DEUXIÈME
PARTIE LES SYMBOLES
CHAPITRE VI (1/2)
Les opérations Causes des différences entre les alchimistes au
sujet des opérations
La putréfaction Les régimes de Philalèthe Fermentation Projection Symboles des opérations
La matière étant enfermée dans l'uf philosophique et le
feu allumé, les
corps mis en présence réagissent aussitôt les uns sur les autres. il se produisait diverses actions chimiques : précipitation , sublimation, dégagement de gaz ou de vapeurs, cristallisation, etc. ; en même temps, la Matière changeait plusieurs fois de
couleur. Dans ce chapitre, nous nous occuperons des phénomènes chimiques nommés opérations par les alchimistes, et dans le suivant nous traiterons des
couleurs.
Les alchimistes diffèrent notablement les uns des autres au sujet du nombre et de la dénomination des opérations. Cela se conçoit, prenons un exemple : la matière émet des vapeurs en devenant noire, puis les vapeurs se condensent et retombent sous forme de liquide. Un premier alchimiste ne considérant que l'ensemble du phénomène, lui donnera le nom de distillation, parce qu'en effet dans toute distillation, on trouve deux parties : vaporisation, condensation. Un autre, distinguant les phases du phénomène, dira qu'il y a eu sublimation (vaporisation) et précipitation (condensation) ; un dernier, prenant la
couleur noire en considération, ajoutera une troisième phase : la putréfaction. Et pourtant tout cela ne désignera qu'un seul et même phénomène.
Il en est de même pour toutes les autres opérations.
Aussi constate-t-on de grandes différences d'un philosophe
à l'autre. Tandis que
Pernéty établit douze opérations :
calcination,
congélation,
fixation,
dissolution,
digestion, distillation,
sublimation, séparation,
incération, fermentation, multiplication,
projection,
Bernard le
Trévisan n'en admet qu'une seule.
« Combien que les philosophes
divisent le magistère en plusieurs opérations selon le degré des formes et de leurs diversités, toutefois il n'y en a qu'une en la formation de l'uf » (
Bernard le
Trévisan,
De la nature de l'uf). Mais c'est là une opinion légèrement paradoxale, et les autres alchimistes analysent un peu plus. Hélias compte sept opérations : sublimation,
calcination, solution,
ablution,
cération,
coagulation,
fixation, et
Albert le Grand quatre : purification, lavage, réduction,
fixation.
Ce qui ne contribue pas peu à embrouiller la question, c'est que les uns comptent les opérations depuis la préparation de la Matière, tandis que les autres commencent à compter seulement du moment où la Matière est enfermée dans l'uf. Mais, en somme, on peut partager le Grand uvre en quatre parties :
1° Préparation de la Matière ;
2° Cuisson dans l'uf philosophique et apparition des
couleurs dans l'ordre voulu ;
3° Opérations ayant pour but de donner à la Pierre philosophale une plus grande
force : ce sont la
fixation et la fermentation ;
4° Enfin, la transmutation avec l'aide de la Pierre, des métaux vils en or, et en
argent ; c'est la projection.
Toutes les opérations diverses qui ont lieu pendant le Grand uvre puvent se ramener à une seule, la cuisson, car tout se fait par le
feu. C'est au reste ce que dit Alain de
Lille : « Les noms de
décoction,
commixtion, mélange, sublimation,
contrition, dessèchement, ignition,
déalbation,
rubification et de quelqu'autre nom qu'on puisse appeler l'opération, ce n'est qu'un seul régime, qu'on nomme simplement
contrition,
décoction. »
Basile Valentin, lui, n'admet que deux opérations, la solution et la
coagulation, c'est-à-dire des passages successifs de la Matière de l'état de repos à l'état de mouvement. « L'
Esprit.
Ignis et Azoth tibi sufficiunt. Albert : Ô céleste parole, comment doy-je faire cela. L'
esprit : Solve, coagula, dissous et coagule » (
Colloque de l'Esprit de Mercure avec frère Albert).
Malgré cette grande diversité d'opinions, nous allons essayer de jeter quelque lumière dans ce
chaos. La première opération (la Matière étant préparée), est la
conjonction ou
coït. C'ets l'union du Soufre et du
Mercure, du mâle et de la
femelle. On chauffe et la
couleur noire apparaît. C'est alors la
putréfaction. Nous verrons plus loin pourquoi l'on a donné le nom de putréfaction à l'ensemble des phénomènes qui se produisent du temps que la matière est noire. On a donné bien des noms à la putréfaction. Voici ses principaux synonymes : Mort,
destruction, perdition,
calcination,
dénudation, séparation, trituration,
assation,
extraction,
commixtion, liquéfaction,
division, distillation, corruption,
imprégnation.
A la suite de la putréfaction vient l'
ablution. Cette
opération consiste à faire apparaître la
blancheur, puisque de noire elle devient blanche. Les philosophes ont symbolisé l'
ablution par la
salamandre qui se purifiee dans le
feu, par l'asbeste ou
amiante que la
flamme blanchit sans la consumer. «
Ablution n'est autre chose que l'abstraction de la noirceur, tache, souillure et
immondicité, laquelle se fait par la contamination du second degré du
feu d'Egypte » (
Rouillac,
Abrégé du Grand uvre). L'
ablution est encore nommée :
déalbation, abstersion,
résurrection.
Ensuite vient la
rubification, caractérisée par l'apparition de la
couleur rouge indiquant que l'uvre est parfait. A cette classification basée sur la succession des
couleurs, on peut ramener toutes les opérations qu'ont imaginées les alchimistes.
Philalèthe lui-même rattache les opérations aux
couleurs ; il ne leur donne pas de noms particuliers, il se contente de les désigner par les noms des métaux, qui servaient de
symboles aux
couleurs (Voyez le chapitre VII). Voici le résumé de ce qu'il dit à ce sujet dans
L'entrée ouverte au palais fermé du roi.
1° Régime de
Mercure : la matière passe par diverses
couleurs, s'arrête un peu au vert et finalement noircit. Il dure cinquante
jours. Des vapeurs colorées qui s'élèvent, se condensent et retombent vers le fond sur la matière solide.
2° Régime de
Saturne. C'est la noirceur. La matière est noire fondue, elle bout, d'autres fois elle se solidifie. Ce régime dure quarante
jours.
3° Régime de Jupiter. Du noir au commencement du blanc. Vapeurs et condensation. « Durant ce temps-là, toutes sortes de
couleurs que l'on ne saurait imaginer paraîtront, les pluyes seront alors plus abondantes de
jour à autre et enfin, après toutes ces choses, qui sont très agréables à voir, il paroist au costé du vaisseau une
blancheur en façon de petits filaments ou comme des
cheveux. » Ce régime dure vingt-et-un
jours.
4° Régime de la
Lune. C'est la
blancheur parfaite ; la durée en est de trois semaines, la matière se solidifie et se liquéfie alternativement plusieurs fois par
jour. Elle est enfin sous forme de petits grains blancs.
5° Régime de
Vénus. La matière passe du blanc au vert, bleu livide, rouge-brun. Elle fond et se gonfle. Ceci dure quarante
jours.
6° Régime de
Mars : La matière se
dessèche, elle est successivement orange et jaune brun, puis elle présente les
couleurs de l'
iris ; ceci dure quarante-cinq
jours.
7° Régime du
Soleil : la matière passe de l'orangé au rouge, elle émet des vapeurs rouges, puis s'affaisse, devient humide, se
dessèche,
coule et se solidifie, cela plusieurs fois en un
jour ; enfin elle se met en petits grains rouges.
Philalèthe ne parle ici ni de la fermentation ni de la projection, il traite de ces deux opérations séparément. Les régimes ne comprennent que les phénomènes qui ont lieu dans l'uf philosophique.
La fermentation est l'opération qui suit l'apparition de la
couleur rouge. Elle a pour but d'accroître la puissance de la Pierre et de lui permettre de transmuer plus rapidement les métaux. Généralement
on brisait l'uf philosophique, on recueillait la matière rouge, on la
mêlait à de l'or fondu, on obtenait une masse friable rouge, à
laquelle faisait subir des traitements variant d'un philosophe à l'autre ; selon les Alchimistes, la Pierre allait ainsi en augmentant, non seulement de quantité mais encore de qualité, et cela indéfiniment ; on comprend dès lors l'exclamation enthousiaste de
Raymond Lulle : «
Mare lingerem, si mercurius esset ! » La plupart des philosophes opéraient ainsi que nous venons de le dire. « Si tu veux te servir de la teinture physique pour transmuer, tu en projetteras d'abord une livre sur mille de
soleil fondu. Alors seulement la médecine sera prête et propre à faire disparaître la lèpre des métaux » (
Paracelse,
Tinctura physicorum). Eck de Sultzbach décrit l'opération avec soin : « Prends deux marcs d'or pur, fonds-les en un creuset, projettes-y un quart de livre de la médecine susdite, elle sera immédiatement absorbée par l'or et ne fera plus qu'un avec lui ; projettes-y de nouveau un quart de livre de la médecine pour convertir tout l'or ;
broie, puis expose à un
feu violent, et le tout se convertira en une poudre rouge comme du minium. Projettes-en une partie sur cent parties de
Lune pure et tu obtiendras un or excellent » (Eck de Sultzbach,
Clavis philosophorum).
Quelques alchimistes suivaient une autre méthode pour la fermentation ; ils prenaient la matière au rouge et après l'avoir
mêlée avec du mercure sublimé (bichlorure de mercure) la faisaient
digérer à une douce
chaleur dans un matras, mais le résultat obtenu était le même.
La matière étant fermentée est dès lors apte à transmuer les métaux. L'opération par laquelle les métaux vils étaient changés en or et en
argent, était
nommée projection. Pour cela, on prenait un métal, mercure, plomb,
étain ; le premier était fortement chauffé sans atteindre toutefois son point d'ébullition, les deux autres étaient simplement fondus, puis dans le creuset où se trouvait le métal chauffé, on projetait un morceau de pierre philosophale enveloppé dans de la
cire. On laissait refroidir et l'on trouvait un lingot d'or égal en poids au métal employé selon les uns, moindre selon les autres, ce qui dépendait de la qualité de l'
élixir ou pierre philosophale employé. L'enveloppe de
cire était, paraît-il, indispensable, car c'est pour avoir négligé cette précaution qu'Helvétius manqua sa première projection, ainsi qu'il le raconte dans son
Veau d'Or. Il ne réussit la seconde qu'en enveloppant son fragment de pierre dans une boulette de
cire.
Nous allons maintenant examiner les
symboles des principales
opérations. La première, ou
conjonction, était symbolisée
par le
mariage du Soufre et du
Mercure, du roi et de la reine. Le pantacle de la sixième
clef de
Basile Valentin qui représente le Roi donnant l'anneau nuptial à la Reine pendant qu'un
évêque les bénit, symbolise la
conjonction. N'oublions pas que la
conjonction était aussi nommée
mariage philosophique. Dans les figures qui accompagnent le grand
Rosaire (imprimé dans l'
Artis Auriferæ), la
conjonction est figurée plus crûment par l'union charnelle du roi et de la reine.
La putréfaction était symbolisée par tout ce qui pouvait rappeler l'idée de mort ou de noirceur, cadavre,
squelette,
corbeau, etc. C'est ainsi que dans le
Viatorium spagyricum,
la putréfaction est symbolisée par un
squelette debout sur une
sphère noire ; il tient dans sa main droite un
corbeau. Le pantacle de la quatrième
clef de
Basile Valentin a le même sens, il représente un
squelette debout sur un
catafalque.
La
déalbation, opération qui suivait la putréfaction, était assimilée à la
résurrection suivant la mort, comme le blanc (
symbole de la vie) vient dans l'uvre après le noir (
symbole de la mort).
Le huitième pantacle de
Basile Valentin est relatif à cette opération. On peut le commenter ainsi dans son double sens,
mystique et alchimique : Toute vie procède de corruption et de putréfaction. Le grain mis en terre s'y corrompt (selon les idées en vogue au
moyen-âge), puis il renaît sous forme de blé. Notre
corps mis en terre s'y décompose, mais au
jour du
jugement il ressuscitera. La matière mise dans l'uf meurt,
elle se putrifie, elle est ressuscitée. Deux hommes visent la cible, l'un touche le but, il a saisi le sens du symnole, l'autre ne l'ateint jamais ; ce sont le fou et le sage du Tarot.
La
déalbation était encore nommée
ablution
parce qu'il se faisait alors une distillation intérieure dans l'oeuf, à
la suite de laquelle la matière, lavée pour ainsi dire par cette
circulation continue de liquide, blanchissait. On la trouve figurée dans ce sens, dans le
Viatorium spagyricum : des
squelettes sortent de leurs tombeaux, ils ressuscitent, une foule d'
oiseaux voltigent au-dessus, les uns s'élèvent, les autres descendent, ce qui indique la distillation.
La distillation était parfois décomposée en deux temps ou opérations :
1° ascension des vapeurs ou sublimation,
symbolisée par un
oiseau qui s'élève la tête dirigée
vers le haut de la figure ;
2° condensation des vapeurs en liquide ; précipitation ou
descension, symbolisée par un
oiseau qui descend, la tête dirigée vers le bas de la figure. Dans le grand
Rosaire, un
enfant qui s'élance dans les airs sortant du
sépulcre où est enfermé l'
hermaphrodite chimique, figure la sublimation.
La
fixation, opération finale pendant laquelle apparaît
la
couleur rouge, est figurée dans le
Viatorium par un
enfant nouveau-né et dans Barchusen (
Liber singularis de Alchimia), par un jeune roi couronné enfermé dans l'oeuf philosophique. Dans les figures de Lambsprinck, le père, le fils et l'
Esprit régnant dans leur gloire ont la même signification.