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L'Agence Barnett et Cie

Maurice Leblanc
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LES DOUZE AFRICAINES DE BÉCHOUX

Le premier soin de M. Gassire, en s'éveillant, fut de vérifier si le paquet de titres, rapporté par lui la veille au soir, se trouvait bien sur la table de nuit où il l'avait déposé.

      Rassuré, il se leva et fit sa toilette.

      Nicolas Gassire, petit homme gras de corps et maigre de visage, exerçait, dans le quartier des Invalides, la profession d'homme d'affaires et groupait autour de lui une clientèle de gens sérieux qui lui confiaient leurs économies, et auxquels il servait de jolis intérêts, grâce à d'heureuses spéculations de Bourse et à de secrètes opérations usuraires.

      Il occupait, au premier étage d'une étroite et vieille maison dont il était propriétaire, un appartement composé d'une antichambre, d'une chambre, d'une salle à manger à usage de cabinet de consultation, d'une pièce où venaient travailler trois employés et, tout au bout, d'une cuisine.

      Très économe, il n'avait pas de bonne. Chaque matin, la concierge, lourde femme active et réjouie, lui montait son courrier à huit heures, faisait le ménage et déposait sur son bureau un croissant et une tasse de café.


      Ce matin-là, cette femme repartit à huit heures et demie, et M. Gassire, ainsi que chaque jour, en attendant ses employés, mangea tranquillement, décacheta ses lettres et parcourut son journal. Or, tout à coup, à neuf heures moins cinq exactement, il crut entendre du bruit dans sa chambre. Se souvenant du paquet de titres qu'il y avait laissé, il s'élança. Le paquet de titres n'y était plus, et, en même temps, la porte de l'antichambre sur le palier se refermait violemment.

      Il voulut l'ouvrir. Mais la serrure ne fonctionnait qu'avec la clef, et, cette clef, M. Gassire l'avait laissée sur son bureau.

      – Si je vais la chercher, pensa-t-il, le voleur s'enfuira sans être vu.

      M. Gassire ouvrit donc la fenêtre de l'antichambre, qui donnait sur la rue. A cet instant, il était matériellement impossible que quelqu'un eût eu le temps de quitter la maison. Et, de fait, la rue était déserte. Si affolé qu'il fût, Nicolas Gassire ne cria pas au secours. Mais, quelques secondes plus tard, apercevant son principal employé qui débouchait du boulevard voisin et s'en venait vers la maison, il lui fit signe.

      – Vite ! vite ! Sarlonat, dit-il en se penchant, entrez, refermez la porte, et que personne ne passe. On m'a volé.

      Dès que son ordre fut exécuté, il descendit en hâte, haletant, éperdu.

      – Eh bien, Sarlonat, personne ?...

      – Personne, monsieur Gassire.

      Il courut jusqu'à la loge de la concierge, qui se trouvait entre le bas de l'escalier et une courette obscure. La concierge balayait.

      – On m'a volé, madame Alain ! s'exclama-t-il. Personne n'est venu se cacher par ici ?

      – Mais non, monsieur Gassire, balbutia la grosse femme, ahurie.

      – Où mettez-vous la clef de mon appartement ?

      – Ici, monsieur Gassire, derrière la pendule. Du reste, on n'a pas pu la prendre, puisque je n'ai pas bougé de ma loge depuis une demi-heure.

      – Alors, c'est que le voleur, au lieu de descendre, a remonté l'escalier. Ah ! c'est effroyable !


      Nicolas Gassire revint près de l'entrée. Ses deux autres employés arrivaient. En quelques phrases essoufflées, il leur donna, en toute hâte, ses instructions. Personne ne devait passer, ni dans un sens ni dans l'autre, avant qu'il ne fût de retour.

      – Compris, hein, Sarlonat ?

      Aussitôt, il escalada l'étage et s'engouffra chez lui.

      – Allô, hurla-t-il en empoignant le cornet du téléphone... Allô ! la Préfecture de police... Mais, mademoiselle, je ne vous demande pas la Préfecture ! je vous demande le café de la Préfecture... Le numéro ? Je ne sais pas... Vite... Les renseignements... Au galop, mademoiselle.

      Il réussit enfin à obtenir le patron du café et proféra :

      – L'inspecteur Béchoux est là ? Appelez-le... Tout de suite... Au galop... C'est un de mes clients... Pas une seconde à perdre. Allô ! l'inspecteur Béchoux ? C'est M. Gassire qui vous téléphone, Béchoux. Oui, ça va bien... ou plutôt non... On m'a volé des titres, un paquet... Je vous attends. Hein ? Quoi ? Impossible ? Vous partez en congé ? Mais je m'en fiche de votre congé ! Rappliquez au galop, Béchoux... au galop ! Vos douze actions des Mines Africaines étaient dans le paquet !

      M. Gassire entendit au bout de la ligne un formidable : « Nom de... ! » qui le rassura pleinement sur les intentions et sur la promptitude de l'inspecteur Béchoux. En effet, quinze minutes plus tard, l'inspecteur Béchoux arrivait en coup de vent, la figure décomposée, et se ruait sur l'homme d'affaires.

      – Mes Africaines !... Toutes mes économies ! Où sont-elles ?

      – Volées ! avec les titres de mes clients... avec tous mes titres à moi !

      – Volées !

      – Oui, dans ma chambre, il y a une demi-heure.

      – Crebleu ! mais qu'est-ce que mes Africaines faisaient dans votre chambre ?

      – J'ai retiré le paquet, hier, de mon coffre du Crédit Lyonnais, pour les confier à une banque. C'était plus commode. Et j'ai eu tort...

      Béchoux lui appliqua sur l'épaule une main de fer.

      – Vous êtes responsable, Gassire. Vous me rembourserez.

      – Avec quoi ? Je suis ruiné.

      – Ruiné ? Et cette maison ?

      – Hypothéquée jusqu'à la gauche.

      Les deux hommes sautaient et vociféraient l'un en face de l'autre. La concierge et les trois employés avaient perdu la tête aussi et barraient le passage à deux jeunes filles, deux locataires du troisième, qui voulaient sortir à tout prix de la maison.

      – Personne ne sortira ! cria Béchoux, hors de lui. Personne, avant qu'on ait retrouvé mes douze Africaines !

      – Il faudrait peut-être du secours, proposa Gassire... le garçon boucher... l'épicier... ce sont des gens de confiance.

      – Je n'en veux pas, articula Béchoux. S'il faut quelqu'un, on téléphonera à l'Agence Barnett, de la rue de Laborde. Et puis, on portera plainte. Mais ce serait du temps perdu. Pour le moment, il faut agir.

      Il essayait de se dominer, incité au calme par sa responsabilité de chef. Mais ses gestes nerveux et la crispation de sa bouche trahissaient un désarroi extrême.

      – Du sang-froid, dit-il à Gassire. Somme toute, nous tenons le bon bout. Personne n'est sorti. Donc il faut mettre la main sur mes douze Africaines avant qu'on ne puisse les glisser dehors. C'est l'essentiel.

      Il interrogea les deux jeunes filles. L'une, dactylographe, copiait chez elle des circulaires et des rapports. L'autre donnait, chez elle aussi, des leçons de flûte. Toutes deux désiraient faire leurs provisions pour le déjeuner.

      – Mille regrets ! répliqua Béchoux, inflexible. Mais ce matin, la porte de la rue restera close. Monsieur Gassire, deux de vos employés s'y tiendront en permanence. Le troisième fera les courses des locataires. Cet après-midi, ceux-ci pourront passer, mais avec mon autorisation, et tous colis, cartons, filets à provisions, paquets suspects seront rigoureusement examinés. Voilà la consigne. Quant à nous, monsieur Gassire, à l'ouvrage ! La concierge nous conduira.

La disposition des lieux rendait les investigations faciles. Trois étages. Un seul appartement par étage, ce qui faisait quatre avec celui du rez-de-chaussée, inoccupé pour l'instant. Au premier, M. Gassire. Au second, M. Touffémont, député, ancien ministre. Au troisième, qui était divisé en deux petits logements, Mlle Legoffier, dactylographe, et Mlle Haveline, professeur de flûte.

      Ce matin-là, le député Touffémont s'en étant allé à huit heures et demie à la Chambre, où il présidait une commission, et son ménage étant fait par une voisine qui ne venait qu'à l'heure du déjeuner, on attendit son retour. Mais les logements des deux demoiselles furent l'objet d'une enquête minutieuse. Puis on scruta tous les recoins du grenier, auquel on accédait par une échelle, puis la courette, puis l'appartement de M. Nicolas Gassire lui-même.

      On ne trouva rien. Béchoux pensait amèrement à ses douze Africaines.


      Vers midi, le député Touffémont arriva. Parlementaire grave, alourdi de son portefeuille d'ancien ministre, grand travailleur, respecté de tous les partis, et dont les interpellations rares, mais décisives, faisaient trembler les gouvernements. D'un pas mesuré, il alla prendre son courrier dans la loge de la concierge, où Gassire le rejoignit et lui expliqua le vol dont il était victime.

      Le député Touffémont écouta avec l'attention réfléchie qu'il semblait accorder aux propos les plus insignifiants, promit son concours au cas où Gassire déciderait de porter plainte et insista pour que l'on fouillât son appartement.

      – Qui sait, dit-il, si quelqu'un ne s'est pas procuré une fausse clef ?

      On chercha. Rien. Décidément l'affaire se présentait mal, et les deux hommes essayaient tour à tour de se remonter le moral par des phrases réconfortantes, mais elles sonnaient faux.

      Ils décidèrent de se restaurer dans un petit café, situé en face bien entendu, ce qui leur permettrait de ne pas quitter la maison de l'œil. Mais Béchoux n'avait pas faim : ses douze Africaines lui pesaient sur l'estomac. Gassire se plaignait de vertiges et tous deux retournaient la question en tous sens, avec l'espoir d'y découvrir des motifs de sécurité.

      – C'est bien simple, dit Béchoux. Quelqu'un s'est introduit chez vous et a dérobé les titres. Or, comme ce quelqu'un n'a pas pu s'en aller, c'est qu'il est dans la maison.

      – Parbleu ! approuva Gassire.

      – Et s'il est dans la maison, c'est que mes douze Africaines s'y trouvent également. Ça ne s'envole pas à travers les plafonds, douze Africaines, que diable !

      – Et un paquet de titres non plus ! renchérit Nicolas Gassire.

      – Nous en arrivons donc, continua Béchoux, à cette certitude, fondée sur des bases solides, à savoir que...

      Il n'acheva pas. Ses yeux exprimaient une terreur subite. Il regardait de l'autre côté de la rue où un individu cheminait vers la maison d'un pas guilleret.

      – Barnett ! murmura-t-il. Barnett !... Qui donc l'a prévenu ?

      – Vous m'aviez parlé de lui, de l'Agence Barnett de la rue de Laborde, confessa Gassire un peu gêné, et j'ai cru que, dans des circonstances aussi cruelles, un coup de téléphone n'était pas inutile.

      – Mais c'est idiot, bredouilla Béchoux. Qui est-ce qui dirige l'enquête ? Vous ou moi ? Barnett n'a rien à voir là-dedans ! Barnett est un intrus dont il faut se méfier. Ah ! non, alors, pas de Barnett !

      La collaboration de Barnett lui paraissait soudain la chose la plus dangereuse du monde. Jim Barnett dans la maison, Jim Barnett mêlé à cette affaire, c'était, au cas où les recherches aboutiraient, l'escamotage du paquet de titres et principalement des douze Africaines.

      Furieux, il franchit la rue, et, comme Barnett se disposait à frapper à la porte, il se planta devant lui, et, tout bas, la voix frémissante :

      – Décampez. Pas besoin de vous. On vous a appelé par erreur. Fichez-nous la paix, et vivement.

      Barnett le regarda d'un œil étonné.

      – Ce vieux Béchoux ! Qu'est-ce donc ? T'as pas l'air dans ton assiette ?

      – Tournez bride !

      – C'est donc sérieux, ce qu'on m'a dit au téléphone ? Tu as été refait de ton pécule ? Alors, tu ne veux pas un petit coup de main ?

      – Décampe, grinça Béchoux. On sait ce que ça veut dire, tes petits coups de main. Ça se passe dans la poche des gens.

      – T'as peur pour tes Africaines ?

      – Oui, si tu t'en mêles.

      – N'en parlons plus. Débrouille-toi.

      – Tu t'en vas ?

      – Pas mèche. J'ai affaire dans la maison.

      Et, s'adressant à Gassire, qui les rejoignait et entrouvrait la porte :

      – Pardon, monsieur, c'est bien ici que demeure Mlle Haveline, professeur de flûte, second prix du Conservatoire ?

      Béchoux s'indigna.

      – Oui, tu la demandes parce que tu vois son adresse sur la plaque...

      – Et après ? dit Barnett. N'ai-je pas le droit de prendre des leçons de flûte ?

      – Pas ici.

      – Je regrette. Mais j'ai une passion pour la flûte.

      – Je m'oppose formellement...

      – Flûte !

      Barnett passa d'autorité, sans qu'on osât le retenir. Très inquiet, Béchoux le vit qui montait l'escalier et, dix minutes plus tard, l'accord s'étant fait sans doute avec Mlle Haveline, on entendit, qui descendaient du troisième étage, les gammes hésitantes d'une flûte.

      – Gredin ! marmotta Béchoux, de plus en plus tourmenté pour ses douze Africaines. Avec cet animal-là, où allons-nous ?

      Il se remit rageusement à la besogne. On visita le rez-de-chaussée inoccupé, ainsi que la loge de la concierge, où, à la rigueur, on aurait pu jeter les paquets de titres. Vainement. Là-haut, cependant, durant tout l'après-midi, la flûte sifflota, agaçante et goguenarde. Comment travailler dans de telles conditions ? Enfin, sur le coup de six heures, chantonnant et sautillant, Barnett apparut, un grand carton à la main.

      Un carton ! Béchoux poussa une exclamation indignée, et saisit l'objet, dont il arracha le couvercle. Il y avait dedans de vieilles formes de chapeaux et des fourrures mangées aux vers.

      – Comme elle n'a pas le droit de sortir, Mlle Haveline m'a prié de jeter tout ça, dit Barnett gravement. Elle est très jolie, tu sais, Mlle Haveline ! Et quel talent sur la flûte ! Elle prétend que j'ai des dispositions étonnantes, et que, si je persévère, je pourrai briguer un poste d'aveugle sur les marches d'une église.


      Toute la nuit, Béchoux et Gassire demeurèrent en faction, l'un à l'intérieur, l'autre à l'extérieur, afin d'empêcher que le paquet ne fût lancé par la fenêtre à un complice. Et, le lendemain matin, ils se remirent à l'œuvre, mais sans que leur acharnement fût récompensé. Les douze Africaines de l'un et les titres de l'autre se cachaient avec obstination.

      A trois heures, Jim Barnett se présenta de nouveau, le carton vide à la main, et fila tout droit, avec le petit salut affable d'un monsieur que l'emploi de son temps satisfait pleinement.

     La leçon de flûte eut lieu. Gammes. Exercices. Fausses notes. Et soudain un silence qui se prolongea, inexplicable, et qui intrigua Béchoux au-delà de toute expression.

     « Que diable peut-il faire ? » se demandait-il, imaginant tout un système de recherches effectuées par Barnett et qui aboutissaient à des trouvailles extraordinaires.

      Il monta les trois étages et prêta l'oreille. Chez le professeur de flûte, aucun bruit. Mais chez sa voisine, Mlle Legoffier, sténo-dactylographe, on entendait une voix d'homme.

      « C'est sa voix », pensa Béchoux, dont la curiosité n'avait plus de bornes.

      Et, incapable de se contenir, il sonna.

      – Entrez ! cria Barnett de l'intérieur. La clef est sur la porte.

      Béchoux entra. Mlle Legoffier, une fort jolie brune, était assise devant sa table, près de sa machine à écrire, et sténographiait sur des feuilles volantes les paroles de Barnett.

      – Tu viens pour une perquisition ? dit celui-ci. Ne te gêne pas. Mademoiselle n'a rien à cacher. Et moi non plus. Je dicte mes mémoires. Tu permets ?

      Et, tandis que Béchoux regardait sous les meubles, il continua :

      – Ce jour-là, l'inspecteur Béchoux me trouva chez la charmante Mlle Legoffier, à qui la jeune flûtiste m'avait recommandé, et il se mit en quête de ses douze Africaines qui fuyaient toujours éperdument. Sous le canapé, il récolta trois grains de poussière, sous l'armoire une talonnette. L'inspecteur Béchoux ne néglige aucun détail. Quel métier !

      Béchoux se releva, montra le poing à Barnett et l'injuria. L'autre poursuivait sa dictée. Béchoux s'en alla.

      Un peu plus tard, Barnett descendait avec son carton. Béchoux, qui montait la garde, hésita. Mais il avait trop peur et il ouvrit le carton, qui contenait simplement de vieux papiers et des chiffons.

      La vie devint insupportable pour l'infortuné Béchoux. La présence de Barnett, son persiflage et ses taquineries le jetaient dans une rage croissante. Chaque jour, Barnett revenait, et, après chaque leçon de flûte ou chaque séance de sténo-dactylographie, exhibait son carton. Que faire ? Béchoux ne doutait pas que ce fût une nouvelle farce et que Barnett se gaussât de lui. Mais tout de même, si par hasard, cette fois, Barnett emportait les titres ? s'il se sauvait avec les douze Africaines ? s'il profitait de l'occasion pour déménager son butin ? Alors, bon gré mal gré, Béchoux fouillait, vidait, glissait une main fébrile parmi les objets les plus hétéroclites, torchons déchirés, loques, plumeaux sans plumes, balais cassés, cendres de cheminée, épluchures de carottes. Et Barnett se tenait les côtes de rire.

      – Elles y sont ! Elles y sont pas ! Trouvera ! Trouvera pas !... Ah ! bougre de Béchoux, m'auras-tu fait rigoler !

      Cela dura toute une semaine. Béchoux perdait là, dans une lutte impuissante, tout son congé, et, en outre, se rendait infiniment ridicule dans le quartier. Nicolas Gassire et lui, en effet, n'avaient pu s'opposer à ce que les locataires, tout en acceptant d'être palpés et fouillés, vaquassent à leurs affaires. On jasait. La mésaventure de Gassire faisait du bruit. Ses clients affolés assiégeaient son bureau et réclamaient leur argent. De son côté, M. le député Touffémont, ancien ministre, dérangé dans ses habitudes, et qui, quatre fois par jour, en sortant ou en rentrant, assistait à toute cette effervescence, sommait Nicolas Gassire de prévenir la police. La situation ne pouvait guère se prolonger.


      Un incident brusqua les choses. Une fin d'après-midi, Gassire et Béchoux entendirent le bruit d'une violente dispute qui venait du troisième. Trépignements, cris de femmes, cela semblait sérieux.

      Ils grimpèrent en hâte les trois étages. Sur le palier, Mlle Haveline et Mlle Legoffier se battaient férocement, sans que les efforts de Barnett, qui se divertissait beaucoup, d'ailleurs, réussissent à les maîtriser. Les chignons avaient sauté, les corsages étaient déchirés et les invectives s'entrechoquaient.

      On les sépara. La dactylographe eut une crise de nerfs et Barnett dut la transporter chez elle, tandis que le professeur de flûte exhalait sa fureur.

      – Je les ai surpris tous deux, elle et lui, criait Mlle Haveline. Barnett, qui m'avait fait la cour d'abord, l'embrassait. Un drôle de type que ce Barnett ; vous devriez lui demander, monsieur Béchoux, ce qu'il manigance ici depuis huit jours et pourquoi il passe son temps à nous interroger et à fureter partout. Tenez, je peux vous le dire, il sait qui a volé. C'est la concierge, oui, Mme Alain. Alors pourquoi m'a-t-il défendu de vous en souffler mot ? Et puis, pour les titres, il connaît la vérité. A preuve ce qu'il m'a dit : « Ils sont dans la maison, sans y être, et ils n'y sont pas, tout en y étant. » Méfiez-vous de lui, monsieur Béchoux.

      Jim Barnett, qui en avait fini avec la dactylographe, empoigna Mlle Haveline et la poussa énergiquement vers sa chambre.

      – Allons, mon cher professeur, pas de potins et ne parlez pas de ce que vous ignorez. En dehors de votre flûte, vous bafouillez.

      Béchoux n'attendit point qu'il fût de retour. Les révélations de Mlle Haveline sur ce que pensait Jim Barnett avaient aussitôt éclairé l'affaire dans son esprit. Oui, la coupable était Mme Alain. Comment n'y avait-on pas songé ? Emporté par une conviction rageuse, il dégringola l'escalier, suivi de Nicolas Gassire, et se précipita dans la loge.

      – Mes Africaines ! Où sont-elles ? C'est vous qui les avez volées !

      Nicolas Gassire arrivait à son tour.

      – Mes titres ? Qu'en avez-vous fait, voleuse ?

      Tous deux secouaient la grosse femme, la tiraillaient, chacun par un bras, et la harcelaient de questions et d'insultes. Elle ne répondait pas. Elle semblait abasourdie.

      Ce fut, pour Mme Alain, une nuit affreuse à laquelle succédèrent deux jours non moins pénibles. Pas une seconde Béchoux n'admit que Jim Barnett se fût trompé. D'ailleurs, à la lumière de cette accusation, les faits prenaient leur véritable sens. La concierge qui devait avoir, en faisant le ménage, noté la présence insolite du paquet sur la table de nuit, et qui, seule, possédait la clef, avait fort bien pu, connaissant les habitudes régulières de M. Gassire, rentrer dans l'appartement, mettre la main sur les titres, se sauver et se réfugier dans sa loge, où Nicolas Gassire la retrouvait.

      Béchoux se découragea.

      – Oui, évidemment, disait-il, c'est cette coquine qui a fait le coup. Mais, au fond, le mystère demeure entier. Que le coupable soit la concierge ou n'importe qui, cela compte peu, tant qu'on ne saura pas ce que sont devenues mes douze Africaines. J'admets qu'elle les ait rapportées dans la loge, mais par quel prodige en sont-elles sorties, entre neuf heures et l'heure de nos recherches dans la loge ?

      Ce mystère, la grosse femme, malgré les menaces, malgré les tortures morales qu'on lui fit subir, refusa d'en donner l'explication. Elle nia tout. Elle n'avait rien vu. Elle ne savait rien, et, quoique sa culpabilité ne laissât aucun doute, elle demeura inflexible.

      – Il faut en finir, dit un matin Gassire à Béchoux. Vous avez vu que le député Touffémont a renversé le ministère hier soir. Les journalistes vont l'interviewer. Pourrons-nous les fouiller, eux ?

      Béchoux avoua que la position était intenable.

      – Dans trois heures, je saurai tout, affirma-t-il.

      L'après-midi, il alla frapper à l'Agence Barnett.

      – Je t'attendais, Béchoux, que veux-tu ?

      – Ton aide. Je n'en sors pas.

      La réponse était loyale, et la démarche prenait toute sa valeur. Béchoux faisait amende honorable.

      Jim Barnett s'empressa autour de lui, le saisit affectueusement par les épaules, lui serra la main, et, avec une délicatesse charmante, lui épargna les humiliations de la défaite. Ce ne fut pas l'entrevue du vainqueur et du vaincu, mais la réconciliation de deux camarades.

      – En vérité, mon vieux Béchoux, le petit malentendu qui nous séparait me peinait infiniment. Deux copains comme nous, adversaires ! Quelle tristesse ! Je n'en dormais plus.

      Béchoux fronça les sourcils. En sa conscience de policier, il se reprochait amèrement ses cordiales relations avec Barnett et s'indignait que le destin eût fait de lui le collaborateur et l'obligé de cet homme qu'il considérait comme un filou. Mais, hélas ! il y a des circonstances où les plus honnêtes fléchissent, et la perte de douze Africaines est au nombre de celles-là !

      Etouffant ses scrupules, il murmura :

      – C'est bien la concierge, n'est-ce pas ?

      – C'est elle, pour cette raison entre beaucoup d'autres, que ce ne peut être qu'elle.

      – Mais comment cette femme, si respectable jusque-là, a-t-elle pu commettre un tel acte ?

      – Si tu avais eu la précaution élémentaire de prendre des renseignements sur elle, tu saurais que la malheureuse est affligée d'un fils qui est la pire des fripouilles et qui lui soutire tout son argent. C'est pour lui qu'elle a succombé à la tentation.

      Béchoux tressaillit.

      – Elle a réussi à lui refiler mes Africaines ? dit-il en tremblant.

      – Oh ! ça, non, je ne l'aurais pas permis. Tes douze Africaines, c'est sacré.

      – Où sont-elles, alors ?

      – Dans ta poche.

      – Ne plaisante pas, Barnett.

      – Je ne plaisante pas, Béchoux, quand il s'agit de choses aussi graves. Vérifie.

      Béchoux glissa vers la poche désignée une main timide, palpa et tira une large enveloppe ornée de cette adresse : « A mon ami Béchoux. » Il la décacheta, aperçut ses Africaines, en compta douze, pâlit, vacilla sur ses jambes et renifla un flacon de sels que Barnett lui colla sous le nez.

      – Respire, Béchoux, et ne t'évanouis pas.

      Béchoux ne s'évanouit pas, mais il essuya quelques larmes furtives. La joie, l'émotion lui étreignaient la gorge. Certes, il ne doutait point que Barnett lui eût fourré l'enveloppe dans sa poche dès son entrée et durant leurs effusions. Mais les douze Africaines n'en étaient pas moins là, entre ses mains frémissantes, et Barnett ne lui apparaissait plus du tout comme un filou.

      Recouvrant tout à coup ses forces, il se mit à gambader et à danser un pas espagnol, en s'accompagnant d'imaginaires castagnettes.

      – Je les ai ! Au bercail, les Africaines ! Ah ! Barnett, quel grand bonhomme tu es ! Il n'y a pas deux Barnett au monde, il n'y en a qu'un, le sauveur de Béchoux ! Barnett, tu mérites une statue ! Barnett, tu es un héros ! Mais comment diable as-tu pu réussir ? Raconte, Barnett !


      Une fois de plus, la façon dont Barnett avait mené les événements stupéfiait l'inspecteur Béchoux. Stimulé par sa curiosité professionnelle, il demanda :

      – Et alors, Barnett ?

      – Alors, quoi ?

      – Eh ! oui, comment as-tu démêlé tout cela ? Où se trouvait le paquet ? « Dans la maison sans y être », aurais-tu dit ?

      – « Et hors de la maison, tout en y étant », plaisanta Barnett.

      – Raconte, implora Béchoux.

      – Tu donnes ta langue au chat ?

      – Tout ce que tu voudras.

      – Et tu n'auras plus avec moi, pour des peccadilles, ces airs de réprobation qui me désolent et qui me font croire parfois que j'ai quitté le droit chemin ?

      – Raconte, Barnett.

      – Ah ! s'écria celui-ci, quelle histoire charmante ! Bien que je t'en avertisse, mon vieux Béchoux, tu n'auras aucune désillusion. Je n'ai jamais rien rencontré de plus joli, de plus inattendu, de plus spontané et de plus roublard, de plus humain à la fois et de plus fantaisiste. Et c'est tellement simple que toi, Béchoux, un bon policier cependant, muni de qualités sérieuses, tu n'y as vu que du feu.

      – Enfin, parle, dit Béchoux, vexé, comment le paquet de titres a-t-il quitté la maison ?

      – Sous tes yeux, ineffable Béchoux ! et non seulement il a quitté la maison, mais il y est rentré ! Et il la quittait deux fois par jour ! et il y rentrait deux fois par jour ! Et sous tes yeux, Béchoux, sous tes yeux candides et bénévoles ! Et pendant dix jours tu t'inclinais devant lui, avec des salutations respectueuses. Un morceau de la vraie croix passait devant toi ! Pour un peu, tu te serais mis à genoux !

      – Allons donc ! s'écria Béchoux, c'est absurde, puisque tout était fouillé.

      – Tout était fouillé, Béchoux, mais pas cela ! Les colis, les cartons, les sacs à main, les poches, les chapeaux, les boîtes de conserves et les boîtes à ordures... oui, mais pas cela. Aux gares frontières, on visite des voyageurs, mais on ne visite pas la valise diplomatique. Ainsi tu as tout visité, sauf cela !

      – Quoi cela ? s'écria Béchoux, impatienté.

      – Je te le donne en mille.

      – Parle, cré nom d'un chien !

      – Le portefeuille de l'ancien ministre !

      Béchoux sauta de son siège.

      – Hein ? Que dis-tu, Barnett ? Tu accuses le député Touffémont ?

      – Tu es fou ! Est-ce que je me permettrais d'accuser un député ? A priori, un député, ancien ministre, est insoupçonnable. Et parmi tous les députés et tous les anciens ministres – et Dieu sait si ça pullule ! – je considère Touffémont comme le plus insoupçonnable. N'empêche qu'il servit de receleur à Mme Alain.

      – Complice, en ce cas ? Le député Touffémont serait complice ?

      – Pas davantage.

      – Alors, qui accuses-tu ?

      – Qui j'accuse ?

      – Oui.

      – Son portefeuille.

      Et posément, gaiement, Barnett expliqua :

      – Le portefeuille d'un ministre, Béchoux, est un personnage considérable. Il y a, de par le monde, M. Touffémont, et il y a son portefeuille. L'un ne va pas sans l'autre, et chacun est la raison d'être de l'autre. Tu n'imagines pas M. Touffémont sans son portefeuille, mais tu n'imagines pas non plus le portefeuille de M. Touffémont sans M. Touffémont. Ils ne se séparent jamais l'un de l'autre. Seulement il arrive que M. Touffémont pose quelquefois son portefeuille à côté de lui, pour manger, par exemple, ou pour dormir, ou pour accomplir tel geste de la vie courante. Dans ces moments-là, le portefeuille de M. Touffémont prend une existence personnelle, et peut se prêter à des actes dont M. Touffémont n'est nullement responsable. C'est ce qui est arrivé le matin du vol.

      Béchoux regardait Barnett. Où voulait-il en venir ?

      Barnett répéta :

      – C'est ce qui est arrivé, le matin où tes douze Africaines ont été subtilisées. La concierge, affolée par son vol, bouleversée par le péril qui approche, ne sachant comment se débarrasser d'un butin qui va la perdre, avise tout à coup sur sa cheminée – ô miracle ! – le portefeuille de M. Touffémont, tout seul ! M. Touffémont vient d'entrer dans la loge pour prendre son courrier. Il a déposé son portefeuille sur la cheminée et décachette ses lettres, tandis que Nicolas Gassire, et toi, Béchoux, vous lui racontez la disparition des titres. Alors, une idée de génie – oui, de génie, il n'y a pas d'autre mot – illumine Mme Alain. Le paquet de titres, lui aussi, est sur la cheminée, a côté du portefeuille et caché sous des journaux. On n'a pas encore fouillé la loge, mais on va la fouiller et découvrir le pot aux roses. Pas une minute à perdre. Vivement, en quelques gestes, tournant le dos au groupe qui discute, elle ouvre le portefeuille, elle vide de ses papiers l'une des deux poches à soufflet et elle y enfourne le paquet de titres. C'est fait. Personne n'a rien soupçonné. Et quand M. Touffémont se retire, son portefeuille sous le bras, il s'en va avec tes douze Africaines et tous les titres de Gassire.

      Béchoux n'éleva pas la moindre protestation. Lorsque Barnett affirmait avec un certain accent de conviction définitive, Béchoux se soumettait à l'irréfutable vérité. Il croyait. Il avait la foi.

      – J'ai vu, en effet, ce jour-là, dit-il, une liasse de papiers et de rapports. Je n'y ai pas fait attention. Mais, ces papiers et ces rapports, elle a dû les rendre à M. Touffémont.

      – Je ne le pense pas, dit Barnett. Plutôt que d'attirer sur elle les soupçons, elle les aura brûlés.

      – Mais il a dû les réclamer, lui ?

      – Non.

      – Comment ! Il ne s'est pas aperçu de la disparition de cette liasse de documents ?

      – Pas plus que de la présence du paquet de titres.

      – Mais quand il a ouvert son portefeuille ?

      – Il ne l'a pas ouvert. Il ne l'ouvre jamais. Le portefeuille de Touffémont, comme celui de beaucoup d'hommes politiques, n'est qu'un trompe-l'œil, une contenance, une menace, un rappel à l'ordre. S'il l'avait ouvert, il aurait réclamé ses documents et restitué les titres. Or, il n'a ni réclamé les uns ni restitué les autres.

      – Cependant, quand il travaille ?

      – Il ne travaille pas. On n'est pas obligé de travailler parce qu'on a un portefeuille. Il suffit même d'avoir un portefeuille d'ancien ministre pour ne plus travailler. Un portefeuille représente le travail, la puissance, l'autorité, l'omnipotence et l'omniscience. Lorsque Touffémont, hier soir, à la Chambre des députés – j'y étais : donc je parle en connaissance de cause – a déposé sur la tribune son portefeuille d'ancien ministre, le ministère s'est senti perdu. Que de documents accablants devait contenir le portefeuille du grand travailleur ! Que de chiffres ! Que de statistiques ! Touffémont le déplia, mais ne tira rien de ses deux poches gonflées. De temps à autre, tout en parlant, il appuyait la main sur le portefeuille, avec l'air de dire : « Tout est là. » Or, rien n'était là que les douze Africaines de Béchoux, les titres de Gassire et de vieux journaux. C'était assez. Le portefeuille de Touffémont fit tomber le ministère.

      – Mais comment sais-tu ?...

      – Parce qu'au sortir de la Chambre, à une heure du matin, comme il s'en revenait chez lui, à pied, Touffémont fut heurté maladroitement par un quidam, et s'étala tout de son long sur le trottoir. Un autre individu, complice du quidam, ramassa le portefeuille et eut le temps de fourrer un paquet de vieux papiers à la place des titres, qu'il emporta. Ai-je besoin de te dire le nom de ce deuxième individu ?

      Béchoux sourit de bon cœur. L'histoire lui semblait d'autant plus plaisante, l'aventure de Touffémont d'autant plus savoureuse qu'il sentait dans sa poche les douze Africaines.

      Barnett fit une pirouette et s'écria :

      – Voilà tout le secret, vieux camarade, et c'est pour arriver à découvrir ces vérités pittoresques, pour respirer l'air de la maison et pour me documenter que j'ai dicté mes mémoires et pris des leçons de flûte. Semaine charmante. Flirt au troisième étage et divertissements variés au rez-de-chaussée. Gassire, Béchoux, Touffémont... petits pantins dont je tirais les ficelles. Ce qui m'a donné le plus de mal, vois-tu, c'est d'admettre que Touffémont ignorait les coupables agissements de son portefeuille, et qu'il trimbalait, à son insu, tes douze Africaines. Cela, ça me dépassait. Et la concierge, donc ! Quelle surprise pour elle ! En son for intérieur, elle doit considérer Touffémont comme le dernier des escrocs, puisqu'elle croit que Touffémont s'est « appliqué » douze Africaines et le reste du paquet. Bougre de Touffémont.

      – Dois-je le prévenir ? demanda Béchoux.

      – A quoi bon ? Qu'il continue donc à transporter ses vieux journaux et à dormir sur son portefeuille ! Pas un mot de cette histoire à personne, Béchoux.

      – Sauf à Gassire, bien entendu, fit Béchoux, puisque aussi bien je dois le mettre au courant en lui rapportant ses titres.

      – Quels titres ? dit Barnett.

      – Mais les titres qui lui appartiennent et que tu as trouvés dans la serviette de M. Touffémont.

      – Ah çà ! mais tu es toqué, Béchoux ! Tu t'imagines que M Gassire va rentrer en possession de ses titres ?

      – Dame !

      Barnett frappa la table du poing, et, subitement courroucé :

      – Sais-tu ce que c'est que ton Nicolas Gassire, Béchoux ? Une fripouille, comme le fils de la concierge. Oui, une fripouille ! Il volait ses clients, Nicolas Gassire ! Il jouait avec leur argent ! Pis que cela, il se préparait à le barboter ! Tiens, voilà son billet de première classe pour Bruxelles, daté du jour même où il avait retiré de son coffre le paquet de titres, non pas pour les déposer dans une banque, comme il l'a prétendu, mais pour filer avec. Hein, qu'en dis-tu, de ton Nicolas Gassire ?

      Béchoux n'en disait rien. Depuis le vol des douze Africaines, le niveau de sa confiance en Nicolas Gassire avait singulièrement baissé. Mais tout de même il observa :

      – Sa clientèle n'en est pas moins composée de braves gens. Est-il juste qu'ils soient ruinés ?

      – Mais ils ne le seront pas ! Fichtre, non ! Je n'accepterais jamais une pareille iniquité !

      – Eh bien ?

      – Eh bien, Gassire est riche.

      – Il n'a plus le sou, dit Béchoux.

      – Erreur ! D'après mes renseignements, il a de quoi rembourser ses clients, et au-delà. Crois bien que, s'il n'a pas porté plainte dès le premier jour, c'est qu'il ne veut pas que la justice mette le nez dans ses affaires. Mais menace-le de prison, tu le verras se débrouiller. De l'argent ? Il est millionnaire, ton Nicolas Gassire, et le mal qu'il a fait, c'est à lui de le réparer, non pas à moi !

      – Ce qui veut dire que tu as l'intention de garder... ?

      – De garder les titres ? Jamais de la vie ! Ils sont déjà vendus.

      – Oui, mais tu gardes l'argent ?...

      Barnett eut un accès d'indignation vertueuse :

      – Pas un instant ! Je ne garde rien !

      – Alors, qu'en fais-tu ?

      – Je le distribue.

      – A qui ?

      – A des amis dans le besoin, à des œuvres intéressantes que je subventionne. Ah ! n'aie pas peur, Béchoux, l'argent de Nicolas Gassire sera bien employé !


      Béchoux n'en doutait pas. Cette fois encore, l'aventure se terminait par une mainmise de Barnett sur le « magot ». Barnett châtiait les coupables et sauvait les innocents, mais n'oubliait pas de se payer. Charité bien ordonnée commence par soi-même.

      L'inspecteur Béchoux rougit. Ne pas protester, c'était se rendre complice. Mais, d'autre part, il sentait dans sa poche le précieux paquet des douze Africaines et il savait que, sans l'intervention de Barnett, elles eussent été perdues. Etait-ce le moment de se fâcher et d'entrer en lutte ?

      – Que se passe-t-il ? demanda Barnett. Tu n'es pas content ?

      – Mais si, mais si, affirma l'infortuné Béchoux. Je suis enchanté.

      – Alors, puisque tout va bien, souris.

      Béchoux sourit lâchement.

      – A la bonne heure, s'écria Barnett. C'est un plaisir de te rendre service et je te remercie de m'en avoir donné l'occasion. Maintenant, mon vieux, séparons-nous. Tu dois être très occupé, et moi j'attends la visite d'une dame.

      – Adieu, dit Béchoux, en se dirigeant vers la porte.

      – A bientôt ! fit Barnett.

      Béchoux sortit, enchanté comme il disait, mais la conscience mal à l'aise, et résolu à fuir le damné personnage.

      Dehors, au tournant de la rue voisine, il avisa la jolie dactylographe qui était certes la dame attendue par Barnett.

      Deux jours plus tard, d'ailleurs, il aperçut Barnett au cinéma, en compagnie de la non moins jolie Mlle Haveline, professeur de flûte...




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