DEUXIÈME
PARTIE LES SYMBOLES
CHAPITRE I (1/3)
L'Alchimie mystique Théories fantaisistes La Cabale alchimique
Triple adaptation de la théorie hermétique Le sanctuaire
Les traités
hermétiques sont obscurs pour le lecteur, d'abord parce que les théories alchimiques ne sont généralement pas connues, ensuite et surtout parce que des philosophes les ont rendus obscurs volontairement. Les Maîtres regardaient l'
Alchimie comme la plus précieuse des sciences. «
L'Alchimie est l'art des arts, c'est la science par excellence ! » s'écrie emphatiquement Calid dans le
Livre des trois paroles. Une telle science ne devait, selon eux, n'être connue que du petit nombre. Faut-il les blâmer d'avoir voulu réserver exclusivement pour eux la science ? Ceci nous semble aujourd'hui excessif, mais dans l'antiquité qu'étaient-ce que les mystères,
sinon la transmission, sous le sceau du serment, de quelques secret naturels, de quelques points peu connus de haute philosophie ? Au
moyen-âge, les
corporations de métiers avaient des secrets pratiques qu'aucun membre ne se serait avisé de divulguer. La préparation de certaines
couleurs constituait un héritage précieux que les grands peintres ne léguaient qu'à leurs
disciples les plus chéris. Les savants n'hésitaient pas à vendre la solution de problèmes embarrassants.
Les Philosophes
hermétiques, s'ils cachaient la science, ne la vendaient pas cependant ; quand ils rencontraient un homme digne d'être
initié, ils le mettaient dans le droit chemin sans jamais lui révéler tout. Il fallait que le
disciple travaillât à son tour pour trouver ce qui lui manquait. C'est de cette façon qu'ils ont procédé dans leurs écrits : l'un indique la matière du Grand uvre, l'autre le degré du
feu, celui-ci les
couleurs qui apparaissent pendant les opérations, celui-là le dispositif de l'
Athanor ou
fourneau philosophique ; mais il n'y a aucun exemple connu de traité
hermétique, parlant ouvertement à la fois de toutes les parties du Grand uvre. Les alchimistes auraient cru en agissant ainsi s'exposer aux châtiments célestes ; selon eux, le révélateur aurait été frappé de mort subite. «
Je ne représente point, dit Flamel en parlant du Livre d'Abraham le Juif, ce qui estoyt écrit en beau et très intelligible latin en tous les autres feuillets écrits, car Dieu me puniroit. » (
Explication des Figures de Nicolas Flamel)
Quant à ce qu'on a dit, que les alchimistes écrivaient d'une façon obscure et
symbolique pour se préserver des accusations que des
théologiens trop zélés auraient pu porter contre eux, cela nous semble absolument
faux, attendu que rien ne prêtait plus le flanc à l'accusation de magie que les
symboles et figures étranges qui encombrent leurs traités.
Roger Bacon,
Albert le Grand,
Arnauld de Villeneuve, n'ont pas échappé à l'accusation de magie. Et cependant, les alchimistes étaient fort pieux. On trouve à chaque instant dans leurs écrits des invocations à
Dieu ; ils partageaient leur temps entre l'étude, le travail et la prière. Quelques-uns prétendaient avoir reçu de
Dieu lui-même le secret de la Pierre des Philosophes !
Avant d'expliquer les
symboles relatifs à chacune des parties du Grand uvre, nous allons indiquer d'une manière générale quels étaient les moyens employés par les alchimistes pour dérober aux
profanes la science de la Pierre bénite.
Et d'abord viennent les signes. Ils sont nés avec l'
Alchimie. Ce sont les Grecs qui les employèrent les premiers. Tenant eux-mêmes leur science de l'Egypte, on voit que les signes alchimiques tirent leur origine directe des
hiéroglyphes. Le signe de l'
eau employé par les alchimistes n'est autre chose que l'
hiéroglyphe de l'
eau, et ainsi de quelques autres, tels que les signes de l'Or et de l'
Argent (Voir Hffer :
Histoire de la chimie, tome I, et Berthelot :
Origines de l'Alchimie). Les signes alchimiques sont très nombreux dans certains traités (ainsi celui de Khunrath intitulé :
Confessis de chao physico-chimicorum), où ils remplacent tous les noms de matières chimiques et d'opérations ; aussi importe-t-il de les connaître. Dans cette intention, nous avons fait reproduire les principaux signes alchimiques dans la planche ci-jointe.
Les
symboles étaient aussi fortement employés. C'est ainsi que les
oiseaux s'élevant figuraient la sublimation ou un dégagement de vapeurs, que des
oiseaux tombant à terre figuraient au contraire la précipitation. Le
phénix était le
symbole de la Pierre parfaite,
capable de transmuer les métaux en or et en
argent.
Le
corbeau symbolisait la
couleur noire que prend d'abord la Matière du Grand uvre quand on la chauffe. Un livre
hermétique singulier, le
Liber Mutus ou
Livre sans parole, ne contient en effet pas une seule ligne de texte ; il se compose simplement d'une série de gravures symbolisant la marche à suivre pour accomplir le Grand uvre.
Les Noms mythologiques étaient en grand honneur dans la nomenclature alchimique :
Mars désigne le fer,
Vénus le cuivre,
Apollon
l'or,
Diane,
Hécate ou la
Lune l'
argent,
Saturne le plomb ; la Toison d'Or, c'est la Pierre philosophale, et
Bacchus la matière de la pierre. C'est encore là une tradition gréco-égyptienne ; au
moyen-âge, on se servit seulement ou à peu près des noms mythologiques des métaux, mais à partir de la fin du
XVIe siècle, leur usage prit une telle extension que le
bénédictin Dom Joseph
Pernéty dut écrire deux gros volumes (
Fables grecques et égyptiennes dévoilées) pour expliquer leur sens et leur origine.
Aux noms mythologiques vinrent se
joindre un grand nombre de mots étrangers hébreux, grecs, arabes. En raison même de l'origine de l'
Alchimie, on doit forcément y trouver des mots grecs. En voici quelques-uns : "
hylé", matière première ; "
hypoclaptique", vase à séparer les
huiles essentielles ; "hydrelum", émulsion d'
huile et d'
eau, etc. Les mots arabes sont de beaucoup les plus nombreux. Quelques-uns, tels que "
élixir", "
alcool", "alcali", "
borax", sont venus jusqu'à nous ; d'autres, tombés dans l'oubli, se retrouvent dans les traités
hermétiques tels : "
alcani",
étain ; "alafar", matras ; "alcahali", vinaigre ; "
almizadir",
airain vert ; "zimax",
vitriol vert, etc., etc. Quant aux noms hébreux, on ne les rencontre guère que dans les traités des alchimistes cabalistes. Nous renvoyons pour tous ces mots au
Dictionnaire mytho-hermétique de Pernéty, et au
Lexicon chimicum de Johnson.
On comprend que déjà cette glossologie spéciale devait suffire souvent à écarter les
profanes, mais les alchimistes usaient encore d'autres moyens pour céler [sceller] le Grand Œuvre.
Ainsi, très souvent ils employaient l'
anagramme. A la fin du
Songe Verd, on trouve plusieurs
anagrammes. Voici
l'explication de deux d'entre eux :
Seganissegède signifie : Génie des sages ; et
Tripsarecopsem :
esprit,
corps,
âme.
Ils procédaient encore par
énigmes. En voici une facile à résoudre. «
Tout le monde connaît la pierre, et je l'affirme par le Dieu vivant, tous peuvent avoir cette matière que j'ai nommée clairement dans le livre : "vitrium", selon les ignorants, mais il faut y ajouter L et O ; la question est de savoir où il faut placer ces lettres. » (Hélias :
Miroir d'alchimie)
Le mot de l'
énigme est
vitriol.
Une curieuse
énigme fort connue des Alchimistes se trouve dans le troisième volume du
Theatrum chimicum, page 744. Accompagnée d'un commentaire de dix pages de Nicolas Barnauld. La voici : «
Ælia Llia Crispis est mon nom. Je ne suis ni homme, ni femme, ni hermaphrodite, ni vierge, ni adolescente, ni vieille. Je ne suis ni prostituée, ni vertueuse, mais tout cela ensemble. Je ne suis morte ni de faim, ni par le fer, ni par le poison, mais par toutes ces choses à la fois. Je ne repose ni au ciel, ni sur terre, ni dans l'eau, mais partout. Lucius Agatho Priscius, qui n'était ni mon mari, ni mon amant, ni mon esclave, sans chagrin, sans joie, sans pleurs, m'a fait élever, sachant et ne sachant pas pour qui, ce monument qui n'est ni une pyramide, ni un sépulcre, mais les deux. Le cadavre et le sépulcre ne font qu'un. » Barnauld établit dans son commentaire qu'il s'agit de la Pierre des Philosophes. Une autre
énigme non moins célèbre est la suivante, tirée des Alchimistes grecs : «
J'ai neuf lettres et quatre syllabes. Retiens-moi. Les trois premières ont chacune deux lettres. Les autres ont le reste, il y a cinq consonnes. Connais moi et tu auras la sagesse. » Le mot de l'
énigme est paraît-il, ARSENICON.