Pépin, dit
le Bref, second fils de
Charles-Martel, partagea la France avec son
frère aîné Carloman en 741, et prit sous son gouvernement la
Neustrie, la
Bourgogne, l'
Aquitaine et quelques autres provinces, sans se donner et sans recevoir le titre de roi. La mort de
Charles-Martel ayant paru aux grands de l'Etat et aux peuples tributaires de la France une occasion favorable pour secouer le joug de l'autorité, Pépin, dont la politique a mérité de passer en proverbe, sentit qu'il fallait raffermir le pouvoir à l'aide d'un nom consacré, et d'accord avec Carloman, il éleva sur le trône un prince du sang de Clovis,
Childéric III, surnommé l'Insensé. A l'abri de ce fantôme royal, il exigea une soumission qu'il aurait alors vainement réclamée pour lui-même. Les Allemands, les Bavarois, les Gascons, qui s'étaient révoltés, furent vaincus, promirent
fidélité, et se révoltèrent encore, étant encouragés par des seigneurs français qui voulaient aussi se rendre indépendants, et même par un
frère de Pépin, nommé
Griffon, qui se plaignait de n'avoir eu qu'une part trop faible dans l'usurpation du royaume.
Pépin passa donc sa vie à la tête des armées, et comme la petitesse de sa taille le livrait aux railleries des guerriers, dans un temps où le courage reposait tout entier sur la
force corporelle, il fit des actes de bravoures qui mériteraient d'être taxés de témérité s'ils n'avaient pas eu pour but de lui attirer le respect des soldats.
Quoique
Childéric III ne prétât que son nom au gouvernement, ce nom gênait l'ambition de Pépin, et lorsque Carloman, son
frère, abandonnant ses Etats pour se consacrer à la vie monastique, l'eut rendu seul maître de la France, il résolut d'achever l'usurpation méditée depuis un siècle par sa famille.
Son premier soin fut d'apaiser le clergé, qui avait été dépouillé d'une grande partie de ses biens par
Charles-Martel ; il eut besoin de beaucoup d'adresse pour réussir, parce que ces biens avaient été donnés aux guerriers, auxquels on ne pouvait les reprendre sans exciter un mécontentement nouveau. Quand il eut mis les
évêques dans son parti, il flatta le pape par une soumission si grande qu'on aurait peine à le concevoir si le motif n'en était connu. Le pape voulait se soustraire aux caprices des empereurs de Constantinople et sauver Rome de la domination des Lombards, maîtres de l'Italie ; il n'avait d'espérance que dans les Français, dont il sollicitait les secours depuis longtemps : cette position du chef de la chrétienté bien établie, on sentira pourquoi Pépin trouva prudent de se faire un cas de conscience de l'usurpation et de la soumettre au pape
(1). Ayant obtenu une réponse telle qu'il la désirait, il renferma
Childéric III dans un
monastère, monta sur le trône en 751, et fut sacré à
Soissons par saint Boniface,
évêque de Mayence, du consentement des seigneurs et du clergé, qui prit alors un rang politique dans l'Etat.
Le titre de roi, si désiré par Pépin, n'accrut pas son pouvoir : on peut même affirmer qu'il le diminua ; car la
royauté, qui, sous la première race, était un droit attaché à la naissance, une succession transmise de Clovis conquérant à ses descendants, devint élective comme la mairie du palais, et resta de plus à la merci des
évêques, par l'
influence desquels elle venait d'être accordée. Le pouvoir du monarque fut d'autant plus faible que depuis longtemps les
maires du palais, pour se faire des partisans, avaient laissé les seigneurs changer en propriétés personnelles les domaines sur lesquels reposaient la solde de l'armée, les récompenses dues aux braves, et préparé le morcellement de la France tel qu'on le vit sous le régime
féodal. Sans doute, cette diminution du pouvoir se fit peu remarquer pendant le règne de
Pépin le Bref et celui de
Charlemagne ; mais elle ne cessa de se faire sentir sous leurs faibles successeurs, jusqu'à l'élévation de la troisième dynastie.
En 754, le
pape Etienne II vint lui-même solliciter en France les secours dont il avait le plus pressant besoin ; il sacra de nouveau
Pépin le Bref, qui, par reconnaissance, passa en Italie à la tête d'une armée nombreuse pour combattre
Astolphe, roi des Lombards. Cette première expédition ne fut pas décisive ; Pépin ne se rebuta point, et la seconde fois qu'il passa en Italie, il dicta la paix en vainqueur et donna en propriété l'
exarchat de Ravenne au
saint-siège. Ainsi ce roi établit le premier le pouvoir temporel des papes, comme il avait le premier reconnu en eux le droit d'interpréter la volonté du
ciel sur la
disposition des
couronnes. Au reste, Pépin ne s'appauvrissait pas en élevant les papes jusqu'à la souveraineté ; car il disposait en leur faveur d'une principauté qui appartenait aux empereurs de Constantinople
(2), et c'est ainsi que tous les Etats de l'
Europe moderne se sont formés des débris de l'empire. Il n'est pas sans intérêt de remarquer qu'au moment où le pape devenait souverain en Italie aux dépens de l'empire, les Sarrasins commençaient à s'approcher de Constantinople dans le dessein de s'en emparer. De son côté, Pépin était attaqué par les barbares du Nord, qui cherchaient dans des climats plus heureux les richesses que leur refusait la nature, et se battaient pour le pillage, en attendant qu'ils trouvassent l'occasion de former des établissements ; on les verra reparaître sous
Charlemagne et ses successeurs, assiéger
Paris, occuper les plus belles provinces, sans que les Français, éclairés par tant de désastres, s'aperçoivent qu'ils ne sont faibles contre des
ennemis qu'ils méprisaient autrefois qu'à proportion de l'affaiblissement du pouvoir royal.
Pépin, toujours vainqueur et toujours agité, mourut d'hydropisie à
Saint-Denis, où il fut enterré le 23 septembre 768, à l'âge de 54 ans. Il partagea la France entre ses deux fils, Carloman et Charles, depuis appelé
Charlemagne ; mais les
dispositions qu'il avait faites furent modifiées par les seigneurs, dont le consentement était nécessaire en tout depuis que l'usurpation avait anéanti les coutumes apportées dans les Gaules par les
Francs ; aussi ne doit-on pas s'étonner si les assemblées de la nation vont toujours en se multipliant jusqu'au triomphe du régime
féodal : là où il n'y a plus ni lois réputées ni coutumes établies, il faut bien faire parler les hommes. Un bel
esprit du temps de
saint Louis a trouvé admirable de mettre sur le tombeau de la seconde dynastie des rois de France :
Pépin, père de Charlemagne ; c'est son moindre titre à la gloire. Il fut brave, libéral, actif comme l'avaient été ses aïeux ; mais il l'emporta sur tous les rois de sa race par l'art de connaître les hommes, de juger les circonstances, et par cette souplesse d'
esprit qui, chez les ambitieux, s'unit naturellement au besoin de dominer.
Charles-Martel fut plus grand que lui, parce qu'il méprisa des grandeurs tout ce qui ne s'obtient pas par le courage et par la fermeté du caractère ;
Charlemagne crut nécessaire d'imiter la politique de Pépin, et peut-être ne s'aperçut-il pas que les moyens par lesquels on fonde un empire ne sont pas toujours ceux qui aident à le conserver.
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(1) Ce fait a néanmoins été contesté. Aimé
Guillon a publié :
Pépin le Bref et le pape Zacharie, ou la consultation dans laquelle le premier aurait été autorisé par le second à s'emparer de la couronne des descendants de Clovis, démontrée fausse,
Paris, 1817, in-8°.
(2) Constantin Copronyme tenata, par la voie des négociations, de conserver ses droits sur l'Italie ; et c'est à cette occasion qu'il fit présent à Pépin, en 757, de la première orgue que l'on ait
vue en France, et qui fut donnée par Pépin à l'
église St-Corneille de
Compiègne.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 32 - Pages 441-442)
Dictionnaire M. Bescherelle
Pépin le Bref ou
Pépin le Petit, deuxième fils de
Charles-Martel,
s'appropria tout le royaume, après avoir obtenu l'assentiment du pape, et se fit sacrer en 752 par l'
archevêque de Mayence, puis une seconde fois par le pape, à qui il donna des provinces enlevées préalablement aux Lombards ; ces provinces furent l'origine de la puissance temporelle des papes.
Pépin le Bref mourut en 768, après un règne
illustre, laissance à ses deux fils le trône qu'il avait fondé.
M. Bescherelle, aîné, Dictionnaire national ou Dictionnaire universel de la langue française - Volume II (G-Z) (1856), p. 836.