A dater de cette époque il n'y eut plus de loges franc-maçonniques en Bavière et ce résultat de l'alliance illuministe était déjà assez fâcheux, lorsqu'en
juillet 1785, un illuminé nommé Sanze ayant été frappé par la foudre, on trouva sur lui une instruction dont il ressortait qu'il était chargé, en qualité d'
agent secret des
Illuminés, de voyager en Silésie, d'y visiter les loges, et de s'enquérir de plusieurs points, entre autres ce que ces loges pensaient de la persécution des francs-maçons de la Bavière. Cette découverte de l'activité clandestine d'un Ordre interdit fut le signal d'une enquête générale dans laquelle on entendit comme témoins les
frères Utzschneider, conseillers à Münich, l'académicien Grünberger, Cassandey, Renner et le professeur Westenrieder, qui, récemment sortis de l'Ordre des
Illuminés, déposèrent devant une commission privée. Sur l'ordre du Prince-Electeur, plusieurs perquisitions domiciliaires furent faites, à la suite desquelles Weishaupt fut condamné au bannissement, les illuminés Fischer, Drexl et Duschel furent démis de leurs charges, et un grand nombre d'autres
déposés et incarcérés.
Les 11 et 12
octobre 1786, la justice bavaroise fit une visite domiciliaire chez Zwackh, l'un des plus intimes affiliés de Weishaupt et celui qui lui avait fourni
les moyens de circonvenir le
frère Baader,
vénérable de la loge
Théodore
au bon Conseil. Cette perquisition amena la
découverte d'une cassette enfouie dans la cave on y trouva
une partie des archives de l'Ordre et plusieurs lettres originales de
Weishaupt. D'autres documents compromettants furent
découverts dans le, château du
baron de Bassus
(Hannibal), chez le conseiller Massenhausen (
Ajax), etc.,
[Note de l'auteur : On trouva
contre quelques Illuminés des preuves d'intrigue, de
supercherie, d'imposture, d'actions et d'opinions qui
démentaient leur prétendu zèle pour la
vertu. Chez l'un des affiliés, on saisit un projet
resté sans exécution, pour former une
société de femmes illuminées qui
serviraient les intérêts de l'Ordre,
société composée de deux classes,
l'une de femmes vertueuses, l'autre de femmes sans pudeur ; chez un
autre une recette d'Aqua-Tofana, des recettes pour produire
l'avortement, pour enlever les empreintes des cachets et les replacer
adroitement, etc.]. C'est dans une de ces
perquisitions que l'on s'empara de la lettre suivante
[Note de l'auteur : Ces documents
ont été publiés par le gouvernement de
Bavière sous le nom de Originalschriften,
avec supplément.], lettre qui permit
à la justice de
déposer de sa charge le
professeur
Franz von Baader, bien innocent de toutes les manœuvres de
Weishaupt.
« A mon ami Marius
[Note de l'auteur : Le
chanoine Hertel, de Münich.],
Mon
cœur se trouve dans une
inquiétude qui m'enlève tout repos et peut me
pousser à toute extrémité. Je suis
menacé de perdre mon honneur et ma réputation,
par lesquels seuls j'étais si puissant sur nos gens. Ma
belle-sœur est enceinte ; déjà nous avons
tenté toutes sortes de moyens pour arracher l'
enfant ; elle
était aussi elle-même résolue
à tout. Mais Euriphon est trop timide ; et pourtant je ne
vois pas d'autre expédient. Si je pouvais être
certain du silence de
Baader, celui-là
pourrait me tirer d'embarras, comme il me l'a promis il y a trois ans.
Parlez-lui en, si vous croyez qu'il y a quelque chose à
faire dans cette conjecture. Tout le monde ignore la chose,
excepté vous et Euriphon. Il serait encore temps d'essayer
quelque chose, car elle n'en est qu'au quatrième mois. Ce
qu'il y a de plus désolant, c'est que le cas est criminel
cette considération doit nous engager à faire un
effort désespéré et à
prendre une résolution énergique
[Note de l'auteur : Voyez : Originalschriften,
2ème vol, 3ème lettre à Marius, p. 14.].
Weishaupt accusé d'avoir
séduit sa belle-sœur après la mort de sa femme et
d'avoir fait avorter l'
enfant dont il était le
père, prit la fuite. L'état promit une
récompense à celui qui pourrait le livrer, et
publia les divers documents de l'enquête et la liste des
affiliés de l'Ordre.
A la suite de ces
révélations, un grand nombre de personnes qui
avaient figuré parmi ces affiliés
renièrent l'Ordre. On ne poursuivit pas les personnages
éminents, comme le comte de Pappenheim, le
duc Ferdinand de
Brünswick, les comtes Scelfeld, de Höllenstein, etc.,
dont les protocoles ne firent aucune mention, non plus que des
dépositions des témoins à leur sujet.
Mais en revanche beaucoup de francs-maçons très
estimables, comme
Franz von Baader, furent molestés par la
justice pour des faits dont ils n'avaient jamais
soupçonné l'existence.
Cette déplorable affaire
jeta un grand discrédit sur la Franc-Maçonnerie
dont les principes n'avaient pourtant, comme le disait Weishaupt
lui-même, aucun rapport avec ceux de l'Illuminisme. Les
gouvernements commencèrent à
s'inquiéter et à suspecter, plus ou moins
justement, de menées révolutionnaires, toutes les
sociétés secrètes. Après
les loges franc-maçonniques de la Bavière et de
l'état de Bade, les
directoires templiers dont on avait
remarqué les nombreuses affiliations dans l'ordre des
Illuminés
furent les premiers persécutés. Le directoire
helvétique était déjà
fermé, lorsqu'en 1786 une ordonnance du roi de Sardaigne
provoqua la
dissolution du
directoire de Lombardie et la fermeture pour
toujours de toutes les loges de son ressort dans la septième
province. Seul l'empereur Joseph II, tout en fermant les
établissements
templiers de l'Autriche et des Pays-Bas,
continua de tolérer les loges franc-maçonniques ;
encore en réduisit-il considérablement le nombre.
Cependant les débris des
Illuminés
persistèrent à se réunir dans quelques
villes de l'Allemagne du nord. Weishaupt avait trouvé asile
à Gotha. Nous ignorons s'il continua sa
propagande ; mais
nous savons que l'illuminé Bode (Amélius), alla
à
Paris pour assister au convent ouvert par les
Philalèthes,
et qu'il y présenta un mémoire dans lequel il
rappelait les persécutions que les
Illuminés
avaient éprouvées, niait que leur doctrine
fût criminelle et déclarait qu'ils n'admettaient
que les premiers grades et négligeaient les autres comme
étant l'œuvre des
Jésuites.
On a prétendu que Bode et
de Busch étaient allés à
Paris pour y
faire des prosélytes et qu'ils ne s'étaient rendu
au convent des
Philalèthes que pour
jouer dans cette assemblée un rôle analogue
à celui que l'illuminé Knigge avait
joué dans le convent de Wilhemsbad. La chose n'est pas
invraisemblable et il n'est pas impossible que Bode ait
parlé des
Illuminés dans le
dessein de sonder les
dispositions des
Philalèthes
et de se rendre compte s'il ne pourrait pas les amener à
l'illuminisme comme Knigge y avait amené la majeure partie
des
templiers de la
Stricte-Observance. Mais dans
ce cas, il dut bientôt renoncer à toute
espérance, car les
Philalèthes
n'avaient nullement l'intention d'imiter leurs adversaires au
préjudice de la Franc-Maçonnerie
française. Les déclamations sur le bonheur des
sauvages, sur les maux produits par l'ordre social, sur
l'inconvénient de la
division des
propriétés, etc., étaient
passées de mode depuis longtemps, Bode n'aurait pu choisir un lieu moins propre
que la ville de
Paris à lui fournir des amateurs de la vie
patriarcale et en adressant particulièrement aux maçons
Philalèthes, grands
partisans des sciences maçonniques et alliés des
Elus-Coëns
et des
Philosophes écossais, ses discours contre les hauts grades et la duperie de leurs enseignements, il ne pouvait évidemment qu'éprouver une
déception. Car si les
Philalèthes savaient depuis longtemps à quoi s'en tenir sur les hauts grades de la
Stricte-Observance qui avaient tant
indigné Bode, ils avaient aussi sans doute quelques raisons de respecter leurs propres hauts grades et ceux de leurs alliés. Toujours est-il que les amis de Bode attestent qu'il fut très mécontent du peu d'empressement des francs-maçons de
Paris à seconder ses projets et qu'on n'entendit plus parler des
Illuminés ni de leur Illuminisme.
Le convent de 1787 fut le deuxième que tinrent les
Philalèthes qui en avaient déjà tenu un, en 1785, dont nous devons tout d'abord dire quelques mots quand ce ne serait que pour justifier les
Philalèthes des accusations que quelques polémistes de mauvaise foi ont cru devoir formuler contre eux.
A la fin de 1783 eut lieu à
Paris, chez le
frère Du Terray, ancien membre de la loge
Amitié indissoluble de Léogane (Saint-Domingue), une réunion privée à laquelle assistèrent les
frères philalèthes Savalette de Langes, Court de Gébetin, Sabady et De
Tavannes ; l'écossais Astier ; les élus-coëns La Marque, Salzac et De
Loos ; et un membre de la loge
Carl à la lumière, de Francfort, le
frère Von Reichel. C'est au cours de cette réunion que le
frère Reichel ayant émis des regrets sur le dédain que certaines loges allemandes témoignaient pour les sciences maçonniques, on en vint à envisager l'organisation d'un convent chargé d'apporter, aussi discrètement que possible, les lumières les plus autorisées sur l'importante question des origines et des fins de la
Franc-Maçonnerie. Les
Philalèthes, que leur célébrité et leurs nombreuses relations en France et à l'étranger désignaient pour organiser un tel convent, acceptèrent de se charger de toute la correspondance que se partagèrent, dans la suite, les
frères De Gleichen, et de Chefdebien sur les indications qui leur furent fournies par les directeurs des divers
rites.