LETTRE
ENCYCLIQUE DU SOUVERAIN PONTIFE JEAN-PAUL II
(25 mars 1995)
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Aux évêques, aux presbytres et aux diacres, aux religieux et aux religieuses, aux fidèles laïcs et à toutes les personnes de bonne volonté, sur la valeur et l'inviolabilité de la vie humaine.
CHAPITRE
II
JE SUIS VENU POUR QU'ILS AIENT LA VIE
LE MESSAGE CHRÉTIEN SUR LA VIE
« La vie s'est manifestée, nous l'avons vue » (1 Jn 1, 2) : le regard tourné vers le Christ, "le Verbe de vie"
29. Face aux menaces innombrables et graves qui pèsent sur la vie dans le monde d'aujourd'hui, on pourrait demeurer comme
accablé par le sentiment d'une impuissance insurmontable : le bien ne sera jamais assez fort pour vaincre le mal !
C'est alors que le peuple de
Dieu, et en lui tout croyant, est appelé à professer, avec humilité et courage, sa foi en
Jésus Christ, «
le Verbe de vie » (1 Jn 1, 1). L'
Evangile de la vie n'est pas une simple réflexion, même originale et profonde, sur la vie humaine ; ce n'est pas non plus seulement un commandement destiné à alerter la conscience et à susciter d'importants changements dans la société ; c'est encore moins la promesse
illusoire d'un avenir meilleur. L'
Evangile de la vie est une réalité concrète et personnelle, car il consiste à annoncer la personne même deJésus. A l'Apôtre Thomas et, en lui, à tout homme,
Jésus se présente par ces paroles : «
Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). C'est la même identité qu'il affirme devant Marthe, sur de Lazare : «
Je suis la
résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11, 25-26).
Jésus est le Fils qui, de toute éternité, reçoit la vie du Père (cf. Jn 5, 26) et qui est venu parmi les hommes pour les faire participer à ce don : «
Jesuis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance
» (Jn 10, 10).
C'est donc à partir de la parole, de l'action, de la personne même de
Jésus que la possibilité est donnée à
l'homme de "connaître" la vérité tout entière sur la valeur de la vie humaine ; c'est de cette "source" qu'il reçoit notamment la capacité de "faire" parfaitement la vérité (cf. Jn 3, 21), ou d'assumer et d'exercer pleinement la responsabilité d'aimer et de servir la vie humaine, de la défendre et de la promouvoir.
Dans le Christ, en effet, est définitivement annoncé et pleinement donné cet
Evangile de la vie qui, déjà présent dans la Révélation de l'Ancien Testament, et même inscrit en quelque sorte dans le cur de tout homme et de toute femme, retentit dans chaque conscience
«
dès le commencement », c'est-à-dire depuis la création elle-même, en sorte que, malgré les conditionnements négatifs du péché, il peut aussi être connu dans ses traits essentiels par la raison humaine. Comme l'écrit le
Concile Vatican II, le Christ «
par toute sa présence et par la manifestation qu'il fait de lui-même par des paroles et par des uvres, par des signes et des miracles, et plus
particulièrement par sa mort et par sa résurrection glorieuse d'entre les morts, par l'envoi enfin de l'Esprit de vérité, achève la
révélation en l'accomplissant, et la confirme encore en attestant divinement que Dieu lui-même est avec nous pour nous arracher aux ténèbres du péché et de la mort et nous ressusciter pour la
vie éternelle ». (22)
30. C'est donc le regard fixé sur le Seigneur
Jésus que nous voulons l'écouter nous redire «
les paroles de Dieu » (Jn 3, 34) et méditer à nouveau l'
Evangile de la vie. La
signification la plus profonde et la plus originale de cette méditation du message
révélé sur la vie humaine à été saisie par l'Apôtre Jean, qui écrit au début de sa première lettre :
«
Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont
touché du Verbe de vie car la Vie s'est manifestée : nous l'avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue , ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, afin que vous aussi soyez en
communion avec nous » (1, 1-3).
En
Jésus, «
Verbe
de vie », est donc annoncée et
communiquée la vie divine et éternelle.
Grâce à cette annonce et à ce don, la
vie physique et spirituelle de l'homme, même dans sa phase
terrestre, acquiert sa plénitude de valeur et de
signification : la vie divine et éternelle, en effet, est la
fin vers laquelle l'homme qui vit dans ce monde est orienté
et appelé. L'
Evangile de la vie contient ainsi ce que
l'expérience même et la raison humaine disent de
la valeur de la vie ; il l'accueille, l'élève et
la porte à son accomplissement.
«
Ma force et mon chant, c'est le Seigneur, je lui dois le
salut » (Ex 15, 2) :
la vie est toujours un bien
31. En
vérité, la plénitude
évangélique du message sur la vie est
déjà préparée dans l'Ancien
Testament. C'est surtout dans l'événement de
l'Exode, centre de l'expérience de foi de l'Ancien
Testament, qu'Israël découvre à quel
point sa vie est précieuse aux yeux de
Dieu. Alors
même qu'il semble voué à
l'extermination, parce qu'une menace de mort pèse sur tous
ses
enfants nouveau-nés (cf. Ex 1, 15-22), le Seigneur se
révèle à lui comme le sauveur, capable
d'assurer un avenir à celui qui est sans
espérance. Il naît ainsi en Israël une
conscience précise : sa vie ne se trouve pas à la
merci d'un pharaon qui peut l'utiliser avec un pouvoir despotique ; au
contraire, elle est l'objet d'un
amour tendre et fort de la part de
Dieu.
La libération de
l'esclavage est le don d'une identité, la reconnaissance
d'une dignité indestructible et le début d'une
histoire nouvelle, où découverte de
Dieu et
découverte de soi vont de pair. Cette expérience
de l'Exode est fondatrice et exemplaire. Israël apprend que,
chaque fois qu'il est menacé dans son existence, il lui
suffit de recourir à
Dieu avec une confiance
renouvelée pour trouver en lui un soutien efficace :
«
Je t'ai modelé, tu es pour moi un
serviteur; Israël, je ne t'oublierai pas »
(Is 44, 21).
Ainsi, reconnaissant la valeur de son
existence comme peuple, Israël progresse aussi dans la
perception du sens et de la valeur de la vie en tant que telle. C'est
une réflexion qui se développe de
manière particulière dans les livres sapientiaux,
à partir de l'expérience quotidienne de la
précarité de la vie et aussi de la conscience des
menaces qui la guettent. Devant les contradictions de l'existence, la
foi est appelée à offrir une réponse.
C'est surtout le problème
de la souffrance qui défie la foi et la met à
l'épreuve. Comment ne pas saisir la présence de
la plainte universelle de l'homme dans la méditation du
livre de
Job ? L'innocent écrasé par la
souffrance est, de manière compréhensible,
amené à se demander : «
Pourquoi
donner à un malheureux la lumière, la vie
à ceux qui ont l'amertume au cœur, qui aspirent à
la mort sans qu'elle vienne, qui la recherchent plus avidement qu'un
trésor ? » (3, 20-21). Même
dans l'obscurité la plus épaisse, la foi pousse
à la reconnaissance du «
mystère
», dans un
esprit de confiance et d'adoration : «
Je
comprends que tu es tout-puissant : ce que tu conçois, tu
peux le réaliser » (Jb 42, 2).
Peu à peu, la
Révélation fait saisir de manière
toujours plus claire le
germe de vie immortelle
déposé par le Créateur dans le
cœur
des hommes : «
Toutes les choses que Dieu
à faites sont bonnes en leur temps ; il a mis dans leur cœur
l'ensemble du temps » (Qo 3, 11). Ce
germe de
totalité et de plénitude attend de se manifester
dans l'
amour et de s'accomplir, par un don gratuit de
Dieu, dans la
participation à sa vie éternelle.
«
Le nom de Jésus à rendu la force
à cet homme » (Ac 3, 16) :
dans la précarité de l'existence humaine,
Jésus porte à son accomplissement le sens de la
vie
32.
L'expérience du peuple de l'Alliance se renouvelle
dans celle de tous les «
pauvres
» qui rencontrent
Jésus de Nazareth. Comme
déjà le
Dieu «
ami de la vie
» (Sg 11, 26) avait rassuré Israël au
milieu des dangers, de même le Fils de
Dieu annonce-t-il
aujourd'hui à ceux qui se sentent menacés et
entravés dans leur existence que leur vie aussi est un bien
auquel l'
amour du Père donne sens et valeur.
«
Les aveugles
voient, les boiteux marchent, les lépreux sont
purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la
Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres
» (Lc 7, 22). Par ces paroles du prophète
Isaïe (35, 5-6 ; 61, 1),
Jésus explique le sens de
sa mission : ainsi, ceux qui souffrent d'une forme de handicap dans
leur existence entendent de lui la bonne nouvelle de la sollicitude de
Dieu pour eux et ils ont la confirmation que leur vie aussi est un don
jalousement gardé dans les mains du Père (cf. Mt
6, 25-34).
Ce sont les «
pauvres
» qui sont particulièrement interpellés
par la
prédication et par l'action de
Jésus. Les
foules de malades et de marginaux qui le suivent et le cherchent (cf.
Mt 4, 23-25) trouvent dans sa parole et dans ses gestes la
révélation de la haute valeur de leur vie et de
ce qui fonde leur attente du salut.
Ainsi en est-il dans la mission de
l'
Eglise, depuis ses origines. Elle qui annonce
Jésus comme
celui qui "
a passé en faisant le bien et en
guérissant tous ceux qui étaient
tombés au pouvoir du diable, car Dieu était avec
lui » (Ac 10, 38) sait qu'elle porte un message de
salut qui retentit, avec toute sa nouveauté,
précisément dans les situations de
misère et de pauvreté que traverse l'homme dans
sa vie. C'est ainsi qu'agit Pierre quand il guérit le
boiteux déposé chaque
jour près de la
«
Belle Porte » du
Temple de
Jérusalem pour y demander l'aumône : «
De
l'argent et de l'or, je n'en ai pas, mais ce que j'ai, je te le donne :
au nom de Jésus Christ le Nazaréen, marche !
» (Ac 3, 6). Dans la foi en
Jésus, «
auteur
de la vie » (Ac 3, 15), la vie qui est
là, abandonnée et implorante, retrouve conscience
de soi et pleine dignité.
La parole et les gestes de
Jésus et de son
Eglise ne concernent pas seulement celui qui
vit dans la maladie, la souffrance ou les différentes formes
de marginalisation. Plus profondément, ils touchent le sens
même de la vie de tout homme dans ses
dimensions morales et
spirituelles. Seul celui qui reconnaît que sa vie est
marquée par la maladie du péché peut,
dans la rencontre avec
Jésus Sauveur, retrouver la
vérité et l'authenticité de son
existence, selon les paroles de
Jésus : «
Ce
ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de
médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les
justes, mais les pécheurs au repentir »
(Lc 5, 31-32).
Au contraire, celui qui, comme le
riche cultivateur de la parabole
évangélique,
pense qu'il pourra assurer sa vie par la seule possession de biens
matériels, se trompe en réalité : sa
vie lui échappe et il en sera bien vite privé
sans parvenir à en percevoir le sens véritable :
«
Insensé, cette nuit même, on
va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé,
qui l'aura ? » (Lc 12, 20).
33.
C'est dans la vie même de
Jésus, du
début jusqu'à la fin, que l'on retrouve cette
singulière "dialectique" entre l'expérience de la
précarité de la vie humaine et l'affirmation de
sa valeur. En effet, la vie de
Jésus est marquée
par la précarité dès sa naissance.
Certes, il trouve l'accueil favorable des justes, qui s'unissent au
"oui" immédiat et joyeux de
Marie (cf. Lc 1, 38). Mais il y
à aussi, dès le début, le refus d'un
monde qui se montre hostile et qui cherche l'
enfant «
pour
le tuer » (Mt 2, 13), ou qui reste
indifférent et sans intérêt pour
l'accomplissement du mystère de cette vie qui entre dans le
monde : «
Il n'y avait pas de place pour eux dans
l'auberge » (Lc 2, 7). Le contraste entre les
menaces et l'insécurité d'une part, et la
puissance du don de
Dieu d'autre part, fait resplendir avec une
force
plus grande la gloire qui se dégage de la maison de Nazareth
et de la
crèche de
Bethléem : cette vie qui
naît est salut pour toute l'humanité (cf. Lc 2,
11). Les contradictions et les risques de la vie sont pleinement
assumés par
Jésus : «
De
riche qu'il était, il s'est fait pauvre pour vous, afin de
vous enrichir par sa pauvreté » (2 Co 8,
9). La pauvreté dont parle
saint Paul n'est pas seulement le
dépouillement des privilèges divins ; c'est aussi
le partage des conditions de vie les plus humbles et les plus
précaires de la vie humaine (cf. Ph 2, 6-7).
Jésus vit cette pauvreté pendant toute son
existence, jusqu'au moment suprême de la
Croix : «
Il
s'humilia lui-même en se faisant obéissant
jusqu'à la mort et à la mort sur une croix. Aussi
Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom
qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2, 8-9). C'est
précisément dans sa mort que
Jésus
révèle toute la grandeur et la valeur de la vie,
car son offrande sur la
Croix devient source de vie nouvelle pour tous
les hommes (cf. Jn 12, 32). Quand il affronte les contradictions et
l'anéantissement de sa vie,
Jésus est
guidé par la certitude qu'elle est dans les mains du
Père. C'est pourquoi, sur la
Croix, il peut lui dire :
«
Père, en tes mains je remets mon esprit
» (Lc 23, 46), c'est-à-dire ma vie. Grande, en
vérité, est la valeur de la vie humaine, puisque
le Fils de
Dieu l'a prise et en a fait l'instrument du salut pour
l'humanité entière !
«
Appelés... à reproduire l'image de
son Fils » (Rm 8, 28-29) :
la gloire de Dieu resplendit sur le visage de l'homme
34. La
vie est toujours un bien. C'est là une intuition et
même une donnée d'expérience dont
l'homme est appelé à saisir la raison profonde.
Pourquoi la vie est-elle un bien ?
L'interrogation parcourt toute la Bible et trouve, dès ses
premières pages, une réponse forte et admirable.
La vie que
Dieu donne à l'homme est différente et
distincte de celle de toute autre créature vivante, car,
tout en étant apparenté à la
poussière de la terre (cf. Gn 2, 7 ; 3, 19 ; Jb 34, 15 ; Ps
103102, 14 ; 104103, 29), l'homme est dans le monde une manifestation
de
Dieu, un signe de sa présence, une trace de sa gloire
(cf. Gn 1, 26-27 ; Ps 8, 6). C'est ce qu'a voulu souligner
également saint Irénée de
Lyon avec sa
célèbre définition : «
La
gloire de Dieu, c'est l'homme vivant ». (23) A
l'homme est conférée une très haute
dignité, dont les racines plongent dans le lien intime qui
l'unit à son Créateur: en l'homme resplendit un
reflet de la réalité même de
Dieu.
Telle est l'affirmation du livre de la
Genèse dans le premier récit des origines, qui
place l'homme au sommet de l'action créatrice de
Dieu, comme
son couronnement, au terme d'un développement qui, du
chaos
informe, aboutit à la créature la plus
achevée. Tout, dans la création, est
ordonné à l'homme et tout lui est soumis :
«
Remplissez la terre, soumettez-la et dominez...
sur tout être vivant » (1, 28), ordonne
Dieu à l'homme et à la femme. Un message
semblable est aussi lancé par l'autre récit des
origines : «
Le Seigneur Dieu prit l'homme et
l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder
» (Gn 2, 15). Le
primat de l'homme sur les choses est ainsi
réaffirmé : les choses sont pour lui et
confiées à sa responsabilité, tandis
qu'il ne peut lui-même, pour aucun motif, être
asservi à ses semblables et de quelque manière
être ramené au rang des choses.
Dans le récit biblique, la
distinction entre l'homme et les autres créatures est
surtout mise en évidence par le fait que seule sa
création est présentée comme le
fruit
d'une décision spéciale de la part de
Dieu, d'une
délibération qui établit un lien
particulier et spécifique avec le Créateur :
«
Faisons l'homme à notre image, selon
notre ressemblance » (Gn 1, 26). La vie que
Dieu
offre à l'homme est un don par lequel
Dieu fait participer
sa créature à quelque chose de lui-même.
Israël s'interrogera
longuement sur le sens de ce lien particulier et spécifique
de l'homme avec
Dieu. Le livre du Siracide reconnaît lui
aussi que
Dieu, en créant les hommes, «
les
a revêtus de force, comme lui-même, et les
à créés à son image
» (17, 3). L'auteur sacré rattache à
cela non seulement leur domination sur le monde, mais aussi les
facultés spirituelles les plus caractéristiques
de l'homme, telles que la raison, la capacité de discerner
le bien du mal, la volonté libre : «
Il
les remplit de science et d'intelligence et leur fit
connaître le bien et le mal » (Si 17, 7).
La capacité d'accéder à la
vérité et à la
liberté sont
des prérogatives de l'homme du fait qu'il est
créé à l'image de son
Créateur, le
Dieu vrai et juste (cf. Dt 32, 4). Seul de
toutes les créatures visibles, l'homme est «
capable
de connaître et d'aimer son Créateur
». (24) La vie que
Dieu donne à l'homme est bien
plus qu'une existence dans le temps. C'est une tension vers une
plénitude de vie ; c'est le
germe d'une existence qui va
au-delà des limites mêmes du temps : «
Oui,
Dieu à créé l'homme pour
l'incorruptibilité, il en à fait une image de sa
propre nature » (Sg 2, 23).
35. Le
récit yahviste des origines exprime la même
conviction. L'antique narration, en effet, parle d'un souffle divin qui
est insufflé en l'homme pour qu'il entre dans la vie :
«
Le Seigneur Dieu modela l'homme avec la glaise du
sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint
un être vivant » (Gn 2, 7).
L'origine divine de cet
esprit de vie
explique l'insatisfaction perpétuelle qui accompagne l'homme
au cours de sa vie. Créé par
Dieu, portant en
lui-même une marque divine indélébile,
l'homme tend naturellement vers
Dieu. Quand il écoute
l'aspiration profonde de son
cœur, l'homme ne peut manquer de faire
sienne la parole de vérité prononcée
par saint Augustin : «
Tu nous as faits pour toi,
Seigneur, et notre cœur est sans repos, tant qu'il ne demeure en toi
». (25)
Il est d'autant plus significatif de
voir l'insatisfaction qui s'empare de la vie de l'homme dans l'Eden
tant que son unique point de référence demeure le
monde végétal et
animal (cf. Gn 2, 20). Seule
l'apparition de la femme, d'un être qui est chair de sa
chair, os de ses os (cf. Gn 2, 23) et en qui vit également
l'
esprit de
Dieu créateur peut satisfaire l'exigence d'un
dialogue interpersonnel, qui est vital pour l'existence humaine. En
l'autre, homme ou femme,
Dieu se reflète, lui, la fin ultime
qui comble toute personne.
«
Qu'est-ce que
l'homme, pour que tu penses à lui, le fils d'un homme, que
tu en prennes souci ? », se demande le
Psalmiste
(Ps 8, 5). Face à l'immensité de l'univers, il
est une bien petite chose ; mais c'est
précisément ce contraste qui fait ressortir sa
grandeur : «
Tu l'as créé un
peu moindre que les anges (mais on pourrait traduire aussi "un peu
moindre que Dieu"), le couronnant de gloire et d'honneur
» (Ps 8, 6). La gloire de
Dieu resplendit sur le visage de
l'homme. En lui, le Créateur trouve son repos, ainsi que le
commente
saint Ambroise avec admiration et émotion :
«
Le sixième jour est terminé
; la création du monde s'est achevée avec la
formation de ce chef-d'œuvre qu'est l'homme, lui qui exerce son pouvoir
sur tous les êtres vivants et qui est comme le sommet de
l'univers et la beauté suprême de tout
être créé. En
vérité, nous devrions observer un silence
respectueux, car le Seigneur s'est reposé de toute la
création du monde. Il s'est reposé ensuite
à l'intime de l'homme, il s'est reposé dans son
esprit et sa pensée; en effet, il avait
créé l'homme doué de raison, capable
de l'imiter, émule de ses vertus, assoiffé des
grâces célestes. Dans ces dons qui sont les siens
repose Dieu qui à dit : "Sur qui reposerais-je, sinon sur
celui qui est humble, qui se tient tranquille et qui tremble
à ma parole ?" (Is 66, 1-2). Je rends grâce au
Seigneur notre Dieu qui à créé une
œuvre si merveilleuse où il trouve son repos
». (26)
36. Le
merveilleux projet de
Dieu à malheureusement
été contrarié par l'irruption du
péché dans l'
histoire. Par le
péché, l'homme se rebelle contre son
Créateur, pour finir par
idolâtrer les
créatures : «
Ils ont adoré
et servi la créature de préférence au
Créateur » (Rm 1, 25). Ainsi,
l'être humain ne se contente pas de souiller en
lui-même l'image de
Dieu, mais il est tenté de
l'offenser aussi chez les autres, en substituant aux rapports de
communion des attitudes de défiance,
d'indifférence, d'inimitié, jusqu'à la
haine homicide. Quand on ne reconnaît pas
Dieu comme
Dieu, on
trahit le sens profond de l'homme et on porte atteinte à la
communion entre les hommes.
Dans la vie de l'homme, l'image de
Dieu resplendit à nouveau et se manifeste dans toute sa
plénitude avec la venue du Fils de
Dieu dans la chair
humaine : «
Il est l'image du Dieu invisible
» (Col 1, 15), «
resplendissement de sa
gloire et effigie de sa substance » (He 1, 3). Il
est l'image parfaite du Père. Le projet de vie
confié au premier
Adam trouve finalement son accomplissement
dans le Christ. Tandis que la désobéissance
d'
Adam abîme et défigure le dessein de
Dieu sur la
vie de l'homme et fait entrer la mort dans le monde,
l'obéissance rédemptrice du Christ est source de
grâce qui rejaillit sur les hommes en ouvrant à
tous les portes du royaume de la vie (cf. Rm 5, 12-21).
L'Apôtre Paul l'affirme : «
Le premier
homme, Adam, à été fait âme
vivante ; le dernier Adam, esprit vivifiant » (1 Co
15, 45). A tous ceux qui acceptent de se mettre à la suite
du Christ, la plénitude de la vie est donnée: en
eux, l'image divine est restaurée, renouvelée et
portée à sa perfection. Tel est le dessein de
Dieu sur les êtres humains : qu'ils deviennent «
conformes
à l'image de son Fils » (Rm 8, 29).
C'est seulement ainsi que, dans la splendeur de cette image, l'homme
peut être libéré de l'esclavage de
l'
idolâtrie, qu'il peut reconstruire la fraternité
éclatée et retrouver son identité.
«
Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais
» (Jn 11, 26) :
le don de la vie éternelle
37. La
vie que le Fils de
Dieu est venu donner aux hommes ne se
réduit pas à la seule existence dans le temps. La
vie, qui depuis toujours est «
en lui
» et constitue «
la lumière
des hommes » (Jn 1, 4), consiste dans le fait
d'être engendré par
Dieu et de participer
à la plénitude de son
amour : «
A
tous ceux qui l'ont accueilli, il à donné pouvoir
de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom,
eux qui ne furent engendrés ni du sang, ni d'un vouloir de
chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu » (Jn
1, 12-13).
Parfois,
Jésus donne
à la vie qu'il est venu apporter ce simple nom de
«
la vie » ; et il
présente la
génération par
Dieu comme
une condition nécessaire pour pouvoir atteindre la fin en
vue de laquelle
Dieu à créé l'homme :
«
A moins de naître d'en haut, nul ne
peut voir le Royaume de Dieu » (Jn 3, 3). Le don de
cette vie constitue l'objet propre de la mission de
Jésus :
il est «
celui qui descend du ciel et donne la vie
au monde » (Jn 6, 33), si bien qu'il peut affirmer
en toute vérité : «
Celui qui
me suit... aura la lumière de la vie »
(Jn 8, 12).
En d'autres occasions,
Jésus parle de vie éternelle, en utilisant un
adjectif qui ne renvoie pas seulement à une perspective
supratemporelle. "Eternelle" est la vie promise et donnée
par
Jésus, parce qu'elle est plénitude de
participation à la vie de l'"Eternel". Quiconque croit en
Jésus et entre en communion avec lui à la vie
éternelle (cf. Jn 3, 15; 6, 40), car c'est de lui qu'il
entend les seules paroles capables de révéler et
de communiquer une plénitude de vie pour son existence; ce
sont les «
paroles de la vie éternelle
» que Pierre reconnaît dans sa profession de foi :
«
Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les
paroles de la vie éternelle ; nous croyons et nous avons
reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 68-69).
La vie éternelle est définie par
Jésus
lui-même lorsqu'il s'adresse au Père dans la
grande prière sacerdotale : «
La vie
éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul
véritable Dieu, et celui que tu as envoyé,
Jésus Christ » (Jn 17, 3).
Connaître
Dieu et son Fils, c'est accueillir le
mystère de la communion d'
amour du Père, du Fils
et de l'
Esprit Saint dans notre vie qui s'ouvre dès
maintenant à la vie éternelle dans la
participation à la vie divine.
38. La
vie éternelle est donc la vie même de
Dieu ainsi
que la vie des fils de
Dieu. Le croyant ne peut manquer
d'être saisi d'un émerveillement toujours
renouvelé et d'une reconnaissance sans limites face
à cette vérité surprenante et
ineffable qui nous vient de
Dieu dans le Christ. Le croyant fait
siennes les paroles de l'Apôtre Jean : «
Voyez
quel grand amour le Père nous à donné
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le
sommes !... Bien-aimés, dès maintenant, nous
sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore
été manifesté. Nous savons que, lors
de cette manifestation, nous lui serons semblables, parce que nous le
verrons tel qu'il est » (1 Jn 3, 1-2).
C'est ainsi que la
vérité chrétienne sur la vie parvient
à sa plénitude. La dignité de la vie
n'est pas seulement liée à ses origines, au fait
qu'elle vient de
Dieu, mais aussi à sa fin, à sa
destinée qui est d'être en communion avec
Dieu
pour le con- naître et l'aimer. C'est à la
lumière de cette vérité que saint
Irénée précise et complète
son
exaltation de l'homme : la «
gloire de Dieu
» est bien «
l'homme vivant
», mais «
la vie de l'homme est la vision
de Dieu ». (27)
Il en résulte des
conséquences immédiates pour la vie humaine dans
sa condition terrestre même, où à
déjà germé et où
croît la vie éternelle. Si l'homme aime
instinctivement la vie parce qu'elle est un bien, cet
amour trouve une
autre motivation et une autre
force, une ampleur et une profondeur
nouvelles, dans les
dimensions divines de ce bien. Dans une telle
perspective, l'
amour de tout être humain pour la vie ne se
réduit pas à la seule recherche d'un espace
d'expression de soi et de relation avec les autres, mais il se
développe dans la conscience joyeuse de pouvoir faire de son
existence le «
lieu » de la
manifestation de
Dieu, de la rencontre et de la communion avec lui. La
vie que
Jésus nous donne ne retire pas sa valeur
à notre existence dans le temps, mais elle l'assume et la
conduit à son
destin final : «
Je suis
la résurrection et la vie... ; quiconque vit et croit en moi
ne mourra jamais » (Jn 11, 25.26).
«
A chacun je demanderai compte de la vie de son
frère » (Gn 9, 5) :
vénération et amour pour la vie de tous
39. La
vie de l'homme vient de
Dieu, c'est son don, son image et son
empreinte, la participation à son souffle vital.
Dieu est
donc l'unique Seigneur de cette vie: l'homme ne peut en disposer.
Dieu
luimême le répète à
Noé après le
déluge : «
De
votre sang, qui est votre propre vie, je demanderai compte...
à tout homme: à chacun je demanderai compte de la
vie de son frère » (Gn 9, 5). Et le
texte biblique prend soin de souligner que le caractère
sacré de la vie à son fondement en
Dieu et dans
son action créatrice : «
Car
à l'image de Dieu l'homme à
été fait » (Gn 9, 6).
La vie et la mort de l'homme sont donc
dans les mains de
Dieu, en son pouvoir : «
Il tient
en son pouvoir l'âme de tout vivant et le souffle de toute
chair d'homme », s'écrie
Job (12, 10).
«
Le Seigneur fait mourir et fait vivre, il fait
descendre au shéol et en remonter » (1 S
2, 6). Il est seul à pouvoir dire : «
C'est
moi qui fais mourir et qui fais vivre » (Dt 32, 39).
Dieu n'exerce pas ce pouvoir de
manière arbitraire et
tyrannique, mais comme une
prévenance et une sollicitude aimantes à
l'égard de ses créatures. S'il est vrai que la
vie de l'homme est dans les mains de
Dieu, il n'en est pas moins vrai
que ce sont des mains pleines de tendresse, comme celles d'une
mère qui accueille, qui nourrit et qui prend soin de son
enfant : «
Je tiens mon âme
égale et silencieuse; mon âme est en moi comme un
enfant, comme un petit enfant contre sa mère
» (Ps 131130, 2 ; cf. Is 49, 15 ; 66, 12-13 ; Os 11, 4).
Ainsi, dans l'
histoire des peuples et dans la condition des individus,
Israël ne voit pas la conséquence d'un pur hasard
ou d'un
destin aveugle, mais le résultat d'un dessein
d'
amour par lequel
Dieu reprend toutes les potentialités de
la vie et s'oppose aux
forces de mort qui naissent du
péché : «
Dieu n'a pas fait
la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Il
à tout créé pour l'être
» (Sg 1, 13-14).
40. La
vie étant sacrée, elle est dotée d'une
inviolabilité inscrite depuis les origines dans le
cœur de
l'homme, dans sa conscience. La question «
qu'as-
tu fait ? » (Gn 4, 10), posée par
Dieu
à
Caïn après qu'il a tué son
frère Abel, traduit l'expérience de tout homme :
au plus profond de sa conscience, il lui est toujours
rappelé l'inviolabilité de la vie – de sa vie et
de celle des autres –, en tant que réalité qui ne
lui appartient pas, parce qu'elle est propriété
et don de
Dieu son Créateur et Père.
Le commandement relatif à
l'inviolabilité de la vie humaine retentit au centre des
«
dix paroles » lors de
l'alliance au Sinaï (cf. Ex 34, 28). Il interdit d'abord
l'homicide : «
Tu ne tueras pas
» (Ex 20, 13) ; «
tu ne feras pas mourir
l'innocent et le juste » (Ex 23, 7), mais il
interdit aussi – comme l'expliquera par la suite la
législation d'Israël – toute blessure
infligée à autrui (cf. Ex 21, 12-27). Certes, il
faut reconnaître que l'attention portée dans
l'Ancien Testament à la valeur de la vie, bien que nettement
affirmée, n'atteint pas encore la finesse du
Discours
sur la Montagne, comme on le voit dans certains aspects de la
législation pénale alors en vigueur, qui
prévoyait de lourdes peines corporelles et même la
peine de mort. Mais le message d'ensemble, qu'il appartiendra au
Nouveau Testament de porter à sa perfection, est un appel
pressant à respecter l'inviolabilité de la vie
physique et l'intégrité de la personne; il
culmine dans le commandement positif qui oblige à prendre en
charge son prochain comme soi-même : «
Tu
aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv
19, 18).
41. Le
commandement «
tu ne tueras pas
», inclus et approfondi dans le commandement positif de
l'
amour du prochain, est réaffirmé dans toute sa
force par le Seigneur
Jésus. Au jeune homme riche qui lui
demande : «
Maître, que dois-je faire de
bon pour avoir la vie éternelle ? »,
Jésus répond : «
Si tu veux
entrer dans la vie, observe les commandements » (Mt
19, 16.17). Et il cite, comme le premier d'entre eux, le commandement :
«
Tu ne tueras pas » (v. 18).
Dans le Discours sur la
Montagne,
Jésus demande aux
disciples une justice supérieure à celle des
scribes et des
pharisiens dans tous les domaines, y compris celui du
respect de la vie : «
Vous avez entendu qu'il
à été dit aux ancêtres: Tu
ne tueras pas ; et si quelqu'un tue, il en répondra au
tribunal. Eh bien! moi je vous disv: Quiconque se fâche
contre son frère en répondra au tribunal
» (Mt 5, 21-22).
Par ses paroles et par ses gestes,
Jésus explique ensuite les exigences positives du
commandement sur l'inviolabilité de la vie. Elles
étaient déjà présentes dans
l'Ancien Testament, où la législation prenait
soin de protéger et de sauvegarder les personnes dont la vie
était faible et menacée : l'étranger,
la veuve, l'orphelin, le malade, le pauvre en
général, la vie même avant la naissance
(cf. Ex 21, 22 ; 22, 20-26). Avec
Jésus, ces exigences
positives prennent une
force et un élan nouveaux et elles se
manifestent dans toute leur ampleur et toute leur profondeur: elles
vont de la nécessité de prendre soin de la vie du
frère (l'homme de la même famille, appartenant au
même peuple, l'étranger qui habite la terre
d'Israël) à la prise en charge de
l'étranger, jusqu'à l'
amour de l'
ennemi.
L'étranger n'est plus un
étranger pour celui qui doit se rendre proche de quiconque
est dans le besoin jusqu'à se sentir responsable de sa vie,
comme l'enseigne de manière éloquente et vive la
parabole du bon
Samaritain (cf. Lc 10, 25-37). Même l'
ennemi
cesse d'être un
ennemi pour celui qui est tenu de l'aimer
(cf. Mt 5, 38-48 ; Lc 6, 27-35) et de lui " faire du bien »
(cf. Lc 6, 27.33.35), en se portant au-devant de ses besoins vitaux
avec empressement et sens de la gratuité (cf. Lc 6, 34-35).
Cet
amour culmine dans la prière pour l'
ennemi, qui nous met
en accord avec l'
amour bienveillant de
Dieu : «
Moi,
je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos
persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père
qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les
méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes
et sur les injustes » (Mt 5, 44-45; cf. Lc 6,
28.35).
Ainsi le commandement de
Dieu qui
porte sur la protection de la vie de l'homme arrive à son
niveau le plus profond dans l'exigence de
vénération et d'
amour pour toute personne et pour
sa vie. Tel est l'enseignement que l'Apôtre Paul, en
écho aux paroles de
Jésus (cf. Mt 19, 17-18),
adresse aux chrétiens de Rome : «
Les
préceptes: Tu ne commettras pas d'adultère, Tu ne
tueras pas, Tu ne voleras pas, Tu ne convoiteras pas et tous les autres
se résument en cette formule: Tu aimeras ton prochain comme
toi-même. La charité ne fait point de tort au
prochain. La charité est donc la Loi dans sa
plénitude » (Rm 13, 9-10).
«
Soyez
féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la
» (Gn 1, 28): les responsabilités de l'homme
à l'égard de la vie
42.
Défendre et promouvoir la vie, la
vénérer et l'aimer, c'est lA une tâche
que
Dieu confie à tout homme, en l'appelant, lui son image
vivante, à participer à la seigneurie qu'Il
à sur le monde : «
Dieu les
bénit et leur dit : "Soyez féconds,
multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les
poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tout être vivant
qui rampe sur la terre" » (Gn 1, 28).
Le texte biblique met en
lumière l'ampleur et la profondeur de la seigneurie que
Dieu
donne à l'homme. Il s'agit avant tout de la domination sur
la terre et sur tout être vivant, comme le rappelle le livre
de la Sagesse : «
Dieu des Pères et
Seigneur de miséricorde..., par ta Sagesse, tu as
formé l'homme pour dominer sur les créatures que
tu as faites, pour régir le monde en sainteté et
justice » (9, 1.2-3). Le
Psalmiste, lui aussi,
exalte la domination de l'homme comme signe de la gloire et de
l'honneur reçus du Créateur : «
Tu
l'établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toute chose
à ses pieds: les troupeaux de bœufs et de brebis, et
même les bêtes sauvages, les oiseaux du ciel et les
poissons de la mer, tout ce qui va son chemin dans les eaux
» (Ps 8, 7-9).
Appelé à
cultiver et à garder le
jardin du monde (cf. Gn 2, 15),
l'homme à une responsabilité propre à
l'égard du milieu de vie, c'est-à-dire de la
création que
Dieu à placée au service
de la dignité personnelle de l'homme, de sa vie, et cela,
non seulement pour le présent, mais aussi pour les
générations futures. C'est la question de
l'écologie – depuis la préservation des
"habitats" naturels des différentes espèces
d'
animaux et des diverses formes de vie jusqu'à
l'"écologie humaine" proprement dite (28) –, qui trouve dans
cette page biblique une claire et forte inspiration éthique
pour que les solutions soient respectueuses du grand bien qu'est la
vie, toute vie. En réalité, «
la
domination accordée par le Créateur à
l'homme n'est pas un pouvoir absolu, et l'on ne peut parler de
liberté "d'user et d'abuser", ou de disposer des choses
comme on l'entend. La limitation imposée par le
Créateur lui-même dès le commencement,
et exprimée symboliquement par l'interdiction de "manger le
fruit de l'arbre" (cf. Gn 2, 16-17), montre avec suffisamment de
clarté que, dans le cadre de la nature visible, nous sommes
soumis à des lois non seulement biologiques mais aussi
morales, que l'on ne peut transgresser impunément
». (29)
43. Une
certaine participation de l'homme à la seigneurie de
Dieu
est aussi manifeste du fait de la responsabilité
spécifique qui lui est confiée à
l'égard de la vie humaine proprement dite. C'est une
responsabilité qui atteint son sommet lorsque l'homme et la
femme, dans le
mariage, donnent la vie par la
génération, comme le rappelle le
Concile Vatican
II : «
Dieu lui-même, qui à
dit "Il n'est pas bon que l'homme soit seul" (Gn 2, 18) et qui,
dès l'origine, à fait l'être humain
homme et femme (cf. Mt 19, 4), a voulu lui donner une participation
spéciale dans son œuvre créatrice; aussi a-t-il
béni l'homme et la femme, disant : "Soyez féconds
et multipliez-vous" (Gn 1, 28) ». (30) En parlant
d'«
une participation spéciale
» de l'homme et de la femme à l'«
œuvre
créatrice » de
Dieu, le
Concile veut
souligner qu'engendrer un
enfant est un événement
profondément humain et hautement
religieux, car il engage
les conjoints, devenus «
une seule chair
» (Gn 2, 24), et simultanément
Dieu
lui-même, qui se rend présent. Comme je l'ai
écrit dans la
Lettre aux Familles,
«
quand, de l'union conjugale des deux,
naît un nouvel homme, il apporte avec lui au monde une image
et une ressemblance particulières avec Dieu
lui-même: dans la biologie de la
génération est inscrite la
généalogie de la personne. En affirmant que les
époux, en tant que parents, sont des coopérateurs
de Dieu Créateur dans la conception et la
génération d'un nouvel être humain,
nous ne nous référons pas seulement aux lois de
la biologie; nous entendons plutôt souligner que, dans la
paternité et la maternité humaines, Dieu
lui-même est présent selon un mode
différent de ce qui advient dans toute autre
génération "sur la terre". En effet, c'est de
Dieu seul que peut provenir cette "image", cette "ressemblance" qui est
propre à l'être humain, comme cela s'est produit
dans la création. La génération est la
continuation de la création ». (31)
C'est ce qu'enseigne, dans un langage
direct et parlant, le texte sacré qui rapporte le cri de
joie de la première femme, &rlaquo;
la
mère de tous les vivants » (Gn 3, 20).
Consciente de l'intervention de
Dieu,
Eve s'écrie :
«
J'ai acquis un homme de par le Seigneur
» (Gn 4, 1). Dans la
génération, quand
la vie est communiquée des parents à l'
enfant, se
transmet donc, grâce à la création de
l'
âme immortelle, (32) l'image, la ressemblance de
Dieu
lui-même. C'est dans ce sens que s'exprime le
début du "
livre de la
généalogie d'Adam" : «
Le
jour où Dieu créa Adam, il le fit à la
ressemblance de Dieu. Homme et femme il les créa, il les
bénit et leur donna le nom d'"Homme", le jour où
ils furent créés. Quand Adam eut cent trente ans,
il engendra un fils à sa ressemblance, comme son image, et
il lui donna le nom de Seth » (Gn 5, 1-3). C'est
précisément dans ce rôle de
collaborateurs de
Dieu qui transmet son image à la nouvelle
créature que réside la grandeur des
époux disposés «
à
coopérer à l'amour du Créateur et du
Sauveur qui, par eux, veut sans cesse agrandir et enrichir sa propre
famille ». (33) Dans cette perspective,
l'
évêque Amphiloque exaltait le «
mariage
qui à du prix, qui est au-dessus de tout don terrestre
» parce qu'il est comme «
un
créateur d'humanité, comme un peintre de l'image
divine ». (34)
Ainsi, l'homme et la femme unis par
les liens du
mariage sont associés à une œuvre
divine : par l'acte de la
génération, le don de
Dieu est accueilli et une nouvelle vie s'ouvre à l'avenir.
Mais, au-delà de la mission
spécifique des parents, la tâche d'accueillir et
de servir la vie concerne tout le monde et doit se manifester surtout
à l'égard de la vie qui se trouve dans des
conditions de plus grande faiblesse. Le Christ lui-même nous
le rappelle quand il demande d'être aimé et servi
dans ses
frères éprouvés par quelque
souffrance que ce soit: ceux qui sont affamés,
assoiffés, étrangers, nus, malades,
emprisonnés... Ce qui est fait à chacun d'eux est
fait au Christ lui-même (cf. Mt 25, 31-46).
«
C'est toi qui as créé mes reins
» (Ps 139138, 13) :
la dignité de l'enfant non encore né
44. La
vie humaine connaît une situation de grande
précarité quand elle entre dans le monde et quand
elle sort du temps pour aborder l'éternité. La
Parole de
Dieu ne manque pas d'invitations à apporter soins
et respect à la vie, surtout à l'égard
de celle qui est marquée par la maladie ou la vieillesse.
S'il n'y à pas d'invitations directes et explicites
à sauvegarder la vie humaine à son origine, en
particulier la vie non encore née, comme aussi la vie proche
de sa fin, cela s'explique facilement par le fait que même la
seule possibilité d'offenser, d'attaquer ou, pire, de nier
la vie dans de telles conditions est étrangère
aux perspectives
religieuses et culturelles du peuple de
Dieu.
Dans l'Ancien Testament, on craint la
stérilité comme une malédiction,
tandis que l'on ressent comme une bénédiction le
fait d'avoir beaucoup d'
enfants : «
Des fils,
voilà ce que donne le Seigneur, des enfants, la
récompense qu'il accorde » (Ps 127126,
3; cf. Ps 128127, 3-4). Dans cette conviction entre en
jeu aussi la
conscience qu'a Israël d'être le peuple de
l'Alliance, appelé à se multiplier selon la
promesse faite à Abraham : «
Lève
les yeux au ciel et dénombre les étoiles si tu
peux les dénombrer... Telle sera ta
postérité » (Gn 15, 5). Mais
ce qui compte surtout, c'est la certitude que la vie transmise par les
parents à son origine en
Dieu, comme l'attestent les
nombreuses pages bibliques qui parlent avec respect et
amour de la
conception, de la formation de la vie dans le sein maternel, de la
naissance et du lien étroit qu'il y à entre le
moment initial de l'existence et l'action de
Dieu Créateur.
«
Avant
même de te former au ventre maternel, je t'ai connu ; avant
même que tu sois sorti du sein, je t'ai consacré
" (Jr 1, 5) : l'existence de tout individu, dès son origine,
est dans le plan de
Dieu.
Job, du fond de sa souffrance, s'attarde
à contempler l'œuvre de
Dieu dans la manière
miraculeuse dont son
corps à été
formé dans le sein de sa mère; il en retire un
motif de confiance et il exprime la certitude d'un projet divin sur sa
vie : «
Tes mains m'ont
façonné, créé ; puis, te
ravisant, tu voudrais me détruire ! Souviens-toi: tu m'as
fait comme on pétrit l'argile et tu me renverras
à la poussière. Ne m'as-tu pas coulé
comme du lait et fait cailler comme du laitage, vêtu de peau
et de chair, tissé en os et en nerfs ? Puis tu m'as
gratifié de la vie et tu veillais avec sollicitude sur mon
souffle » (Jb 10, 8-12). Des accents
d'émerveillement et d'adoration pour l'intervention de
Dieu
sur la vie en formation dans le sein maternel se font entendre
également dans les Psaumes. (35)
Comment imaginer qu'un seul instant de
ce merveilleux processus de l'apparition de la vie puisse
être soustrait à l'action sage et aimante du
Créateur et laissé à la merci de
l'arbitraire de l'homme ? Ce n'est certes pas ce que pense la
mère des sept
frères qui professe sa foi en
Dieu,
principe et garant de la vie dès sa
conception, et en
même temps fondement de l'espérance de la vie
nouvelle au-delà de la mort : «
Je ne
sais comment vous êtes apparus dans mes entrailles; ce n'est
pas moi qui vous ai gratifiés de l'esprit et de la vie ; ce
n'est pas moi qui ai organisé les
éléments qui composent chacun de vous. Aussi bien
le Créateur du monde, qui à formé le
genre humain et qui est à l'origine de toute chose, vous
rendra-t-il, dans sa miséricorde, et l'esprit et la vie,
parce que vous vous méprisez maintenant vous-mêmes
pour l'amour de ses lois » (2 M 7, 22-23).
45. La
révélation du Nouveau Testament confirme la
reconnaissance incontestée de la valeur de la vie depuis son
commencement. Les paroles par lesquelles Elisabeth exprime sa joie
d'être enceinte manifestent l'
exaltation de la
fécondité et l'attente empressée de la
vie : «
Le Seigneur... a daigné mettre
fin à ce qui faisait ma honte » (Lc 1,
25). Mais la valeur de la personne dès sa
conception est
célébrée plus encore dans la rencontre
entre la Vierge
Marie et Elisabeth, et entre les deux
enfants qu'elles
portent en elles. Ce sont précisément eux, les
enfants, qui révèlent l'avènement de
l'ère
messianique: dans leur rencontre, la
force
rédemptrice de la présence du Fils de
Dieu parmi
les hommes commence à agir. «
Aussitôt
– écrit
saint Ambroise –
se font sentir les
bienfaits de l'arrivée de Marie et de la présence
du Seigneur... Elisabeth fut la première à
entendre la parole, mais Jean fut le premier à ressentir la
grâce : la mère à entendu selon l'ordre
de la nature, l'enfant à tressailli en raison du
mystère ; elle à constaté
l'arrivée de Marie, lui, celle du Seigneur ; la femme,
l'arrivée de la femme, l'enfant, celle de l'Enfant. Les deux
femmes échangent des paroles de grâce, les deux
enfants agissent au-dedans d'elles et commencent à
réaliser le mystère de la miséricorde
en y faisant progresser leurs mères ; enfin, par un double
miracle, les deux mères prophétisent sous
l'inspiration de leurs enfants. L'enfant a exulté, la
mère fut remplie de l'Esprit-Saint. La mère n'a
pas été remplie de l'Esprit-Saint avant son fils,
mais lorsque le fils fut rempli de l'Esprit-Saint, il en combla aussi
sa mère ». (36)
«
Je crois lors même que je dis : "Je suis trop
malheureux" » (Ps 116115, 10) :
la vie dans la vieillesse et dans la souffrance
46. En
ce qui concerne les derniers instants de l'existence, il serait
anachronique d'attendre de la Révélation biblique
une mention explicite de la problématique actuelle du
respect des personnes âgées ou malades, ni une
condamnation explicite des tentatives visant à anticiper par
la violence la fin de la vie ; nous sommes là, en effet,
dans un contexte culturel et
religieux qui, loin d'être
exposé à de semblables tentations,
reconnaît dans la personne âgée, avec sa
sagesse et son expérience, une richesse
irremplaçable pour la famille et pour la
société.
La vieillesse jouit de prestige et
elle est entourée de vénération (cf. 2
M 6, 23). Et le juste ne demande pas d'être privé
de la vieillesse ni de son fardeau ; au contraire, il prie ainsi :
«
Seigneur mon Dieu, tu es mon
espérance, mon appui dès ma jeunesse... Aux jours
de la vieillesse et des cheveux blancs, ne m'abandonne pas, ô
mon Dieu ; et je dirai aux hommes de ce temps ta puissance,
à tous ceux qui viendront, tes exploits
» (Ps 7170, 5. 18). L'
idéal du temps
messianique
est proposé comme celui où il n'y aura plus
«
d'homme qui ne parvienne pas au bout de sa
vieillesse » (Is 65, 20).
Mais, dans la vieillesse, comment
faire face au déclin inévitable de la vie ?
Comment se comporter devant la mort ? Le croyant sait que sa vie est
dans les mains de
Dieu : «
Seigneur, de toi
dépend mon sort » (cf. Ps 16-15, 5), et
il accepte aussi de lui la mort : «
C'est la loi
que le Seigneur à portée sur toute chair,
pourquoi se révolter contre le bon plaisir du
Très-Haut ? » (Si 41, 4).
Pas plus que
de la vie, l'homme n'est le maître de la mort ; dans sa vie
comme dans sa mort, il doit s'en remettre totalement au «
bon
plaisir du Très-Haut », à son
dessein d'
amour.
Quand il est atteint par la maladie
également, l'homme est appelé à s'en
remettre de la même manière au Seigneur et
à renouveler sa confiance fondamentale en lui, qui
«
guérit de toute maladie
» (cf. Ps 103-102, 3). Lorsque toute perspective de
santé semble se
fermer devant l'homme – au point de l'amener
à s'écrier : «
Mes jours sont
comme l'ombre qui décline, et moi, comme l'herbe, je
sèche » (Ps 102-101, 12) –,
même alors, le croyant est animé par une foi
inébranlable en la puissance vivifiante de
Dieu. La maladie
ne l'incite pas au désespoir ni à la recherche de
la mort, mais à l'invocation pleine d'espérance :
«
Je crois, lors même que je dis : "Je
suis trop malheureux" » (Ps 116-115, 10) ;
«
Quand j'ai crié vers toi, Seigneur,
mon Dieu, tu m'as guéri ; Seigneur, tu m'as fait remonter de
l'abîme et revivre quand je descendais à la fosse
» (Ps 3029, 3-4).
47. La
mission de
Jésus, avec les nombreuses guérisons
opérées, montre que
Dieu à aussi
à
cœur la vie corporelle de l'homme. «
Médecin
du corps et de l'esprit », (37)
Jésus
est envoyé par le Père pour porter la bonne
nouvelle aux pauvres et panser les
cœurs meurtris (cf. Lc 4, 18; Is 61,
1). Envoyant à son tour ses
disciples à travers
le monde, il leur confie une mission dans laquelle la
guérison des malades s'accompagne de l'annonce de l'
Evangile
: «
Chemin faisant, proclamez que le Royaume des
Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez
les morts, purifiez les lépreux, expulsez les
démons » (Mt 10, 7-8 ; cf. Mc 6, 13 ;
16, 18).
Certes, la vie du
corps dans sa
condition terrestre n'est pas un absolu pour le croyant: il peut lui
être demandé de l'abandonner pour un bien
supérieur; comme le dit
Jésus, «
qui
veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause
de moi et de l'Evangile la sauvera » (Mc 8, 35). Il
y a à ce sujet un certain nombre de témoignages
dans le Nouveau Testament.
Jésus n'hésite pas
à se sacrifier lui-même et il fait librement de sa
vie une offrande à son Père (cf. Jn 10, 17) et
à ses amis (cf. Jn 10, 15). La mort de
Jean Baptiste,
précurseur du Sauveur, atteste aussi que l'existence
terrestre n'est pas le bien absolu: la
fidélité
à la parole du Seigneur est plus importante encore,
même si elle peut mettre la vie en
jeu (cf. Mc 6, 17-29). Et
Etienne, alors qu'on lui enlève la vie temporelle parce
qu'il était un témoin fidèle de la
Résurrection du Seigneur, suit les traces du
Maître et répond par des mots de pardon
à ceux qui le lapident (cf. Ac 7, 59-60), ouvrant ainsi la
voie à l'innombrable cohorte des
martyrs
vénérés par l'
Eglise dès
ses origines.
Toutefois, personne ne peut choisir
arbitrairement de vivre ou de mourir; ce choix, en effet, seul le
Créateur en est le maître absolu, lui en qui
«
nous avons la vie, le mouvement et
l'être » (Ac 17, 28).
«
Quiconque la garde vivra » (Ba 4, 1)
:
de la Loi du Sinaï au don de l'Esprit
48. La
vie porte sa vérité inscrite de
manière indélébile en elle. En
accueillant le don de
Dieu, l'homme doit s'engager à
maintenir la vie dans cette vérité qui lui est
essentielle. S'en écarter équivaut à
se condamner soi-même au non-sens et au malheur, avec pour
conséquence de pouvoir devenir aussi une menace pour
l'existence d'autrui par suite de la rupture des barrières
qui garantissent le respect et la défense de la vie, dans
toute situation.
La vérité de la
vie est révélée par le commandement de
Dieu. La parole du Seigneur indique concrètement la
direction que la vie doit suivre pour pouvoir respecter sa
vérité et sauvegarder sa dignité. Ce
n'est pas seulement le commandement spécifique «
tu
ne tueras pas » (Ex 20, 13 ; Dt 5, 17) qui assure
la protection de la vie : la Loi du Seigneur est tout
entière au service de cette protection parce qu'elle
révèle la vérité dans
laquelle la vie trouve son sens plénier.
Il n'est donc pas étonnant
que l'Alliance de
Dieu avec son peuple soit aussi fortement
liée à la perspective de la vie, même
dans sa composante corporelle. Le commandement est
présenté en elle comme le chemin de la vie :
«
Vois, je te propose aujourd'hui vie et bonheur,
mort et malheur. Si tu écoutes les commandements du Seigneur
ton Dieu que je te prescris aujourd'hui, et que tu aimes le Seigneur
ton Dieu, que tu marches dans ses voies, que tu gardes ses
commandements, ses lois et ses coutumes, tu vivras et tu multiplieras,
le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays où tu
entres pour en prendre possession » (Dt 30, 15-16).
Il s'agit ici non seulement de la terre de Canaan et de l'existence du
peuple d'Israël, mais du monde d'aujourd'hui et à
venir, et de l'existence de toute l'humanité. En effet, il
n'est absolument pas possible que la vie reste authentique et
plénière si elle se détache du bien;
et le bien, à son tour, est fondamentalement lié
aux commandements du Seigneur, c'est-à-dire à
«
la loi de la vie » (Si 17,
11). Le bien à accomplir ne se surajoute pas à la
vie comme un poids qui l'accable, car la raison même de la
vie est précisément le bien, et la vie ne
s'édifie que par l'accomplissement du bien.
C'est donc l'ensemble de la Loi qui
sauvegarde pleinement la vie de l'homme. Cela explique qu'il est
difficile de rester fidèle au «
tu ne
tueras pas » quand on n'observe pas les autres
«
paroles de vie » (Ac 7, 38)
auxquelles ce commandement est connexe. En dehors de cette perspective,
le commandement finit par devenir une simple obligation
extrinsèque, dont on voudra voir bien vite les limites et
à laquelle on cherchera des atténuations ou des
exceptions. Ce n'est que si l'on s'ouvre à la
plénitude de la vérité sur
Dieu, sur
l'homme et sur l'
histoire que l'expression «
tu ne
tueras pas » brille à nouveau comme un
bien pour l'homme dans toutes ses
dimensions et ses relations. Dans
cette perspective, nous pouvons saisir la plénitude de
vérité contenue dans le passage du
Livre
du Deutéronome repris par
Jésus quand
il répond à la première tentation :
«
L'homme ne vit pas seulement de pain, mais... de
tout ce qui sort de la bouche du Seigneur » (8, 3;
cf. Mt 4, 4).
C'est en écoutant la parole
du Seigneur que l'homme peut vivre en toute dignité et
justice ; c'est en
observant la Loi de
Dieu que l'homme peut porter des
fruits de vie et de bonheur : «
Quiconque la garde
vivra, quiconque l'abandonne mourra » (Ba 4, 1).
49.
L'
histoire d'Israël montre qu'il est difficile de
rester fidèle à la loi de la vie, que
Dieu
à inscrite au
cœur de l'homme et qu'il à
donnée sur le Sinaï au peuple de l'Alliance. Face
à la recherche de projets de vie autres que le plan de
Dieu,
les Prophètes, en particulier, rappellent avec
force que
seul le Seigneur est la source authentique de la vie.
Jérémie écrit : «
Mon
peuple à commis deux crimes: ils m'ont abandonné,
moi la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, citernes
lézardées qui ne tiennent pas l'eau
» (2, 13). Les Prophètes pointent un doigt
accusateur sur ceux qui méprisent la vie et violent les
droits de la personne : «
Ils écrasent
la tête des faibles sur la poussière de la terre
» (Am 2, 7) ; «
Ils ont rempli ce lieu du
sang des innocents » (Jr 19, 4). Et, parmi eux, le
prophète Ezéchiel stigmatise plus d'une fois la
ville de Jérusalem, l'appelant «
ville
sanguinaire » (22, 2; 24, 6. 9), «
ville
qui répands le sang au milieu de toi »
(22, 3).
Mais, tout en
dénonçant les atteintes à la vie, les
Prophètes ont surtout l'intention de susciter l'attente d'un
nouveau principe de vie apte à fonder des rapports
renouvelés de l'homme avec
Dieu et avec ses
frères, ouvrant des possibilités inouïes
et extraordinaires pour comprendre et mettre en œuvre toutes les
exigences que comporte l'
Evangile de la vie. Cela ne sera possible que
grâce au don de
Dieu, qui purifie et renouvelle : «
Je répandrai sur vous une eau pure et vous
serez purifiés; de toutes vos souillures et de toutes vos
ordures je vous purifierai. Et je vous donnerai un cœur nouveau, je
mettrai en vous un esprit nouveau » (Ez 36, 25-26;
cf. Jr 31, 31-34). Grâce à ce «
cœur
nouveau », on peut comprendre et
réaliser le sens le plus vrai et le plus profond de la vie:
être un don qui s'accomplit dans le don de soi. Tel est, sur
la valeur de la vie, le lumineux message qui nous vient de la figure du
Serviteur du Seigneur : «
S'il offre sa vie en
sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il
prolongera ses jours... à la suite de l'épreuve
endurée par son âme, il verra la lumière
» (Is 53, 10. 11).
La Loi s'accomplit dans l'
histoire de
Jésus de Nazareth, et le
cœur nouveau est donné
par son
Esprit. En effet,
Jésus ne renie pas la Loi mais il
l'accomplit (cf. Mt 5, 17) : la Loi et les Prophètes se
résument dans la règ le d'or de l'
amour mutuel
(cf. Mt 7, 12). En
Jésus, la Loi devient
définitivement "
Evangile", bonne nouvelle de la seigneurie
de
Dieu sur le monde, qui rapporte toute l'existence à ses
racines et à ses perspectives originelles. C'est la Loi
nouvelle, «
la loi de l'Esprit qui donne la vie
dans le Christ Jésus » (Rm 8, 2), dont
l'expression fondamentale, à l'imitation du Seigneur qui
donne sa vie pour ses amis (cf. Jn 15, 13), est le don de soi dans
l'
amour pour les
frères : «
Nous savons,
nous, que nous sommes passés de la mort à la vie,
parce que nous aimons nos frères » (1 Jn
3, 14). C'est une loi de
liberté, de joie et de
béatitude. «
Ils regarderont celui
qu'ils ont transpercé » (Jn 19, 37) :
sur l'
arbre de la
Croix s'accomplit l'
Evangile de la vie.
50. Au
terme de ce chapitre, dans lequel nous avons
médité le message chrétien sur la vie,
je voudrais m'attarder avec chacun de vous à contempler
Celui qu'ils ont transpercé et qui attire à lui
tous les hommes (cf. Jn 19, 37; 12, 32). En regardant «
le
spectacle » de la
Croix (cf. Lc 23, 48), nous
pourrons découvrir dans cet
arbre glorieux l'accomplissement
et la pleine révélation de tout l'
Evangile de la
vie.
Aux premières heures du
vendredi saint après-midi, «
le soleil
s'éclipsant, l'obscurité se fit sur la terre
entière... Le voile du Sanctuaire se déchira par
le milieu » (Lc 23, 44. 45). C'est le
symbole d'un
grand bouleversement cosmique et d'une lutte effroyable entre les
forces du bien et les
forces du mal, entre la vie et la mort. Nous
aussi, aujourd'hui, nous nous trouvons au milieu d'une lutte dramatique
entre la «
culture de mort » et
la «
culture de vie ». Mais la
splendeur de la
Croix n'est pas voilée par cette
obscurité ; la
Croix se détache même
encore plus nettement et plus clairement, et elle apparaît
comme le centre, le sens et la fin de toute l'
histoire et de toute vie
humaine.
Jésus est cloué
à la
Croix et il est élevé de terre.
Il vit le moment de son «
impuissance
» la plus grande et sa vie semble totalement
exposée aux moqueries de ses adversaires et
livrée aux mains de ses bourreaux : il est
raillé, tourné en dérision,
outragé (cf. Mc 15, 24-36). Et pourtant, devant tout cela et
«
voyant qu'il avait ainsi expiré
», le centurion romain s'écrie : «
Vraiment
cet homme était fils de Dieu » (Mc 15,
39). Ainsi se révèle, au temps de son
extrême faiblesse, l'identité du Fils de
Dieu : sa
gloire se manifeste sur la
Croix !
Par sa mort,
Jésus
éclaire le sens de la vie et de la mort de tout
être humain. Avant de mourir,
Jésus prie son
Père, implorant le pardon pour ses persécuteurs
(cf. Lc 23, 34), et, au malfaiteur qui lui demande de se souvenir de
lui dans son royaume, il répond : «
En
vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec
moi dans le Paradis » (Lc 23, 43). Après
sa mort, «
les tombeaux s'ouvrirent et de nombreux
corps de saints trépassés
ressuscitèrent » (Mt 27, 52). Le salut
opéré par
Jésus est un don de vie et
de
résurrection. Au cours de son existence,
Jésus
avait aussi apporté le salut en guérissant, et en
faisant du bien à tous (cf. Ac 10, 38). Mais les miracles,
les guérisons et les
résurrections
elles-mêmes étaient des signes d'un autre salut,
qui consiste à pardonner les péchés,
c'est-à-dire à libérer l'homme de sa
maladie la plus profonde et à l'élever
à la vie même de
Dieu.
Sur la
Croix se renouvelle et se
réalise, avec une perfection pleine et
définitive, le prodige du
serpent
élevé par Moïse dans le
désert (cf. Jn 3, 14-15 ; Nb 21, 8-9). Aujourd'hui encore,
en tournant son regard vers Celui qui à
été transpercé, tout homme
menacé dans son existence trouve la ferme
espérance d'obtenir sa libération et sa
rédemption.
51. Mais
il y a encore un autre événement
précis qui attire mon regard et suscite mon ardente
méditation : «
Quand il eut pris le
vinaigre, Jésus dit : « Tout est
achevé » et, inclinant la
tête, il remit l'esprit » (Jn 19, 30). Et
le soldat romain, «
de sa lance, lui
perça le côté, et il en sortit
aussitôt du sang et de l'eau » (Jn 19,
34).
Tout est désormais
arrivé à son plein accomplissement. L'expression
«
remit l'esprit »
décrit la mort de
Jésus, semblable à
celle de tout autre être humain, mais elle semble faire
également allusion au «
don de l'Esprit
» par lequel il nous rachète de la mort et nous
ouvre à une vie nouvelle.
C'est à la vie
même de
Dieu qu'il est donné à l'homme
de participer. C'est la vie qui, par les sacrements de l'
Eglise – dont
le sang et l'
eau sortis du côté du Christ sont le
symbole –, est continuellement communiquée aux fils de
Dieu,
qui deviennent ainsi le peuple de la Nouvelle Alliance. De la
Croix,
source de vie, naît et se répand le «
peuple
de la vie ».
La contemplation de la
Croix nous conduit ainsi jusqu'àux racines les plus profondes de ce qui est advenu.
Jésus, qui avait dit en
entrant dans le monde : «
Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté » (cf. He 10, 9), voulut obéir en toute chose à son Père et, «
ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin » (Jn 13, 1), en se donnant totalement lui-même pour eux.
Lui qui n'était pas «
venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 45), il atteint sur la
Croix le sommet de l'
amour : «
Nul n'a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). Et lui-même est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs (cf. Rm 5, 8).
De cette façon, il proclame que la vie atteint son centre, son sens et sa plénitude quand elle est donnée.
Ici, la méditation se fait louange et action de grâce, et en même temps elle nous incite à imiter
Jésus et à suivre
ses traces (cf. 1 P 2, 21).
Nous sommes, nous aussi, appelés à donner notre vie pour nos
frères, réalisant ainsi dans la plénitude de la vérité le sens et le
destin de notre existence.
Nous pourrons le faire car toi, Seigneur, tu nous as donné l'exemple et tu nous as communiqué la
force de ton
Esprit. Nous pourrons le faire
si, chaque
jour, avec toi et comme toi, nous obéissons au Père et nous faisons sa volonté.
Accorde-nous donc d'écouter avec un
cœur docile et généreux toute parole qui sort de la bouche de
Dieu ; nous apprendrons ainsi non seulement à ne pas tuer la vie de l'homme mais à la vénérer, à l'aimer et à la favoriser.