Biographie universelle ancienne et moderne Stilicon, général sous Théodose, ministre, ou plutôt souverain de l'
empire d'Occident, sous le faible
Honorius, célèbre par ses exploits, son ambition et sa fin tragique, tirait son origine de la nation des
Vandales.
Son père avait commandé sous Valens les troupes auxiliaires de la Germanie. Claudien, dans un
panégyrique composé pendant la vie et la puissance de
Stilicon, nous a tracé de ce ministre le portrait le plus brillant. Il admire dans son héros un
esprit plein d'ardeur et
d'élévation, la hardiesse à former de grands projets et la
persévérance nécessaire pour les exécuter, le don de l'éloquence, enfin tous les avantages extérieurs. Quoi gu'il en soit de la vérité de ces louanges,
Stilicon fit des progrès rapides dans la faveur de Théodose. Jeune encore, en 384, il fut député
vers le roi de Perse Sapor III, fils et successeur d'Artaxerce. Sa dextérité dans les négociations, et surtout la souplesse de son caractère lui assurèrent un plein succès. Les rois de Perse étaient passionnés pour la chasse.
Stilicon s'efforca de se signaler dans cet exercice, et fit admirer son adresse à tirer de l'arc et il lancer des javelots. Il n'en fallut pas davantage ; ses propositions furent accueillies, et le diplomate ne réussit que grâce à l'habileté du chasseur.
Stilicon épousa Sérène, nièce de Théodose, et regardée comme la fille adoptive de ce prince, si l'on en
juge par une flatterie du sénat, qui, faisant élever une statue à
Stilicon, lui donna dans l'inscription le titre de gendre de l'empereur. Il dut à cette alliance les charges de grand écuyer, de général de l'infanterie et de la
cavalerie et de comte des domestiques. Le rang de sa femme lui procura des avantages plus importants encore. Elle le servait avec adresse dans les intrigues de cour : tandis qu'il était dans les camps, elle éclairait les démarches de Rufin et dissipait tous les nuages que l'
envie cherchait à jeter sur la conduite de son mari. Ce fut à elle que Théodose, après la mort de Flaccille son
épouse, confia l'éducation de son fils
Honorius, alors âgé d'un an ; et lorsque, en 394, le monarque vieillissant crut, après s'être associé déjà le faible
Arcadius, affermir son pouvoir en proclamant dans
Honorius un auguste de dix ans, il mit le nouvel empereur sous la tutelle de
Stilicon et de Sérène, avec des expressions qui attestaient son aveugle confiance dans la
fidélité comme dans les talents de l'heureux
vandale.
Stilicon partit pour Rome, chargé d'annoncer au sénat
la promotion de son pupille à l'empire. Il paraît qu'il eut en même
temps commission de réprimer l'
idolâtrie qui avait commencé à relever la tête sous l'usurpateur Eugène ; mais
Stilicon ne semble pas avoir été animé d'une piété bien fervente pour la
religion chrétienne. On peut même croire, en
voyant avec quelle partialité les auteurs païens se sont déclarés pour lui, qu'il flotta toute sa vie entre les deux cultes, au point même de faire élever son fils Eucherius dans des sentiments favorables au
paganisme. Néanmoins, pendant la vie de Théodose,
Stilicon déploya un grand zèle contre l'
idolâtrie, ou plutôt il fit de cette affectation de zèle un masque pour son avidité. Il enleva des lames d'or d'un grand poids dont les portes du temple de Jupiter
Capitolin étaient enrichies ; et, s'il faut en croire une tradition assez douteuse, on trouva sous ces lames d'or l'inscription suivante : « On les garde pour un misérable tyran. » Sérène ne se montra pas moins zélée que son mari. Etant entrée dans le temple de Rhée, qu'on adorait sous le nom de mère des
dieux, elle fit ôter à la statue un riche collier qu'elle mit à son cou, et chasser
ignominieusement du temple une ancienne
vestale qui lui reprochait ce honteux larcin.
Cependant Théodose penchait vers son déclin
; et
Stilicon voyait approcher le moment où l'empire du monde allait être
partagé entre Rufin et lui. Rutin était le seul homme qui contrebalançât
son crédit auprès de l'empereur. Outre cette rivalité de
puissance, qui devait naturellement les rendre
ennemis,
Stilicon avait encore
un motif de haine personnelle contre l'indigne préfet de Constantinople.
Promote, son ami, lui avait été enlevé par la trahison de
Rufin, qui l'avait fait massacrer dans une embuscade par un parti de Bastarnes.
Stilicon ne pouvant alors se venger sur le véritable auteur de ce meurtre,
avait résolu du moins d'en punir les exécuteurs, et tenait un
corps
de Bastarnes enfermé dans un défilé, dont il ne pouvait s'échapper.
Il allait les faire passer au fil de l'
épée, lorsqu'un ordre, dicté
par Rufin à l'empereur, vint lui arracher sa vengeance, en permettant aux
barbares de sortir des frontières de l'empire. La perte d'un ami et d'une
victoire était une double injure qu'une ame comme celle de
Stilicon ne
pouvait pardonner.
En 395, Théodose fut attaqué d'une maladie
sans remède ; et, sentant sa fin prochaine. il recommanda ses deux fils
à
Stilicon, ce qui fournit plus tard un prétexte à ce général
pour soutenir que Théodose avait également soumis les deux princes
à sa surveillance, et qu'il avait le droit d'exercer la même autorité
dans les deux empires. Si l'on ajoute foi au récit de Claudien, Théodose,
avant sa mort, avait arrêté le
mariage d'
Honorius avec
Marie, fille
de
Stilicon et de Sérène. Théodose étant mort à
Milan, le premier soin du ministre fut de partager également les trésors
de ce prince entre ses deux fils. Il eut bientôt après à calmer
une
émeute prête à s'élever entre les soldats de Théodose
et ceux qui avaient autrefois servi Eugène ; et, pour rétablir la
concorde, il se hâta de faire publier dans tout l'
empire d'Occident, soumis
à
Honorius, une amnistie promise par Théodose aux partisans de l'usurpateur,
mais qu'avaient retardée jusqu'alors des intrigues de cour. Après
avoir pris de sages mesures pour que la tranquillité de l'Occident ne fût
point troublée,
Stilicon se proposa d'aller à Constantinople faire
reconnaître son prétendu droit à la tutelle d'
Arcadius, et
dépouiller Rufin de sa puissance. Mais il crut devoir d'abord s'assurer des barbares de la Germanie ; et. traversant la
Rhétie, il parcourut les bords du Rhin jusqu'à son embouchure avec une incroyable activité. Les rois des
Suèves et des Allemands lui demandèrent la paix et lui donnèrent leurs
enfants en otage. Les peuples germains, depuis le Rhin jusqu'à l'Elbe, vinrent traiter avec lui : il compléta les garnisons qui bordaient la frontière de la Gaule, arrêta les
pirateries des
Saxons, força
Marcomir et Sunnon, rois des
Francs, à venir se soumettre aux conditions qu'il leur imposa ; et, sur quelques sujets de plainte qu'ils lui donnèrent, emmena l'un prisonnier et fit périr l'autre, qui s'était sauvé dans son pays. Telle fut enfin la terreur de son nom, que les Pictes. qui désolaient la Grande-Bretagne, prirent l'épouvante et, comme s'il eût été sur le point de passer la mer, coururent se réfugier dans leurs marais. Rufin trembla de tous ces succès, bien plus menaçants pour lui que pour les Pictes. Craignant de voir bientôt aux portes de Constantinople un rival aussi redoutable, il résolut de le retenir à tout prix en Occident, et ne trouva rien de plus sûr que d'introduire lui-même les barbares dans l'empire. Ayant dépêché secrètement vers Alaric, il obtint à prix d'or que le roi des
Goths vint
fondre sur la Grèce et mettre, par la dévastation d'une province, une barrière entre deux ministres jaloux. Docile
agent de Rufin, Alaric se précipita d'abord sur la Mésie, la Thrace et la
Pannonie, à la tête de ses troupes, grossies d'une foule d'Alains, de
Huns et de Sarmates. Tout fut en proie aux plus affreux ravages, depuis la mer
Adriatique jusqu'au Bosphore. A cette nouvelle,
Stilicon revint à Milan ; et, marchant à la tête d'une nombreuse armée, composée des troupes de l'Occident et de celles de l'Orient qui avaient servi sous les ordres de Théodose, il traversa la Dalmatie et rencontra le roi des
Goths dans les plaines de Thessalie. Il se disposait à l'attaquer, et l'armée romaine s'avançait en poussant de grands cris, lorsque des messagers accoururent, porteurs d'un ordre d'
Arcadius qui enjoignait aux troupes d'Orient de se détacher du reste de l'armée et de revenir sur-le-champ à Constantinople. Cet ordre était le crime de Rufin. Les soldats, indignés, refusèrent de s'y soumettre et offrirent à
Stilicon de le suivre et d'attaquer l'ennemí ; mais le ministre d'
Honorius, n'osant pas se déclarer ouvertement contre le
collègue et le
frère de son souverain, fit sonner la retraite et reprit la route d'Italie, après avoir concerté avec Gaïnas le complot dont Rufin fut la victime.
Alaric, resté maître de la Grèce, entra
dans Athènes et ruina tout le
Péloponnèse. La Grèce faisait partie de l'empire d'Orient ; mais Eutrope, qui avait remplacé Rutin, songeait moins à sauver les provinces de l'empire qu'à se rendre maître de l'empereur.
Stilicon se mit une seconde fois en campagne contre les
Goths (an 396). Par des marches savantes, il les enferma dans les
forêts de l'
Arcadie et, détournant le cours d'une rivière qui leur fournissait de l'
eau, les tint assiégés sans espoir de ressource. Ils périssaient de soif et de maladies et allaient être forcés de se rendre sans combat ; mais
Stilicon ne pensa plus qu'aux plaisirs et se livra tout entier à une honteuse débauche avec une troupe de femmes et d'histrions dont il s'était fait accompagner. La discipline se relâcha dans son armée. Ses soldats abandonnaient leur poste pour aller piller les campagnes voisines. Alaric profita de ce désordre pour s'échapper pendant la nuit et se retira en
Epire, où il continua ses ravages. La négligence de
Stilicon le fit soupçonner d'être d'intelligence avec le roi des
Goths. Du moins ne se mit-il pas en peine de le poursuivre. Il se rembarqua bientôt après, abandonnant au pillage la malheureuse Grèce, non moins dévastée par ses défenseurs que par l'
ennemi. Eutrope, qui, en succédant à Rufin dans son pouvoir, lui avait succédé aussi dans sa haine pour le ministre d'Occident, eut l'art de transformer en attentat contre les droits d'
Arcadius l'expédition de
Stilicon dans le
Péloponnèse, et fit déclarer ce général
ennemi de l'empire.
L'année suivante, il excita Gildon, qui commandait les troupes en Afrique, à se révolter contre
Honorius et à soumettre sa province à l'empire d'Orient.
Stilicon sentit toute l'importance d'une guerre où
les deux frères allaient combattre, et les deux empires se heurter l'un contre l'autre. N'osant prendre sur lui seul le fardeau d'une telle responsabilité, il engagea
Honorius à renouveler, en cette occasion. un usage depuis longtemps oublié, celui de n'entreprendre aucune guerre sans un décret du sénat. Le décret fut rendu et Gildon déclaré
ennemi de l'Etat. Eutrope tenta en vain de faire périr
Stilicon par le fer ou le poison. Le ministre d'
Honorius, poursuivant ses desseins, équipa une flotte qu'il envoya en Afrique, sous la conduite de Mascezil, propre
frère de Gildon. et qui avait à venger sur le rebelle le massacre de ses deux fils. Mascezil remporta une victoire complète : et
Stilicon lui prodigua d'abord les honneurs, les louanges et l'accueil le plus empressé ; mais un
jour qu'il le conduisait hors de Milan, à une de ses maisons de campagne, sous prétexte de lui donner une fête, comme ils passaient ensemble sur un pont, les gardes de
Stilicon, à un signal de leur maître, se saisirent de Mascezil et le jetèrent dans le
fleuve. Il fut englouti en un moment, tandis que
Stilicon riait de ce spectacle comme d'une piquante plaisanterie.
Cependant Alaric, ayant achevé le pillage de la Grèce,
se jeta sur l'Italie, en 401, pendant que les
légions romaines étaient
occupées, en
Rhétie, à repousser une irruption des Germains.
Bientôt la
Vénétie et la
Ligurie furent mises à
feu
et à sang. La cour d'
Honorius, qui était à Milan, effrayée
de l'approche des
Goths, se préparait à chercher un asile dans les
Gaules.
Stilicon rassura les
esprits, en
protestant que ni sa femme, ni son fils,
ni l'empereur même ne quitteraient l'Italie, et il promit de ramener au
plus tôt les
légions qui combattaient en
Rhétie. Il passa
sur une barque le lac de Côme, et traversa à
cheval, au milieu de
l'
hiver, les Alpes couvertes de glace, ne prenant de repos que dans les cavernes
ou dans les cabanes de quelques bergers. Sa présence en
Rhétie effraya
les barbares, qui traitèrent avec lui. Rassemblant toutes les troupes,
il ordonna au reste de l'armée de le suivre à grandes journées,
et reprit lui-même le chemin de Milan, avec la
cavalerie légère.
Alaric avait déjà passé l'Adda et s'était emparé
du pont.
Stilicon traversa le
fleuve pendant la nuit, tantôt à la
faveur d'un gué, tantôt à la nage ; et renversant un détachement
qu'Alaric lui avait opposé sur l'autre rive, il gagna Milan à toute
bride. Le roi des
Goths, averti de l'approche d'une armée formidable, députa
vers
Honorius pour lui demander ou de le laisser s'établir paisiblement
en Italie, ou d'accepter sur-le-champ la bataille, afin de décider laquelle
des deux nations cèderait à l'autre cette belle contrée.
Stilicon répondit par une trahison. Il engagea l'empereur à céder
au roi des
Goths un établissement au delà des Alpes. Alaric l'ayant
accepté, passa le Pô et se mit en marche vers les Alpes, qui séparent
la Gaule d'avec l'Italie.
Stilicon, dont l'armée venait enfin d'arriver,
le suivit, cherchant l'occasion de le surprendre. Il crut l'avoir trouvée
près de Pollence, où le roi des
Goths s'était arrêté
pour faire reposer sa
cavalerie. C'était à la fête de Pâques,
le 06 avril de l'année 402 ; les
Goths, se reposant sur la foi romaine,
ne s'occupaient qu'à célébrer la solennité d'un si
grand
jour, lorsque
Stilicon fit donner le signal de l'attaque ; mais il s'abstint
de prendre lui-même part à laction et chargea du commandement un
capitaine barbare et païen, nommé
Saül. Alaric, après
avoir d'abord essayé, par
scrupule religieux, d'éviter le combat,
se mit enfin en défense et parvint à rendre la victoire douteuse.
Cette sanglante bataille avait affaibli les deux armées.
Stilicon, par
un nouveau traité, convint de laisser sortir les
Goths d'Italie ; mais
il les attaqua encore, sur un frivole prétexte, et chassa devant lui, jusqu'en
Illyrie, Alaric fugitif et abandonné par ses soldats, qui passaient en
foule dans le camp des Romains.
Stilicon n'avait triomphé que par une perfidie ; une
perfidie plus criminelle encore le réunit, trois ans après, avec
l'
ennemi de l'empire. La même ambition qui avait associé Rufin au
roi des
Goths, et l'avait entraîné à sa perte, conduisit
Stilicon
au même terme, par les mêmes chemins. En 398, lorsque
Honorius atteignait
à peine sa quatorzième année,
Stilicon s'était hâté
de célébrer l'
hymen de l'empereur avec sa fille
Marie, qui n'était
pas encore nubile. Pour prévenir les désirs prématurés
du jeune prince, Sérène employa des compositions qui ne furent que
trop efficaces ; et
Honorius resta toute sa vie hors d'état de donner des
héritiers à l'empire.
Marie mourut en 404.
Stilicon n'avait plus
qu'à écarter du trône d'Occident le fils d'
Arcadius, pour
y faire un
jour monter Eucherius, son fils, cousin des deux empereurs et fiancé
avec Placide, fille de Théodose et de Galla. Pour réussir dans ses
vues ambitieuses, croyant avoir besoin d'Alaric, il le pressa, en 405, de se
joindre
à lui pour attaquer l'
Illyrie orientale, sous prétexte que cette
province devait appartenir tout entière à
Honorius.
Son véritable
but était d'affaiblir l'empire d'Orient, et de jeter ensuite assez de trouble
et de confusion dans celui d'Occident pour s'en emparer au nom de son fils, sans
attendre la mort d'
Honorius, qui n'avait alors que vingt ans. Pendant qu'il formait
ce plan, un chef de Germains, Radagaise, passa les Alpes, à la tête
de 200.000 hommes, pour envahir l'Italie.
Stilicon réunit à la hâte
30
légions ; et, secondé par Uldès, roi des
Huns, et par
Sarus, capitaine
goth, il enferma Radagaise entre les
montagnes de
Fésule
et fit périr son armée de faim, de soif et de maladies.
Après cette victoire, il ne s'occupa plus que de l'exécution
de son projet. D'autres barbares, les Alains, les
Suèves et les
Vandales
avaient passé le Rhin, le dernier
jour de l'année 406, et s'étaient
répandus dans la Gaule. Pour comble de maux, Constantin avait usurpé
la pourpre dans cette province.
Stilicon n'en restait pas moins tranquille à
Ravenne, où il disposait les préparatifs de son attaque contre l'
Illyrie.
Il voyait avec une froide insensibilité le déchirement de l'empire
; et il fallut un ordre absolu d'
Honorius pour le rappeler à Rome, où
il prit quelques faibles mesures contre les
ennemis qui se présentaient
de toutes parts. Du reste, son séjour n'y fut marqué que par des
intrigues de cour et par la
division qui éclata entre sa femme et lui.
Sérène aimait sincèrement
Honorius, qu'elle avait élevé
: et, persévérant dans le dessein de l'avoir pour gendre, elle travaillait
à lui faire
épouser son autre fille, Æmilia-Materna-Thermantia.
Stilicon refusait de consentir à cet
hymen incestueux, ne voulant pas courir
une seconde fois le risque de laisser naître un héritier de l'empereur.
La téméraire précaution de Sérène n'avait que
trop bien prévenu ce danger. Le
mariage fut célébré
malgré lui, et ne resta pas moins infructueux que le premier.
Cependant Alaric, qui, sur l'invitation du ministre, s'était
avancé, depuis trois ans, jusqu'en
Epire, se lassant enfin de l'attendre,
vint au-devant de lui jusqu'à la frontière de l'Italie, et envoya
demander une somme d'
argent considérable comme dédommagement du
temps qu'il avait perdu. Tous ceux des sénateurs qui conservaient encore
quelque chose de romain étaient d'avis de combattre Alaric ; mais
Stilicon,
qui voulait ménager le roi des
Goths, fit décider qu'on lui donnerait
quatre mille livres pesant d'or. Un sénateur, Lampadius, fut si indigné
de ce lâche trafic, qu'il ne put s'empêcher de s'écrier comme
autrefois Démosthène : « Ce n'est pas un traité de
paix, c'est un contrat de servitude. » Telle était néanmoins
la terreur qu'inspirait le ressentiment du ministre, que Lampadius, effrayé
de sa propre hardiesse, courut, au sortir du sénat, se réfugier
dans une
église voisine. Nous n'entrerons pas ici dans le détail
des manuvres secrètes et tortueuses de
Stilicon ; on le trouvera
dans
Zosime, livre 5, et dans Sozomène, livre 9, ch. 4. L'empereur n'avait
pas le moindre soupçon des complots tramés par son ministre. Un
seul homme fut assez clairvoyant pour les pénétrer et assez hardi
pour en informer le prince.
Olympe, qui devait sa fortune à
Stilicon, n'hésita
pas à dénoncer son protecteur, dans l'espoir de le remplacer. Il
l'accusa même de faire déjà
frapper des pièces de monnaie
marquées de son empreinte et de celle d'Euchérius, son fils.
Honorius
fut attéré ; mais ne trouvant pas en lui assez d'énergie
pour l'amener à une résolution prompte et violente,
Olympe forma
seul un complot qui devait contreminer celui de
Stilicon. Après s'être
concilié adroitement la faveur des troupes, il les poussa à un soulèvement,
pendant qu'
Honorius les passait en revue à
Pavie, et fit égorger,
sous les yeux et auprès même de l'empereur, tous ceux qu'ils désignaient
aux assassins comme des traîtres, c'est-à-dire tous les amis du ministre.
Stilicon était à
Bologne lorsqu'il reçut la nouvelle de ce
massacre. Les officiers des troupes barbares qu'il avait autour de lui proposaient
de courir à
Pavie pour en tirer une prompte vengeance. Mais
Stilicon, incertain
des sentiments d'
Honorius, s'arrêta au plus dangereux de tous les partis,
celui de n'en prendre aucun et de temporiser. Cette timide action révolta
Sarus, ce capitaine
goth qui lui avait été dévoué
jusqu'alors, et qui passa tout à coup à des sentiments contraires.
Sarus attaqua et tailla en pièces les
Huns qui formaient la garde de
Stilicon,
et courut à sa tente pour le tuer lui-même. Ce général
n'eut que le temps de se sauver à
Ravenne. Dès qu'
Olympe en fut
averti, il envoya un ordre de l'empereur pour enjoindre aux soldats qui étaient
à
Ravenne de se saisir de sa personne. Le malheureux
Stilicon se réfugia
pendant la nuit dans une
église. Au point du
jour, plusieurs officiers
allèrent le trouver dans cet asile et lui jurèrent qu'ils n'avaient
pas ordre d'attenter à sa vie. Sur cette garantie, il se mit entre leurs
mains ; mais dès qu'il fut sorti de l'
église, l'officier qui avait
apporté le premier ordre en montra un second qui condamnait
Stilicon à
mort, comme traître au prince et à la patrie. Les amis et les domestiques
du ministre prirent les armes et accoururent pour le sauver, s'il faut s'en rapporter
à
Zosime, partisan déclaré de
Stilicon, de même que
les auteurs païens ; mais il s'opposa lui-même à leur tentative
et présenta courageusement sa tête au coup mortel.
Il eut la tête tranchée le 23 août 408,
supplice dû aux crimes de ses dernières années, qui ont déshonoré
une vie longtemps utile et glorieuse. Euchérius fut tué par deux
eunuques, peu de temps après la mort de son père, et Sérène
étranglée par ordre du sénat.
Honorius répudia Thermantie ; et cette jeune princesse vécut encore sept ans dans l'obscurité et dans la douleur. On proscrivit les amis de
Stilicon ; ses biens furent confisqués et ses créanciers même frustrés de leurs droits. On fit périr son beau-frère Bathanaire, comte d'Afrique, dont la charge fut donnée à Héraclien, qui avait prêté son bras pour trancher la tête à l'infortuné ministre. Le nom de
Stilicon fut effacé de tous les actes et de tous les monuments publics.
Peu de sujets d'un prince absolu ont obtenu plus d'honneurs pendant leur vie. Il fut deux fois consul. On lui prodigua les titres de seigneur et de père, on lui éleva de nombreuses statues ; et lorsque Houorius entra dans Rome,
Stilicon était assis dans le même char que ce prince. Enfin le poète Claudien alla jusqu'à dire, dans un
panégyrique en vers, que si
Stilicon était heureux d'avoir l'empereur pour gendre, l'empereur était bien plus heureux encore d'avoir
Stilicon pour beau-père. Il ne fut pas seulement avide, ambitieux et perfide ; le trait suivant semblerait prouver qu'il fut aussi quelquefois très superstitieux.
Honorius donnait au peuple de Milan le spectacle d'un combat de léopards qu'on lui avait envoyés de Libye ; la coutume était alors de faire combattre les hommes contre les bêtes féroces. Par ordre de
Stilicon, des soldats allèrent, pendant les
jeux, enlever de l'
église un criminel, nommé Crescore, qui s'y était réfugié. Le ministre tout-puissant était loin alors de prévoir qu'il aurait un
jour besoin pour lui-même qu'on respectât cet asile sacré.
Saint Ambroise, qu'on retrouve à cette époque dans toutes les circonstances où la vertu et le courage peuvent se signaler, s'opposa en vain à cette violence. Les soldats arrachèrent Crescore de l'
autel qu'il tenait embrassé, et retournèrent à l'amphithéâtre comme en triomphe. Tandis qu'ils rendaient compte à
Stilicon de la manière dont ils avaient exécuté ses ordres, les léopards s'élancèrent sur eux et les mirent en pièces ;
Stilicon, frappé de terreur, épargna la vie de Crescore et alla faire satisfaction à l'
évêque de Milan ; et depuis il se montra sincèrement attaché à
saint Ambroise. Lorsque ce grand homme fut attaqué de la maladie qui priva l'
Eglise de son plus digne ornement,
Stilicon s'écria que cette perte entraînerait celle de l'Italie ; et il manda les principaux habitants de Milan, qui étaient amis d'Ambroise, et les envoya auprès du saint
évêque pour le solliciter d'obtenir de
Dieu, par ses prières, que sa propre vie fût prolongée.
Stilicon fit, en 399, réduire en cendres ces fameux livres des
Sibylles, qui auraient peut-être jeté quelque
jour sur le caractère du
paganisme dans les premiers temps de Rome et sur la superstition des anciens. Nous avons déjà cité le
panégyrique composé par Claudien, et qui a pour titre :
De laudibus Stiliconis, ouvrage bien inférieur aux invectives du même poète contre Rufin. La mort de
Stilicon a fourni à Thomas Corneille le sujet d'une tragédie en cinq actes, représentée en 1660, et à laquelle le grand Corneille rendait l'
hommage le plus flatteur, en déclarant qu'il eût voulu l'avoir faite.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 40 - Pages 252-256)