Biographie universelle ancienne et moderne Louis XII, surnommé
le Père du peuple, né à
Blois, le 27
juin 1462, de Charles,
duc d'
Orléans, et de
Marie de Clèves, se trouva le premier prince du sang après la mort de
Louis XI. Il n'avait paru jusqu'alors occupé que de plaisirs frivoles, d'intrigues de galanterie ; tout à coup il se montra beaucoup plus jaloux du pouvoir qu'on n'aurait pu le soupçonner. S'étant réuni au
duc de Bourbon, l'un des
princes les plus distingués de ce temps-là par sa sagesse et son
expérience, ils disputèrent de concert la régence à Madame de
Beaujeu, prétendant, par une subtilité assez singulière, que la garde et la tutelle du jeune roi Charles VIII, qui avaient été données solennellement à sa sur par
Louis XI, n'étaient pas la régence ni le gouvernement du royaume. Cette princesse, ne se trouvant pas assez forte pour repousser une telle prétention, s'en remit aux états
généraux, qui, réunis à
Tours en 1484, reconnurent la majorité du roi, laissèrent néanmoins le soin de sa personne à sa sur et décidèrent que les princes du sang avaient
seulement le droit de siéger au conseil, et que le
duc d'
Orléans en était président en l'absence du jeune monarque. Cette décision,
comme toutes les demi-mesures, ne satisfit personne : la
duchesse de
Beaujeu continua
d'exercer l'autorité avec son caractère de dureté et de violence
accoutumé ; et le
duc d'
Orléans eut d'autant plus lieu de s'en plaindre,
que cette princesse avait à se venger à son égard d'une passion
dédaignée.
Ne se croyant plus en sûreté dans le royaume
et voulant d'ailleurs attaquer ouvertement un pouvoir qui lui était odieux,
il se réfugia en
Bretagne avec un grand nombre de seigneurs mécontents.
Ce fut alors qu'il vit pour la première fois la belle héritière
du
duc François II. Doué de tous les avantages capables de séduire,
il toucha le cur de cette princesse, et dès lors il obtint la promesse
de sa main s'il parvenait à faire annuler le premier
mariage qu'il avait
contracté (Voyez
Jeanne). Mais pendant ce temps Charles VIII, ou
plutôt la
duchesse de
Beaujeu, avait convoqué un
lit de justice pour
le faire juger comme rebelle. L'avocat général Lemaistre, après
avoir exposé toutes ses intrigues, ses révoltes et ses alliances
avec les
ennemis de l'Etat, avait requis contre lui un arrêt de condamnation.
On n'osa pas en venir à cette extrémité contre le premier
prince du sang, et on lui donna un délai de deux mois ; mais ceux qui l'avaient
suivi furent déclarés rebelles et dépouillés de leurs
biens. Pendant ce temps, le
duc d'
Orléans marchait contre les troupes du
roi à la tête d'une armée composée de Français,
de
Bretons, d'Anglais et d'Allemands. Cette armée était belle et
nombreuse, mais ses chefs étaient divisés. Le
duc d'
Orléans,
qui aurait du la commander, fut contrarié par les intrigues du sire d'Albret,
qui, jaloux de ses succès auprès de la princesse de
Bretagne, avait
semé contre lui la défiance parmi les soldats. Le
duc (1), voulant
confondre l'imposture et rassurer les
esprits, descendit de
cheval pour combattre
à pied parmi les Allemands ; et cette circonstance fut cause de son malheur.
Les deux armées s'étant rencontrées à St-Aubin, les
confédérés furent vaincus par la Trémoille le 26
juillet
1488 ; et le
duc d'
Orléans tomba au pouvoir de ses
ennemis (2). La Trémoille
envoya à la mort, selon les instructions qu'il avait reçues, tous
les Français qui furent pris en combattant dans l'armée ennemie
; et le
duc d'
Orléans lui-même fut transféré de prison
en prison jusqu'à la tour de
Bourges, où l'on poussa la rigueur
au point de le tenir pendant la nuit dans une cage de fer. Ce ne fut qu'au bout
de trois ans qu'il sortit de cette horrible situation, à la prière
de Dunois et par la bonté de Charles VIII, qui avait toujours eu pour lui
un penchant auquel la
duchesse de
Beaujeu l'avait empêché longtemps
de se livrer. Enfin la vertueuse Jeanne, qui avait tant à se plaindre du
duc d'
Orléans, ayant oublié ses torts pour se jeter aux pieds du
roi et l'implorer en faveur de son infidèle
époux, le monarque lui
dit en pleurant :
Vous aurez ce que vous souhaitez si ardemment ; fasse le
ciel que vous n'ayez pas à vous en repentir ! Quelque temps après,
sous prétexte d'une partie de chasse, le roi se rendit à la prison
et le fit mettre en
liberté. L'entrevue de ces deux princes fut extrêmement
touchante. Dès que le
duc d'
Orléans aperçut le monarque,
il descendit de
cheval et se précipita à ses pieds sans avoir la
force de prononcer un mot. Charles le serra dans ses bras, le pria d'oublier le
passé, et ne voulant pas se séparer de lui, lui fit dresser un
lit
dans sa
chambre. Il exigea ensuite qu'il se réconciliât avec le
duc
et la
duchesse de
Beaujeu ; ce que l'
âme généreuse de Louis
le porta bientôt à faire de la manière la plus franche et
la plus sincère. Ces princes jurèrent sur l'
Evangile d'oublier le
passé, de se protéger et de se défendre mutuellement ; et
le
duc d'
Orléans fut nommé gouverneur de la Normandie, où
l'on craignait une descente des Anglais. Malgré les violentes accusations
d'ambition et de dérèglement de murs que plusieurs auteurs
et notamment Cl. de
Seyssel et St-Gelais ont élevées contre la
jeunesse
de
Louis XII, on doit reconnaître, avec Rderer, que ces accusations
sont fort exagérées. Le
duc d'
Orléans, premier prince du
sang, était, jusqu'à un certain point, fondé à disputer
à Anne de
Beaujeu, jeune princesse de vingt et un ans, la régence
du royaume. D'ailleurs ce n'est pas à la voie des armes qu'il en appela,
mais aux états généraux, et ce fut non lui, mais Anne qui
contrevint à la décision des états. Quant à la guerre
de
Bretagne, si
Louis XII, alors
duc d'
Orléans, eut le malheur de porter
les armes contre son pays, on doit reconnaître cependant que c'est Anne
qui commença, jalouse qu'elle était du
mariage de ce prince avec
l'héritière du
duché. Louis contribua ensuite de bonne foi
au
mariage d'Anne de
Bretagne avec Charles VIII, et parut faire très sincèrement
le sacrifice de sa passion à l'intérêt de l'Etat.
En 1495, il accompagna Charles VIII dans son expédition
d'Italie, où il montra beaucoup plus de valeur que d'habileté. S'étant
laissé enfermer dans Novare, il y soutint un siège long et pénible,
quoiqu'il fût atteint d'une maladie grave. Revenu en France avec le roi,
il se trouvait auprès de lui lorsque ce monarque mourut. En succédant
à Charles VIII, qui ne laissait point d'
enfants, son premier soin fut de
porter la sécurité dans l'
esprit de ceux qui croyaient avoir quelque
raison de craindre son ressentiment ; il ne vit plus dans la
duchesse de
Beaujeu
que sa parente, la fille de
Louis XI, à laquelle la France avait eu de
grandes obligations pendant la
jeunesse de Charles VIII ; enfin il fit pour la
famille de cette princesse tout ce qu'elle aurait pu faire elle-même si
elle avait conservé le pouvoir (Voyez
Anne de France). Dans le même
temps, excité par des courtisans à se venger de la Trémoille,
qui l'avait fait prisonnier à St-Aubin et qui s'était montré
si inexorable envers ses amis, il leur dit : « Ce n'est point au roi de
France à venger les querelles du
duc d'
Orléans. » Il confirma
dans leurs emplois ceux qui avait été nommés par son prédécesseur,
et ne signala son avènement au trône que par des réformes
utiles à ses peuples. La discipline militaire était considérablement
affaiblie ; il s'efforça de lui rendre sa vigueur ; il abrégea les
formalités judiciaires, réduisit la valeur des présents que
l'usage autorisait à faire aux
juges, et assura leur indépendance
par l'inamovibilité. Il diminua en même temps d'un tiers les impôts
et ne voulut jamais depuis consentir à les augmenter, malgré les
guerres qu'il eut a soutenir. A cette époque, il était moins difficile
de discipliner les soldats que de soumettre les écoliers de l'université,
qui, pour se soustraire à toute autorité, abusaient de leur nombre
et des privilèges accordés aux lettres à leur renaissance.
Cependant
Louis XII parvint à faire respecter la tranquillité publique et leur imposa par sa fermeté : car ce serait une erreur de penser que ce prince bon et généreux ait jamais laissé impunies les infractions aux lois et à son autorité ; et c'en serait une très grande aussi de croire qu'en exerçant sa clémence envers ses
ennemis, il ait oublié ses amis et ceux qui lui avaient rendu service dans l'adversité. Ce monarque se montra au contraire fort reconnaissant, et dans un grand nombre d'exemples, nous nous contenterons de citer le
cardinal d'
Amboise.
La
Bretagne n'avait été réunie à la France que par le
mariage d'Anne, unique héritière de ce
duché, avec Charles VIII ; en devenant veuve, cette princesse reprenait tous ses droits, puisqu'elle n'avait pas d'
enfants ; et sa beauté, sa
jeunesse devaient faire appréhender qu'elle ne portât, par un nouvel
hymen, ses immenses domaines dans une famille ennemie. On sait que
Louis XII, n'étant encore que
duc d'
Orléans, avait à l'âge de quinze ans épousé malgré lui Jeanne, seconde fille de
Louis XI, princesse remplie de vertus, mais contrefaite et d'une laideur véritablement repoussante : obligé d'opter entre cette union et la prison, il avait marché à l'
autel et protesté secrètement contre la violence qui lui était faite. En montant sur le trône, il s'adressa au pape pour faire rompre un
mariage qu'il assurait n'avoir jamais été consommé : le pape, ayant alors besoin de la France, accueillit la demande du roi et nomma des commissaires qui interrogèrent solennellement les deux
époux, firent des enquêtes
et annulèrent le
mariage. Louis, devenu libre, épousa Anne de
Bretagne
à
Nantes le 07
janvier 1499. La plupart des
historiens disent que l'
amour eut grande part à cette affaire : il est certain qu'Anne de
Bretagne dans sa
jeunesse avait été aimée par
Louis XII, et que, devenue sa femme, elle le corrigea de l'inconstance qu'on lui avait jusqu'alors reprochée ; mais ce
mariage était si conforme aux intérêts de la France et fut si généralement approuvé, qu'il est permis de croire qu'il fut décidé par la politique plus encore que par les sentiments particuliers de ceux qui le contractèrent.
Après avoir réglé l'administration de son royaume et rendu la fameuse ordonnance de 1499 relative à la vérification
et à l'enregistrement des édits royaux par les parlements, Louis pensa sérieusement à faire valoir ses droits sur le
duché de Milan et sur le royaume de Naples (Voyez
Charles VIII) ; ce qu'il avait assez annoncé en prenant à son sacre le titre de roi de Naples et de
Sicile. Le pape et les Vénitiens secondaient ses projets. Afin de se procurer l'
argent nécessaire pour cette expédition, il rendit plusieurs charges
vénales, préférant ce moyen sur lequel il croyait pouvoir revenir pendant la paix, à toute augmentation dans les impôts. Il fit alliance avec le
duc de Savoie et les Suisses, conduisit lui-même ses troupes jusqu'à
Lyon, et resta dans cette ville afin de pouvoir porter des secours selon les événements. L'armée confiée au maréchal Trivulce passa les Alpes, et, soit lâcheté, soit trahison de la part des généraux
ennemis, elle fit la conquête du Milanais en douze
jours, sans être obligée de livrer une bataille. Le roi vient en Italie, fait son entrée à Milan le 06
octobre 1499, reçoit les félicitations des princes italiens, et retourne en France après avoir donné les ordres nécessaires pour assurer sa
conquête. Mais les Milanais, comme tous les peuples de l'Italie, étaient
divisés en
factions.
Celle de France venait de triompher ; celle de Ludovic Sforce, usurpateur du
duché de Milan, politique habile, cruel et sans foi, se souleva ; et Ludovic reprit un grand ascendant sur l'armée française : mais
Louis XII envoya contre lui me seconde armée sous les ordres de Louis de la Trémoille ; et Sforce, ayant été abandonné par les Suisses qu'il soudoyait, fut fait prisonnier le 10 avril 1500, amené en France et renfermé étroitement à
Loches, où il mourut en 1510.
L'
Europe, qui s'attendait à voir
Louis XII imiter
l'heureuse hardiesse de Charles VIII, ne pouvait concevoir ce qui l'empêchait
de conduire à Naples ses troupes victorieuses pour en chasser le roi Frédéric.
Mais Louis, dans la franchise de son caractère, croyait possible de
fixer
la légèreté des Italiens et de désarmer la perfidie
de Ferdinand, roi d'
Aragon ; il négociait avec ce prince, dont les troupes,
commandées par Gonsalve de Cordoue, protégeaient le royaume de Naples,
un traité de partage de ce même royaume : aussi la conquête
en fut-elle d'autant plus facile en 1501, que Frédéric, comptant
sur les soldats espagnols, n'apprit leur trahison que lorsqu'il fut en leur pouvoir.
N'espérant rien de Ferdinand, dont la mauvaise foi était trop connue,
il vint en France réclamer la justice de
Louis XII, qui lui donna un
apanage
et lui assura une pension qui fut toujours exactement payée. Ainsi, le
monarque français eut pour prisonnier un
duc de Milan, et pour pensionnaire
un roi de Naples. Plus heureux que lorsqu'il était sur le trône,
Frédéric vit les conquérants de ses Etats se
diviser pour
le partage, et se combattre pendant deux ans de suite avec un égal acharnement.
En 1503, ils cédèrent, par un traité, leurs droits mutuels
au jeune Charles de Luxembourg, depuis Charles-Quint, qui devait
épouser
Claude de France, fille de
Louis XII : mais Ferdinand, bien éloigné
de vouloir renoncer au royaume de Naples, ne négociait que pour suspendre
l'activité de Louis, et l'empêcher d'envoyer des secours à
ses généraux. En effet, les Français furent attaqués
plus vivement que jamais par Gonsalve de Cordoue. Surpris, ils crurent d'abord
qu'il ne connaissait pas le traité conclu nouvellement entre les cours
de France et d'Espagne, et s'aperçurent trop tard que ce général
n'était au contraire que trop bien instruit des
dispositions secrètes
de son roi. Il gagna le 28 avril 1503, sur l'armée française, la
bataille de Cerignole, dans laquelle fut tué le
duc de
Nemours. Depuis
cet échec, les Français, malgré des prodiges de valeur, ne
purent résister avec succès. Gonsalve de Cordoue, par cette activité
qui lui mérita le surnom de grand capitaine, ne leur laissa pas le temps
de recevoir les renforts que Louis faisait passer dans le royaume de Naples :
il fallut abandonner cette conquête, qui resta tout entière à
Ferdinand. La guerre fut terminée en 1505 par un traité désavantageux
à Louis, qui y trouva du moins la consolation de marier
Germaine de
Foix,
sa nièce, qu'il aimait beaucoup, à ce même Ferdinand, que
la postérité a surnommé le
Catholique, et qui aurait peut-être
à bon droit mérité le surnom de Fourbe (Voyez
Ferdinand
V).
Par le même traité de 1505, Louis renouvelait
l'engagement de donner sa fille aînée au jeune Charles de Luxembourg,
petit-fils de Ferdinand, en lui assurant pour dot la
Bretagne, la
Bourgogne et
le Milanais, ce qui aurait par la suite mis la France à la
disposition
de la maison d'Autriche ; mais il convoqua, dès l'année suivante,
à
Tours, une assemblée des états généraux,
dont le principal objet fut de prononcer la nullité d'un tel engagement.
L'
histoire de cette assemblée est une des plus belles pages de nos
annales.
« Elle ne ressemblait, disent les
historiens, à aucune de celles
qu' on avait
vues jusqu'alors en France ; car, au lieu que, dans les autres, l'orateur
était chargé de porter au roi les griefs et les doléances
de la nation, il ne fut chargé que de retracer au monarque le tableau de
ses bienfaits, et de lui payer au nom de la nation un juste tribut de louanges.
» Cet orateur, nommé Bricot,
chanoine de Notre-Dame, était
un homme vraiment éloquent, et il ne resta pas au-dessous de son rôle
: il présenta en peu de mots l'
histoire de tout le bien qu'avait fait Louis
XII, le pardon de ses
ennemis, la diminution des impôts, les victoires extérieures,
la réforme des abus dans les tribunaux, la répression des brigandages
militaires, etc., et s'écria en finissant : « Comment s'acquitteront
vos sujets ? Daignez, sire, accepter le titre de
Père du peuple,
qu'ils vous défèrent aujourd'hui par ma voix. » Cette phrase
ayant été suivie de cris de joie et d'applaudissements universels,
l'orateur continua par un tableau aussi vrai que touchant de la douleur où
la France s'était
vue plongée lors de la maladie qui avait été
si près de lui enlever son monarque ; et il termina, en s'adressant au
roi, par cette
péroraison si touchante et si convenable pour la circonstance
: « Lorsqu'un rayon d'espérance eut dissipé cette terreur
profonde, nous vîmes avec effroi le péril qu'avait couru l'Etat ;
toutes les suites d'un trop funeste engagement se présentèrent à
notre imagination : cependant, nous gardâmes le silence : la fortune que
le
ciel venait de nous accorder était si grande ! Nous ne doutâmes
pas qu'un roi si sage n'ouvrit les yeux sur les dangers qui nous menaçaient
; et la crainte de déplaire nous a fait longtemps garder le silence : mais
votre bonté, sire, nous
inspire de la confiance ; et nous nous rappelons
que, dans les cruels instants où vous paraissiez
toucher à votre
dernière heure, vous déclarâtes que
vous ne regrettiez
la vie que parce que vous n'aviez pas encore assuré le repos de votre peuple.
» A ces mots, l'assemblée tomba à genoux par un mouvement
spontané, les bras levés vers le trône ; et l'orateur, dans
la même attitude, poursuivit d'une voix faible et tremblante : « Puisse
le suprême arbitre des destinées prolonger la durée de votre
règne ! puisse-t-il vous donner pour successeur un fils qui vous ressemble
! Mais s'il ne nous
juge pas dignes d'une aussi grande faveur, adorons sa justice
et ne songeons qu'à faire usage de ses dons. Sire, vous voyez devant vous
un précieux rejeton du sang des
Valois : formé par vos conseils
et par votre exemple, il promet d'égaler la gloire de ses aïeux ;
qu'il soit l'heureux
époux que vous destinez à votre fille !...
»
Ce discours, la posture suppliante où il voyait ses
sujets, pénétrèrent de la plus vive émotion le sensible
monarque, et ce fut en répandant des larmes d'attendrissement qu'il fit
répondre par son chancelier que le titre de
Père du peuple
était le don le plus agréable qu'il pût recevoir de ses sujets.
Le lendemain, un conseil extraordinaire déclara que l'engagement pris avec
l'empereur Charles était nul, comme contraire aux lois fondamentales de
la monarchie, et comme livrant à l'étranger les provinces, les places
fortes et les
clefs du royaume. La semaine suivante, le roi revint la l'assemblée
et la combla de joie en lui annonçant le projet du
mariage de sa fille
avec le
duc de
Valois (devenu
François Ier), invitant les députés
à la cérémonie des fiançailles.
La même année 1506, les Gênois secouèrent
le joug de la domination française ; Louis passa de nouveau les monts,
soumit les révoltés, et leur pardonna, sans pouvoir les attacher
à son gouvernement. Après la retraite des Français de Naples
et de Milan, il semblait que l'Italie dût retrouver sa tranquillité
; mais au pape Alexandre VI, dont l'ambition avait provoqué tant de guerres,
succéda bientôt l'altier
Jules II, qui conçut le projet de
chasser les étrangers de l'Italie ; ce qu'il ne pouvait accomplir qu'en
les y appelant tous pour s'y combattre et s y affaiblir réciproquement.
Il forma la ligue de
Cambrai dans laquelle toutes les puissances de l'
Europe paraissaient
réunies pour accabler la république de
Venise. La France accéda
au traité, ou plutôt se chargea presque seule de la perte des Vénitiens,
jusqu'au moment où ses triomphes alarmèrent les confédérés,
qui se tournèrent successivement contre elle, à l'instigation de
Jules II, dont la politique constante fut de jurer une haine implacable à
la puissance la plus redoutable à l'Italie.
Louis XII voulut cette fois
commander lui-même ses armées. Il passe les Alpes au commencement
de l'année 1509, trompe tous les calculs faits par les Vénitiens
pour arrêter sa marche, entre sur leur territoire, et remporte, le 14 mai,
la victoire d'Aignadel, qui fut suivie de la conquête de toutes les places
que
Venise avait autrefois élevées au
duché de Milan. La
bravoure que le roi déploya dans cette circonstance avait tout ce caractère
chevaleresque qui distingue les guerriers français. Dans une armée
qui comptait Gaston de
Foix, Bayard et tant d'autres héros, Louis parut
le plus brave, on pourrait même dire le plus téméraire : mais
il se pressa trop de quitter l'Italie et de confier à d'autres mains le
soin difficile de conserver ses conquêtes. Il ne laissa pas à ses
généraux des moyens suffisants pour se maintenir ; et la réserve
si
scrupuleuse qu'il mit toujours à établir des impôts l'empêcha
de faire pour cet objet les dépenses nécessaires. Tous les
historiens
ont loué avec beaucoup de raison une telle réserve ; mais on ne
peut s'empêcher, en approuvant ces éloges, de convenir qu'un roi
aussi bon et aussi soigneux des intérêts de ses peuples ne devait
pas former des entreprises si grandes et si dispendieuses. Le pape, qui par l'humiliation
des Vénitiens avait obtenu ce qu'il désirait, se tourna contre les
Français, d'abord avec cette circonspection qui rend les trahisons plus
sûres, ensuite avec une violence dont on chercherait vainement un autre
exemple dans l'
histoire. Les Suisses, qui formaient une nation pauvre et gênée
par l'excès de sa population, ne combattaient dès lors qu'à
prix d'
argent ; et l'embarras de les payer suffisait souvent pour changer les
chances de la guerre. Ayant demandé à
Louis XII une augmentation de paye avec la rusticité qui les caractérisait, ils en reçurent un refus exprimé dans des termes qui portèrent la rage dans leur cur : « ll est étonnant, avait dit ce prince, que de misérables
montagnards à qui l'or et l'
argent étaient inconnus avant que mes prédécesseurs leur en donnassent, veuillent faire la loi à un roi de France. » Dès ce moment ils firent pour leur compte, et par vengeance, une guerre dans laquelle ils n'avaient encore vu qu'un métier. La France trouva en eux des
ennemis invincibles : non qu'ils ne succombassent quelquefois sur le champ de bataille ; mais ils se recrutaient avec facilité, tandis que l'armée française, commandée par Gaston de
Foix, par la Trémoille, par le maréchal de Trivulce, ne recevait jamais à temps les hommes, l'
argent et les ordres nécessaires pour profiter de ses avantages.
Après la bataille de Novare, perdue le 06
juin 1513, il fallut quitter encore une fois l'Italie, revenir du fond de la
Romagne aux frontières de la Savoie, et voir le jeune Maximilien Sforce rétabli
dans le Milanais : Gênes même se révolta de nouveau, fut encore une fois soumise, et échappa enfin à la domination française.
Jules II, peu rassuré par l'expulsion des Français, les occupa de leur propre défense en armant à la fois contre eux l'empereur Maximilien, Henry VIII, roi d'Angleterre, et en excitant les Suisses à venir assiéger
Dijon, d'où on ne les chassa qu'avec de l'
argent et à des conditions si humiliantes que le roi désavoua le traité, qui d'ailleurs n'avait pas été ratifié par lui (Voyez
Trémoille). Maximilien était par sa lenteur un allié fort embarrassant, et ne pouvait être un
ennemi bien dangereux ; mais Henry VIII voulait signaler le commencement de son règne. Après avoir été vainqueur à la bataille de Guinegate, qui fut surnommée la journée des Eperons, parce que les Français, disent nos propres
historiens, s'y servirent plus de leurs éperons que de leurs
épées (3), il prit les villes de Térouanne et de Tournai, qui furent mal défendues.
Louis XII, qui, dans la crainte d'accabler son peuple, quittait les armes avec trop de facilité lorsqu'il était vainqueur, sentit vivement le besoin d'entrer en négociation ; il traita avec
Léon X, successeur de
Jules II, termina toutes les querelles qui existaient entre la France et le
saint-siège, en abandonnant le conseil de
Pise qu'il avait provoqué (Voyez
Briçonnet et
Carvajal), et il reconnut le
concile de
Latran.
Le 1er
janvier 1514, la mort lui enleva Anne de
Bretagne, son
épouse. Le comte de
Longueville, qui était alors prisonnier en Angleterre, instruit du désir qu'avait Henry VIII de former une alliance royale pour sa sur
Marie, crut devoir profiter de cette circonstance et lui proposer de la donner à
Louis XII : le
mariage se fit à
Abbeville, le 09
octobre 1514. Quelques mois auparavant, Charles, prince d'Espagne, qui depuis fut si célèbre sous le nom de Charles-Quint, avait obtenu la main de Renée de France, seconde fille du roi ; elle porta pour dot à son
époux tous les droits de la France sur Gênes et sur le Milanais : ainsi l'agitation de l'
Europe s'apaisait partout à la fois.
Louis XII ne jouit pas longtemps de ce repos qu'il avait tant désiré ; âgé de cinquante-trois ans lorsqu'il épousa la belle
Marie, il se prit pour elle d'une passion qui changea toutes ses habitudes. La jeune reine aimait beaucoup le monde, et les plaisirs : il voulut se conformer à ses
goûts. « Le bon roi, dit l'
historien de Bayard, avait changé à cause de sa femme toute sa manière de vivre ; car où il soulait dîner à huit heures, il convenait qu'il dînât à midi, et où il soulait se coucher à six heures du soir, il se couchait à minuit. »
Louis XII mourut par l'effet d'une dyssenterie, et à la suite, dit-on, de quelques excès amoureux, le 1er
janvier 1515, ne laissant de son
mariage avec Anne de
Bretagne que deux filles, Claude, mariée au comte d'
Angoulême, qui lui succéda sous le nom de
François Ier, et Renée, dont il a été question plus haut. La mort de ce prince plongea dans la consternation les Français, qu'il gouvernait avec tant de bonté et d'économie, que les guerres extérieures n'empêchaient point le royaume d'être riche et paisible. Rien ne put le décider à augmenter les impôts qu'il avait réduits à son avènement au trône : il aima mieux instituer quelques charges de finance.
François Ier étendit cette
vénalité jusqu'aux emplois judiciaires ; mais les murs de la nation balancèrent jusqu'à un certain point les inconvénients qui pouvaient résulter de cet abus. Dans les besoins les plus urgents,
Louis XII aima mieux aliéner quelques parties du domaine de la
couronne, que d'établir de nouvelles contributions ; et le parlement, qui savait combien le monarque était économe, ne mit aucun obstacle à ces aliénations, bien persuadé qu'elles étaient indispensables. On vit plus d'une fois ce prince les larmes aux yeux quand la nécessité le forçait d'imposer un médiocre subside ; et la discipline de ses troupes fut si bien rétablie que ses provinces demandaient comme une grâce qu'on leur en envoyât. Lorsqu'on porta son
corps du palais des Tournelles à l'
église Notre-Dame, il était précédé de gens qui publiaient sa mort au son de leurs clochettes, criant :
Le bon roi, père du peuple, est mort. De son vivant, quand il passait quelque part, les hommes et les femmes s'assemblaient et couraient trois ou quatre
lieues pour le voir.
Ce bon roi, disaient-ils,
il maintient justice et nous fait vivre en paix. Il a ôté la pillerie des gens d'armes et gouverne mieux qu'aucun roi ne fit. Prions Dieu qu'il lui donne bonne vie et longue. (
Mémoires de Fleuranges).
Le roi n'ignorait pas qu'à sa cour même on faisait
des railleries de l'ordre avec lequel il administrait ses finances ; mais, comme
il avait l'
esprit juste, il ne se fâchait pas de s'entendre reprocher
ses vertus. « J'aime mieux, disait-il, voir les courtisans rire de mon avarice,
que de voir mon peuple pleurer mes dépenses. » Les
historiens l'ont
accusé d'avoir manqué de politique ; mais quand on réfléchit
qu'on donnait alors ce nom en
Europe aux mensonges les plus avilissants, à
la trahison la plus noire, à la pertidie la plus basse, on ne peut blâmer
un roi de France de s'être cru assez grand pour mépriser l'emploi
de pareils moyens ; c'est du moins ainsi qu'il en jugeait lui-même.
Les
avantages que nos ennemis remportent sur moi, disait-il,
ne doivent étonner
personne ; ils me battent avec des armée que je n'ai jamais employées,
avec le mépris de la bonne foi, de l'honneur et des lois de l'Evangile.
Dans une autre circonstance on lui proposait une trahison :
J'aime mieux,
répondit-il,
perdre s'il le faut un royaume dont la perte, après
tout, peut être répartie, que de perdre l'honneur, qui ne se répare
point.
D'une humeur toujours égale, ce prince supportait avec la plus admirable patience les défauts de ceux qui l'entouraient,
et sous ce rapport il eut même besoin de beaucoup de modération à
l'égard de la reine Anne, qui, se prévalant de ses titres et du pouvoir qu'elle s'était réservé, résista plusieurs fois avec roideur à sa volonté, principalement dans l'affaire du
mariage de la princesse Claude, dont elle voulait que la main fût donnée au prince espagnol. C'est à
Louis XII que la France doit la suppression définitive des
juges d'
épée, auxquels il substitua partout des hommes lettrés et versés dans la connaissance du droit ; il établit des parlements en Normandie et en
Provence, supprima le droit d'asile, reste de barbarie si contraire à la justice. Il ne fit point prononcer de condamnations par des commissions, abolit les confiscations et ne donna jamais à ses sujets le spectacle d'une justice soudaine pour quelque délit que ce fût, même contre lui. Enfin, désirant prévenir les abus qui résultaient de la
vénalité des offices, il rendit la fameuse ordonnance par laquelle il fut défendu au chancelier et aux parlements de reconnaître aucune de ses provisions, même lorsqu'elles auraient reçu le sceau de l'autorité royale
par surprise ou autrement (4). Non content de toutes ces précautions, pour que la justice fut exactement rendue, il se transportait souvent au palais, monté sur sa petite mule, sans suite, et prenait place parmi les
juges. Deux choses le désolaient particulièrement, la prolixité des avocats et l'avidité des procureurs. Quelqu'un lui ayant un
jour demandé ce qui offensait le plus sa
vue, il répondit que c'était
un procureur chargé de ses sacs.
Il combla de bienfaits les littérateurs de son siècle,
non pour en être loué, mais parce que lui-même avait beaucoup
d'instruction et un
goût très vif pour les sciences. Il attira en
France les hommes de lettres les plus distingués de l'Italie, et il leur
paya de fortes pensions. Il forma la plus riche collection que l'on connut alors
des ouvrages de l'antiquité. Outre les bibliothèques des rois de
Naples et des
ducs de Milan qui furent réunies à celle de
Blois,
il acheta le précieux cabinet de la Gruthuye, et il est le premier monarque
français qui ait chargé ses ministres dans les cours étrangères de lui recueillir ce qu'ils pourraient découvrir de meilleur. Il jugeait sainement tous ces manuscrits et disait que
les Grecs n'avaient fait que des choses médiocres ; mais qu'ils avaient eu un merveilleux talent pour les embellir ; que les Romains en avaient fait de grandes ; qu'ils les avaient dignement
écrites ; que les Français en avaient fait d'aussi grandes, mais qu'ils avaient manqué d'écrivains pour les dire. Il voulut effacer cette tache ; mais on ne peut pas dire qu'il y réussit en chargeant de débrouiller le
chaos de nos antiquités, Paul Emile, Robert Gaguin et Jean d'Auton. Parmi les grands hommes de l'antiquité, il avait choisi pour modèle l'empereur Trajan ; et Cicéron était son auteur de prédilection, surtout dans ses traités des
Devoirs, de la
Vieillesse et de l'
Amitié. Il fit tous ses efforts pour pénétrer de ces admirables écrits le
duc de
Valois (
François Ier), son successeur ; mais il fut souvent affligé du peu de
fruit de ses leçons, et il disait alors en soupirant :
Nous travaillons en vain : ce gros garçon gâtera tout.
On a imprimé les Lettres de
Louis XII et du
cardinal d'
Amboise, avec plusieurs Lettres, Mémoires, etc., Bruxelles, 1712, 4 vol.
in-12, publiées par les soins de Jacques
Godefroy. Les Lettres du roi n'occupent qu'une très petite partie de ce recueil, d'ailleurs fort intéressant. Les
historiens originaux du règne de ce prince sont Cl.
Seyssel, Jean d'Auton et Jean de St-Gelais, sieur de Montlieu, dont la meilleure édition a été donnée par Théodore
Godefroy,
Paris, 1615 et 1622, in-4°. Parmi les modernes on doit citer l'
Histoire de la ligue de Cambrai, par Dubos, 1709, 2 vol.
in-12, dont la 4ème édition, de 1729, est très augmentée. L'
Histoire de Louis XII, par Jacques Tailhé, prieur de
Villeneuve d'Agenois, Milan (
Paris), 1755, 3 vol.
in-12, quoique fort négligée pour le style, est bien préférable à celle de Varillas, 1688, in-4°, ou 3 vol.
in-12. Le
Tableau du siècle de Louis XII, par madame de M***, Amsterdam, 1769,
in-12, attribué d'abord à madame de Méhégan, qui le désavoua, n'est qu'un médiocre extrait de l'
Essai de Voltaire sur les murs et l'
esprit des nations, et ne traite guère que des opérations militaires de ce monarque. Auffray publia en 1775
Louis XII, surnommé le Père du peuple, avec des notes,
Paris, in-8°. L'
Eloge de Louis XII, par M.
Noël,
Paris, 1788, in-8°, remporta le prix d'éloquence, au
jugement de l'Académie française. Parmi les ouvrages présentés au même cours, on a imprimé ceux de Barère, de Florian et de Langloys. (Voyez encore sur
Louis XII Rderer,
Louis XII et François Ier, ou Mémoires pour servir à une nouvelle histoire de leur règne,
Paris, 1825, 2 vol. in-8°, l'
Histoire de France d'Henri Martin et l'
Histoire de France de Sismondi.) L'
épigraphe tirée des uvres de
Mornac :
Cum Ludov. XII tueretur plebeios adversus impotentes manus nobilium, etc., indique assez que ce livre n'est qu'un ouvrage de circonstance. Ronsin a donné
Louis XII, Père du peuple, tragédie dédiée à la garde nationale, 1790, in-8°.
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(1) Le
duc d'
Orléans, ayant été averti que son rival, Alain d'Albret, désespérant de le supplanter, avait résolu de l'assassiner, et qu'il devait l'attaquer dans sa tente pendant la nuit, se tint sur ses gardes et déconcerta par son courage les gens que d'Albret amena en effet pour exécuter son odieux projet. Le lendemain, le
duc déféra son
ennemi en plein conseil comme un assassin. D'Albret nia le fait, et cette querelle était sur le point de
diviser toute l'armée, lorsque le besoin de résister à l'
ennemi commun, autant que les conseils des gens sages, déterminèrent les deux rivaux à suspendre les effets de leur
ressentiment.
(2) Le
duc d'
Orléans ayant été conduit à St-Aubin, les soldats d'infanterie qui l'avaient fait prisonnier s'attroupèrent devant la maison où il était gardé, et demandèrent hautement qu'on le leur remît ou qu'on leur payât sa rançon. Le prince,
voyant ce tumulte, pria qu'on lui rendît son
épée pour châtier ces vilains ; mais lorsqu'on lui eut représenté qu'un prisonnier ne pouvait plus faire usage de ses armes, il se présenta désarmé devant les mutins et les apaisa.
(3) On doit observer qu'il n'y eut que leur
cavalerie engagée.
(4) La plupart des
historiens ont mal rendu le sens de cette ordonnance en lui donnant une extension générale ; elle n'avait réellement de rapport qu'à la vente des offices, qui avait déjà été interdite en 1499, mais qui se continuait encore
par surprise ou autrement, et que
Louis XII voulut définitivement arrêter en 1506.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 25 - Pages 181-186)