Pierre Commelin
Le
dieu Pan, ainsi nommé, dit-on, du mot grec
"
pan", "
tout", était fils,
suivant les uns, de Jupiter et de la nymphe
Thymbris, suivant les
autres, de
Mercure et de la nymphe Pénélope. Selon
d'autres traditions, il était fils de Jupiter et de la nymphe
Calisto, ou peut-être de l'
Air et d'une Néréide,
ou enfin du
Ciel et de la
Terre. Toutes ces origines diverses trouvent
une explication, non seulement dans le grand nombre de
dieux portant
ce nom, mais encore dans les attributions multiples que la croyance
populaire prêtait à cette divinité.
Son nom
semblait indiquer l'étendue de sa puissance, et la secte
des philosophes
stoïciens identifiait ce
dieu avec l'Univers
ou du moins avec la nature intelligente, féconde et créatrice.
Mais l'opinion commune ne s'élevait
pas à une
conception si générale et si philosophique.
Pour les peuples, le
dieu Pan avait un caractère et une mission
surtout agrestes. Si, dans les temps les plus reculés, il
avait accompagné les
dieux de l'Egypte dans leur expédition
des Indes, s'il avait inventé l'ordre de bataille et la
division
des troupes en aile droite et en aile gauche, ce que les Grecs et
les Latins appelaient les cornes d'une armée, si c'était
même pour cette raison qu'on le représentait avec des
cornes,
symbole de sa
force et de son invention, l'imagination populaire,
de bonne heure ayant restreint et limité ses fonctions, l'avait
placé dans les campagnes, près des pasteurs et des
troupeaux.
Il était principalement honoré
en
Arcadie, pays de
montagnes, où il rendait des oracles.
On lui offrait en sacrifice du miel et du lait de chèvre.
On célébrait en son honneur les Lupercales, fête
qui, dans la suite, se répandit en Italie, où l'
Arcadien
Evandre avait porté le culte de
Pan. On le représente
ordinairement fort laid, les
cheveux et la barbe négligés,
avec des cornes, et le
corps de
bouc depuis la ceinture jusqu'en
bas, enfin ne différant pas d'un faune ou d'un satyre. Il
tient souvent une houlette, et une flûte à sept tuyaux
qu'on appelle la flûte de
Pan, parce que, dit-on, il en fut
l'inventeur, grâce à la métamorphose de la nymphe
Syrinx en roseaux du
Ladon.
On le regardait aussi comme le
dieu des chasseurs
; mais, quand il se livrait à la chasse, il était
moins la terreur des bêtes fauves que celle des nymphes qu'il
poursuivait de ses ardeurs amoureuses. Il est souvent aux aguets
derrière les rochers et les buissons : la campagne pour lui
n'a pas de mystères. C'est ainsi qu'il découvrit et
put révéler à Jupiter le lieu où
Cérès
s'était cachée après l'enlèvement de
Proserpine.
Pan a été souvent confondu dans
la littérature latine avec Faunus et
Sylvain. Plusieurs auteurs
les ont considérés comme une même divinité
sous ces différents noms. Les Lupercales même étaient
célébrées en leur triple honneur confondu.
Cependant,
Pan est le seul des rois qui ait été allégorisé,
et regardé comme le
symbole de la Nature, suivant la signification
de son nom. Aussi lui met-on des cornes, pour marquer, disent les
mythologues, les rayons du
soleil ; la vivacité de son teint
exprime l'éclat du
ciel ; la peau de chèvre étoilée
qu'il porte sur l'estomac représente les étoiles du
firmament ; enfin, ses pieds et ses jambes hérissés
de poils désignent la partie inférieure du monde,
la terre, les
arbres et les plantes.
Ses
amours lui ont suscité des rivaux
parfois redoutables. L'un d'eux,
Borée, voulut lui enlever
violemment la nymphe Pitys, que la
Terre, émue de
compassion,
changea en pin. Voilà pourquoi cet
arbre, conservant encore,
dit-on, les sentiments de la nymphe,
couronne Pan de son feuillage,
tandis que le souffle de
Borée excite ses gémissements.
Pan est aimé aussi de
Séléné,
c'est-à-dire de la
Lune, ou
Diane, qui, pour venir le visiter
dans les vallons et les grottes des
montagnes, néglige le
beau et éternel dormeur Endymion.
La
fable du grand
Pan donna lieu, sous le règne
de Tibère, à un événement qui intéressa
vivement la ville de Rome et mérite d'être raconté.
Dans la mer
Egée, dit
Plutarque, le vaisseau du pilote Thamus
étant un soir dans les parages de certaines îles, le
vent cessa tout à fait. Tous les gens à bord étaient
bien éveillés, la plupart même passaient le
temps à boire les uns avec les autres, lorsqu'on entendit
tout à coup une voix qui venait des îles et appelait
Thamus. Thamus se laissa appeler deux fois sans répondre,
mais à la troisième il répondit. La voix lui
commanda que, quand il serait arrivé dans un certain lieu,
il criât que le grand
Pan était mort. Il n'y eut personne
dans le navire qui ne fût saisi de frayeur et d'épouvante.
On délibéra si Thamus devait obéir à
la voix, et Thamus conclut que, quand ils seraient arrivés
au lieu indiqué, s'il faisait assez de vent pour passer outre,
il ne fallait rien dire ; mais que, si un calme les arrêtait
là, il fallait s'acquitter de l'ordre qu'il avait reçu.
Il ne manqua point d'être surpris d'un calme en cet endroit-là,
et aussitôt il se mit à crier de toute sa
force : «
Le grand Pan est mort ! » A peine avait-il cessé
de crier que l'on entendit de tous côtés des plaintes
et des gémissements, comme d'un grand nombre de personnes
surprises et affligées de cette nouvelle.
Tous ceux qui étaient sur le navire
furent témoins de cette étrange aventure. Le bruit
s'en répandit en peu de temps jusqu'à Rome. L'empereur
Tibère voulut voir Thamus lui-même ; il le vit, l'interrogea,
assembla des savants pour apprendre d'eux qui était ce grand
Pan, et il fut conclu que c'était le fils de
Mercure et de
Pénélope.
D'autres mythologues, interprétant ce fait, ont préféré
y voir la mort de l'ancien monde romain et l'avènement d'une société
nouvelle.
Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine, pp. 17-18.