CHAPITRE VI
LES VOLKES TECTOSAGES ET LE LANGUEDOC
II - Le Languedoc - Les Wisigoths et les peuples dits barbares
La contrée habitée par les
Volkes Tectosages porte le nom de
Languedoc. Le dialecte parlé dans la région méridionale, longtemps après son accession à la France, a t-il réellement provoqué la dénomination de
Languedoc par opposition à la
Langue d'oïl, se rapportant au langage des Français établis au-dessus de la Loire ?
Nous sommes loin de le croire, et ce partage nous paraît tout à fait arbitraire et dénué de fondements sérieux. Guillaume de Catel, en ses
Mémoire de l'histoire du Languedoc, imprimés à [197] Tolose en 1633, s'exprime ainsi : « Nous tenons aujourd'hui fort peu de la Belgique, ce qui peut avoir donné sujet aux modernes de
diviser ce que nous retenons des Gaules en deux langues ou deux parties, l'une qui se nomme la langue d'Ouy, de laquelle
Paris est la capitale ; l'autre, le
Languedoc qui a Tolose pour métropole... Charles VIIème dans l'ordonnance portant érection du Parlement de Tolose, la nomme Patria Occitania ; ce qui a donné sujet au Pape Innocent IV dans son registre, d'appeler ce pays Occitania. Mais communément et le plus souvent, il est nommé dans les anciens actes, patria linguæ occitaniæ.
« Plusieurs ont estimé que le pays de
Languedoc aurait pris son nom des
Goths qui ont longues années tenu le dit pays, d'autant que
Land en Allemagne signifie pays. Et partant,
Languedoc semble être dit pays des
Goths, même anciennement le
Languedoc fut appelé
Gothie. Mais je crois qu'ils n'ont pas bien rencontré : car ce mot de
Languedoc vient plutôt de la langue que les naturels parlaient. Car comme ceux du pays de la langue française sont appelés de la langue d'Ouy, de même ceux de ce pays sont appelés du
Languedoc, c'est-à-dire, comme nous avons remarqué ci-dessus, langue de
Oc. » [198]
Cette citation montre que le point de départ pris pour expliquer le terme
Languedoc, est l'interprétation tout à fait erronée de Occitania. Nous avons déjà vu que l'expression Occitani,
hog-sea (
hog-si), marsouin,
to hit,
frapper,
hand, main, la main qui frappe le marsouin , est attachée aux habitants des bords du golfe de Gascogne,
Cantabres et
Aquitains.
Toulouse a pu être considéré comme la ville la plus considérable du pays voisin des Occitani, cependant ce n'est point une raison
suffisante pour que ce nom particulier, désignant une habitude professionnelle, se doive appliquer au langage du
Languedoc, différant fort peu de celui des
Aquitains de l'intérieur des terres, mais différent beaucoup de celui des
Cantabres. Du reste, la langue parlée dans le Nord à l'époque dont parle Catel employait presque autant de mots
celtiques et latins que la langue Toulousaine.
Il y a encore une erreur fort sensible dans l'affirmation de Guillaume de Catel, opposant la langue d'Ouy au
Languedoc, car le
Languedoc est ordinairement mis en parallèle, par les divers auteurs, non pas avec la langue d'Ouy, mais bien avec la langue d'Oïl, ce qui constitue une différence considérable. Quand Guillaume de Catel rapporte que, selon l'estimation de plusieurs, le
Languedoc a été ainsi dénommé par les
Goths, il [199] était loin de soupçonner la vérité, entrevue par ces
plusieurs ; en effet, les
Wisigoths parlant la langue
celtique, le
Languedoc était pour eux le
Landok ou pays des chênes
land, pays,
oak (
ôk) chêne , opposé au
Landoïl ou pays de l'
huile,
land, pays,
oil (
oïl)
huile celui-ci comprenant la région habitée par les
Arécomiques, et aussi certaines parties de la
Provence.
Ces deux appellations attachées par les
Wisigoths à la région méridionale de la France, possédée par eux, n'ont rien d'anormal ni de contraire aux habitudes des conquérants. Comme toutes les dénominations essentielles existaient depuis longtemps déjà dans la contrée, les
Wisigoths ont simplement divisé leurs possessions
gauloises en deux parties, désignées par les traits généraux des productions du sol.
Ces explications ne doivent point paraître tout a fait hasardées, si l'on considère que les
Wisigoths d'Espagne, maîtres du royaume de
Toulouse, parlaient la langue
celtique, comme leur nom particulier l'établit clairement.
Les
historiens ont cru devoir appeler les
Wisigoths et les
Ostrogoths, les
Goths de l'Ouest et de l'Est ; mais en réalité, leur nom provient plutôt des qualités ou des habitudes guerrières qu'ils s'attribuaient, et de la direction de leur marche vers un climat plus clément que le leur. Ainsi les [200]
Wisigoths s'avançaient avec prudence et habileté vers de chaudes terres
wize (
ouaïze), prudent, habile,
to go, marcher,
hot, chaud , tandis que, en se dirigeant aussi vers ces contrées privilégiées, les
Ostrogoths, dédaignant les feintes habiles, attaquaient brutalement l'
ennemi,
to host, attaquer,
raw (
râu) grossier, brut,
to go, marcher,
hot, chaud . Ce n'est point d'une manière fortuite que le nom des
Wisigoths et des
Ostrogoths, s'interprète par la langue
celtique, puisque les noms des autres peuples qui ont démembré l'empire romain s'expliquent aussi avec la même facilité.
Les
Jutes du
Jutland,
to jut, avancer, saillir,
land, terre , les
Angles ,
to angle, pêcher à la
ligne , les
Saxons, faisaient partie des
Tectosages fixés au-delà du Rhin, et sous des noms inconnus jusque là, couraient ravager les contrées dans lesquelles s'étaient multipliés leurs aïeux. Les
Hérules aux manteaux de poil, venus de l'Euxin,
hair (
hér), poil,
hull, couverture extérieure ; les
Gépides, qui veillaient avec soin à leur haute taille et à la beauté de leur
corps,
shape (
shépe), taille, proportion du
corps,
to head (
hid), faire attention, prendre garde ; les Lombards ou Longobards, qui désiraient ardemment la lutte violente et rude,
to long, désirer ardemment,
to cope, lutter, [201]
hard, pénible, dur ; les
Vandales eux-mêmes, qui n'avaient point de maisons, et détruisaient de fond en comble les monuments et les maisons des autres peuples,
to want (
ouâunt), n'avoir point,
hall, maison ; tous, malgré leurs noms différents, ne laissaient pas que d'appartenir à la même famille de
Gomer.