L'Ordre Royal de Hérédom de
Kilwinning est
un grade de Rose-Croix, dont l'
initiation est divisée en deux points et
s'accomplit dans une tour fictive, circonstance qui l'a fait appeler aussi le
Rose-Croix de la Tour. Les membres de cet Ordre, dont les rois d'Angleterre
sont de droit,
sinon de fait les Grands Maîtres, adoptent à leur
réception un nom caractéristique tel que
valeur,
prudence,
candeur, ou tout autre analogue, par lequel ils sont ensuite exclusivement
désignés, et qu'ils prennent toujours en signant les actes maçonniques.
Ce nom ne s'écrit pas en entier ; on n'en trace que la première
et la dernière lettres et les consonnes médiales, de cette façon
:
v-l-r, valeur ;
p-r-d-n-c-e, prudence ;
c-n-d-r, candeur.
Il y a cependant quatre Officiers qui, indépendamment de leur nom de convention
personnel, en ont encore un autre spécialement affecté à
leurs fonctions ; ainsi, le président s'appelle
sagesse ; le Premier
Surveillant,
force ; le Second Surveillant
beauté ; le
Frère
Terrible, alarme. Le Président reçoit en outre le titre d'athersatha
[Note de l'auteur : c'est-à-dire celui qui contemple
l'année ou le temps. Ce mot est dérivé de l'hébreu.],
et les Surveillants celui de
gardiens de la tour.
A en juger par le rituel, qui, en partie, est écrit en vers anglo-saxons,
l'Ordre Royal de Hérédom de
Kilwinning remonte à une époque
assez éloignée. Cependant, il ne faudrait pas attacher trop d'importance
à cette particularité, car on sait que les Anglais ont, comme nous,
leurs fraudes maçonniques : témoin le fameux interrogatoire de Henri
VI, rédigé pareillement en vieux langage, et dont la fausseté
est aujourd'hui démontrée.
Laissant donc de côté toutes ces assertions que rien, jusqu'à
présent, ne justifie, nous nous attacherons uniquement aux faits dont l'authenticité
ne saurait être mise en doute, parce qu'ils s'étayent de documents
incontestablement originaux.
Les seules pièces relatives aux premiers temps de
l'Ordre, qui aient été conservées, consistent en quatre registres
in-folio, où sont rapportés les procès-verbaux des séances,
et dont le plus ancien date de l'année 1750. A cette époque, il
existait à Londres une Grande Loge provinciale tenant ses assemblées
à la taverne
Le Chardon et la Couronne, dans Chandois Street, de
laquelle étaient émanés trois chapitres établis dans
la même ville, et qui s'assemblaient, le premier à la taverne ci-dessus-indiquée
; le second, à la taverne
La Voiture et les Chevaux, dans Welbeck
Street ; le troisième à la taverne
La grosse Tête Bleue,
dans Exeter Street. Outre ces divers
corps, présentés comme fonctionnant
de temps immémorial, la même autorité avait institué
à Londres, le 11 décembre 1743, un autre chapitre qui se réunissait
à la taverne
Le Fer à Cheval d'Or, dans Cannon Street, Southwark
; et, le 20 décembre 1744, à Deptford, comté de Kent, un
semblable
atelier qui tenait ses travaux à la taverne
Le Griffon.
Cette statistique figure en tête du premier des quatre registres que nous
avons mentionnés plus haut. Immédiatement après, on voit
dans un procès-verbal que, le 10
juillet 1750, la Grande Loge provinciale
accorda des constitutions à un chapitre en instance, à La
Haye,
qui avait pour président le
frère William Mitchell,
fidélité.
L'installation de ce chapitre eut lieu à Londres, le 22 du même mois,
dans la personne de l'athersatha. Toutefois, le
frère William Mitchell
ne quitta pas l'Angleterre, et les lettres constitutives ne furent point portées
à La
Haye : l'original en existe encore dans les archives de l'ordre. Les
opérations relatives à l'érection du chapitre de La
Haye
sont à peu près les seules que la Grande Loge provinciale de Londres
aient consignées dans son livre de procès-verbaux. Il faut croire
qu'elle ne tarda pas à suspendre ses travaux, puisque, vers cette époque,
la Grande Loge mère de l'ordre royal, à Edimbourg, fut mise en possession
de ses archives. Cette Grande Loge d'Edimbourg elle-même était depuis
longtemps en sommeil. En 1763, elle se décida à reprendre son activité.
Le
frère William Mitchell ne fut pas étranger à cette détermination
; son nom figure, en effet, sur le tableau de la Grande Loge mère qui fut
alors dressé. Il est à remarquer que la Grande Loge de l'ordre royal
d'Edimbourg ou n'avait point tenu note de ses opérations antérieures,
ou avait perdu les livres dans lesquels elle les avait relatées ; car,
à partir de 1763, date de sa réinstallation, elle fit inscrire les
procès-verbaux de ses séances sur le registre même, et à
la suite des procès-verbaux de la Grande Loge provinciale de Londres. Cette
circonstance nous porterait à croire que l'ordre royal ne remonterait pas
en réalité au-delà de 1763, et que les faits antérieurs
auraient été supposés pour donner à cet ordre la sanction
de l'ancienneté.
A partir de ce moment, tous les doutes disparaissent. On
voit la Grande Loge de l'ordre royal d'Edimbourg se réunir à des
époques régulières. Le 5
janvier 1767, elle soumet ses statuts
à une révision. Le 3 avril suivant, elle vote une somme de 9 livres
sterling pour le prix de la location d'une salle que, depuis plusieurs années,
la Loge de St-David, d'Edimbourg, avait mise à sa
disposition pour la tenue
de ses assemblées. Elle procède, le 4
juillet, à l'élection
de Sir James Kerr,
secret, en qualité de gouverneur, ou de député
grand-maître, la charge de grand-maître étant censée
remplie par le roi d'Angleterre. Le 5
octobre, elle prend en considération
une proposition tendant à augmenter indéfiniment le nombre des chevaliers,
jusque-là limité à 112, aux termes des statuts. Elle quitte
en 1769 le local de la Loge de St-David, et va tenir ses séances dans une
salle dont les magistrats d'Edimbourg permettaient déjà gratuitement
l'usage à la Loge de St-Gilles. Nous avons sous les yeux le texte de la
pétition que la Grande Loge de l'ordre royal avait adressée, le
26
juillet, pour obtenir cette faveur, «
au Lord prévôt,
aux magistrats et au conseil assemblé avec les diacres des communautés
ordinaires et extraordinaires des métiers de la ville d'Edimbourg ».
Cette pétition est motivée sur «
les peines que s'étaient
données et les grandes dépenses qu'avait faites la Grande Loge pour
le rétablissement de l'ancien ordre de la Maçonnerie écossaise
dans la métropole de son pays natal ; ce qui serait attesté par
plusieurs membres de l'honorable conseil et membres dudit ordre ».
Un
frère Martial Bocquillon, qui habitait le
Dauphiné,
fit parvenir, le 4
juillet 1776, à la Grande Loge de l'Ordre Royal, une
demande à l'effet d'obtenir «
l'autorisation d'initier deux
ou trois chevaliers, afin de former un chapitre régulier ».
Le 31
janvier de l'année suivante, elle approuva un projet de
patente constitutionnelle
en langue latine, et ordonna «
que cette lettre fût écrite
proprement sur vélin et signée par les officiers ; que le sceau
de l'Ordre y fût attaché, et que le tout fût ensuite transmis
à l'impétrant ». C'est la première charte
constitutive dont les registres existants fassent mention comme ayant été
délivrée à des Maçons de France ou de tout autre pays
étranger. Ce n'est que le 26
février 1779 que la
patente fut enfin
expédiée au
frère Bocquillon par la voie de la Hollande,
où l'on pense qu'il existait un ou plusieurs chapitres de l'Ordre Royal.
Rien n'annonce cependant que ce titre lui soit parvenu, ou qu'il ait donné
suite à son projet d'établissement maçonnique. Le 21 mai
1785, la Grande Loge, sur la demande du
frère Mathéus, négociant,
constitua à
Rouen une Grande Loge et un Grand Chapitre provinciaux pour
la France. Ces deux
ateliers furent installés le 26 août 1786 dans
le local de la Loge
L'Ardente Amitié. La Grande Loge provinciale
notifia son institution au Grand Orient de France, qui en contesta la légitimité,
fulmina contre le nouveau
corps, et raya L'Ardente Amitié du tableau des
Loges régulières. La rigueur déployée dans cette circonstance
par le Grand Orient eut probablement pour motif la résistance qu'avait
opposée la Loge à la réunion du Grand Chapitre général
au Grand Orient, et la critique victorieuse qu'elle avait faite du titre, prétendu
émané d'Edimbourg en 1721, du chapitre de Rose-Croix du Dr Gerbier,
qui s'était fondu dans le Grand Chapitre général de France.
Malgré les entraves que le Grand Orient mit aux progrès du nouvel
établissement, il ne laissa pas de constituer en France et à l'étranger,
sous la sanction de la Grande Loge de l'Ordre Royal d'Edimbourg, un assez grand
nombre de chapitres. En 1815, les
ateliers de sa juridiction s'élevaient
à 23. A diverses époques, cependant, et particulièrement
en 1788 et en 1805, des tentatives furent faites pour opérer un rapprochement
entre la Grande Loge provinciale de
Rouen et le Grand Orient de France ; mais
les négociations n'eurent aucun résultat, la Grande Loge de l'Ordre
Royal d'Edimbourg ayant toujours refusé de se prêter à tout
arrangement qui eût porté atteinte à sa suprématie.
La seule concession qu'ait pu et voulu faire la Grande Loge provinciale de
Rouen
a été de décerner, en 1806, la grande-maîtrise d'honneur
de l'Ordre Royal en France au prince Cambacérès, grand-maître
adjoint du Grand Orient, et d'en soumettre les rituels à son approbation.
L'arrêté par lequel le Grand Orient déclara, en 1815, qu'il
centralisait dans son sein l'administration de tous les
Rites maçonniques,
la dispersion des membres de l'Ordre Royal et la mort du
frère Mathéus,
leur chef, contribuèrent successivement à mettre fin, il y a quelques
années, à l'existence de la Grande Loge provinciale de
Rouen.
De nombreuses lacunes existent depuis 1794 dans les procès-verbaux
de la Grande Loge de l'Ordre Royal d'Edimbourg, notamment du 15
février
1805 au 27
juin 1813. Cependant, il est démontré que, dans cet intervalle,
elle n'a pas constamment négligé ses travaux. On voit, en effet,
qu'en l'année 1806, elle institua une Grande Loge et un Grand Chapitre
pour toutes les Espagnes, à la résidence de
Xérès
de la Frontera, dans l'Andalousie, et qu'elle nomma Grand Maître provincial
le
frère James Gordon, chevalier des ordres d'Espagne. La Grande Loge de
l'Ordre Royal d'Edimbourg tomba en sommeil du 6 novembre 1819 au commencement
de 1839, par suite du changement de résidence de son gouverneur, le
frère
H.-R. Brown, qui alla s'établir à Londres et emporta avec lui le
matériel et les archives de l'Ordre. De retour à Edimbourg à
la dernière époque, ce
frère réunit les chevaliers,
au nombre de quatre seulement, qui existaient encore, et reconstitua la Grande
Loge. Néanmoins, ce n'est que depuis peu que ce
corps, d'abord languissant,
a repris de l'activité et une marche régulière. Quoi qu'il
en soit, son personnel n'a pas atteint le chiffre de 20 membres, tant est
scrupuleux
le soin qu'il apporte à se recruter. Il ne paraît pas qu'il y ait
en Ecosse d'autre établissement de l'Ordre Royal que la Grande Loge. Tous
les chapitres de ce
Rite existant autrefois sur le continent se sont entièrement
dissous, et l'on aurait peine à en trouver, à
Paris même,
plus de trois membres encore vivants.
F.-T. B. Clavel, Histoire
pittoresque de la Franc-Maçonnerie et des sociétés secrètes.