France-Spiritualités : Serge,
bonjour. Vous avez fondé le 11 août 1990 l'Institut
Eléazar, par l'intermédiaire duquel vous proposez des cours
de martinisme. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a poussé à
entreprendre cette démarche ?
Serge Caillet : Quelques ordres
martinistes proposent à leurs membres des cours par correspondance, qui,
pour la plupart, sont consacrés à des sujets très divers,
mais aucun n'est exclusivement consacré à l'étude sérieuse
et approfondie de l'uvre de Martines de Pasqually et de Louis-Claude de
Saint-Martin, qui sont pourtant les deux grandes lumières du martinisme.
D'autre part, on peut vouloir étudier la tradition martiniste sans se rattacher
pour autant à quelque organisation initiatique que ce soit. Partant de
ce constat, et parce que j'avais moi-même souffert de cette carence dans
mes propres études, en 1990, j'ai eu l'idée d'écrire un cours
de martinisme, ouvert à tous sans distinction, et capable d'expliquer au
moins dans les grandes lignes si ce n'est dans le détail, en quoi consiste la
doctrine de la réintégration. Je m'en suis aussitôt ouvert
à Robert Amadou qui m'encouragea à réaliser ce projet. Presque
aussitôt, alors que je n'avais pas même écrit le premier cahier,
il en fit d'ailleurs l'annonce dans ses "
Carnets" de l'Autre monde, et
les demandes affluèrent, montrant que nous ne nous étions pas trompés
quant à la nécessité de ce cours. Je me suis donc mis au
travail pour rédiger une synthèse de la doctrine de Martines de
Pasqually, sous la forme de dix, puis douze et enfin treize cahiers consacrés
chacun à un thème. Ces cahiers sont diffusés par correspondance
à qui en fait la demande, qu'il s'agisse de membres d'ordres martinistes,
de francs-maçons du
rite écossais rectifié en quête
des sources originales de Jean-Baptiste Willermoz, ou d'hommes et de femmes de
désir volontairement solitaires et inconnus.
France-Spiritualités : Pourquoi
avoir donné le nom d'Institut Eléazar à cette école
?
Serge Caillet : Il existe depuis longtemps une Société des
Amis de Louis-Claude de
Saint-Martin, aujourd'hui très académique
; il existe depuis une dizaine d'années une Société Martines
de Pasqually. Il existe de nombreux ordres martinistes. Il s'agissait à
la fois de se distinguer des instituteurs comme aurait dit
Saint-Martin
et des cercles proprement initiatiques, tout en rendant un juste
hommage aux deux
théosophes du XVIIIe siècle en se plaçant sous leur
illustre
patronage. Car il ne s'agit pas de parler de Martines et de
Saint-Martin, il s'agit
de les suivre sur la voie. Dans son roman épico-magique intitulé
Le Crocodile ou la guerre du bien et du mal,
Saint-Martin campe un personnage singulier nommé Eléazar, qui sans
doute emprunte beaucoup de traits à Martines de Pasqually dont on sait
qu'il fut le premier maître de
Saint-Martin. L'idée m'est venue de
placer l'institut sous le patronage de ce personnage de roman, ce qui était
à la fois une façon de dépersonnaliser car la Tradition
est universelle et de montrer que nous ne nous prenions pas trop au sérieux,
tout en posant une
énigme que les amateurs de Martines et de
Saint-Martin
ont naturellement vite résolue. Mais cette
énigme renvoie elle-même
à une autre, car le Philosophe inconnu,
abreuvé par l'Ecriture,
n'a pas lui-même choisi le nom de son personnage par hasard...
France-Spiritualités : D'aucuns pourraient être tentés de dire qu'il s'agit
là d'une énième organisation martiniste. Est-ce le cas ?
Serge Caillet : Il y a tant d'ordres martinistes qu'il
n'était pas nécessaire d'en fonder un nouveau.
Du reste, ce qui caractérise les ordres martinistes,
outre le fait qu'ils proviennent tous je dis bien tous
médiatement ou immédiatement, de l'Ordre
martiniste premier du nom fondé par Papus, c'est la transmission
d'une
initiation rituelle qui, elle aussi, remonte à
Papus. L'
Institut
Eléazar ne confère aucune
initiation rituelle,
il est ouvert à tous, et ne propose aucun travail rituel
collectif ou individuel. Ce n'est donc pas un ordre martiniste,
ce n'est pas non plus un ordre néo-coën, ni d'ailleurs
une société initiatique : c'est une simple école
de martinisme dont l'objet est de préserver l'héritage
transmis par Martines de Pasqually et Louis-Claude de
Saint-Martin,
étudier ce dépôt traditionnel et le diffuser
au moyen de cours par correspondance précisément
destinés à celles et à ceux qui bien souvent
suivent par ailleurs une voie initiatique, peu importe laquelle,
mais aussi à celles et ceux qui sont réfractaires
à toute forme sociale d'
initiation.
France-Spiritualités : Vos cours semblent répondre à une réelle
demande, dans la mesure où les enseignements de Martines de Pasqually
et ceux de Louis-Claude de Saint-Martin, à un degré moindre sont
d'un accès difficile et ne font pas toujours l'objet d'une étude
approfondie dans les différents ordres martinistes existants.
Serge Caillet : Tous les martinistes devraient étudier la doctrine de la réintégration
transmise par Martines et
Saint-Martin. D'autant qu'il est facile aujourd'hui
d'accéder aux ouvrages fondamentaux jadis introuvables ou inconnus, la
plupart publiés pour la première fois ou réédités
par Robert Amadou. Beaucoup ne le font pas et se contentent de vivre le martinisme
dans l'ambiance fraternelle de leur ordre, et de se comporter en chrétien
dans le monde moderne. C'est déjà beaucoup, n'est-ce pas ! Mais
pour quelques-uns, la foi peut être couronnée en
gnose, comme dit
Clément d'
Alexandrie. Ceux-là, celles-là qui souhaitent aller
plus loin dans l'apprentissage de la doctrine, sont demandeurs d'une formation
plus solide. Ils veulent savoir précisément ce qu'ont enseigné
Martines de Pasqually et
Saint-Martin, ils veulent pouvoir lire et comprendre
leurs uvres qui sont en effet d'un abord difficile. C'est à eux,
principalement, que sont destinés les cours de l'Institut Eléazar.
France-Spiritualités : Certains martinistes se cantonnent (presque) exclusivement
à l'étude des enseignements de Louis-Claude de Saint-Martin, délaissant
ceux de Martines de Pasqually sous prétexte qu'ils ont choisi la voie de
la théurgie interne. Mais peut-on réellement comprendre le message
de Saint-Martin sans avoir au préalable appréhendé au moins
les bases du système de Martines ?
Serge Caillet : Votre question contient sa réponse.
La connaissance de la doctrine réelle du martinisme est
en effet indispensable à ceux qui veulent s'engager sur
la voie de la
théurgie cérémonielle de
Martines, c'est évident. Mais elle est tout aussi indispensable
à celles et ceux qui veulent suivre
Saint-Martin dans
la voie cardiaque, comme disait Papus, qui est la voie de la
théurgie selon l'interne. On ne le dira jamais assez
: impossible de comprendre
Saint-Martin sans Martines, impossible
de lire
Saint-Martin et d'en tirer tout le bénéfice
sans avoir lu Martines. Car bien souvent, ne serait-ce que par
respect de ses serments chez les coëns,
Saint-Martin s'avance
masqué.
France-Spiritualités : Le haut niveau des cours que vous dispensez ne limite-t-il
pas leur étude à des personnes ayant déjà un certain
cheminement dans la Tradition ?
Serge Caillet : C'est vrai que Martines et
Saint-Martin ne sont pas à la portée du premier venu en occultisme.
Il faut les mériter, je veux dire que toute étude traditionnelle
implique nécessairement un apprentissage qui, bien souvent, est long et
difficile. Il ne faut pas ménager ses efforts. Les écrits traditionnels,
les auteurs traditionnels sont par définition…
hermétiques ! Mais les cours
sont destinés à tous. Naturellement, mieux vaut avoir lu
Saint-Martin
ou Martines avant. On sera sans doute déjà quelque peu familiarisé
avec leur langage, mais ces cours sont là, avant tout, pour aider à
la découverte de la tradition martiniste. Ils viennent en accompagnement,
ou en introduction à l'étude de la doctrine des deux théosophes.
France-Spiritualités : Vous avez eu la chance d'avoir un guide exceptionnel en la
personne de Robert Amadou, qui a d'ailleurs accepté de devenir président
d'honneur de l'Institut Eléazar. Il s'agit là d'une marque de reconnaissance
particulière insigne.
Serge Caillet : La Providence a voulu que nous
nous rencontrions, il y a quelque vingt ans, alors que j'étudiais la tradition
rosicrucienne et l'
alchimie. Je venais de lire
La Rose-Croix
dévoilée de Christopher MacIntosh, dont Robert Amadou
avait préfacé l'édition française. Je lui ai écrit,
il m'a répondu et nous avons commencé à correspondre. Puis
Robert souhaita me rencontrer et je fis le voyage à
Paris où j'assistais
au
baptême, célébré par Robert, d'une petite fille
dont le
parrain était Philippe Encausse. Ce jour-là, Robert me présenta
donc à Philippe Encausse et à Antoine Abi Acar. Peu après, Robert et Antoine
m'offraient la possibilité de publier mes premiers travaux chez Cariscript.
Je ne dirais jamais assez combien je suis redevable à Robert Amadou, non
seulement de m'avoir montré et ouvert la voie, de m'avoir ouvert tant de
portes, mais encore de n'avoir cessé depuis de m'accompagner sur le chemin.
France-Spiritualités : Combien dure le cursus complet ?
Serge Caillet : Il
devait durer trois ans, à raison d'une bonne dizaine de cahiers par an,
correspondant à trois cycles : le premier consacré à la doctrine
de Martines de Pasqually, le second aux points spécifiques qui distinguent
Saint-Martin de Martines, notamment la christologie, le troisième enfin
étant consacré à des applications pratiques en rapport avec
ce que Papus, dans la lignée de
Saint-Martin, appelle la voie cardiaque.
A ce
jour, faute de temps, seuls les cahiers du premier cycle ont été
rédigés et sont diffusés. Une totale
liberté est laissée
aux étudiants pour leur étude : certains étudient le cours
en quelques mois, d'autres en quelques années.
Dieu voulant, la suite du
cours verra peut-être le
jour.
France-Spiritualités : L'un des aboutissements
du cursus peut-il être la pratique de la théurgie élu coën
?
Serge Caillet : La
théurgie qu'il s'agisse de la
théurgie
coën ou de pratiques similaires inhérentes à d'autres traditions
exige une élection, une habilitation, qui peut être donnée
au sein d'une organisation particulière, sous la forme d'
initiations ou
d'ordinations spécifiques, ou en dehors de toute organisation, sous la
forme d'une grâce particulière. Il est évident que l'Institut
Eléazar ne saurait habiliter, ni d'ailleurs encourager, ni d'ailleurs décourager
qui que ce soit dans une pratique
théurgique, quelle qu'elle soit. L'Institut
ne constitue pas non plus le cercle extérieur d'un ordre initiatique. Je me demande
bien lequel ! Libre donc à celles et à ceux qui en suivent le cursus
d'appartenir par ailleurs à un ordre initiatique les habilitant à
une pratique
théurgique. Mais cela ne nous concerne en rien. La doctrine est une
chose, la pratique en est une autre. Si l'Institut a acquis une certaine renommée
dans la transmission didactique de la doctrine martiniste, tout ce qui relève
d'une pratique
théurgique lui est étranger. Dès la fondation
de l'Institut, en 1990, j'ai tenu à ce qu'il n'y ait jamais de confusion
à ce sujet. A chacun sa vocation.
Maintenant,
l'enseignement de Martines et, dans une moindre mesure, celui de
Saint-Martin,
relayés par l'Institut peuvent-ils aider à une pratique
théurgique
traditionnelle ? Certainement, dans la mesure ou toute pratique repose sur une
théorie, toute
théurgie repose sur une
théosophie. Il y a
donc parmi les étudiants de l'Institut des hommes et des femmes dont l'apprentissage
de cette
théosophie complète une pratique
théurgique qu'ils
conduisent dans des cercles initiatiques. Mais ceci ne concerne pas l'Institut.
France-Spiritualités : Pour finir, quel est votre plus grand souhait concernant
votre Institut ?
Serge Caillet : Dans l'époque troublée que
nous vivons, où tout enseignement traditionnel est marginal, quand il n'est
pas suspect, la tradition martiniste, sous ses aspects multiples, est bien capable
d'aider à vivre les hommes et les femmes de désir, de les aider
à cheminer sur la voie. A sa façon, l'Institut Eléazar y contribue
sans doute en les aidant à aborder l'uvre difficile de Martines et
de
Saint-Martin, comme y contribuent aussi à leur façon des ordres martinistes
et d'aucunes sociétés initiatiques. Mon souhait est que ce travail
soit, à l'avenir, utile aux hommes et aux femmes de désir comme
il l'a déjà été à quelques-uns depuis une dizaine
d'années. Ah si, j'oubliais !
Dieu veuille me donner aussi la
force et
le loisir d'écrire enfin les cours du second cycle que l'on me réclame
depuis longtemps !
France-Spiritualités : C'est tout le mal que nous vous souhaitons. Merci, Serge, pour ces explications.