Papus (Dr Gérard Encausse)
Il existe des substances, des parfums, des sensations capables d'influencer chacun de nos trois centres organiques ; mais l'être total, l'homme de volonté, l'homme immortel, est-il à l'abri d'une action pareille ? Non certes.
Mais ce n'est plus une substance, ce n'est plus un parfum, ce n'est plus même une sensation quelque élevée qu'elle soit, fût-ce la musique la plus divine, qui peut ébranler l'
esprit immortel en sa retraite profonde, c'est quelque chose de pire ou de plus élevé, suivant l'emploi qu'en fait l'être humain : c'est l'
amour.
L'
amour, depuis l'affinité mystérieuse qui pousse l'atome vers l'atome, depuis l'impulsion insensée qui porte l'homme vers la femme aimée à travers tous les obstacles, jusqu'à l'entraînement mystérieux qui jette l'intelligence, affolée d'inconnu, aux pieds de la beauté ou de la vérité, l'
amour est le grand mobile de tout être créé agissant en mode d'immortalité, et l'
amour a deux voies de réalisation : la
génération en bas, l'extase en haut ; car le centre pivotal de l'
esprit immortel est le même que le centre animique, le rayon seul est plus étendu.
Voilà pourquoi la magie, considérée
synthétiquement, est la science de l'
amour,
amour des astres pour le
soleil
ou
amour de l'atome pour la
force ; voilà pourquoi la femme,
prêtresse
instinctive de l'
amour ici-bas, soit qu'elle agisse en mode lunaire comme mère
de famille, soit qu'elle agisse en mode de
Vénus comme amante,
épouse
ou courtisane, la femme est la magicienne née de l'humanité, et
telle gardeuse de pourceaux de la veille trône aujourd'hui dans un hôtel
luxueux par la vertu magique de son regard servi par les enseignements d'HÉVÉ qui illumine toute femme venant en ce monde.
Or, celui qui fuit l'
amour ne saura jamais lui résister, et un merveilleux écrivain doublé d'un vrai connaisseur de l'
âme humaine, Anatole France, a fort bien exposé cette loi magique dans
Thaïs, où le moine Paphnuce est définitivement terrassé par cette puissance qu'il avait mal comprise.
Aussi l'imprudent qui fait appel à la magie pour suivre sa passion amoureuse n'est qu'un
ignorant ou un sot ; car il demande des armes pour combattre au moment même où il s'avoue vaincu. Le magiste ne doit pas être dompté par l'
amour plus qu'il ne doit l'ignorer : la
chasteté absolue n'est exigée de l'expérimentateur que dans
les 40
jours qui précèdent l'uvre magique.
Mais si le magiste doit, pouvoir résister
à la colère comme à la haine qu'il sent naître
en lui, il doit encore plus pouvoir diriger cette puissance dynamique
formidable qu'est l'
amour, quand il est mis à même de le rencontrer sur son chemin.
Quand un bel attelage de merveilleux
chevaux
se présente à vous, au cours de votre route, et que vous avez la
faculté de monter dans le char qu'ils traînent et d'abréger
ainsi votre chemin, que faites-vous ? Perdrez-vous votre temps, déjà
si précieux, à lutter contre la fougue de ces
chevaux en leur barrant
la route, ou, vous jetant dans le char, saisirez-vous les guides d'une main sûre
pour aller de l'avant ?
Concluez : car dans la vie, le
problème se présentera journellement à vous. Vous avez deux
dangers à redouter : si vous demeurez sur la route, d'être piétiné
par les coursiers, ou tout au moins de perdre votre temps dans aucun profit ;
si vous montez dans le char et que vous n'ayez pas l'énergie nécessaire,
de voir les
chevaux s'emporter. Souvenez-vous que l'audace est la première
des qualités requises du magiste après le savoir, et apprenez à
résoudre vous-même l'
énigme du
sphinx. Nous vous avons suffisamment
montré la route de notre côté. Laissez les
chevaux agir, mais
tenez bien les guides.
L'homme ne saurait oublier qu'il
ne forme qu'un des pôles psychiques de l'humanité, et que son idée
ne deviendra dynamique que lorsqu'elle aura été réactionnée
par un cerveau féminin. Montrez-moi le réalisateur
religieux ayant
réussi dans son uvre sans l'aide des femmes ? Platon, dans le
Banquet,
nous donne la
clef de la séparation primitive de l'être humain en
deux pôles ; toute la science magique réside dans l'emploi psychique
et non physiologique de l'étincelle produite, et c'est là sans contredit
la
force la plus puissance qu'il soit donné au magicien de connaître
et de diriger. Les poètes, ces prophètes de la nature, l'ont toujours
enseigné à travers tous les âges. Or, ne méprisez jamais
les enseignements des poètes si vous voulez connaître et pratiquer
la science éternelle des mages.
Mais à mesure que l'être psychiquement
prend de l'essor, des
amours nouvelles se révèlent
à l'homme, et la sainte
Kabbale nous enseigne que le sage
consacrant ses efforts et ses veilles au culte désintéressé
de la vérité sera aidé dans ses travaux par
la présence de plus en plus perceptible de l'
âme sœur,
entité astrale sacrifiant son évolution personnelle
à celle du bien-aimé. C'est là un des
arcanes
les plus profonds des "mystères de l'amour" ; ceux
qui étudieront la Kabbale en pénètreront seuls
tout le secret.
Mais à côté de cette poursuite
ardente de la vérité, combien d'appétits bas et vulgaires
existent, sous cette étiquette regrettable. Ceux-là qui ont sacrifié
toute leur vie à la recherche des plus hauts problèmes qui aient
ému jamais l'humanité sont traités de fous et de rêveurs
par les autres. Les autres : ce sont ceux pour qui l'étude n'est qu'une
chimère qui mène à la fortune et aux situations grassement
rétribuées. Ce sont ceux qui, mollement installés dans une
chaire que leur ont permis d'atteindre les protections et les rentes de leurs
parents, critiquent vertement les rêveries de ces bons alchimistes du moyen
âge. M. X. n'a pas assez d'indignation pour flétrir la conduite de
Paracelse, indignement calomnié par un élève renégat.
Et quand on voit la carrière de ce merveilleux génie
que fut
Paracelse, pauvre toute sa vie et sacrifiant toujours les traitements
au culte de la vérité, voyageant à pied toute l'
Europe et
une partie de l'Asie pour arracher leurs secrets aux quelques centres d'
initiation
subsistant encore, et, fort du génie qu'il avait enfermé dans le
pommeau de son
épée, faisant des cures miraculeuses et brûlant
devant son auditoire les livres de l'enseignement officiel, enfin mourant aussi
misérable que glorieux, et crucifié depuis en chaque exemplaire
de chaque dictionnaire "historique" ; quand on voit cela, ce n'est pas
devant M. X., malgré ses 12.000 fr. de traitement qu'on a
envie de s'agenouiller
: car M. X., c'est la courtisane de la vérité vendant ses études,
comme le courtisane vend ses caresses… au plus offrant et dernier enchérisseur.
Or, s'il se trouve qu'à travers les âges, des
savants réels comme Bichat ou Claude
Bernard, combien cela suppose-t-il
de MM. X., critiques acerbes et
ennemis jurés de toute innovation et de
tout progrès ?
Or, de même que le grand savoir de l'homme
du monde consiste à distinguer les amoureuses des vendeuses
d'
amour, le premier devoir du magiste consiste à reconnaître
l'
amour véritable partout où il se manifeste,
comme à démasquer sans pitié les vendeurs qui
déshonorent le parvis de ce temple, le plus sacré
de tous, car il a permis la manifestation des deux grandes figures
du christianisme :
Madeleine et sainte Thérèse.
Papus,
Traité élémentaire de
Magie pratique, De l'amour, excitant de l'homme de
volonté.