Saint Odon ou Odes, deuxième abbé de
Cluny, qu'il ne faut pas confondre avec
saint Odon le Bon, son homonyme et son contemporain, était né en Touraine en 879 ; il était fils d'Abbon, favori de Guillaume Fier-à-bras,
duc d'
Aquitaine et comte de
Poitou ; son père résidait le plus ordinairement à
Tours ; c'est là qu'il fit toutes ses études, aux écoles de St-Martin. A peine âgé de 19 ans, il obtint par la protection de Foulques le Bon, comte d'
Anjou, un des canonicats de ce célèbre chapitre, qui n'admettait parmi ses membres que des individus nés en Touraine. Un passage curieux de sa vie, écrite par D. Martène, nous apprend que les
prêtres ayant une fois reçu l'étole à leur ordination, la portaient
jour et nuit : « Le saint s'étant éveillé la nuit qui suivit son ordination, et
voyant pour la première fois l'étole suspendue à son cou, se prit à pleurer. » Si nous en croyons Sigebert, de Gemblours, il était excellent musicien et avait
composé plusieurs hymnes ; ce qui est certain, c'est qu'indépendamment de ses talents comme poète, Odon réunissait encore ceux d'orateur, d'
historien et de
théologien très distingué. Ses éminentes vertus l'élevèrent promptement dans son
église aux dignités d'écolâtre, de prévôt et de grand chantre. Mais ces honneurs étaient loin de le séduire, et sa grande piété
le détermina, dès l'âge de 30 ans, à résigner
ses bénéfices pour entrer dans l'ordre de
saint Benoît, au
monastère de
Baume, en Franche-Comté. Déjà sa réputation de sainteté était si généralement répandue, que
Bernon, premier abbé de
Cluny, jugea que personne ne serait plus propre que lui à rétablir la discipline primitive dans l'ordre, où le relâchement s'était introduit, et le désigna pour son successeur ; les
religieux l'élurent d'une voix unanime, à la mort de
Bernon, et il fut sacré en 926 par Bernoin,
évêque de
Besançon. La règle de saint benoît, sous sa direction, ne tarda pas à recouvrer son antique pureté à
Cluny, et de cette
abbaye célèbre sortirent des papes, des
cardinaux et un grand nombre d'écrivains renommés. Les donations pieuses y affluèrent au point que dans les derniers temps on comptait encore 188 chartes dans ses archives. Le zèle d'Odon ne se borna point à sa seule
abbaye ; dans plusieurs autres, tant en France qu'en Italie, la réforme s'opéra par ses soins. On y avait pour lui la plus profonde vénération, et il y était consulté comme un maître ; la plupart même se plaisaient à le qualifier leur
abbé ; aussi, quoiqu'il ne l'ait été réellement que
de
Cluny, on le trouve souvent nommé abbé de
Fleury, de St-Pierre-le-Vif,
de Dôle, etc. Il fut appelé à Rome par les papes
Léon
VII et Etienne VIII, auprès desquels sa haute réputation était
parvenue, tant pour opérer la réforme dans les
monastères
italiens de l'ordre de
saint Benoît, que pour établir la bonne
harmonie
entre
Albéric, patrice de Rome, et Hugues, roi d'Italie, dont les dissensions
et les guerres désolaient également toute l'Italie. Il y réussit
en 936 et termina leurs querelles par le
mariage d'
Albéric avec la fille
de Hugues. Mais la guerre ne tarda pas à se rallumer entre eux, et le succès d'Odon ne fut complet qu'après deux voyages qu'il lui fallut faire encore à Rome, en 938 et 942. En quittant cette capitale du monde chrétien,
Odon, cédant aux instances de son ami Théotolon,
archevêque
de
Tours, vint revoir ce berceau de son enfance, où le
vénérable
prélat l'attendait pour reconstituer l'
abbaye de St-Julien qu'il avait
fait rebâtir. Il fut reçu le
jour de la fête de saint Martin
par toute la population, heureuse de compter encore au nombre de ses concitoyens
un personnage aussi
illustre. Mais cette joie se changea bientôt en tristesse,
car la mort vint le
frapper le
jour même de l'
octave de cette fête,
18 novembre 942, auquel sa mémoire est honorée. Il fut inhumé
dans un caveau, sous le grand
autel de l'
église de St-Julien, et, longtemps
après, ses
reliques étaient vénérées par les
fidèles qui affluaient de très loin à son tombeau. Elles
en furent extraites plus tard et placées dans une châsse d'
argent
qui aura probablement disparu dans le
XVIème siècle, durant les
guerres de
religion, car un procès-verbal dressé par
Bernard,
archevêque
de
Tours, en présence de la reine
Marie, femme de Charles VII, et d'autres
grands personnages, en constatait encore l'existence en 1457.
Les soins donnés par Odon à la réforme
et à l'extension de l'ordre de
saint Benoît ne l'empêchèrent
pas de se livrer à l'étude et de continuer la culture des lettres.
Pendant qu'il était écolâtre à St-Martin, il avait
exercé un enseignement public des saintes Ecritures, écrit un abrégé
des
Morales de saint Grégoire le
Grand, et
composé plusieurs hymnes en l'honneur de saint Martin. Sa réputation
s'accrut et s'appuya sur de nouveaux écrits, après qu'il eut été
élu abbé de
Cluny. Tous ses ouvrages ont été recueillis
dans la Bibliothèque de
Cluny, par
dom Marrier et André Duchesne,
ainsi que dans le tome dix-septième de la
Bibliothèque
des Pères, édition de
Lyon. On y trouve :
1°
L'abrégé des
Morales du
pape saint Grégoire sur le livre de
Job ;
2° trois livres de
remarques sur le
prophète Jérémie ;
3° un poème
sur l'
Eucharistie, dédié
à Odon, abbé de
Cambray ;
4° un livre du
Mépris
du monde. L'abbé Compaing,
chanoine de
Toulouse, en a donné
une traduction française,
Aurillac, 1715, in-8° ;
5° la
Vie de saint Géraud ou Gérard,
comte d'
Aurillac ;
6° un petit traité de la
Parité
de saint Martin avec les apôtres ;
7° un traité
de la
Translation de saint Benoît
;
8° un livre d'
Homélies et Sermons à ses confrères ; le quatrième de ces sermons roule sur l'
incendie de l'
église de St-Martin ;
9° un livre de
Louanges de St-Martin ;
10° des
Hymnes et des
Cantiques en l'honneur des saints ;
11° plusieurs
Sermons sur les fêtes de St-Pierre, de la
Madeleine et de St-Benoît ;
12° le traité de la
Translation du corps de saint Martin, qui lui est généralement attribué, mais que l'abbé des Thuileries prétend, d'après des raisons assez solides, n'être pas de lui. Ce traité est inséré dans le chapitre 3 des
Gestes des comtes d'Anjou ainsi que dans les différentes vies de saint Martin, recueillies par Chlictove,
Paris, Petit, 1511 ; mais cette édition est très incorrecte. Le moine anonyme de
Marmoutier, dans la préface de ces Gestes, dit que l'abbé Odon avait fait une chronique qui fut augmentée par Thomas Paccius de
Loches ; c'est probablement celle qui est conservée en manuscrit au
collège St-Benoît de Cambridge et qui est intitulée
Chronicon ab exordio mundi usque ad annum Christi 937. La vie d'Odon a été écrite par le moine Jean, son
disciple, qui voyageait habituellement avec lui ; elle se trouve également dans la Bibliothèque de
Cluny, dans Surius, au 18 novembre, et dans le tome 7 des saints de l'ordre de St-Benoît, par D.
Mabillon. Il y est dit qu'Odon avait fait des remarques sur la
Vie de saint Martin par Sulpice Sévère ; mais cette ouvrage n'est pas venu jusqu'à nous. La vie d'Odon a encore été écrite en français par
Giry, par Baillet et par D. Antoine Rivet, tome 7 de son
Histoire littéraire de la France.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 30 - Pages 170-171)