Il fut toujours admis que le premier article ayant trait à l'affaire de Rennes-le-Château était celui rédigé par le journaliste Albert Salomon, paru le 12 janvier 1956 dans La Dépêche du Midi et intitulé "La fabuleuse découverte du Curé aux milliards de Rennes-le-Château". Suivait ceci : «
D'un coup de pioche dans un pilier du maître autel, l'abbé Saunière met à jour le trésor de Blanche de Castille ». Il s'agit là de la retranscription d'une interview accordée par
Noël Corbu.
Noël Corbu, qui avait acheté en viager le domaine de l'abbé
Saunière, en hérita à la mort de
Marie Denarnaud en 1953. Dans les derniers mois de cette même année, il le transforma en hôtel, puis en hôtel-restaurant. Il créa alors la
légende du curé aux milliards afin d'attirer des clients curieux et de plus en plus nombreux, à se presser à sa table. Il faut dire que ses clients sont friands du trésor qu'il décrit ! Lors de cet entretien avec le journaliste, il lui présente des documents originaux ayant appartenu à
Saunière.
Cet article se veut donc le reflet de l'histoire forgée
par Noël Corbu. Nous possédons un enregistrement de la bande magnétique enregistrée par le restaurateur en 1955, texte qu'il faisait écouter aux personnes de passage dans son restaurant. Après avoir restitué
Rennes-le-Château dans son environnement
géographique et historique, il retrace l'
histoire de l'abbé
Saunière. Voici quelques extraits de ce que l'on pouvait entendre :
«
Rennes-le-Château serait certainement tombé
dans l'oubli total si un prêtre originaire de Montazels , près de Couiza ne vint prendre la cure le 1er juin 1885. Pendant sept ans, l'abbé Bérenger Saunière mena la vie de tout pauvre curé de campagne et dans ses archives, sur son livre de comptes, on peut lire, à la date du 1er février 1892 : "Je dois à Léontine, 0 fr. 40 , je dois à Alphonsine 1 fr. 65", et ses économies qu'il nomme ses "fonds secrets" se montent à cette époque à 80 frs 65. En ce même mois de
février 1892, le maître-autel de l'
église actuelle tombant en ruines, il avait demandé une aide au conseil municipal qui la lui avait accordée pour le remettre en état. Les ouvriers en le démontant, trouvèrent dans un des piliers des rouleaux de
bois contenant des parchemins. L'abbé, immédiatement alerté s'en empara et quelque chose dû retenir son attention, car il fit arrêter immédiatement les travaux. Le lendemain, il partait en voyage pour
Paris, dit-on, mais nous n'en avons aucune confirmation.
A son retour, il fit reprendre les travaux, mais là, ne fit plus faire que le maître
autel, mais toute l'
église, puis il s'attaqua au cimetière où il travaillait souvent seul.
Il démolit même la tombe de la comtesse d'Hautpoul
Blanchefort et rasa lui-même les inscriptions qui étaient sur cette dalle.
Le conseil municipal s'émut de la chose et lui interdit de travailler au cimetière, mais le mal était fait, car cette tombe devait avoir une indication. Il fait construire les murs autour du
jardin, devant l'
église, utilise un splendide pilier de style
wisigoth de l'
autel, qu'il mutile en y faisant graver "Mission 1891" pour supporter Notre-Dame de
Lourdes, dans un autre petit
jardin. Il fait entièrement restaurer le
presbytère, puis en 1897, commande la construction de la maison, de la tour, du chemin de ronde, du
jardin d'
hiver, le tout lui coûte un million en 1900, ce qui représente 250 millions de notre monnaie. Il meuble la maison et la tour fastueusement.
Son train de vie est royal. L'abbé
Saunière reçoit quiconque vient et tous les
jours ce sont des fêtes. La consommation de rhum, qu'il fait venir directement de la Jamaïque et de la Martinique atteint 70 litres par mois. Sans compter les liqueurs de toutes sortes, les vins fins, les canards sont engraissés avec des biscuits à la cuiller pour qu'ils soient plus fins. C'est un véritable
sybarite. (...)
Quant à l'origine du trésor que le curé a certainement trouvé et dont une grande partie doit encore subsister, les archives de
Carcassonne nous en donnent l'explication :
Blanche de Castille, mère de
Saint Louis, régente du royaume de France pendant les
croisades de son fils, jugea
Paris peu sûr pour garder le trésor royal, car les
barons et petites gens se révoltaient contre le pouvoir royal. Ce fut la fameuse
révolte des Pastoureaux. Elle fit donc transporter le trésor de
Paris à
Rennes (...)
Le trésor fut trouvé deux fois : en 1645, un berger nommé Ignace
Paris, en gardant ses moutons, tombe dans un trou et ramène dans sa cahute un béret plein de pièces d'or. Il raconte qu'il a vu une salle pleine de pièces d'or et devint fou pour défendre les pièces qu'il a apportées. Le châtelain et ses gardes recherchent vainement l'endroit où est tombé le berger, puis ce fut l'abbé
Saunière et les parchemins.
Toujours d'après les archives qui donnent une liste du trésor, celui-ci se composait de 18 million et demi de pièces d'or en nombre, soit en poids environ 180 tonnes, plus de nombreux joyaux et objets
religieux. Sa valeur intrinsèque, d'après cette liste, est de plus de cinquante milliards. Par contre, si l'on prend sa valeur historique, la pièce d'or de cette époque valant 472.000 francs, on arrive environ à 4 000 milliards.
Ainsi, dans ce modeste village, au panorama et au passé
prestigieux, dort un des plus
fabuleux trésors qui soit au monde ! »
Il ressort de ce texte que la réussite financière
de Saunière est due à la découverte fortuite de parchemins dans l'église, documents qu'il aurait fait décoder à Paris dès le lendemain et qui l 'auraient conduit à un trésor. A son retour de la capitale, il fait rénover toute l'
église et effectue de discrètes recherches dans le cimetière, n'hésitant pas à faire disparaître la tombe de la seigneuresse
Marie de Nègre d'Ables. Dès lors, il réhabilite le
presbytère, construit son domaine et reçoit fastueusement. Il mène une existence de luxe. Pour
Noël Corbu,
Saunière a trouvé le trésor de
Blanche de Castille, grâce au décodage des parchemins et de la tombe de
Marie de Nègre d'Ables. Il s'agit du même trésor que celui mis à
jour par le berger
Paris en 1645. Grâce à cette découverte le
prêtre devint immensément riche, ce qui lui valut l'appellation de "
Curé aux milliards".
Dans l'article du curé aux milliards de
La Dépêche, on retrouve les mêmes ingrédients.
On peut donc affirmer que Noël Corbu est à l'origine de la trame qui allait se dessiner concernant l'énigme de Rennes. Dans cet article-interview, il ne fait que reprendre ses propres théories. Cette version de l'
histoire est dès cet instant découverte par le grand public ce qui attira de plus en plus de monde à
Rennes-le-Château et dans son restaurant. Cette
légende perdura jusqu'à aujourd'hui. Depuis les débuts de l'affaire, la tradition attribue donc la fortune de
Saunière à la découverte d'un trésor colossal constitué d'or et
Noël Corbu y est pour beaucoup ! Nous noterons qu'un ouvrage de Jean Girou, paru en 1936 et intitulé
Itinéraire en Terre d'Aude, rapporte cette même version de la découverte d'un trésor. Elle est relatée par les paysans. Il s'agit du plus ancien témoignage existant sur cette affaire, écrit seulement 19 ans après la mort du
prêtre.
Mais voilà qu'un nouveau document remet totalement en question l'histoire présentée par Noël Corbu ! Il s'agit d'un article de journal antérieur de 8 ans à celui de La Dépêche !!! Nous sommes ici aux prémisses de l'
histoire populaire de
Rennes-le-Château. Ce texte est le premier témoignage de l'affaire de
Rennes, avant qu'elle ne soit polluée par divers protagonistes.
Cet article-clé, outre le fait de présenter le village
de
Rennes tel qu'il était au lendemain de la guerre, permet de situer l'affaire
à ses origines et de voir comment elle était perçue à
l'époque ante-Corbu. Nous allons découvrir qu'elle diffère en bien des points de l'
histoire officielle. Les souvenirs concernant l'abbé
Saunière se montrent incisifs. L'origine du
mythe est donc à réécrire à la lumière de ce texte... En voici un extrait :
«
Transcription : C'était un prêtre assez curieux qui préférait le vin et les filles à l'exercice de son sacerdoce. A la fin du siècle dernier, il eut une idée assez originale. Il
fit insérer dans les journaux étrangers, notamment aux Etats-Unis,
une annonce signalant que le pauvre curé de Rennes-le-Château vivait
parmi des hérétiques et n'avait plus la moindre ressource. Il apitoyait
les chrétiens du monde entier en signalant que la vieille église,
trésor d'architecture, était vouée à une destruction
certaine, si des travaux urgents de restauration n'étaient pas entrepris,
le plus rapidement possible. Le curé reçut des sommes considérables,
si bien qu'un beau
jour, on vit arriver dans le village toute une équipe
de maçons et d'ouvriers. Ceux-ci, au lieu de consolider la
vénérable
église, entamèrent la construction d'une
villa en style rococo,
flanquée d'un immense
donjon d'où l'on peut découvrir l'un
des plus beaux paysages de toute la région. Et le brave curé continua
à ripailler et à faire la fête dans sa nouvellle résidence.
Il avait d'ailleurs eu soin de faire graver à l'entrée cette inscription
qui est tout un programme : "La maison du pasteur est la maison de tous".
Depuis lors, la cure a été supprimée
et deux fois par mois, un
prêtre de
Couiza gravit la colline pour venir
dire la messe à
Rennes-le-Château. »
Dans cet article, Rennes-le-Château apparaît comme un village fantôme, à l'état de ruine, d'où s'échappe une profonde tristesse... Les rues sont désertes, les maisons abandonnées, les villageois rares. On n'y compte qu'un seul
enfant, c'est un village qui se meurt... Si l'
histoire de
Rennes apparaît embellie dans la version de
Noël Corbu, ici, elle est ressentie de façon beaucoup plus négative... Elle est contée par les vieilles gens du pays. Dans cette version, on
lit que l'
évêque n'est venu dans cette
paroisse qu'une seule fois dans l'unique but d'excommunier
Saunière, et même si dans la réalité Mgr Billard est venu à
Rennes à deux reprises, la première fois à l'occasion d'une simple visite
épiscopale le 1er
juillet 1889, puis effectivement par la suite le 6
juin 1897 pour l'inauguration de l'
église restaurée, les villageois ont perçu cet événement comme étant celui à l'origine de la future sanction du
prêtre, sentence qui ne fut appliquée que sous l'
épiscopat de Mgr de Beauséjour depuis les bureaux de l'
Evêché de
Carcassonne. Bérenger
Saunière est décrit comme un homme frivole, aux murs légères.
Ici, aucune allusion à un quelconque trésor, pas plus qu'à la découverte de parchemins. Saunière est dépeint comme un escroc qui quémandait des dons dans des journaux étrangers, afin de restaurer son église délabrée. Il reçut, selon cette version des sommes considérables, qu'il détourna pour son usage personnel avec la construction de la
villa Béthanie, ce qui n'est pas tout à fait exact chronologiquement, puisqu'en réalité il commença par rénover sa petite
église avant de faire construire son domaine.
En conclusion, ce qui frappe aux yeux c'est l'absence totale de découverte de trésor, mais une richesse due à un détournement d'argent. On retrouve par contre la propension de
Saunière à faire la fête, boire et vivre fastueusement. L'abbé
Saunière est victime ici d'une réputation sulfureuse comme en témoigne cette remarque d'une vieille
dame :
« C'est l'ancien curé qui a été
transformé en diable ».
Cet article rejoint donc les nouvelles théories de certains chercheurs qui veulent que la fortune de Saunière et le secret de Rennes ne soit en fait qu'un important trafic de messes et de dons. Aux sources d'un mythe qui nous était parvenu jusqu'alors sous la forme d'une découverte
archéologique, historique ou trésoraire, apparaît ici une toute nouvelle version qui ôte à cette histoire toute part de merveilleux. D'autres croyances à l'époque ont donc attribué la fortune de Saunière à une escroquerie et non à la découverte d'un quelconque trésor. Il existe donc deux théories distinctes expliquant la soudaine richesse de l'abbé : le détournement d'argent et la mise à jour d'un trésor principalement répandue par Noël Corbu, récit qui allait perdurer jusqu'à nos jours et qui devint le fondement dans les recherches entreprises par tous les passionnés afin de dénouer l'énigme...
Retrouvez cette étude, ainsi que l'intégralité de ce premier article de journal exceptionnel dans le dernier bulletin de A la recherche du Secret Perdu, Itinéraire insolite sur les sites énigmatiques de Rennes-le-Château Sur les traces de l'abbé Saunière... (cliquez
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