CHAPITRE VI
LES VOLKES TECTOSAGES ET LE LANGUEDOC
VI - Les Aticini - L'Aude - Les radeaux sur l'Aude - Carcassonne
Le bassin de l'Aude n'appartenait point aux Sordes, mais à d'autres producteurs de fer, habitant le pays d'
Atax, aux
Atacini ; ceux-ci, à la fabrication des
épées, joignaient celle des
haches,
to add,
ajouter,
axe,
hache . Le village le plus rapproché des Sordes, et faisant partie de la contrée occupée par les Aticini, se nomme
Axat, et cette appellation, qui est une simple inversion d'
Atax, marque le point exact de
division entre les deux tribus des Sordes et des
Atacini.
Axat est traversé par la rivière d'Aude, et possédait une fabrique d'
acier fort estimé, dont les
feux sont malheureusement éteints aujourd'hui. Les
Atacini habitaient la pente du nord et aussi la pente occidentale et de ces
montagnes dans lesquelles l'Aude et l'
Ariège prennent leur source. Les forges catalanes étaient encore plus nombreuses dans cette région que dans les Pyrénées-Orientales ; il est juste de dire que le pays de production était plus étendu ; car il comprenait une partie du bassin de l'Aude et une partie du bassin de l'
Ariège. [220]
Les
Atacini ne doivent donc point leur nom à la rivière d'Aude, et si les géographes latins l'appellent
Atax, c'est uniquement parce que ses
eaux traversent le pays des
Atacini. Dans les manuscrits du
moyen-âge, l'Aude porte le nom de
flumen Ald. C'est bien là sa véritable dénomination ; Alda est le même terme que Alder, et dans le
celtique,
Alder désigne l'aune. Cette
essence d'
arbres croit naturellement sur les deux rives de l'Aude, sur un parcours de plus de quatre-vingts kilomètres, et quoique les propriétaires riverains aient abattu la majeure partie des aunes, il en reste encore assez pour prouver avec quelle vérité nos ancêtres avaient nommé cette rivière Alder.
Le volume des
eaux de l'Alder était considérable, et les
Atacini en ont usé pour l'industrie de la radellerie, industrie qui tend tous les
jours à disparaître, non seulement par la construction d'un chemin de fer sur les bords de l'Aude, mais surtout par la diminution des
eaux et les atterrissements formés dans le
lit de la rivière.
L'industrie du flottage des
bois de construction par les
eaux de l'Alder, est la cause des noms que portent
Roquefort-de-Sault et
Espéraza.
Le village de
Roquefort, ou Roucafort, comme prononcent ses habitants, est situé sur un plateau [221] d'une
altitude de mille mètres, et entouré de magnifiques
forêts de sapins. Il est divisé en deux parties, dont l'une s'appelle
Roquefort, et l'autre plus considérable, porte le nom de Buillac.
Riche en troupeaux de moutons, pâturant sans cesse dans les prairies du col de Garabell,
gare, laine grossière,
bell, clochette ,
Buillac élève encore en grand nombre des taureaux et des
chevaux,
bull (
boul), taureau,
hack,
cheval .
Les habitants de
Roquefort, moins favorisés du côté du sol, travaillent dans les
forêts, et coupent les
arbres destinés à être transportés vers
Carcassonne par le flottage sur les
eaux de l'Alder.
Roquefort, ou Roucafort, indique clairement la profession traditionnelle de ces
montagnards : en effet, Roucafort équivaut au
celtique roughcast forth, tailler grossièrement à l'extérieur.
Les
arbres, dépouillés de leur écorce et de leurs branches, étaient traînés jusqu'à l'Aude, dont les
eaux
les amenait à quillan et à
Espéraza. A
Quillan, en latin Kilianus
Killow-hone, terre noire et pierre noire, on pouvait commencer à faire flotter sur l'Alder les trains de
bois réunis en radeaux portent le nom de
carras
car, chariot,
raft, un train de
bois sur l'
eau, un chariot flottant . La construction de ces radeaux avait lieu surtout [222] à
Espéraza, et il y a à peine trente ans, la plus grande partie de la population de ce gros village appartenait à la
corporation des radeliers. Il est vraiment prodigieux que les industries et les professions des
Celtes se soient ainsi conservées intactes jusqu'à nos
jours.
Espéraza, que les habitants nomment avec raison Sparassa, est appelé Sperazanus, dans une
bulle du pape Callixte II, en date de l'année 1119, citée par
Dom Vaisette. La contexture de
Sparassa renferme les mots suivants :
spar, poutre,
axe,
hache,
hand, main ; la main des radeliers terminait, à l'aide de la
hache, la construction des trains de
bois, qui sous forme de radeaux, flottaient sur les
eaux de l'Alder. Avec quelle sûreté les indigènes de ce village n'ont-ils pas conservé l'ancienne expression
celtique, à peine
adoucie lorsqu'ils prononcent Sparassa !
Debout sur son carras, retenant de la main une longue rame placée sur l'avant, le radelier de Sparassa se laissait emporter par les
eaux de l'Alder, en dirigeant avec habileté sa voiture flottante.
Son adresse était bientôt mise à l'épreuve, en arrivant, à
Couiza, dans le coude
formé par la rivière, coude qui a fait donner son nom au village bâti sur ces bords.
Couiza, Kousanus, dérive de
Kove, petite baie, crique, [223]
et de
sand, sable ;
kovesand dont on a fait Kousanus et plus tard
Couiza.
Ce coude offre, en effet, une véritable ressemblance avec une petite baie ; il se trouve en amont du pont de
Couiza conduisant à la gare du chemin de fer. Les sables amoncelés par la Sals, à son confluent avec l'Aude, ont dû être la cause de cette
disposition particulière du cours de la rivière.
La longue rame du radelier, engagé avec son carras dans ce coude incommode, avait bientôt raison de la difficulté, et le train flottant poursuivait lentement son voyage jusqu'au point où il devait prendre terre.
Carcassonne était le lieu où le carras abandonnait ordinairement les
eaux de l'Alder, parce que le
lit devenant plus étendu, les radeaux éprouvaient une difficulté plus grande à flotter. Cette ville pouvait donc être un entrepôt de
bois de construction ; néanmoins, comme elle était aussi le marché destiné à la vente des
épées, des
haches, fabriquées par les
Atacini, ce dernier motif a surtout pesé dans la balance du Neimheid
gaulois, et lui a valu le nom de
Carcassonne,
cark, soin, souci,
axe,
hache,
to own (
ôn),
posséder .