui lui ressemblait, et que des gardes apostés assassinèrent, croyant le tuer lui-même. Il s'échappa, leva des troupes à la hâte, et parut tout à coup devant
Syracuse, où personne ne doutait de sa mort. Les habitants effrayés lui envoient des ambassadeurs, et lui offrent de le rappeler, s'il veut s'engager par serment à licencier ses troupes, et à ne rien entreprendre contre la
liberté publique. Ce fut dans le temple de
Cérès qu'Agathtocles donna solennellement cette vaine garantie aux
Syracusains. Oubliant bientôt ses serments, il gagne ses soldats par ses largesses, recherche la faveur de la
populace, se déclare son protecteur, et se fait nommer genéral en chef malgré le sénat.
Résolu alors de se défaire de tous ceux qui pouvaient encore traverser ses desseins, il assemble ses soldats hors de
Syracuse, et leur dit qu'avant de tourner leurs armes contre les
ennemis extérieurs, il faut purger
Syracuse de six cents tyrans ou
ennemis du peuple, bien plus dangereux que les Carthaginois mêmes ; provoquant ainsi le massacre de tout le
corps de la noblesse, dont il promet les dépouilles à ses soldats. A peine a-t-il achevé sa harangue homicide, que la trompette donne le signal du massacre. En peu d'heures, 4000 personnes tombent sous le fer des mercenaires d'
Agathocles, qui leur permet de tuer et de piller pendant deux
jours et deux nuits : les rues de
Syracuse étaient couvertes de
corps morts ; le troisième
jour,
Agathocles assemble tous ceux qui avaient survécu à cette boucherie, et leur déclare que la grandeur du mal l'avait obligé d'y appliquer un remède violent, mais que son dessein est de rétablir la
démocratie, et de se retirer ensuite pour mener une vie libre et tranquille. A ces mots, il jette son
épée, se confond dans la foule, et laisse dans la consternation les assassins auxquels il avait abandonné les dépouilles de ses victimes. Ceux-ci, voulant s'assurer l'impunité, et jugeant qu'
Agathocles désirait se faire offrir la
couronne, lui déférèrent le pouvoir souverain, avec une autorité absolue et sang bornes.
Agathocles signala sa puissance en ordonnant l'abolition de toutes les dettes, et le partage égal des terres entre les riches et les pauvres. Sûr alors de l'affection du peuple, et de l'impuissance de ses adversaires, il change de conduite, devient accessible, équitable, donne plusieurs lois sages, met de l'ordre dans Ies finances, fait forger des armes, construire des vaisseaux, et n'oublie rien pour se concilier la bienveillance de ses sujets, afin qu'ils le secondent dans ses
vues ambitieuses. En effet, en moins de deux ans, il soumit toute la
Sicile, à l'exception de quelques places qui restaient encore aux Carthaginois.
Alarmée du succès d'
Agathocles, la république de Carthage envoya contre lui une armée sous les ordres d'
Amilcar. Les mécontents se joignirent à
Amilcar aux environs d'Himera.
Agathocles attaqua ce général, força ses retranchements, et aurait remporté une victoire complète, si les
Syracusains ne s'étaient amusés à piller le camp des vaincus. Un renfort venu à propos, trouvant les vainqueurs en désordre, ramena les fuyards à la charge, et
tailla en pièces les
Syracusains, en l'an 311 avant J.-C.
Agathocles fut contraint de se réfugier d'abord à Géla, puis dans sa capitale, dont Iles Carthaginois formèrent le siège. Ce fut dans cette extrémité qu'il conçut l'audacieux projet de porter la guerre en Afrique, se flattant d'obliger les Carthaginois d'abandonner au moins la
Sicile.
Aucun obstacle ne put arrêter
Agathocles. Il arma les esclaves, forma une armée de 14.000 hommes d'élite, pourvut à la sûreté de
Syracuse, dont il donna
le commandement à son
frère Antandres, et, lui laissant la moitié des familles puissantes, il emmena avec lui l'autre moitié, pour qu'ainsi divisés, les principaux
Syracusains servissent réciproquement d'otages ; puis, mettant à la voile avec soixante
galères, il trompe la vigilance des assiégeants qui le poursuivent, remporte une victoire navale, débarque en Afrique, et
brûle ses vaisseaux, pour ne laisser à ses soldats d'autres ressources que la victoire.
La nouvelle de ce débarquement jeta la consternation dans
Carthage : cette république n'avait point d'armée à opposer aux
Syracusains ; mais les Carthaginois ayant tous pris les armes. 40.000 hommes marchèrent contre
Agathocles et furent défaits par la trahison de Bomilcar,
qui laissa tailler en pièces les troupes d'Hannon. Celui-ci périt dans le combat. Rien alors ne s'opposa plus aux progrès d'
Agathocles ; il réduisit sous son obéissance toutes les villes sujettes aux Carthaginois, et se prépara même à mettre le siège devant Carthage. Tous les peuple de la Libye, qui supportaient impatiemment le joug, se déclarèrent pour
Agathocles, et Ophellas, roi des Cyrénéens, le joignit avec 20.000 hommes, sous la condition qu'il aurait toute l'Afrique, et
Agathocles toute la
Sicile ; mais, par la plus noire perfidie, le tyran de
Syracuse, après avoir attiré Ophellas sous le voile de l'amitié, le fit tuer, et à
force de promesses, engagea ses soldats, qui n'avaient plus de chef, à servir dans son armée. Prenant aussitôt le titre de roi d'Afrique. il investit Carthage, dans l'espoir de sen emparer par famine. Cependant son audacieuse entreprise avait déjà sauvé
Syracuse.
Amilcar, qui avait reçu l'ordre de ramener son armée en Afrique, voulut, avant son départ, emporter la ville d'assaut. Comme il fut repoussé et fait prisonnier, les
Syracusains lui coupèrent la tête et l'envoyèrent à
Agathocles. Informé néanmoins qu'après la défaite des Carthaginois, plusieurs villes s'étaient ligu&eacue;es pour se soustraire à sa domination, le tyran de
Syracuse jugea sa présence nécessaire en
Sicile, et repassa la mer, laissant le comnandement de l'armée d'Afrique à son fils Archagathe. Le bruit de ses victoires l'ayant précédé en
Sicile, son arrivée subite répandit une telle frayeur, que tout rentra presque aussitôt sous son obéissance. Sans perdre de temps, il retourne en Afrique ; mais tout y avait déjà changé de face ; son fils Archagathe venait de perdre une bataille, et son armée, qui manquait de vivres, était sur le point de se révolter.
Agathocles, au désespoir, attaque le camp
ennemi ; mais il est repoussé, et les Africains l'abandonnent après cet échec. Ne se trouvant plus en état de résister aux Carthaginois, et manquant de vaisseaux. il ne songe qu'à se sauver seul, avec quelques amis, et
Héraclide le plus jeune de ses fils qu'il aimait tendrement ; mais son dessein est découvert, les soldats courent aux armes, se révoltent, se saisissent d'
Agathocles et l'emprisonnent. L'armée une fois sans chef, tout n'est que confusion et désordre. Une terreur panique est semée de nuit dans le camp.
Agathocles en profte pour s'évader et mettre à la voile, laissant ses deux fils exposés à la fureur des soldats, qui les massacrent, élisent d'autres chefs, et font la paix avec les Carthaginois. Diodore de
Sicile observe qu'
Agathocles perdit son armée et ses
enfants le même mois et le même
jour qu'il avait fait périr Ophellas.
Malgré cette fuite honteuse,
Agathocles, à peine débarqué en
Sicile, marcha contre les Egestins qui s'étaient révoltés, prit leur ville d'assaut, et fit égorger lea habitants sans distinction d'âge ni de sexe ; puis, tournant sa fureur contre tous ceux qui, par les liens du sang et de l'amitié, tenaient aux soldats d'Afrique qui venaient de massacrer deux de ses fils, il remplit
Syracuse de carnage ; les
enfants mêmes ne furent point épargnés. Tant de cruautés ne firent qu'augmenter le nombre de ses
ennemis, et la plupart se joignirent à Dinocrate qu'il avait banni de
Syracuse. Effrayé de ce danger.
Agathocles rechercha l'amitié des Carthaginois, et acheta la paix par la cession de toutes les places qu'ils avaient possédées autrefois en
Sicile ; il envoya même des ambassadeurs à Dinocrate, pour lui offrir la souveraineté, moyennant deux fortereses qui pussent lui servir de retraite ; mais Dinocrate, dont l'armée était de 20.000 fantassins et le 3.000
chevaux, rejeta sa proposition.
Agathocles l'attaque aussitôt dans son camp, et remporte une victoire complète, quoiqu'il n'eût que 5,000 fantassins et 800 cavaliers ; les restes de l'armée vaincue mettent bas les armes,
Agathocles leur ayant promis la vie ; mais, à peine sont-ils désarmés, qu'il les fait tous massacrer, à l'exception du seul Dinocrate, auquel il trouve une telle conformité avec lui, que, sans hésiter, il lui accorde son amitié et toute sa confiance.
Agathocles passa ensuite en Italie, où il subjugua les Bruttiens, plutôt par la terreur de son nom que par la
force des armes ; puis il dévasta les îles Lipariennes ; et, pour compléter une contribution de 100 talents imposée aux insulaires, il pilla leur trésor sacré, et
dépouilla leurs temples, revint à
Syracuse, et essuya en mer une si violente tempète, que tous ses vaisseaux périrent, à l'exception de celui qu'il montait. Une mort plus terrible lui était réservée dans sa propre famille.
Son petit-fils Archagathe, qu'il voulait écarter du trône pour en assurer la possesion à Agathocles son fils, se révolta, fit périr son concurrent, et excita Ménon à empoisonner le tyran dont il était le favori, mais qui lui avait fait le plus sanglant outrage. Ménon trempa le cure-dent d'
Agathocles dans un poison si subtil que, dès que ce prince s'en fut servi, ses dents et ses gencives se consumèrent ; tout son
corps se couvrit de plaies, et ses souffrances devinrent si cruelles, que, pour s'en délivrer, il se fit porter vivant sur un bûcher auquel on mit le
feu. Ainsi périt
Agathocles, en l'an 287 avant J.-C., à l'âge de 72 ans, après en avoir régné 28. Malgré le témoignage de l'
histoire, le genre de sa mort a paru si extraordinaire, que quelques écrivains l'ont révoqué en doute.
Agathocles, disent-ils, était alors septuagénaire ; ainsi le chagrin que lui causa la révolte d'Archagathe, et la mort de son, fils, durent suffire pour abréger ses
jours. Quoi qu'il en soit, la vie de ce tyran offre des traits apparents de modestie et de grandeur d'
âme qui sembleraient peu compatibles avec ses vices et sa cruauté, si l'on ne savait que le cur humain sait allier les contraires et réunir les
extrêmes. Il se faisait gloire, par exemple, de son origine obscure ; et, parvenu au pouvoir suprême, il affecta de faire mêler des vases de terre aux vases d'or qu'on servait sur sa table, disant qu'il n'était pas moins potier, quoiqu'il portât le
diadème, ce qu'Ausone a très bien exprimé dans une pièce de vers dont voici la fin :
Rex ego qui sum
Sicaniae, figulo sum genitore satus.
Fortunam reverenter habe quicumque repente
Dives ab exili progrediere loco.
Agathocles affectait aussi de se montrer aux assemblées publiques, seul et sans gardes. Là, naturellement railleur et comédien, il contrefaisait avec tant de vérité les orateurs qui étaient auprès de lui, que le le peuple en riait aux éclats, et oubliait sa
tyrannie en faveur de sa popularité. L'opinion de Polybe est qu'Agathodes ne dut son élévation et ses succès qu'à ses grands talents et à sa valeur ; Timée prétend au contraire qu'ils furent uniquement l'ouvrage de la fortune ; mais cet
historien a été réfuté en cela par Polybe, qui lui reproche sa partialité. Diodore de
Sicile, qui nous a fait connaître
Agathocles, loue l'exactitude de Timée dans les choses où il ne pouvait satisfaire sa malignité contre ce tyran, qui l'avait chassé de
Sicile. Scipion l'Africain pensait comme Polybe à l'égard d'
Agathocles. Consulté un
jour sur les hommes célèbres qui avaient, à son avis, témoigné le plus de prudence dans l'arrangement de leurs desseins, et de hardiesse dans l'exécution, il désigna
Denys l'Ancien et
Agathocles. C'est évidemment de ce dernier que Scipion apprit que, pour vaincre Carthage, il fallait l'attaquer en Afrique. En répondant à
Fabius, qui n'approuvait pas une entreprise si hardie, ce grand homme n'oublia point de citer l'exemple d'
Agathocles ; mais la prudence, l'habileté et la valeur d'
Agathocles n'en ont pas moins été effacées par ses perfidies et sa cruauté. La
Vie d'Agathocles, publiée à Londres en 1661, et traduite en français par Eidous,
Paris, 1752, in-8°, est une sorte de satire de la
tyrannie de Cromwell.
Agathocles a fourni à Voltaire le sujet de sa dernière tragédie. M.
Philippon a publié un petit ouvrage intitulé :
Agathocles et Monk, ou l'Art d'abattre et de relever les trônes,
Orléans, 1797, in-18.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 1 - Pages 215-217)