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Jacques Ier d'Angleterre / Jacques VI d'Ecosse

(19 juin 1566, au château d'Edimbourg - 27 mars 1625, à Theobalds Park, Herefordshire)
Roi d'Ecosse à partir du 24 juillet 1567 et roi d'Angleterre et d'Irlande à partir du 24 mars 1603 jusqu'au 27 mars 1625
Premier roi de la maison des Stuarts à régner sur l'Angleterre, et premier roi de la Grande-Bretagne
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Jacques Ier d'Angleterre dans son temps
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Biographie universelle ancienne et moderne

      Jacques Ier, roi d'Angleterre (ou Jacques VI roi d'Ecosse), le premier prince de la maison de Stuart qui régna sur l'Angleterre, est aussi le premier qui ait porté le titre de roi de la Grande-Bretagne. Lorsque Henry VII conclut le mariage de Marguerite, sa fille, avec Jacques IV, roi d'Ecosse, les Anglais témoignèrent la crainte que cette alliance ne les fit passer un jour sous la domination des Ecossais. Ce prince annonça que le contraire arriverait ; et l'événement justifia sa prédiction dans la personne de l'arrière-petit-fils de Marguerite. Depuis 118 ans, la maison de Tudor occupait le trône d'Angleterre, lorsque la reine Elisabeth cessa de vivre. A défaut d'héritier de la ligne masculine, elle ne laissait point de successeur plus proche que Jacques VI, roi d'Ecosse. Ce monarque était né, le 19 juin 1566, de la célèbre Marie Stuart et de Henri Darnley Stuart, second époux de cette reine infortunée. Elisabeth, dans son testament même, n'avait pu refuser de reconnaître pour son légitime héritier le fils de sa plus cruelle ennemie. Jacques VI avait d'ailleurs pour lui l'acte de 1485 (Entail of the Crown) qui assurait sa couronne à la postérité de Henry VII. Aussi solidement établi, son droit n'éprouva pas la plus légère opposition. « Jamais, dit Hume, la couronne d'Angleterre n'avait passé du père au fils avec plus de tranquillité qu'elle ne passa de la famille de Tudor à celle de Stuart. »

      Roi dès le berceau par l'assassinat de son père et l'abdication forcée de sa mère (1567), Jacques VI n'avait pu prendre aucune part active aux divers événements qui signalèrent la régence de son oncle, le comte de Murray, et celle-de son grand-père le comte de Lenox. Tombé ensuite au pouvoir des grands du royaume, il dut sa liberté à l'entremise intéressée d'Elisabeth, qui plaça pres de lui un ambassadeur chargé d'étudier son caractère et d'observer ses démarches. Occupé dès sa jeunesse de lectures sérieuses, il se livrait par inclination aux disputes théologiques qui divisaient alors tous les esprits. Il avait déjà vingt-et-un ans lorsque le sang de sa mère coula sur l'échafaud, par l'ordre d'Elisaheth. C'était en vain que pour la sauver il avait employé tour à tour la prière et la menace. Quand l'horrible attentat fut consommé, il crut ou feignit de croire aux protestations de douleur de l'artificieuse fille de Henry VIII. Loin de paraître conserver le moindre ressentiment contre cette altière princesse, il mit tous ses soins à ménager son humeur irritable. Mais il n'y réussit que faiblement : Elisabeth poussa même l'inquiétude et la défiance à l'égard du fils de sa victime jusqu'à vouloir le faire enlever par son ambassadeur Wotton. Le coup ayant manqué, elle traversa de tout son pouvoir l'union projetée entre Jacques et la princesse Anne de Danemarck ; mais le jeune roi d'Ecosse déploya une énergie dont on ne l'aurait point cru capable, et le mariage s'accomplit (1589).

      Jacques travailla constamment dès lors à s'assurer le brillant héritage qui flattait son ambition. Il eut d'autant moins de peine à gagner Robert Cecil, confident d'Elisabeth, que ce ministre trouvait lui-même son intérêt à mériter par des services la faveur de l'héritier présomptif de la couronne. Pendant plusieurs années il exista entre eux une correspondance très active, quoique très secrète. Cecil reçut un jour, en présence de la reine même, des dépêches d'Ecosse dans lesquelles se trouvait une lettre de Jacques VI : sans sa présence d'esprit, qui lui suggéra un prétexte pour ouvrir le paquet à l'écart, tout était découvert. Il s'en fallut peu que Jacques ne perdît en un instant le fruit de toutes ses mesures ; il n'échappa que par une espèce de prodige à un complot d'assassinat (voyez Gawry). Lorsqu'il fut sur le trône d'Angleterre, il ordonna que l'anniversaire de cet événement (05 août 1600) serait célébré par des actions de grâces dans toutes les églises.

      A peine Elisabeth avait-elle fermé les yeux (03 avril 1603), que le roi d'Ecosse, quoique absent, fut proclamé dans Londres roi d'Angleterre, sous le nom de Jaeques ler. Le conseil lui dépêcha aussitôt un courrier : mais déjà cette grande nouvelle lui était parvenue par les soins d'un de ses affidés. En l'apprenant, il leva les yeux au ciel ; mais il affecta de ne point laisser paraître trop de joie. Il ne tarda pas à se mettre en route pour aller se montrer à ses nouveaux sujets. Chaque parti, selon ses espérances ou ses craintes, se réjouissait ou s'affligeait de l'avènement d'un prince regardé comme étranger, malgré son origine. Cependant, l'affluence des peuples qui accourraient de toutes parts fut telle, que Jacques crut devoir réprimer cette curiosité par une proclamation, où il prit le prétexte assez singulier du manque de vivres. Les acclamations étaient si bruyantes, qu'un Ecossais de la suite du prince s'écria : « Eh ! juste ciel ! je crois que ces imbéciles gâteront notre bon roi. › Cette joyeuse réception n'empêcha point que Jacques ne fît pendre sur sa route, et sans aucune forme de procès, un filou pris en flagrant délit. Une justice aussi expéditive alarma les partisans des anciens privilèges. Toute la haute noblesse s'était rendue au-devant du nouveau monarque jusqu'à York. Cecil était du nombre : les ennemis de ce ministre s'attendaient à jouir de sa disgrâce ; l'accueil que lui fit Jacques et surtout la faveur dont il l'honora en séjournant dans un de ses châteaux annoncèrent que Cecil allait, au contraire, devenir plus puissant que jamais. Dès que le roi fut arrivé dans la capitale, il parut évident pour tous que la politique seule avait pu obtenir de lui quelques ménagements envers l'auteur des longues souffrances et de la mort tragique de sa mère. Non seulement il ne porta pas le deuil de la reine Elisabeth, quoiqu'un mois fût à peine écoulé depuis qu'elle était descendue au tombeau ; il refusa même d'admettre en sa présence ceux qui le portaient. Mais aussi empressé de témoigner aux Anglais l'envie de leur plaire, il se montra prodigue de grâces de tout genre. En moins de six semaines, il ne délivra pas moins de 237 diplômes de chevalier. Cette profusion de titres donna lieu à une pasquinade affichée aux portes de St-Paul. On y annonçait une méthode pour apprendre à retenir, sans trop de peine, les noms de toute cette nouvelle noblesse. Les Anglais reprochaient aussi à Jacques d'avoir amené avec lui un grand nombre de seigneurs écossais : ils auraient dû reconnaître du moins qu'il conserva la plupart des ministres d'Elisabeth.

      Toutes les puissances de la chrétienté envoyèrent complimenter le nouveau monarque. Quelques-unes lui proposèrent des traités d'alliance. Le plus remarquable de ces ambassadeurs était le marquis de Rosny, l'illustre ami de Henri IV. ll voulait paraître en deuil avec toute sa suite : on lui fit observer que Jacques en pourrait être offensé comme d'un secret reproche de ce qu'il avait refusé lui-même de rendre cet hommage à la mémoire de la feue reine. Rosny, dînant à la table du roi, eut occasion d'apprécier par un seul propos le caractère vaniteux de ce prince. Jacques osa dire hautement que, plusieurs années avant la mort d'Elisabeth, c'était déjà lui qui gouvernait l'Angleterre par ses conseils et son influence. L'ambassadeur français ne tarda pas à avoir la juste mesure de cette force de tête dont se vantait le monarque. Sa mission était de lui offrir une part importante dans le vaste plan qu'avait conçu Henri le Grand pour abaisser la puissance colossale de la maison d'Autriche, en l'attaquant sur tous les points à la fois. De telles conceptions étaient trop au-dessus d'un génie étroit et timide : il fallut que Rosny se contentât d'un traité qui avait pour objet spécial l'indépendance des Provinces-Unies. Ce ne fut pas même sans quelque difficulté qu'il amena Jacques Ier à soutenir les Hollandais. Par des motifs qui faisaient plus d'honneur à son équité naturelle qu'à ses vues politiques, ce prince ne les appela longtemps que des rebelles. Il fut convenu qu'un tiers des subsides que leur payait Henri IV serait en déduction des sommes qui lui avaient été prêtées par Elisabeth, et que, si l'Espagne attaquait l'un des deux monarques, l'autre se déclarerait immédiatement ; la France devait fournir dix mille hommes et l'Angleterre six mille.

      L'avènement de Jacques au trône avait eu lieu avec un assentiment si général que l'on fut très étonné de la découverte d'une conspiration ourdie en faveur d'Arabelle Stuart, parente du roi. Ce complot est resté couvert de ténèbres d'autant plus épaisses qu'il était formé des éléments les plus hétérogènes, tels que des prêtres catholiques, des puritains et des adeptes de cette secte philosophique qui commençait à naître sous le nom de Freethinkers (Libres penseurs ou esprits forts). Parmi ces derniers était le fameux Walter Raleigh ; il osa faire des ouvertures à Sully et n'essuya qu'un refus méprisant du digne représentant de Henri IV. Condamné à mort, il obtint un sursis et non sa grâce ; trois autres de ses complices furent exécutés.

      A peine délivré des craintes qu'avait pu lui causer cet événement, le roi saisit le prétexte des réclamations élevées à la fois par les catholiques et par les puritains pour satisfaire le goût dominant qui le portait vers les discussions théologiques. Il assembla un conseil extraordinaire, ou plutôt un synode, à Hampton-Court. Il affecta de garder une neutralité rigide entre les deux partis, et il les mécontenta l'un et l'autre. En revanche, il fit éclater tant d'estime pour les dogmes de la religion anglicane, et en particulier pour l'épiscopat, qu'on entendit l'archevêque de Cantorbéry s'écrier : « De quelque éloquence naturelle que soit doué notre gracieux monarque, il est évident que ses paroles ont quelque chose de surhumain et qu'elles sont une inspiration du Saint-Esprit. »

      La peste qui régnait depuis un an, et dont furent victimes 30.000 habitants de la capitale, c'est-à-dire un cinquième de la population qu'elle renfermait alors (1605), avait retardé la convocation du parlement. Le roi l'ouvrit par un discours qui fut prôné comme un chef-d'œuvre par des écrivains du temps. Ces éloges étonnent peu à une époque où le goût et les convenances mêmes n'étaient pas encore fixés ; mais comment ont-ils pu être répétés sans restriction par des historiens modernes ? Dans cette harangue d'une excessive prolixité, à cóté de David et de saint Paul on trouve Astrée et Bellone ; après avoir cité la loi de l'Evangile sur l'indissolubilité du mariage, Jacques dit « qu'il est l'époux et que l'île de la Grande-Bretagne est sa femme légitime ; qu'il est la tête et qu'elle est le corps ; qu'il est berger et que les Anglais et les Ecossais sont ses brebis ; que le pape, qui se croit un monarque à triple couronne, n'est qu'un monstre, etc. » Au milieu de ce chaos d'idées les plus disparates, se rencontrent deux passages remarquables : l'aveu que fait le roi de céder trop facilement aux importunités des solliciteurs de toute espèce ; sa recommandation au parlement d'éviter la multiplicité des lois, signe infaillible, dit-il, de la corruption des Etats. Malheureusement, il dérogea lui-même à cette sage maxime par la profusion de ses ordonnances royales. Il en est une que l'on doit distinguer ici, à cause de son analogie avec celle que rendit Henri IV en France à la même époque. De nos jours, il s'est trouvé des déclamateurs assez ignorants ou assez audacieux pour imputer comme un acte tyrannique à la mémoire du meilleur de nos rois la défense rigoureuse de la chasse à tout sujet qui n'en avait pas obtenu la permission expresse. Quel esprit dégagé de préventions ne voit pas que le but direct de la mesure prudente et politique adoptée par les deux monarques était de retirer le port d'armes à une foule d'individus toujours prêts à se rallier aux factieux à la suite de longues divisions intestines ? Avant de terminer cette session du parlement, remarquable seulement par les efforts que fit le roi pour établir son droit absolu, Jacques eût ardemment désiré d'y faire prononcer la réunion solennelle de ses deux couronnes, réunion que, dans son langage figuré habituel, il avait désignée et demandée de la manière suivante : « L'Angleterre et l'Ecosse étant deux royaumes situés dans une même île, vous ne souffrirez pas que moi, prince chrétien, je tombe dans le crime de bigamie en vivant avec deux femmes ; que, n'ayant qu'une seule tête, je me joigne à un corps double, et qu'étant seul pâtre j'aie à conduire deux troupeaux différents. » Toujours jaloux des Ecossais, les Anglais se bornèrent à nommer des commissaires pour délibérer sur cette importante question ; elle sembla bientôt oubliée.
      La session suivante devint une des époques les plus mémorables de l'histoire d'Angleterre par le grand bruit que fit la découverte de la conspiration des poudres. Cet événement mérite d'autant plus de fixer l'attention de l'homme réfléchi que la plupart des écrivains qui l'ont rapporté, et de ceux mêmes qui auraient le plus de droit à la confiance de leurs lecteurs, n'ont fait que se copier servilement les uns les autres. Les bornes de cet article n'admettent point une discussion approfondie ; mais il offrira du moins le rapprochement des faits et des opinions, omis par la mauvaise foi des historiens ou négligés par l'incurie des compilateurs. Dix jours avant celui qui avait été fixé pour l'ouverture du parlement, un pair catholique, lord Monteagle, reçut une lettre anonyme dans laquelle on lui disait : « Si vous tenez à la vie, ne paraissez point au Parlement : un coup terrible sera frappé, et l'on ne verra point d'où il part... Le danger sera passé en aussi peu de temps que vous en mettrez à brûler cette lettre (1). » Lord Monteagle porta le papier au comte de Salisbury (Robert Cecil), qui le mit sous les yeux du roi. Le conseil voulait mépriser cet avis mystérieux ; Jacques seul réfléchit sur le sens des paroles et devina qu'il s'agissait d'une explosion soudaine. Par son ordre, le grand chambellan visita les caves situées sous les deux chambres ; dans la nuit même qui précéda la séance royale (05 novembre 1605), il trouva au-dessous de la chambre haute, dans un magasin de charbon, trente-six barils de poudre recouverts de bûches et de fagots. Un ancien officier déguisé se tenait auprès de cette mine : il avait sur lui tout ce qui était nécessaire pour la faire jouer au premier signal. Guy Fawkes (c'était le nom de cet homme) ne témoigne d'abord que le regret d'avoir manqué son coup et refusa opiniâtrement de déclarer ses complices ; la crainte de la torture les lui fit nommer : les principaux étaient deux catholiques, Catesby, gentilhomme d'une ancienne famille, et Percy, de l'illustre famille de Northumberland. A la nouvelle de l'arrestation de Fawkes, ils coururent avec leurs affidés dans le comté de Warwick pour y rejoindre Digby, un des chefs de la conspiration (voyez Everard Digby) ; ils furent poursuivis, et la plupart périrent les armes à la main après la plus vive résistance ; ceux qui furent pris vivants terminèrent leurs jours dans les supplices. On fit partager leur sort aux deux jésuites Garnet et Oldecorn, accusés, selon quelques auteurs, de leur avoir donné d'avance l'absolution de leur crime, et simplement, selon d'autres, de ne pas avoir révélé la conjuration. Voilà le précis des faits rendus publics dans le temps et répétés depuis, sans examen, par une foule d'écrivains totalement dépourvus de critique. Voici maintenant des particularités beaucoup moins connues, qui peuvent jeter du jour sur leurs relations. Au moment même où le premier ministre Salisbury faisait le plus de bruit en Europe de l'importante découverte qui, disait-il, venait de sauver d'une entière destruction le roi, la famille royale et les deux chambres du parlement, le bruit se répandit que Salisbury lui-même avait suggéré cette effroyable idée à quelques têtes ardentes, afin de se ménager un prétexte d'anéantir le parti catholique. On prétendit qu'il avait formé ce projet dès le règne d'Elisabeth, et que la mort seule de cette princesse en avait fait différer l'exécution. Il est généralement reconnu, du moins, que ce fut ce courtisan artificieux qui mit Jacques Ier sur la voie de conjecturer la nature du complot, afin de lui procurer le plaisir d'admirer lui-même sa prodigieuse pénétration. On a soutenu enfin que la lettre anonyme adressée à lord Monteagle n'avait été forgée que par le ministre. La plupart des conjurés, et Digby entre autres, déclarèrent en mourant qu'ils ignoraient l'étendue de la conspiration. Les jésuites condamnés protestèrent de leur innocence jusque sur l'échafaud. L'ambassadeur de France, homme si digne de foi, prit sur les lieux les renseignements les plus précis, et il n'hésita pas à justifier pleinement les condamnés (2). Au, milieu de ce conflit d'autorités, l'homme judicieux, sans crainte de tomber dans le scepticisme, doit suspendre son jugement. A défaut des annales de tous les peuples, l'histoire seule de notre révolution nous apprendrait avec quelle méfiance il faut lire ces récits de complots mystérieux si avidement recueillis par le crédule vulgaire.

      Quoi qu'il en soit, au reste, du plus ou moins de réalité de la conspiration des poudres, rien ne fut négligé pour donner à cet événement la plus haute importance possible. Le roi se rendit au parlement et y prononça un long discours. Tandis que la populace ameutée demandait vengeance contre les catholiques, Jacques crut déployer une grande générosité en les défendant ; mais soupçonnerait-on quelle fut cette apologie ? Le royal orateur dit en substance : « qu'il ne fallait pas croire que tout catholique fût nécessairement un scélérat ; qu'il existait même des individus assez malheureux pour croire à la présence réelle et aux sacrements, sans être pour cela de la religion du pape, qui est un véritable mystère d'iniquités. » Enfin, le fils de Marie Stuart poussa la tolérance jusqu'à déclarer que, parmi ses ancêtres et ceux de ses sujets, c'est-à-dire pendant dix siècles où la religion catholique avait été la seule régnante dans la Grande-Bretagne, il n'était pas impossible que Dieu eût sauvé un certain nombre de papistes. Et voilà le prince que des écrivains protestants n'ont point rougi d'accuser d'une partialité manifeste pour les catholiques ! ll est vrai que dans le même discours, Jacques lança quelques traits fort amers contre les puritains, comme s'il eût prévu que de cette secte atrabilaire devaient sortir un jour les assassins de son fils Charles Ier. Immédiatement après avoir parlé, le roi prorogea le parlement. Ce corps ne se rassembla que trois mois plus tard : son premier acte fut de consacrer par une fête à perpétuité l'anniversaire de la conspiration des poudres, fête qui se célèbre encore tous les ans le 05 novembre.
      Mais déjà des rumeurs alarmantes se renouvelaient : il se répandit que le roi avait été assassiné à Oking. Jacques fit une proclamation pour certifier qu'il n'était pas mort. Le parlement lui causa une satisfaction extrême en décrétant le fameux serment d'allégeance. Les Anglais se vantèrent alors, et ils se vantent même encore aujourd'hui, de la noble fermeté avec laquelle ils déclarèrent, dans la formule de ce serment, que le pape n'a point le droit de déposer leur souverain, de délier ses sujets de leur fidélité et de disposer de sa couronne en faveur d'un prince étranger. Mais cette doctrine a toujours été celle des catholiques les plus attachés à leur religion ; en un mot, elle a été consacrée par nous, de la manière la plus solennelle, dans la fameuse assemblée du clergé de 1682. C'est sur la proposition de notre grand Bossuet lui-même que l'Eglise gallicane posa pour première maxime que le souverain pontife n'a aucun pouvoir sur le temporel des rois. Défenseur zélé des doctrines ultramontaines, le cardinal Bellarmin écrivit contre le serment d'allégeance une lettre, ou plutôt une dissertation, qui provoqua de la part du roi un écrit intitulé Admonitio regis Magnæ Britanniæ ad principes christianos. Il publia contre le même cardinal une autre diatribe bizarrement appelée Tortura torti, parce que Bellarmin, sur le titre d'un de ses livres, avait pris le nom de Matthæus tortus. Jacques, si passionné pour la controverse, s'était montré beaucoup plus indulgent envers son ancien précepteur, le célèbre Buchanan, qui avait eu l'audace de lui dédier des ouvrages remplis non seulement de déclamations antimonarchiques, mais encore des plus odieuses calomnies contre l'infortunée Marie Stuart, mère de ce prince. Avant de terminer cette session du parlement (1606), Jacques y reproduisit l'affaire qui lui tenait le plus à cœur, celle de l'union de ses deux royaumes. Déjà, de son autorité privée, il avait pris le titre de roi de la Grande-Bretagne ; et, par son ordre, les monnaies, les drapeaux des troupes, les pavillons des vaisseaux, présentaient les armes d'Ecosse écartelées avec celles d'Angleterre. Les deux chambres ne se montrèrent cependant pas plus disposées que l'année précédente à reconnaître cette union. En vain le roi les manda-t-il au palais de White-Hall : ses raisonnements, ses caresses, ses menaces, ne purent triompher de la jalousie invétérée des Anglais contre leurs voisins. De ce jour, il s'établit entre le monarque et le parlement une froideur qui se manifesta en plusieurs occurrences, et particulièrement dans les votes de subsides, qui n'étaient accordés qu'avec une excessive parcimonie. Le trésor royal étant absolument vide en 1610, le roi se résolut à demander un revenu fixe, en échange de certains droits regardés jusque-là comme annexés à la couronne. La discussion qui s'éleva dans les communes à ce sujet est réellement curieuse, en ce qu'elle donne une juste idée de la tournure d'esprit d'un prince qui aspirait à passer pour un des plus beaux génies du siècle. Jacques voulait avoir 200.000 livres sterling, et la chambre ne voulait lui en donner que 180.000. « Vous prétendez vous fixer, dit le lord trésorier, selon l'expression anglaise, à neuf vingtaines (nine score) ? mais Sa Majesté m'a ordonné de vous faire observer que ce nombre neuf ne saurait lui plaire, parce que l'on compte neuf poètes (3) qui ont toujours été des mendiants, quoiqu'ils servissent neuf Muses. Sa Majesté, bien qu'elle y trouvât son bénéfice, n'aurait pas plus de goût pour onze, parce que le traître Judas est cause qu'il n'y a que onze apôtres : mais il est un nombre moyen qui nous accorderait facilement ; c'est dix, nombre sacré, puisque c'est celui des Commandements de Dieu. » On ne sait si ce fut ce genre d'éloquence qui désarma le parlement ; mais il est sûr qu'il accorda au roi les dix vingtaines, de mille livres (ten score).

      Jacques trouva bientôt une occasion plus éclatante encore de faire juger son caractère. On avait généralement taxé de pusillanimité l'extrême circonspection avec laquelle il s'était conduit en diverses conjonctures d'un haut intérêt pour l'Angleterre. Un incident à peine digne de remarque sembla développer en lui un homme nouveau. Toujours occupé d'argumentations scolastiques, il apprend qu'un professeur nommé Vorstius venait d'être appelé d'Allemagne en Hollande, pour y remplir une chaire à l'université de Leyde. Vorstius était arminien, et Jacques avait écrit contre cette secte. Son ambassadeur a ordre de se plaindre vivement aux Etats de la nomination du professeur. Les Etats entreprennent de défendre leur choix. S. M. Britannique leur adresse une lettre foudroyante, où elle déclare que « jamais hérétique ni athée n'a mérité les flammes à plus juste titre que Vorstius ; mais qu'elle veut bien, pour cette fois, s'en remettre à leur sagesse chrétienne, pour décider si cet homme sera envoyé au bûcher. » Une seconde remontrance du gouvernement hollandais provoqua, de la part de Jacques, une sorte de déclaration de guerre : on ne parvint à désarmer son courroux qu'en faisant passer Vorstius à une autre chaire. Quelques ouvrages ascétiques attribués à des jésuites ayant donné de l'humeur au monarque anglais, une proclamation royale les bannit tous de la Grande-Bretagne, et défendit à tout catholique d'approcher de la cour à moins de dix milles.
      Au milieu des petitesses qui absorbaient presque tous les instants de Jacques Ier, on est étonné de le voir se constituer législateur suprême de l'Irlande, et se rendre, par ses soins judicieux, digne de ce titre honorable. Mais la mollesse de son caractère et les travers de son esprit ne reparurent que trop tôt. Ce prince continuellement livré, en apparence, aux abstractions de la philosophie et aux recherches scientifiques, avait un singulier faible : les avantages physiques d'un homme, et même l'élégance de sa toilette, exerçaient sur ses yeux un pouvoir dont sa raison ne pouvait se défendre. Les Anglais et les Ecossais se disputèrent à qui lui donnerait un favori : les derniers l'emportèrent. Robert Carre, né en Ecosse, d'une famille noble, et à peine âgé de vingt ans, fut placé auprès du roi comme simple écuyer. Un jour, qu'il lui présentait son bouclier dans une joute, il reçut un coup de pied de cheval qui lui casse la jambe. Cet accident devint pour lui la source de la plus haute fortune. Touché de sa jeunesse et de l'extrême beauté de sa figure, Jacques ordonna de le transporter sur-le-champ au palais ; et, dès qu'il y fut rentré lui-même, il courut s'assurer par ses yeux que l'intéressant blessé recevait tous les soins convenables. Chaque jour, on vit le monarque passer des heures entières au chevet du lit d'un pauvre écuyer ; et l'on ne tarda pas à voir quelque chose de bien plus extraordinaire. Jacques s'était promptement aperçu que le jeune Robert manquait totalement d'études. Il résolut de se charger lui-même de son éducation. Tandis que les ministres attendaient le roi au conseil, Sa Majesté était occupée à donner des leçons de grammaire et de latin au bel Ecossais. En peu de temps, Jacques revêtit son écolier des titres de chevalier, de vicomte de Rochester, de comte de Somerset, et il le décora de la Jarretière. Il est très remarquable que les historiens qui ont le plus insisté sur ce ridicule (et ce ne fut pas le dernier de ce genre que se donna Jacques Ier), n'en ont cependant tiré aucune induction infamante pour les mœurs de ce monarque. Mais, d'après une expression très énergique de Henri IV (4), on pourrait croire que le héros français voyait d'un œil moins indulgent ces étranges faiblesses. Rempli de dédain pour ce roi pédant, Henri ne l'appelait communément que Maître Jacques : et il poussa quelquefois, à son égard, le mépris jusqu'à l'aversion.
      Il y avait déjà dix ans que le fils de Marie Stuart occupait le trône d'Elisaheth, lorsqu'il donna l'ordre de déposer dans les sépultures royales de Westminster le corps de cette reine infortunée, qui était resté à Peterborough. Cette cérémonie funèbre fut bientôt suivie d'une autre non moins lugubre : Henry, prince de Galles, mourut en 1612, à l'âge de 18 ans, pleuré de toute la nation, qui se plaisait à opposer ses qualités brillantes à l'inertie de l'auteur de ses jours. On prétendit que ce prince avait été empoisonné, et il s'éleva des voix qui osèrent accuser le roi lui-même de ce forfait : mais si quelquefois ses procédés purent le faire soupçonner d'être jaloux de son propre fils, s'il accrut ces soupçons par la défense inconcevable de porter le deuil de l'héritier de la couronne ; rien, d'ailleurs, n'autorise à penser que Jacques fût capable d'unc telle monstruosité. Un écrivain célèbre a ouvert une nouvelle opinion à cet égard. Selon Fox, il y a tout lieu de croire que le prince Henry fut empoisonné par Somerset (Robert Carre), et que le roi le sut quand le crime fut consommé (5). La faveur de cet ami particulier de Jacques n'ayant éprouvé aucun échec à cette époque, il en résulterait donc une sorte de complicité entre son maître et lui. Mais il est juste d'observer que Fox, qui ne perd jamais une occasion de reprocher à Hume de se montrer trop favorable aux Stuarts, s'est jeté dans l'excès opposé, et laisse constamment percer contre tous les princes de cette famille l'animosité la plus révoltante.

      L'année suivante vit célébrer les noces de la princesse Elisabeth, fille du roi, avec l'électeur palatin, Frédéric V. Ce mariage parut alors peu digne d'attention. Qui eût imaginé que son résultat futur dût être de donner à l'Angleterre des souverains allemands, et d'une famille autre que celle qui devenait alliée de la maison de Stuart ? C'est cependant, comme ayant hérité des droits de la princesse Elisabeth, que cent un ans plus tard la maison de Hanovre monta sur le trône de la Grande-Bretagne. Alors même que le fanatisme religieux intervertissait l'ordre naturel de la succession, la raison d'Etat consacrait le principe de la légitimité dans les descendants des Stuarts. Ce fut au milieu même des fêtes occasionnées par le mariage de sa fille que Jacques éprouve le plus violent chagrin qui pût affecter ce cœur bizarre. Il eut la preuve trop certaine que son indigne favori, pour opérer le divorce de la jeune comtesse d'Essex et obtenir sa main, s'était souillé des plus noirs attentats (voyez Overbury et Somerset). Ses yeux s'ouvrirent enfin ; mais déjà, depuis quelque temps, un nouveau mignon balançait l'influence de Somerset, et la cour partagée flottait entre l'ancienne et la nouvelle idole. Jacques, dans une des deux tournées qu'il faisait annuellement, passa par Cambridge. Les étudiants le régalèrent d'une comédie intitulée Ignoramus, qui tournait en ridicule le droit commun de l'Angleterre. C'était un moyen assuré de le divertir : sa bonne humeur augmenta, dès qu'il eut jeté les yeux sur Georges Villiers, jeune homme également remarquable par sa figure, sa taille et l'élégance de son costume. Par un détour singulier, qui prouve du moins que Jacques rougissait intérieurement de ses ignobles inclinations, il voulut que ce fût la reine qui le priât de prendre le bel adolescent à son service ; et, en le nommant son échanson, il eut l'air de céder aux instances de cette princesse.

      Il eut bientôt à s'occuper d'affaires plus graves : malgré toutes les peines qu'il s'était données pour établir son droit divin, et le consacrer aux yeux des peuples par la qualification de Sacrée Majesté, le parlement voulut aussi faire voir quels étaient ses droits, en refusant toute espèce de subsides. Jacques, surpris et furieux, n'hésita pas à faire arrêter les chefs de l'opposition. Des débats de la nature la plus alarmante s'élevèrent sur l'essence de la prérogative royale : alors Jacques, revenant à son caractère pusillanime, chercha d'indignes subterfuges dans les subtilités de l'école. Il imagina un roi in abstracto et un roi in concreto. Il relâcha les prisonniers, et les communes lui donnèrent de l'argent. Il le prodigua avec une telle imprévoyance au nouveau duc de Buckingham et à toute la famille de cet arrogant ministre, qu'il fallut chercher au dehors des ressources extraordinaires. La reine Elisabeth s'était fait livrer aux états généraux les trois places de Flessingue, la Brille et Ramekens, comme sûreté des sommes qu'elle leur avait prêtées : Jacques ler proposa aux Hollandais de leur rendre ces places pour 250.000 livres sterling, une fois payées. Son offre fut acceptée avec empressement. La nation anglaise vit ce marché avec douleur, parce qu'elle sentit combien il diminuait son influence politique sur le continent.
      Jacques, qui n'avait rien perdu de la sienne en Ecosse, malgré une absence de quatorze ans, éprouvait le désir de revoir son pays natal. Il résolut de signaler son apparition au milieu de ses anciens sujets (par l'acte le plus important et le plus difficile de son autorité, c'est-à-dire par la réformation du culte. Il abhorrait naturellement les puritains, et il voulait essayer d'adoucir ce que leur religion présentait de sombre et de sauvage. Cette tentative faillit exciter un soulèvement général : des prédicants soutinrent en chaire que le roi était possédé de sept diables ; et le peuple courut aux armes. Entouré par les rebelles et réveillé par le péril, Jacques déploya, une fois en sa vie, du courage et de l'habileté. Il revint en Angleterre, où peu s'en fallut qu'il n'excitât pareillement une sédition religieuse par une proclamation où il exhortait les fidèles à se livrer, le dimanche, aux plaisirs permis, afin, dit-il, de ne point faire de cette solennité un jour semblable au sabbat des juifs. Il donnait lui-même à ses sujets l'exemple d'une vie joyeuse, abandonnant les rênes de l'Etat au duc de Buckingham, et partageant presque tout son temps entre la chasse et les divertissements de tout genre. Disposé aux sacrifices les plus humiliants pour conserver la paix, ce qui lui avait valu en Europe le surnom de Rex paxificus, il n'avait pas hésité à donner satisfaction à l'Espagne pour l'expédition de Raleigh, en envoyant à la mort cet homme célèbre, déjà condamné, il est vrai, pour un autre fait (voyez ci-dessus). Il chercha même bientôt à captiver l'amitié de cette puissance, dans l'espoir que son intervention seule le dispenserait de prendre part à la sanglante querelle où venait témérairement de s'engager l'électeur palatin, son gendre, en acceptant la couronne de Bohême. Mais déjà le nouveau roi était vaincu et fugitif : son électorat même était tombé au pouvoir des armées autrichiennes. Jacques crut avoir trouvé un moyen sûr de désarmer la branche espagnole, en demandant pour le prince de Galles (depuis Charles ler) la fille cadette de Philippe III. L'aînée, après avoir été promise au premier prince de Galles, avait épousé Louis XIII. La différence de religion semblait devoir mettre obstacle à cette alliance ; mais Jacques faisait céder à la politique sa haine naturelle pour le catholicisme. Ses ambassadeurs parcouraient toute l'Europe, et à peine daignait-on les écouter. Une farce, jouée alors publiquement à Bruxelles, dénote dans quel discrédit était tombé le successeur d'Elisabeth : « Trois puissances, y disait-on, envoient des secours à l'électeur palatin : le roi de Danemarck, cent mille harengs salés ; la Hollande, cent mille tonnes de beurre, et le roi Jacques, cent mille ambassadeurs. » Partout il était peint avec un fourreau sans épée. Le parlement, écho des clameurs de la multitude, qui voyait la ruine du protestantisme dans une alliance avec l'Espagne, fit éprouver au roi toutes les contrariétés possibles. Vainement le prince chercha-t-il à le gagner dans un discours très étudié, où il adressait aux chambres ces paroles de l'Ecriture : « Je vous ai joué de la flûte, et vous n'avez point dansé ; je vous ai chanté des lamentations, et vous n'avez point pleuré » ; les communes ne lui répondirent que par de vives remontrances. Jacques, irrité, écrivit à l'orateur de la chambre basse une longue lettre, où, dans un style amer et véhément, il se plaignait des atteintes portées à son droit divin : l'expression méprisante, ne sutor ultra crepidam, dont il se servit à ce sujet, acheva d'aigrir tous les esprits. Les communes, pour se venger, attaquèrent les principaux défenseurs de l'autorité royale : c'est alors que tomba le célèbre Bacon, trop convaincu d'allier à un génie presque surnaturel les faiblesses humaines les plus déplorables. Soutenu par les conseils de l'entreprenant Buckingham, le roi cassa le parlement, et en envoya les membres les plus fougueux à la Tour. Les dissensions politiques éclatèrent dans toutes les classes de la société ; mais c'est à tort que quelques écrivains fixent à cette époque l'origine des Whigs et des Torys. Ces deux partis fameux ne se montrèrent sous ces dénominations que du temps de Charles II (6). Affectant de braver toute opposition, le roi donna plus d'éclat à ses négociations avec la cour de Madrid, par l'ambassadeur du comte de Bristol. Philippe IV, qui venait de succéder à son père, se montra d'abord si favorable au mariage de sa sœur Marie avec le prince de Galles, que Jacques se laissa déterminer par Buckingham à envoyer le prince lui-même en Espagne, sous la conduite de ce favori. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer par quelle foule de motifs cette course galante n'eut aucun résultat. Jacques perdit ainsi l'espoir de faire restituer le Palatinat à son gendre par l'entremise de la cour de Madrid. Cette restitution ne pouvant plus s'obtenir que par les armes, il saisit ce prétexte pour demander des subsides au parlement. Le discours qu'il y prononça donna une nouvelle preuve de son mauvais goût, comme celui qu'il y laissa tenir à Buckingham fut un nouvel exemple de l'effronterie du ministre et de la dégradation du souverain. Lorsque le roi eut dit aux chambres assemblées « qu'il était leur époux, et qu'elles étaient ses femmes ; qu'un voyageur mourant de soif dans les déserts de l'Arabie ne désire pas avec plus d'ardeur une source d'eau vive qu'il ne désirait la prospérité publique », Buckingham prit la parole, et, avec une inconcevable assurance, il débita le roman qu'il avait composé sur le voyage de l'héritier du trône. Jacques, par de fréquents mouvements de tête, donnait son assentiment aux assertions les plus hasardées de son favori. Une guerre contre des puissances catholiques était trop populaire pour que les communes hésitassent à voter de forts subsides ; mais il fut arrêté que les sommes accordées resteraient en dépôt entre les mains d'une commission spéciale. Jacques ne s'attendait pas à cette conclusion ; et il eut beaucoup de peine à dissimuler son dépit. Il éprouvait un chagrin plus violent : des avis secrets de l'ambassadeur d'Espagne lui révélèrent qu'il avait été indignement joué par Buckingham, dans tout ce qui concernait l'union projetée avec l'infante ; mais telles étaient et sa faiblesse et l'arrogance du favori, qu'il n'osa pas même lui faire part de sa découverte. Il poussa la complaisance à son égard jusqu'à souffrir que le comte de Bristol, à son retour de Madrid, fût conduit à la Tour et ensuite exilé, dans la crainte que cet ambassadeur ne parlât. On s'attendait à voir agir une puissante armée anglaise en Allemagne : Jacques se contenta de faire passer six mille hommes au prince Maurice d'Orange.

      La rupture du mariage de l'héritier présomptif avec une princesse catholique avait produit une joie si vive à Londres, qu'il n'était pas à présumer que le roi pensât jamais à conclure une alliance de cette nature. Quel fut l'étonnement général, lorsque l'on apprit tout à coup que Louis XIII avait accordé la main de madame Henriette, sa sœur, au prince de Galles ! Charles avait entrevu, incognito, cette jeune et belle princesse dans un bal, en traversant Paris pour se rendre en Espagne ; et Jacques, fermement résolu à ne donner pour épouse à son fils qu'une fille de roi, ne voyait plus en Europe d'autre parti convenable que la fille de Henri IV. Voulant profiter de la conjoncture pour adoucir le sort des catholiques anglais, Louis XIII chargea l'archevêque d'Embrun d'une mission secrète auprès du roi Jacques. Le prélat, sous le nom supposé d'un conseiller au parlement de Grenoble, eut plusieurs conférences avec le monarque : mais comme elles n'eurent pas de témoins, on ne doit lire qu'avec une extrême méfiance tout ce qui a été écrit sur ce sujet, et, notamment, sur le dessein formé par Jacques Ier de proclamer son retour sincère à la foi de ses ancêtres. Il est avéré, au contraire, que, peu de jours après ses entretiens avec l'archevêque français, se sentant atteint d'un mal mortel, il manda le prince de Galles, et, tout en l'exhortant à chérir la princesse de France, il lui recommanda, avec non moins d'instance, de persister dans son attachement au protestantisme.
      Jacques Ier cessa de vivre le 27 mars 1625, dans la 59ème année de son âge, et la 23ème de son règne en Angleterre. Comme tous les princes faibles, il mourut méprisé au dedans et au dehors. On eût dit, selon l'expression de Raynal, qu'il n'était que passager sur le vaisseau dont il aurait dû être le pilote. Si on ne peut lui reprocher aucun vice capital, on ne peut louer en lui aucune vertu pure et franche. Sa libéralité n'était que profusion, son savoir que pédanterie, son amour pour la paix que pusillanimité, sa politique qu'astuce, son amitié qu'un frivole caprice. Aspirant, pour gloire première, au titre de Roi bel esprit, rôle de tous le plus ridicule sur le trône, il ne fut qu'un orateur prolixe et sans dignité, un écrivain amphigourique et sans goût. Il n'eut point de maîtresses, mais il eut des favoris ! Et c'est là le prince que ses adulateurs appelaient le Salomon de l'Angleterre ! Notre grand Henri, entendant un jour nommer ainsi ce monarque, objet de ses profonds dédains, se permit un mot terrible qui nous coûterait moins à rapporter, s'il ne réfléchissait pas sur la malheureuse mère de Jacques Ier. Faisant allusion au prénom du fameux musicien David Rizzio : « Jacques n'est-il pas effectivement Salomon, dit Henri, s'il est fils de David le joueur de harpe ? » Le nom de ce Rizzio, tué sous les yeux de Marie Stuart, alors grosse de Jacques Ier, rappelle une assertion mille fois répétée : on a prétendu que, par suite de la violente impression éprouvée par sa mère, jamais ce prince n'avait pu supporter sans un tremblement visible l'aspect d'une épée nue. Ce fait, s'il était avéré (7), servirait d'argument en faveur d'une opinion presque entièrement rejetée par les plus habiles physiologistes ; mais les historiens anglais les plus accrédités, et ceux mêmes qui n'ont pas omis de critiquer la tournure et l'air gauche de Jacques Ier, ne parlent point de cette circonstance.
      On a recueilli des œuvres diverses de ce monarque, Londres (en anglais), 1616, et publiées en latin, 1619, par Jacques de Montaigu. Les plus remarquables sont : Le Basilicon Doron (Le Don royal), qui a été traduit en français par Jean Hotman de Villiers, Paris, 1603, in-8° ; The true Law of free Monarchies (La vraie loi des monarchies libres), et un Commentaire de l'Apocalypse, où l'auteur s'attache à prouver que le pape est l'Antechrist (8). Il parut, à la mort de Jacques Ier, une foule d'épigrammes, que des historiens n'ont pas dédaigné de rapporter. La plus sanglante, quoique la plus simple, est dans ce vers latin :

Rex fuit Elisabeth, nunc est regina Jacobus.


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(1)  Tel était le véritable sens de la phrase anglaise ; mais elle offrait une ambiguïté qui pouvait rendre l'avis inutile : As soon as you have burned the letter. Ces mots signifiant littéralement : Aussitôt que vous aurez brûlé la lettre, le péril était censé passé ou imaginaire.

(1)  Voyez Lettres et Négociations d'Antoine Lefèvre de la Boderie.

(3)  La liste de ces poètes ne fut pas présentée au parlement.

(4)  « Je sais de quoi ce... est capable ; mais croyez que un cela ne m'empêche point de dormir. » [Lettre de Henri IV au président Jeannin, qui était à La Haye en 1608 pour négocier la paix entre l'Espagne et les Provinces-Unies).

(5)  A History of the early Part of the Reign of James the Second, 1808, in-4° (To the Reader, p. VIL).

(6)  Voyez Notice historique sur les Whigs et les Torys, premier volume des Mémoires secrets du cardinal Dubois, publiés, en 1815, par l'auteur de cet article.

(7)  Il est cependant attesté par le fameux Kenelm Digby dans son Discours sur la poudre de sympathie... Jacques Ier, l'armant chevalier, ne put empêcher de détourner la tête, et pensa blesser gravement Digby, auquel il voulait, suivant l'étiquette, donner simplement un léger coup de plat d'épée.

(8)  Lorsqu'on réfléchit que le grand Newton était dans les mêmes sentiments, on ose à peine le reprocher à Jacques Ier.  (Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 20 - Pages 493-501)



Dictionnaire encyclopédique d'histoire, de biographie, de mythologie et de géographie

      .  Louis Grégoire, Dictionnaire encyclopédique d'histoire, de biographie, de mythologie et de géographie, nouvelle édition (1880), p. 1045.



Dictionnaire universel d'histoire et de géographie de Bouillet

       Marie-Nicolas Bouillet, Dictionnaire universel d'histoire et de géographie, 20ème édition (1866), p. 945.




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