CHAPITRE II LE CÔTÉ CACHÉ DES ÉCRITURES (1/2)
Les religions du passé nous venons de le constater étaient
unanimes pour déclarer qu'elles présentaient un côté caché et qu'elles possédaient des « Mystères » ; cette affirmation, les hommes les plus éminents en ont prouvé la valeur, en recherchant eux-mêmes l'initiation. Il nous reste à nous assurer si le Christianisme est exclu de ce cercle des religions, s'il est seul privé d'une Gnose, s'il n'offre au monde qu'une foi élémentaire et non pas une science profonde. S'il en était ainsi, le fait serait triste et lamentable, car il indiquerait que le Christianisme n'est fait que pour une seule classe et non pour toutes les catégories humaines. Mais cela n'est pas : nous pouvons le prouver de manière à rendre impossible tout doute rationnel.
De cette preuve le Christianisme contemporain a le plus extrême besoin, car la
fleur du Christianisme périt faute de lumière. Si l'enseignement
ésotérique peut être rétabli et s'attirer
des étudiants patients et sérieux, l'enseignement
occulte, lui aussi, sera bientôt rétabli. Les
Disciples des Mystères Mineurs deviendront les candidats aux Grands Mystères et, avec le retour de la connaissance, reviendra l'autorité de l'enseignement. Oui, le besoin en est grand. Regardons le monde qui nous entoure, et nous verrons que dans l'Occident la
religion souffre précisément de la difficulté que, théoriquement, nous serions amenés à prévoir. Le Christianisme ayant perdu son enseignement
mystique et
ésotérique voit lui échapper un grand nombre de ses membres les plus intellectuels, et le réveil partiel de ces dernières années a coïncidé avec l'introduction nouvelle de certains enseignements
mystiques. Il est évident, pour toute personne ayant étudié l'
histoire des quarante dernières années du dix-neuvième siècle, qu'une foule de personnes d'un caractère
réfléchi et moral ont quitté les
églises parce que
les enseignements qu'elles y recevaient faisaient outrage à leur intelligence
et offensaient leur sens moral. Il est oiseux de prétendre que l'agnosticisme,
aujourd'hui si général, a pour cause soit un défaut de sens moral, soit une froide perversité intellectuelle. Il suffit d'avoir étudié ces questions avec soin pour reconnaître que des hommes puissamment intelligents
ont été chassés du Christianisme par les idées
religieuses
rudimentaires qui leur étaient présentées par les
contradictions entre les doctrines enfin, par les données sur
Dieu,
l'homme et l'univers impossibles à admettre pour tout
esprit cultivé.
On ne peut du reste voir dans la révolte contre les dogmes de l'
Eglise
l'indice d'aucune décadence morale. Les révoltés n'étaient
pas trop mauvais pour leur
religion ; la
religion, au contraire, était
trop mauvaise pour eux. La révolte contre le Christianisme populaire a
été motivée par le réveil et le développement de la conscience ; celle-ci s'est soulevée, comme l'intelligence, contre les doctrines déshonorant à la fois
Dieu et l'homme, doctrines représentant
Dieu comme un tyran et l'homme comme essentiellement pervers et obligé de mériter son salut par une soumission d'esclave.
Cette révolte a eu pour raison le ravalement graduel des enseignements chrétiens au niveau d'une prétendue simplicité,
permettant aux plus
ignorants de les comprendre. « Il ne faut prêcher que ce que tous peuvent saisir » déclaraient hautement les docteurs
Protestants « la gloire de l'
Evangile est sa simplicité ; les
enfants et les illettrés doivent pouvoir le comprendre et en suivre les préceptes ». Cela est vrai, s'il faut entendre par là que certaines vérités
religieuses peuvent être comprises par chacun et qu'une
religion n'atteint pas son but si les plus humbles, les plus
ignorants, les plus bornés échappent à son
influence édifiante. Mais cela est
faux, absolument
faux, s'il faut en conclure qu'une
religion ne renferme pas de vérités inabordables pour les
ignorants et qu'elle est à ce point pauvre et limitée qu'elle n'ait rien à enseigner qui soit trop haut pour la pensée des inintelligents ou pour l'état moral des êtres dégradés. Oui, si tel est le sens de l'affirmation protestante, elle est fausse et fatalement fausse. L'idée a été répandue par la
prédication, répétée dans les
églises, d'où cette conséquence qu'une foule de personnes
d'un caractère élevé au désespoir de se détacher de leur foi première abandonnent les
églises et laissent leur place aux hypocrites et aux
ignorants. Elles deviennent passivement agnostiques ou si elles sont jeunes et enthousiastes activement agressives ; elles se refusent à voir la vérité suprême dans une
religion qui outrage à la fois l'intelligence et la conscience, et préfèrent
la franchise d'une incrédulité ouverte à l'
influence malsaine
exercée sur l'intelligence par une autorité qui n'a, pour elles, rien de divin.
Cet examen de la pensée contemporaine nous montre que la question d'un enseignement caché se rattachant au Christianisme prend une importance capitale. Le Christianisme doit-il rester la
religion de l'Occident ? Doit-il traverser les siècles et contribuer encore à former la pensée des races occidentales au cours de son évolution ? Pour pouvoir vivre, il lui faut retrouver sa science perdue et rentrer en possession de ces enseignements
mystiques et
occultes, il lui faut reprendre sa place comme maître incontesté de vérités spirituelles, revêtu de la seule autorité effective, celle du savoir. Si le Christianisme rentre en possession de ces enseignements, leur
influence se manifestera bientôt par une manière plus large et plus profonde d'envisager la vérité. Dans certains dogmes qui aujourd'hui semblent des idées creuses et arriérés et rien de plus, on verra de nouveau une affirmation partielle de vérités fondamentales. Tout d'abord le Christianisme
Esotérique reprendra sa place dans le « Lieu
Saint », dans le
Temple, permettant à tous ceux qui en sont capables de recevoir ses enseignements publics. En même temps, le Christianisme
Occulte descendra de nouveau dans l'Adytum et demeurera derrière le voile qui ferme le « Lieu Très
Saint » où l'
Initié seul peut pénétrer. Enfin l'enseignement
occulte sera mis à la portée de ceux qui se rendent dignes de le recevoir, suivant les règles d'autrefois, et consentent aujourd'hui à remplir les conditions imposées, dans le passé, à tous ceux qui désiraient s'assurer de l'existence et de la réalité du domaine spirituel.
Interrogeons de nouveau l'
histoire. Le Christianisme était-il
la seule
religion dépourvue d'un enseignement réservé ou
était-il comme toutes les autres en possession de ce trésor secret ? Il ne faut pas ici des théories, mais des témoignages. La question sera résolue par les documents parvenus jusqu'à nous ; le simple
ipse dixit du Christianisme moderne ne suffit pas.
Le « Nouveau Testament » et les écrits de l'
Eglise primitive sont positivement d'accord pour déclarer que l'
Eglise possède des enseignements semblables ; ils nous apprennent l'existence des Mystères appelés les Mystères de
Jésus ou les Mystères du Royaume les conditions imposées aux candidats, un aperçu de la nature générale des enseignements donnés et d'autres détails encore. Certains passages du « Nouveau Testament » resteraient complètement obscurs sans la lumière dont les éclairent, par leurs nettes affirmations, les Pères et
Evêques de l'
Eglise ; grâce à elle, ces passages deviennent clairs et intelligibles.
Certes, le contraire eût été étrange,
étant donné la variété des
influences religieuses auxquelles a été soumis le Christianisme primitif. Allié aux Hébreux, aux Perses, aux Grecs, coloré par les croyances, plus anciennes, de l'Inde, portant l'empreinte profonde de la pensée Syrienne et Egyptienne, ce jeune rameau du grand tronc
religieux ne pouvait qu'affirmer de nouveau les anciennes traditions et offrir aux races occidentales, dans son intégrité, le trésor des enseignements antiques. « La foi qui a été confiée aux saints » aurait été dépouillée de sa valeur principale si elle avait été transmise à l'Occident sans la perle de la doctrine
ésotérique.
Le premier témoignage à examiner est celui du « Nouveau Testament ». Il n'est pas nécessaire d'aborder les controverses relatives aux différentes interprétations et aux différents auteurs. Ces problèmes, il appartient aux érudits seuls de les résoudre.
La critique a beaucoup à dire sur la date des manuscrits, sur l'authenticité des documents, etc. Mais nous n'avons pas à nous en occuper ici. Nous pouvons accepter les livres
canoniques ; ils représentent pour nous la manière dont l'
Eglise primitive comprenait les enseignements du Christ et de Ses successeurs immédiats. Que disent ces livres d'un enseignement secret communiqué à un petit nombre de personnes ? Notons d'abord les paroles attribuées à
Jésus Lui-même et regardées par l'
Eglise comme l'autorité suprême ; nous étudierons ensuite les écrits du grand
apôtre saint Paul ; enfin, nous relèverons les déclarations faites par les héritiers de la tradition
apostolique qui dirigèrent l'
Eglise pendant les premiers siècles de notre ère. Cette suite continue de traditions et de témoignages écrits nous permettra d'établir que le Christianisme possédait un côté caché. Nous verrons de plus, qu'il est possible de suivre à travers les siècles, jusqu'au commencement du dix-neuvième, la trace des Mystères Mineurs ou interprétation
mystique. Malgré l'absence, après la disparition des Mystères, d'Ecoles
Mystiques préparant ouvertement à l'
Initiation, de grands
Mystiques sont cependant parvenus, de temps à autre, à atteindre les degrés inférieurs de l'extase, grâce à la persévérance de leurs propres efforts et à l'aide probable d'Instructeurs invisibles.
Les paroles du Maître Lui-même
sont claires et explicites. Origène, comme nous le verrons plus loin, les a citées comme faisant allusion à l'enseignement secret gardé par l'
Eglise.
Et quand il fut en particulier, ceux qui étaient autour de lui avec les douze apôtres l'interrogèrent touchant le sens de cette parabole. Et il leur dit : Il vous est donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, mais pour ceux qui sont dehors tout se traite par des paraboles. Et plus loin : Il leur annonçait ainsi la parole par plusieurs similitudes de cette sorte, selon qu'ils étaient capables de l'entendre. Et il ne leur parlait point sans similitude ; mais lorsqu'il était en particulier, il expliquait tout à ses disciples (40).
Notez ces mots significatifs :
Quand il fut en particulier,
et l'expression :
Ceux qui sont dehors. Nous lisons, de même, dans
l'
Evangile selon
saint Matthieu :
Alors Jésus ayant renvoyé le peuple, s'en alla à la maison, et ses disciples vinrent le trouver. Ces leçons données dans sa maison, exposant le sens profond de Sa doctrine, passent pour avoir été transmises d'instructeur en instructeur. L'
Evangile donne, comme on le voit, des explications allégoriques et
mystiques représentant ce que nous avons appelé les Mystères Mineurs ; quant au sens profond, il n'était dévoilé, disait-on, qu'aux
Initiés.
Ailleurs,
Jésus dit à ses
disciples eux-mêmes :
J'aurais encore plusieurs choses à vous dire, mais elles sont encore au-dessus de votre portée (41).
Jésus en communiqua, sans doute, quelques-unes après Sa mort, quand Il Se fit voir à ses
disciples,
leur parlant de ce qui regarde le royaume de Dieu (42). Aucune de ces paroles n'a été divulguée, mais comment supposer qu'elles aient été oubliées ou négligées et qu'elles n'aient pas été transmises, comme un trésor sans prix ? Suivant une tradition conservée dans l'
Eglise.
Jésus resta en rapport avec Ses
disciples longtemps après Sa mort afin de les instruire nous aurons l'occasion de mentionner ce nouveau fait et, dans le fameux ouvrage
Gnostique intitulé
Pistis Sophia, nous lisons ces mots : « Il advint qu'après Sa
résurrection d'entre les morts,
Jésus S'entretint avec Ses
disciples et les instruisit pendant onze ans
(43). » Citons encore ce verset, dont beaucoup voudraient atténuer l'énergie et modifier le sens par des explications variées :
Ne donnez point les choses saintes aux chiens et ne jetez point vos perles devant les pourceaux (44), précepte généralement appliqué, mais où la Primitive
Eglise voyait une allusion à des enseignements secrets. Il ne faut pas oublier que ces mots n'avaient pas, jadis, le caractère de dureté qu'ils ont aujourd'hui. Les personnes faisant partie d'un même groupe appelaient «
chiens », c'est-à-dire le « Vulgaire », le «
Profane », tous ceux qui n'appartenaient pas à leur groupe, qu'il s'agît d'une société ou association ou d'un peuple. Les Juifs, par exemple, parlaient ainsi de tous les Gentils
(45). On appliquait parfois ces expressions aux personnes étrangères au cercle des
Initiés, et nous les trouvons employées dans ce sens par l'
Eglise Primitive. Les personnes non
initiées aux Mystères et regardées comme étrangères au « royaume de
Dieu » ou « Israël spirituel » étaient ainsi désignées.
Il y avait, sans parler de l'expression « le Mystère
» ou « les Mystères », plusieurs noms donnés au cercle sacré des
Initiés ou à ce qui touchait à l'
Initiation, ainsi : « le Royaume », « le Royaume de
Dieu », « le Royaume des
Cieux », « la Voie étroite », « la Porte étroite », « les Parfaits », « les Sauvés », « la Vie éternelle », « la Vie », « la nouvelle Naissance », « un Petit », « un Petit
Enfant ». L'emploi de ces expressions par les premiers auteurs étrangers à l'
Eglise en éclaire le sens. C'est ainsi que l'expression « les parfaits » appartenait au langage des Esséniens, dont les communautés présentaient trois ordres : les
Néophytes, les
Frères et les Parfaits, ceux-ci étant des
Initiés ; d'une manière générale, elle est employée dans ce sens dans les ouvrages anciens. « Le Petit
Enfant » était le nom habituellement donné au candidat qui venait d'être
initié ou, en d'autres termes, de « naître de nouveau ».
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(40) St Marc, IV, 10 11, 33, 34. Voyez aussi
St Matthieu, XIII, 11, 34, 36, et
St Luc, VIII, 10.
(41) St Jean, XVI, 13.
(42) Actes, I, 3.
(43) Loc. cit. Traduction de G. R. S. Mead, I, I, 1. Voyez aussi A. Mélineau,
Pistis Sophia, ouvrage
gnostique de Valentin, traduit du copte en français, avec une introduction.
Paris, 1895, in-8. (N. d. T.)
(44) St Matthieu, VII, 6.
(45) D'où la réponse faite à la femme grecque :
Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens.
St Marc, VII, 27.