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Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie

et des sociétés secrètes anciennes et modernes
François-Timoléon Bègue-Clavel
© France-Spiritualités™






PREMIÈRE PARTIE
Chapitre Premier


Les templiers – La société de la truelle à Florence
Extinction des association de maçons sur le continent – Les compagnons du devoir

ORIGINE DE LA FRANC-MAÇONNERIE : Enseignement secret des sciences et des arts en Egypte. – Corporation d'architectes sacrés de ce pays. – Les ouvriers dionysiens de la Grèce, de la Syrie, de la Perse et de l'Inde. Les Maçons juifs et tyriens. – Le temple de Salomon. – Les Khasidéens et les Esséniens. – Particularité remarquable. – Les collèges d'architectes romains. – Les corporations franches d'ouvriers constructeurs du moyen-âge, en Italie, en Allemagne, etc. – Les frères pontifes. – Les templiers. – La société de la truelle à Florence. – Extinction des associations de maçons sur le continent. – Les compagnons du devoir. – Les confréries maçonniques en Angleterre. – Leurs statuts sous Athelstan et sous Edouard III. – Poème maçonnique anglo-saxon. – Edit du parlement contre les maçons, pendant la minorité d'Henri VI. – La reine Elisabeth. – La confrérie maçonnique en Ecosse. – Etat de la société dans la Grande-Bretagne, au XVIIème siècle. – Importante décision de la loge de Saint-Paul à Londres, en 1703. – Dernière transformation de la société maçonnique.


      Les templiers s'adonnaient dans le même temps à l'établissement et à la réparation des routes, à la construction des ponts et des hospices. Une des routes d'Espagne qui part des Pyrénées, passe par Ronceveaux et aboutit à la Basse-Navarre, a conservé le nom de chemin des templiers. Elle était l'œuvre de ces chevaliers, qui, en outre, protégeaient les voyageurs dans toute l'étendue de son parcours. Les templiers s'étaient donné la tâche d'entretenir les trois routes romaines qui existaient au delà des Pyrénées. On leur attribue également la bâtisse de la plupart des ponts, des hospices et des hôpitaux érigés depuis le Roussillon jusqu'à Saint-Jacques-de-Compostelle, dans les provinces de Catalogne, d'Aragon, de Navarre, de Burgos, de Palencia, de Léon, d'Astorga et de Galice (27).

      Il paraît que, déjà vers la fin du XVème siècle, des personnes admises en qualité de membres d'honneur et de patrons dans les confréries maçonniques avaient formé, en dehors de ces corporations, des sociétés particulières, qui, laissant de côté l'objet matériel de l'association, ne s'attachaient qu'à son objet mystique. On voit, en effet, à Florence, en 1512, une Compagnie de la truelle, composée de savants et de personnages marquants dans l'ordre civil, dont les symboles étaient la truelle, le marteau, l'équerre, et dont le patron était celui des maçons d'Ecosse, saint André. Dans la même ville, avait été fondée, en 1480, une autre société sous le titre d'Acadénie platonique. La salle où celle-ci tenait ses séances existe encore ; les sculptures dont elle est ornée présentent des attributs et des emblèmes maçonniques.

      Quoi qu'il en fût, nous retrouvons les corporations d'ouvriers constructeurs dans toutes les contrées de l'Europe. Elles élèvent au XIIIème et au XIVème siècles les cathédrales de Cologne et de Meissen ; vers 1440, celle de Valenciennes. Ce sont elles qui bâtissent, après 1385, le fameux couvent de Bathalha, en Portugal, et le monastère du Mont-Cassin, en Italie. Les plus vastes monuments de la France, de l'Angleterre et de l'Ecosse, sont leur ouvrage. Sur toutes leurs constructions, elles ont imprimé leur marque symbolique. Ainsi, dans le dôme de Wurzbourg, devant la porte de la chambre des morts, on voit, d'un côté, sur le chapiteau d'une colonne, l'inscription mystérieuse Jachin, et de l'autre côté, le mot Booz sur le fût de la colonne. Ainsi encore, la figure du Christ qui occupe le faîte du portail de droite de l'église de Saint-Denis a la main placée dans une position bien connue des francs-maçons actuels (28).

      Partout où les corporations se présentaient, elles avaient à leur tête un chef qui gouvernait la troupe, et, sur dix hommes, en nommait un, qui, sous le nom de maître, dirigeait les neuf autres. Elles élevaient d'abord des constructions temporaires autour du lieu où elles devaient bâtir. Ensuite, elles organisaient régulièrement les services et se mettaient à l'œuvre. Quand le besoin s'en faisait sentir, elles envoyaient recruter des aides dans les autres associations. Aux pauvres, elles demandaient des corvées ; aux riches, des matériaux et des moyens de transport, qui leur étaient accordés par esprit de religion. Quand leurs travaux étaient terminés, elles levaient leur camp, et elles allaient chercher fortune ailleurs.

      L'abbé Grandidier nous a conservé, d'après un vieux registre de la tribu des maçons de , de précieux renseignements sur l'association qui érigea la cathédrale de cette ville. Cet édifice, commencé en 1277, sous la direction d'Hervin de Steinbach, ne fut terminé qu'en 1439. Les maçons qui l'élevèrent étaient composés de maîtres, de compagnons et d'apprentis. Le lieu où ils s'assemblaient s'appelait hütte, maisonnette, loge. C'est l'équivalent du latin maceria. Ils employaient emblématiquement les outils de leur profession ; ils les portaient comme insignes. Ils avaient pour principaux attributs l'équerre, le compas et le niveau. Ils se reconnaissaient à des mots et à des signes particuliers, qu'ils nommaient das Wortzeichen, signe des mots ; et der Gruss, salut. Les apprentis, les compagnons et les maîtres étaient reçus avec des cérémonies auxquelles présidait le secret. Ils admettaient, comme affiliés libres, des personnes qui n'appartenaient pas au métier de maçon ; c'est ce qu'on voit par ce signe bien connu :

Equerre et compas

qui servait de marque à Jean Grieninger, éditeur de , en 1525, époque à laquelle la corporation était encore en pleine vigueur dans cette ville.

      La confrérie de était devenue célèbre en Allemagne. Toutes les autres s'accordèrent à reconnaître sa supériorité, et elle reçut en conséquence le titre de haupt hütte, ou grande loge. Les hütten qui s'étaient ainsi ralliées à elle étaient celles de Souabe, de Hesse, de Bavière, de Franconie, de Saxe, de Thuringe et des pays situés le long de la Moselle. Les maîtres de ces hütten s'assemblèrent à Ratisbonne, en 1459, et y dressèrent, le 23 avril, l'acte de confraternité qui établissait grand-maître unique et perpétuel de la confrérie générale des maçons libres de l'Allemagne le chef de la cathédrale de . L'empereur Maximilien confirma cet établissement par diplôme donné en cette ville en 1498. Charles-Quint, Ferdinand et leurs successeurs le renouvelèrent. Une autre grande loge qui existait à Vienne, et dont relevaient les loges de la Hongrie et de la Styrie ; la Grande-Loge de Zurich, qui avait dans son ressort toutes les hütten de la Suisse, avaient recours à la confrérie de dans les cas graves et douteux. Elle avait une juridiction indépendante et souveraine, et jugeait sans appel toutes les causes qui lui étaient portées, selon les règles et les statuts de la société. Ces statuts furent renouvelés et imprimés en 1563 (29).

      Heldmann et Tillier ont recueilli de curieux détails sur l'histoire de la corporation maçonnique en Suisse, dans la même période. Ils nous la montrent commençant en 1421 la construction de la cathédrale de Berne sous la direction de Mathias Heinz, de , et la continuant successivement sous Mathias Œsinger, architecte du dôme d'Ulm, et sous le fils de celui-ci, Vincent Œsinger. Berne était alors le siège de la Grande-Loge helvétique. Après l'achèvement de la cathédrale de cette ville, en 1502, la Grande-Loge fut transférée à Zurich. En 1522, la confraternité s'étant mêlée d'affaires étrangères à l'art de bâtir, son grand-maître, Stephan Rülzislorfer, de Zurich, fut cité, pour ce fait, devant la diète ; et, comme il ne comparut pas pour se défendre, la confrérie fut supprimée sur toute l'étendue de la confédération helvétique.

      Les documents sont presque nuls en ce qui touche les corporations d'architectes en France. Cependant on trouve sur la plupart des églises de ce pays de nombreuses traces de leur existence, et l'histoire d'Angleterre constate qu'à diverses reprises, antérieurement au XIème siècle, plusieurs d'entre elles furent appelées dans ce pays pour coopérer à la construction d'églises, de châteaux et de fortifications qu'on y élevait. D'après Mossdorf , les confréries architectoniques auraient été fort multipliées en France et s'y seraient perpétuées jusqu'au XVIème siècle. A cette époque, et par suite de leur dissolution, la juridiction de la Grande-Loge de , dont elles dépendaient dans les derniers temps, se serait considérablement restreinte, et elle aurait même cessé entièrement en Allemagne en 1707. En effet, par une loi du 16 mars de cette année, la diète de l'empire abrogea cette juridiction, ainsi que celles qu'exerçaient la Grande-Loge de Vienne, et la Grande-Loge de Magdebourg, qui s'était établie plus récemment, et elle ordonna que les contestations qui pourraient s'élever entre les constructeurs seraient à l'avenir soumises à la décision des tribunaux civils.

      Au reste, les grandes confréries, pour qui ces tribunaux avaient été institués, n'existaient plus depuis longtemps, et les juridictions de , de Vienne et de Magdebourg, n'avaient plus à juger que les contestations qui surgissaient entre les particuliers et les entrepreneurs privés, pour fait de mal-façons et autres causes analogues. En ébranlant jusque sur ses bases la puissance papale, la réforme de Luther avait aussi porté un coup mortel aux associations maçonniques. Le doute avait pénétré dans tous les esprits, et l'on n'entreprenait plus la construction de ces vastes églises qui voulaient de la ferveur religieuse et de coûteux sacrifices. Les corporations étaient donc devenues sans objet, et elles s'étaient dissoutes. Leurs membres les plus riches s'étaient faits entrepreneurs de bâtiments, et avaient pris les autres à leur solde, en qualité d'ouvriers. Dès ce moment, s'était établie, parmi ceux-ci, une institution (le compagnonnage), qui, de temps immémorial, existait dans les autres corps de métiers, et même parmi les ouvriers du bâtiment, qui s'étaient tenus en dehors des grandes associations privilégiées, et s'étaient exclusivement occupés de constructions civiles (30). Ces dernières sociétés s'étaient formées des débris des collèges romains. Les vices du régime féodal les avaient forcées de modifier en plusieurs points leur organisation primitive ; mais elles avaient conservé, à peu près intacte, les anciennes cérémonies mystérieuses.

      Nous avons dit que toutes les initiations, toutes les doctrines secrètes avaient trouvé accès dans les collèges romains. C'est de là qu'est venue la diversité des mystères du compagnonnage. L'initiation des premiers chrétiens s'était conservée, récemment encore, dans les corps de métiers étrangers à la bâtisse : le récipiendaire représentait Jésus ; et on le faisait passer par toutes les phases de la passion de l'Homme-Dieu. Parmi les ouvriers du bâtiment, restés en dehors des associations privilégiées, et qui se donnent les noms de compagnons passants et de loups-garoux, les mystères se forment d'un mélange de judaïsme et de christianisme ; il y est question de la mort tragique de maître Jacques, un des constructeurs du temple de Salomon, assassiné par cinq mauvais compagnons à l'instigation d'un sixième, appelé père Soubise. Dans le compagnonnage issu des associations privilégiées et dont les membres prennent les titres de compagnons étrangers et de loups, les mystères sont exclusivement judaïques, et, comme dans les loges de francs-maçons, on y commémore le meurtre allégorique du respectable maître Hiram. De l'aveu même des autres compagnonnages, celui-ci est le plus ancien de tous. Il est présumable que les sanglants conflits qui s'élèvent journellement entre les divers ordres de compagnons ont pour cause originelle une rivalité de secte et la jalousie bien naturelle que devaient inspirer aux uns les privilèges dont les autres jouissaient à leur détriment (31).


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(27)  Guerrier de Dumast, dans les notes de son poème de la Maçonnerie, croit trouver la preuve de rapports entre les templiers et les maçons dans cette circonstance qu'en Italie, de vieilles églises qui avaient appartenu aux chevaliers conservent par tradition le nom d'églises della massone ou della maccione. Mais cette preuve, qui, du reste, serait surabondante, est, en définitive, de peu de valeur, puisque massone et maccione, ou mieux maggione, signifient maison, et qu'on appelait ainsi tous les établissements des templiers.

(28)  Voyez le frontispice.

(29)  L'imprimé a pour titre : Statuts et règlements de la confraternité des tailleurs de pierre, renouvelés à la conférence de la Grande-Loge de , à la Saint-Michel, anno MDLXIII. Une première révision des statuts avait eu lieu de 1459 à 1468.

(30)  Les membres du compagnonnage qui dérivait des associations de constructeurs privilégiées par les papes sont désignés, dans de vieux règlements municipaux de l'Allemagne, sous le nom de schrift-maurers (maçons de l'écrit ou du diplôme) ; les autres y sont appelés, par opposition, wort-maurers (maçons du mot).

(31)  Voir, sur les corporations du continent dans le moyen-âge, sur les pontifes, etc., Hope, Histoire de l'architecture ; de Hammer, Aperçu de l'état actuel de la maçonnerie ; Scholl, Archiv. hist., t. Ier ; Krause, Les trois plus anciens documents ; de Wiebeking, Mémoire sur l'état de l'architecture ; C. Lenning (Mossdorf), Encyclopœdie der Freimaurerei ; Grandidier, lettre à la suite de l'Essai sur les illuminés, du marquis de Luchet ; Archeologia, Londres, 1789, t. XX ; Fiscinus, Theologia plalonica ; Grégoire, Recherches sur les frères pontifes ; Guerrier de Dumast, la Maçonnerie, poème, aux notes ; Dulaure, Histoire de Paris, t. VIII ; Heldmann, les Trois plus anciens monuments de la confraternité maçonnique allemande ; Tillier, Histoire de l'État confédéré de Berne ; Robison, Proofs of a Conspiracy ; Brulliot, Dictionnaire des monogrammes, Munich, 1817 ; Thory, Histoire de la fondation du Grand-Orient de France ; Lawrie, History of Freemasonry ; Preston, Illustrations of Masonry ; Perdiguier, le Livre du compagnonnage, etc.




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