CHAPITRE VI
LES VOLKES TECTOSAGES ET LE LANGUEDOC
V - Le roi Bébrix et Pyrène - Hercule
Les Sardanes - Caucoliberis - Illiberis
Les Sordes
Avant l'arrivée des premiers
Celtes, les Pyrénées-Orientales étaient occupées par les Ibères.
Les ours, sujet ordinaire des poursuites de ces intrépides chasseurs, vivaient nombreux dans ces parages. « Le prolongement apparent des
Pyrénées, à l'est de leur jonction avec la
Montagne Noire et les
Cévennes, n'a lieu que par une chaîne latérale qui se détache au fond de la [214] vallée de la Têt, dans la Cerdagne française, et qui porte le nom spécial d'Albères. »
(88) Dans les Albères,
hall, (
hâull), habitation,
bear (
bér), un ours, les bêtes fauves trouvaient des retraites profondes, et leur poursuite présentait assurément des dangers considérables, que les Ibères affrontaient avec le courage qui les distinguait. Ces chasseurs d'ours étaient-ils le même peuple que les
Bébriciens, dont la cité principale aurait été
Pyrène ? Cela paraît certain, si l'on dégage les traditions historiques de tous les ornements
fabuleux qui les rendent méconnaissables.
Suivant la mythologie, les
Pyrénées appartenaient au roi
Bébrix, quand
Hercule, avec ses guerriers, se présenta au pied de
ces
montagnes. Il est hors de doute qu'
Hercule a existé seulement dans les
mythes grecs et latins : cependant, il est utile de le remarquer, ce héros fameux prend une réelle consistance et revêt le caractère de la vérité, dès qu'il personnifie la nation
celtique et la migration de ce peuple vers les contrées occidentales de l'
Europe. Salluste parle de la mort d'
Hercule dans la péninsule ibérienne, et après sa mort, les Arméniens, les
Mèdes et les Perse de son armées, traversent la [215] mer pour se répandre en Afrique. Diodore, de son côté, raconte l'action violente d'
Hercule contre
Pyrène, fille du roi
Bébrix, avant que le Héros entrât dans l'
Ibérie à la tête de ses soldats. Nous pouvons, à l'aide de ces renseignements, discerner clairement la vérité à travers les voiles dont elle est entourée.
La nation
Celtique, arrivant dans les contrées Pyrénéennes, s'est heurtée au peuple Ibérien. Les Ibères, d'une taille moyenne, rompus aux fatigues des chasses les plus dangereuses, ont regardé sans effroi ces
Gaulois à haute stature, et leur résistance hardie et obstinée n'a pu empêcher l'
Hercule gaulois de traverser les
Pyrénées pour aller s'éteindre et mourir dans le cur de la péninsule espagnole. Le peuple ibère, grand par son intrépidité, petit de taille à côté des
géants celtes, prend une forme précise, déterminée, dans le roi
Bébrix, le courageux
enfant, l'audacieux bambin, qui osait affronter, braver les hasards et les périls d'une lutte avec l'
Hercule gaulois,
babe (
bébe), un petit
enfant, un bambin, risk, péril, hasard .
Les
Celtes et les Ibères, rapporte Diodore de
Sicile, après avoir combattu pour la possession du pays, l'habitèrent en commun et s'allièrent par
mariages. Les alliances des
Celtes avec les Ibères auront ainsi donné lieu à l'
histoire fabu- [216] leuse d'
Hercule et de
Pyrène. Le nom de la cité de
Pyrène, témoigne de la
fusion des deux peuples ; car il renferme le souvenir des efforts tentés par les
Celtes pour empêcher les Ibères de
brûler leurs morts,
pyre (
païre), bûcher funéraire,
to rain (
ren), réprimer, et ce nom, par extension, a désigné plus tard la chaîne entière de
montagnes occupée par les chasseurs d'ours. Les efforts des
Celtes ont dû être couronnés de succès, si l'on en croit le nom de la cité Sardane de Caucoliberis
to cock, relever, redresser,
hall (
hâull), maison, salle,
to eye (
aï), voir,
to bury, (
beri), enterrer , puisque les habitants de cette contrée ont élevé, dans la suite, des tombelles pour ensevelir les morts.
Illiberis, autre ville des Sardanes, ne contredit point cette assertion ; il constate uniquement la pompe que les Ibères déployaient dans les funérailles,
highly (
haïli), ambitieusement,
to bury (
beri), enterrer ; en tenant cependant un compte rigoureux des deux
l qui se trouvent dans Illiberis, ce nom se rattacherait alors à celui de Caucoliberis ; car il signifierait simplement une
éminence construite pour une
sépulture,
hill,
éminence,
to eye (
aï) voir,
to bury (
beri) enterrer . Une seconde cité d'Illiberis existant chez les
Aquitains, semblerait démontrer que les murs
gauloises avaient [217] partout fait disparaître les bûchers funéraires des chasseurs d'ours.
Les
Celtibériens des Pyrénées-Orientales se sont livrés plus tard à une profession tout autre que celle de chasser le grand ours des cavernes. Ils se sont adonnés à diverses industries et ont mérité, les uns le nom de Sordes, les autres celui de Sardans. Ceux-ci tenaient les côtes, fixant leurs demeures près de la mer, sur les flots de laquelle les attirait l'exercice de la pêche. A cause de cette condition générale, on les a appelés Sardans,
Sardan, petit poisson, sardine ; on sait, du reste, combien l'anchois et la sardine sont abondants dans les
eaux du golfe de
Lyon. Ruscino, leur cité principale, est loin de donner un démenti à leur profession de pêcheurs ; il affirme, en effet, que l'on accourait en foule et à l'envi s'établir à
Ruscino, pour se rendre ensuite à la mer et tendre de grands filets de pêche,
to rush (
reuch), venir en foule,
sean (
sin), grand filet pour la pêche, seine .
Les Sordes, au contraire, étaient fixés dans les vallées et les
montagnes des Pyrénées-Orientales. Leur industrie était bien différente de celle des Sardans ; ils fabriquaient des armes de guerre, des
épées
sword (
sôrd),
épée .
Ce n'est pas seulement aux temps reculés des [218] Sordes que l'on a fabriqué d'excellent fer dans le versant oriental du massif montagneux regardant la Méditerranée. Il y a peu d'années encore, dix-huit
fourneaux pour
fondre le fer y étaient en pleine activité ; ces
fourneaux produisaient le fer d'après le système dit catalan, et portaient le nom de forges catalanes. Le traité de commerce conclu avec l'Angleterre, sous Napoléon III, a fait éteindre ces
fourneaux ; les prix de revient étaient trop onéreux pour que l'on pût engager, avec les fers anglais, une lutte, qui serait devenue désastreuse. Le dernier village sorde où l'on produisait le fer, se nomme
Gincla. On y voit encore les restes de deux forges, d'un laminoir et de plusieurs martinets-forges, dont la fondation se perd dans la nuit des siècles.
Gincla dérive de
to jingle (
djingl'), tinter, cliqueter. C'est une chose vraiment surprenante que ce terme de
Gincla appliqué à une localité, où, toujours et de tout temps on a entendu le cliquetis du fer, le bruit des lourds marteaux frappant sur les enclumes, et rendant des tintements sonores. [219]
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(88) Dictionnaire de Géographie, par
Hyacinthe Langlois.