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Les Grands Initiés

Edouard Schuré
© France-Spiritualités™






LIVRE IV
MOÏSE – LA MISSION D'ISRAËL


V – L'EXODE – LE DÉSERT – MAGIE ET THÉURGIE

Le plan de Moïse était un des plus extraordinaires, des plus audacieux qu'homme ait jamais conçus. Arracher un peuple au joug d'une nation aussi puissante que l'Egypte, le mener à la conquête d'un pays occupé par des populations ennemies et mieux armées, le traîner pendant dix, vingt ou quarante ans dans le désert, le brûler par la soif, l'exténuer par la faim ; le harceler comme un cheval de sang sous les flèches des Hétites et des Amalécites prêts à le tailler en pièces ; l'isoler avec son tabernacle de l'Eternel au milieu de ces nations idolâtres, lui imposer le monothéisme avec une verge de feu et lui inspirer une telle crainte, une telle vénération de ce Dieu unique qu'il s'incarnât dans sa chair, qu'il devint son symbole national, le but de toutes ses aspirations et sa raison d'être. Telle fut l'œuvre inouïe de Moïse.

      L'Exode fut concerté et préparé de longue main par le prophète, les principaux chefs israélites et Jétro. Pour mettre son plan à exécution, Moïse profita d'un moment où Ménephtah, son ancien compagnon d'études devenu pharaon, dut repousser l'invasion redoutable du roi des Lybiens Mermaïou. L'armée égyptienne tout entière occupée du côté de l'Ouest ne put contenir les Hébreux et l'émigration en masse s'opéra paisiblement.

      Voilà donc les Béni-Israël en marche. Cette longue file de caravanes, portant les tentes à dos de chameaux, suivie de grands troupeaux, s'apprête à contourner la mer Rouge. Ils ne sont encore que quelques milliers d'hommes. Plus tard l'émigration se grossira « de toutes sortes de gens » comme dit la Bible, Kananéens, Edomites, Arabes, Sémites de tout genre, attirés et fascinés par le prophète du désert, qui de tous les coins de l'horizon les évoque pour les pétrir à sa guise. Le noyau de ce peuple est formé par les Béni-Israël, hommes droits, mais durs, obstinés et rebelles. Leurs hags ou leurs chefs leur ont enseigné le culte du Dieu unique. Il constitue chez eux une haute tradition patriarcale. Mais dans ces natures primitives et violentes, le monothéisme n'est encore qu'une conscience meilleure et intermittente. Dès que leurs mauvaises passions se réveillent, l'instinct du polythéisme, si naturel à l'homme, reprend le dessus. Alors ils retombent dans les superstitions populaires, dans la sorcellerie et dans les pratiques idolâtres des populations voisines d'Egypte et de Phénicie, que Moïse va combattre par des lois draconiennes.

      Autour du prophète qui commande à ce peuple, il y a un groupe de prêtres présidés par Aaron, son frère d'initiation, et par la prophétesse Marie qui représente déjà dans Israël l'initiation féminine. Ce groupe constitue le sacerdoce. Avec eux soixante-dix chefs élus ou initiés laïques se serrent autour du prophète de Ièvè, qui leur confiera sa doctrine secrète et sa tradition orale, qui leur transmettra une partie de ses pouvoirs et les associera quelquefois à ses inspirations et à ses visions.

      Au cœur de ce groupe on porte l'arche d'or, Moïse en a emprunté l'idée aux temples égyptiens où elle servait d'arcane pour les livres théurgiques ; mais il l'a fait refondre sur un modèle nouveau pour ses desseins personnels. L'arche d'Israël est flanquée de quatre chérubs en or semblables à des sphinx, et pareils aux quatre animaux symboliques de la vision d'EzéchieL L'un a une tête de lion, l'autre une tête de bœuf, le troisième une tête d'aigle et le dernier une tête d'homme. Ils personnifient les quatre éléments universels : la terre, l'eau, l'air et le feu ; ainsi que les quatre mondes représentés par les lettres du tétragramme divin. De leurs ailes les chérubs recouvrent le propitiatoire.

      Cette arche sera l'instrument des phénomènes électriques et lumineux produits par la magie du prêtre d'Osiris, phénomènes qui, grossis par la légende, enfanteront les récits bibliques. L'arche d'or renferme en outre le Sépher Béréshit ou livre de Cosmogonie rédigé par Moïse en hiéroglyphes égyptiens, et la baguette magique du prophète, appelée verge par la Bible. Elle contiendra aussi le livre de l'alliance ou la loi du Sinaï. Moïse appellera l'arche le trône d'Aelohim ; car en elle repose la tradition sacrée, la mission d'Israël, l'idée de Ièvè.

      Quelle constitution politique Moïse donna-t-il à son peuple ? A cet égard il faut citer l'un des passages les plus curieux de l'Exode. Ce passage a l'air d'autant plus ancien et plus authentique qu'il nous montre le côté faible de Moïse, sa tendance à l'orgueil sacerdotal et à la tyrannie théocratique, réprimée par son initiateur éthiopien.

      Le lendemain comme Moïse siégeait pour juger le peuple, et que le peuple se tenait devant Moïse depuis le matin jusqu'au soir.

      Le beau-père de Moïse ayant vu tout ce qu'il faisait au peuple, lui dit : Qu'est-ce que tu fais au peuple ? D'où vient que tu es seul assis et que le peuple se tient devant toi depuis le matin jusqu'au soir ?

      Et Moïse répondit à son beau-père : C'est que le peuple vient à moi pour s'enquérir de Dieu.

      Quand ils ont quelque cause, ils viennent à moi ; alors je juge entre l'un et l'autre, et je leur fais entendre les ordonnances de Dieu et ses lois.

      Mais le beau-père de Moïse lui dit : Tu ne fais pas bien.

      Certainement tu succomberas, et toi, et même ce peuple qui est avec toi car cela est trop pesant pour toi, et tu ne sauras faire cela à toi seul.

      Ecoute donc mon conseil ; je te conseillerai, et Dieu sera avec toi. Sois pour le peuple auprès de Dieu, et rapporte les causes à Dieu ;

      Instruis-les des ordonnances et des lois, et fais-leur entendre la voix par laquelle ils doivent marcher, et ce qu'ils auront à faire.

      Et choisis d'entre tout le peuple des hommes vertueux, craignant Dieu, des hommes véritables haïssant le gain déshonnête, et établis sur eux des chefs de milliers, des chefs de centaines, des chefs de cinquantaine, et des chefs de dizaines ;

      Et qu'ils jugent le peuple en tout temps ; mais qu'ils te rapportent toutes les grandes affaires, et qu'ils jugent toutes les petites causes. Ainsi ils te soulageront et ils porteront une partie de la charge avec toi.

      Si tu fais cela, et Dieu te le commande, tu pourras subsister, et même tout le peuple arrivera heureusement en son lieu.

      Moïse donc obéit à la parole de son beau-père ; et fit tout ce qu'il avait dit
(68).

      Il ressort de ce passage que dans la constitution d'Israël établie par Moïse, le pouvoir exécutif était considéré comme une émanation du pouvoir judiciaire et placé sous le contrôle de l'autorité sacerdotale. Tel fut le gouvernement légué par Moïse à ses successeurs, sur le sage conseil de Jétro. Il resta le même sous les Juges, de Josué à Samuel jusqu'à l'usurpation de Saül. Sous les Rois, le sacerdoce déprimé commença à perdre la véritable tradition de Moïse, qui ne survécut que dans les prophètes.

      Nous l'avons dit, Moïse ne fut pas un patriote, mais un dompteur de peuples ayant en vue les destinées de l'humanité entière. Israël n'était pour lui qu'un moyen, la religion universelle était son but, et par-dessus la tête des nomades sa pensée allait aux temps futurs. Depuis la sortie d'Egypte jusqu'à la mort de Moïse, l'histoire d'Israël ne fût qu'un long duel entre le prophète et son peuple.

      Moïse conduisit d'abord les tribus d'Israël au Sinaï, dans le désert aride, devant la montagne consacrée à Aelohim par tous les Sémites, où lui-même avait eu sa révélation. Là où son Génie s'était emparé du prophète, le prophète voulut s'emparer de son peuple et lui imprimer au front le sceau d'Ièvè : les dix commandements, puissant résumé de la loi morale et complément de la vérité transcendante renfermée dans le livre hermétique de l'arche.

      Rien de plus tragique que ce premier dialogue entre le prophète et son peuple. Là se passèrent des scènes étranges, sanglantes, terribles, qui laissèrent comme l'empreinte d'un fer chaud dans la chair mortifiée d'Israël. Sous les amplifications de la légende biblique, on devine la réalité possible des faits.

      L'élite des tribus est campée au plateau de Pharan, à l'entrée d'une gorge sauvage qui conduit aux rochers du Serbal. La tête menaçante du Sinaï domine ce terrain pierreux, volcanique, convulsé. Devant toute l'assemblée, Moïse annonce solennellement qu'il va se rendre à la montagne pour consulter Aelohim et qu'il en rapportera la loi écrite sur une table de pierre. Il commande au peuple de veiller et de jeûner, de l'attendre dans la chasteté et la prière. Il laisse l'arche portative que recouvre la tente du tabernacle, sous la garde des soixante-dix Anciens. Puis il disparaît dans la gorge, n'emmenant avec lui que son fidèle disciple Josué.

      Des jours se passent ; Moïse ne revient pas. Le peuple s'inquiète d'abord, puis il murmure : « Pourquoi nous avoir emmenés dans cet affreux désert et nous avoir exposés aux traits des Amalécites ? Moïse nous a promis de nous conduire au pays de Kanaan où coule le lait et le miel, et voici que nous mourons au désert. Mieux valait la servitude en Egypte que cette vie misérable. Plût à Dieu que nous eussions encore les plats de viande que nous mangions là-bas ! Si le Dieu de Moïse est le vrai Dieu, qu'il le prouve, que tous ses ennemis soient dispersés et que nous entrions sur-le-champ au pays de promission. » Ces murmures grossissent ; on se mutine ; les chefs s'en mêlent.

      Et voici venir un groupe de femmes qui chuchotent et murmurent entre elles. Ce sont des filles de Moab, à la peau noire, corps souples, aux formes opulentes, concubines ou servantes de quelques chefs Edomites associés à Israël. Elles se souviennent qu'elles ont été prêtresses d'Astaroth et qu'elles ont célébré les orgies de la déesse dans les bois sacrés du pays natal. Elles sentent que l'heure de reprendre leur empire est venue. Elles viennent parées d'or et d'étoffes voyantes, le sourire à la bouche, comme une troupe de beaux serpents qui sortent de terre et font chatoyer au soleil leurs formes onduleuses aux reflets métalliques. Elles se mêlent aux rebelles, les regardent de leurs yeux luisants, les enlacent de leurs bras où sonnent des anneaux de cuivre, et les enjôlent de leurs langues dorées : « Qu'est-ce après tout que ce prêtre d'Egypte et son Dieu ? Il sera mort au Sinaï. Les Refaïm l'auront jeté dans un gouffre. Ce n'est pas lui qui mènera les tribus en Kanaan. Mais que les enfants d'Israël invoquent les dieux de Moab : Belphégor et Astaroth ! Ce sont des dieux qu'on peut voir, ceux-là, et qui font des miracles ! Ils les mèneront au pays de Kanaan ! »

      Les mutins écoutent les femmes moabites, ils s'excitent les uns les autres et ce cri part de la multitude : « Aaron, fais-nous des dieux qui marchent devant nous ; car pour ce qui est de Moïse qui nous a fait monter du pays d'Egypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé. » Aaron essaye en vain de calmer la foule. Les filles de Moab appellent des prêtres phéniciens venus avec une caravane. Ceux-ci apportent une statue en bois d'Astaroth et l'élèvent sur un autel de pierres. Les rebelles forcent Aaron sous menace de mort à fondre le veau d'or, une des formes de Belphégor. On sacrifie des taureaux et des boucs aux dieux étrangers, ou se met à boire et à manger et les danses luxurieuses, guidées par les filles de Moab, commencent autour des idoles, au son des nébels, des kinnors et des tambourins agités par les femmes.

      Les soixante-dix Anciens élus par Moïse pour la garde de l'arche ont vainement essayé d'arrêter ce désordre par leurs objurgations. Maintenant ils s'asseoient par terre, la tête couverte d'un sac de cendre. Serrés autour du tabernacle de l'arche, ils entendent avec consternation les cris sauvages, les chants voluptueux, les invocations aux dieux maudits, démons de luxure et de cruauté. Ils voient avec horreur ce peuple en rut de joie et de révolte contre son Dieu. Que va devenir l'Arche, le Livre et Israël, si Moïse ne revient pas ?

      Cependant Moïse revient. De son long recueillement, de sa solitude sur le mont d'Aelohim, il rapporte la Loi sur des tablettes de pierre (69). Entré dans le camp, il voit les danses, la bacchanale de son peuple devant les idoles d'Astaroth et de Belphégor. A l'aspect du prêtre d'Osiris, du prophète d'Aelohim, les danses s'arrêtent, les prêtres étrangers s'enfuient, les rebelles hésitent. La colère bouillonne en Moïse comme un feu dévorant. Il brise les tables de pierre et l'on sent qu'il briserait ainsi tout ce peuple et que Dieu le possède.

      Israël tremble, mais les rebelles ont des regards de haine dissimulés sous la peur. Un mot, un geste d'hésitation de la part du chef-prophète, et l'hydre de l'anarchie idolâtre va dresser contre lui ses mille têtes et balayer sous une grêle de pierres l'arche sainte, le prophète et son idée. Mais Moïse est là et derrière lui les puissances invisibles qui le protègent. Il comprend qu'il faut avant tout redresser l'âme des soixante-dix élus à sa propre hauteur et par eux tout le peuple. Il invoqué Aelohim-Ièvè, l'Esprit mâle, le Feu-Principe, du fond de lui-même et du fond du ciel.

      – A moi les soixante-dix ! s'écrie Moïse. Qu'ils prennent l'arche et montent avec moi à la montagne de Dieu. Quant à ce peuple, qu'il attende et qu'il tremble. Je vais lui rapporter le jugement d'Aelohim.

      Les lévites enlèvent de dessous la tente l'arche d'or enveloppée de ses voiles, et le cortège des soixante-dix disparaît avec le prophète dans les défilés du Sinaï. On ne sait qui tremble le plus, ou les lévites de ce qu'ils vont voir, ou le peuple du châtiment que Moïse laisse suspendu sur sa tête comme une épée invisible.

      Ah ! Si l'on pouvait échapper aux mains terribles de ce prêtre d'Osiris, de ce prophète de malheur ! disent les rebelles. Et hâtivement la moitié du camp plie les tentes, selle les chameaux et se prépare à fuir. Mais voilà qu'un crépuscule étrange, un voile de poussière s'étend sur le ciel ; une bise aigre souffle de la mer Rouge, le désert prend une couleur fauve et blafarde, et derrière le Sinaï s'amoncellent de grosses nuées. Enfin le ciel devient noir. Des coups de vent amènent des flots de sable et des éclairs qui font crever en torrents de pluie les tourbillons de nuages qui enveloppent le Sinaï. Bientôt la foudre reluit et sa voix répercutée par toutes les gorges du massif éclate sur le camp en détonations successives avec un fracas épouvantable. Le peuple ne doute pas que ce ne soit la colère d'Aelohim évoqué par Moïse. Les filles de Moab ont disparu. On renverse les idoles, les chefs se prosternent, les enfants et les femmes se cachent sous le ventre des chameaux. Cela dure toute une nuit, tout un jour. La foudre est tombée sur les tentes, elle a tué des hommes et des bêtes et le tonnerre gronde toujours.

      Vers le soir, la tempête s'apaise, les nuages fument toujours sur le Sinaï et le ciel reste noir. Mais voici, à l'entrée du camp, reparaissent les soixante-dix, Moïse à leur tête. Et dans la vague lueur du crépuscule, le visage du prophète et celui des élus rayonne d'une lumière surnaturelle, comme s'ils rapportaient sur leur face le reflet d'une vision éclatante et sublime. Sur l'arche d'or, sur le chérubs aux ailes de feu oscille une lueur électrique, comme une colonne phosphorescente. Devant ce spectacle extraordinaire, les Anciens et le peuple, hommes et femmes, se prosternent à distance.

      – Que ceux qui sont pour l'Eternel viennent à moi, dit Moïse.

      Les trois quarts des chefs d'Israël se rangent autour de Moïse ; les rebelles restent cachés sous leurs tentes. Alors le prophète s'avance et ordonne à ses fidèles de passer au fil de l'épée les instigateurs de la révolte et les prêtresses d'Astaroth afin qu'Israël tremble à jamais devant Aelohim, qu'il se souvienne de la loi du Sinaï et de son premier commandement : « Je suis l'Eternel ton Dieu qui t'ai tiré du pays d'Egypte, de la maison de servitude. Tu n'auras point d'autre Dieu devant ma face. Tu ne te feras point d'images taillées ni aucune ressemblance de choses qui sont là-haut dans les cieux, ni dans les eaux, ni sous la terre. »

      C'est par ce mélange de terreur et de mystère que Moïse imposa sa loi et son culte à son peuple. Il fallait imprimer l'idée de Ièvè en lettres de feu sur son âme, et sans ces mesures implacables, le monothéisme n'eût jamais triomphé du polythéisme envahissant de la Phénicie et de Babylone.

      Mais les soixante-dix, qu'avaient-ils vu sur le Sinaï ? Le Deutéronome (XXXIII, 2) parle d'une vision colossale, de milliers de saints apparus au milieu de l'orage, sur le Sinaï, dans la lumière de Ièvè. Les sages de l'ancien cycle, les antiques initiés des Aryas, de l'Inde, de la Perse et de l'Egypte, tous les nobles fils d'Asia, la terre de Dieu, vinrent-ils assister Moïse dans son œuvre et exercer une pression décisive sur la conscience de ses associés ? Les puissances spirituelles qui veillent sur l'humanité sont toujours là, mais le voile qui nous en sépare ne se déchire qu'aux grandes heures et pour de rares élus. Quoiqu'il en soit, Moïse fit passer dans les soixante-dix le feu divin et l'énergie de sa propre volonté. Ils furent le premier temple, avant celui de Salomon : le temple vivant, le temple en marche, le cœur d'Israël, lumière royale de Dieu.

      Par les scènes du Sinaï, par l'exécution en masse des rebelles, Moïse acquit une autorité sur les Sémites nomades qu'il tenait sous sa main de fer. Mais des scènes analogues suivies de nouveaux coups de force durent se reproduire pendant les marches et les contre-marches vers le pays de Kanaan. Comme Mahomet, Moïse dut déployer à la fois le génie d'un prophète, d'un homme de guerre et d'un organisateur social. Il eut à lutter contre les lassitudes, les calomnies, les conspirations. Après la révolte populaire, il eut à terrasser l'orgueil des prêtres-lévites qui voulaient égaler leur rôle au sien, se donner comme lui pour les inspirés directs de Ièvè, ou les conspirations plus dangereuses de quelques chefs ambitieux comme Coré, Datan et Abiram, fomentant l'insurrection populaire pour renverser le prophète et proclamer un roi, ainsi que le feront plus tard les Israélites avec Saül, malgré la résistance de Samuël. Dans cette lutte, Moïse a des alternatives d'indignation et de pitié, des tendresses de père et des rugissements de lion contre le peuple qui se débat sous l'étreinte de son esprit et qui malgré tout la subira. Nous en trouvons l'écho dans les dialogues que le récit biblique établit entre le prophète et son Dieu, dialogues qui semblent révéler ce qui se passait au fond de sa conscience.

      Dans le Pentateuque, Moïse triomphe de tous les obstacles par des miracles plus qu'invraisemblables. Jéhovah, conçu comme un Dieu personnel, est toujours à sa disposition. Il apparaît sur le tabernacle comme une nuée brillante qui s'appelle la gloire du Seigneur. Moïse seul peut y entrer ; les profanes qui s'en approchent sont frappés de mort. Le tabernacle d'assignation, qui renferme l'arche, joue dans le récit biblique le rôle d'une gigantesque batterie électrique qui, une fois chargée du feu de Iéhovah, foudroie des masses humaines. Les fils d'Aaron, les deux cent cinquante adhérents de Coré et de Datan, enfin quatorze mille hommes du peuple (!) en sont tués du coup. De plus, Moïse provoque à heure fixe un tremblement de terre qui engloutit les trois chefs révoltés avec leurs tentes et leurs familles. Ce dernier récit est d'une poésie terrible et grandiose. Mais il est empreint d'une telle exagération, d'un caractère si visiblement légendaire qu'il serait puéril d'en discuter la réalité. Ce qui par-dessus tout donne un caractère exotique à ces récits, c'est le rôle de Dieu irascible et changeant qu'y joue Jéhovah. Il est toujours prêt à fulminer et à détruire, tandis que Moïse représente la miséricorde et la sagesse. Une conception aussi enfantine, aussi contradictoire de la divinité n'est pas moins étrangère à la conscience d'un initié d'Osiris qu'à celle d'un Jésus.

      Et cependant ces colossales exagérations paraissent provenir de certains phénomènes dus aux pouvoirs magiques de Moïse et qui ne sont pas sans analogue dans la tradition des temples antiques. C'est ici le lieu de dire ce qu'on peut croire des soi-disant miracles de Moïse, au point de vue d'une théosophie rationnelle et des points élucidés de la science occulte. La production de phénomènes électriques sous diverses formes par la volonté de puissants initiés n'est pas seulement attribuée à Moïse par l'antiquité. La tradition chaldéenne l'attribuait aux mages, la tradition grecque et latine à certains prêtres de Jupiter et d'Apollon (70). En pareil cas les phénomènes sont bien de l'ordre électrique. Mais l'électricité de l'atmosphère terrestre y serait mise en mouvement par une force plus subtile et plus universelle partout répandue et que les grands adeptes s'entendraient à attirer, à concentrer et à projeter. Cette force est appelée akasa par les brahmanes, feu principe par les mages de la Chaldée, grand agent magique par les Kabbalistes du moyen-âge. Au point de vue de la science moderne, on pourrait l'appeler force éthérée. On peut, soit l'attirer directement, soit l'évoquer par l'intermédiaire des agents invisibles, conscients ou semi-conscients dont regorge l'atmosphère terrestre et que la volonté des mages sait s'asservir. Cette théorie n'a rien de contraire à une conception rationnelle de l'univers, et même elle est indispensable pour expliquer une foule de phénomènes qui sans cela demeureraient incompréhensibles. Il faut ajouter seulement que ces phénomènes sont régis par des lois immuables et toujours proportionnés à la force intellectuelle, morale et magnétique de l'adepte.

      Une chose anti-rationnelle et anti-philosophique serait la mise en mouvement de la cause première, de Dieu par un être quelconque, ou l'action immédiate de cette cause par lui, ce qui reviendrait à une identification de l'individu avec Dieu. L'homme ne s'élève que relativement à lui par la pensée ou par la prière, par l'action ou par l'extase. Dieu n'exerce son action dans l'univers qu'indirectement et hiérarchiquement par les lois universelles et immuables qui expriment sa pensée, comme à travers les membres de l'humanité terrestre et divine qui le représentent partiellement et proportionnellement dans l'infini de l'espace et du temps.

      Ces points posés, nous croyons parfaitement possible que Moïse, soutenu par les puissances spirituelles qui le protégeaient et maniant la force éthérée avec une science consommée, ait pu se servir de l'arche comme d'une sorte de réceptacle, de concentrateur attractif pour la production de phénomènes électriques d'un caractère foudroyant. Il s'isolait lui, ses prêtres et affidés par des vêtements de lin et des parfums qui le défendaient des décharges du feu éthéré. Mais ces phénomènes ne purent être que rares et limités. La légendé sacerdotale les exagéra. Il dût suffire à Moïse de frapper de mort quelques chefs rebelles ou quelques lévites désobéissants par une telle projection de fluide, pour terroriser et mâter tout le peuple.


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(68)  Exode, XVIII, 13-24. L'importance de ce passage au point de vue de la constitution sociale d'Israël a été justement relevé par M. Saint-Yves dans son beau livre ; La Mission des Juifs.

(69)  Dans l'antiquité, les choses écrites sur la pierre passaient pour les plus sacrées. L'hiérophante d'Eleusis lisait aux initiés d'après des tablettes de pierre des choses qu'ils juraient de ne dire à personne et qui ne se trouvaient écrites nulle part ailleurs.

(70)  Deux fois un assaut du temple de Delphes fut repoussé dans les mêmes circonstances. En 480 avant Jésus-Christ, les troupes de Xerxès l'attaquèrent et reculèrent épouvantées devant un orage, accompagné de flammes sortant du sol et de la chute de grands quartiers de roc (Hérodote). – En 279 avant Jésus-Christ, le temple fut attaqué de nouveau par une invasion de Galls et de Kimris. Delphes n'était défendu que par une petite troupe de Phocéens. Les barbares donnèrent l'assaut ; au moment où ils allaient pénétrer dans le temple, un orage éclatait et les Phocéens culbutèrent les Gaulois. (Voir le beau récit dans l'Histoire des Gaulois, d'Amédée Thierry, livre II.)




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