Le personnage dont nous allons nous occuper apparaît dans l'
histoire de l'
alchimie comme l'héritier et le digne successeur du Cosmopolite. Né en 1612, huit ans après la mort de ce dernier,il se fait son continuateur, par un zèle ardent de
prédication et de
propagande alchimique, en même temps que, par d'autres côtés, il semble se rattacher à la secte des théosophes et illuminés du dix-septième siècle, c'est-à-dire aux Rose-Croix.
Mais si l'on est bien fixé sur ce que veut cet
adepte,
on ne sait d'où il vient ni où il va, et sur ces deux points il
faut presque s'en tenir aux termes vagues par lesquels Schmieder nous annonce
sa venue : « Il y eut alors, nous dit l'écrivain allemand, une apparition
miraculeuse à l'ouest de l'
Europe ! » Quant au lieu et à l'époque où cet
adepte a fini sa carrière, c'est ce que personne n'a jamais pu découvrir ; aussi les Allemands ont-ils eu beau
jeu à déterminer en
légende une
histoire qui se prolonge naturellement de tout ce que l'imagination veut y
ajouter, et qui, après plus de deux cents ans, n'est pas encore connue.
Philalèthe nous apprend lui-même qu'en 1645,
lorsqu'il écrivait le plus important de ses ouvrages
[Note
de l'auteur : Introitus apertus ad occlusum regis palatium.],
il était dans la trente-troisième de sa vie. Il était donc né
en 1612 ; mais dans quel pays ? On croit généralement que c'est
en Angleterre.
Son véritable nom est encore problème assez difficile.
D'après Wedel, il se nommait
Thomas de Vaughan, qui, avec une légère variante, devient
Th. Vagan dans Lenglet du
Fresnoy. Suivant Herthodt, c'est
Childe. D'autres prétendent qu'en Amérique il se nommait le
docteur Zheil, et que c'est le même personnage qui, dans l'année 1636, vint en Hollande sous le nom de
Carnobe. La nécessité de se cacher pour éviter les persécutions auxquelles il fut en butte, amena sans doute cet
adepte à prendre successivement ces différents noms. Toutefois, c'est le premier que le plus grand nombre des
historiens admet comme le véritable. On se fonde sur ce qu'il existait alors dans le pays de Galles, une famille de ce nom, dont un des membres, John Vaughan, fut lord
et pair du royaume en 1620, et un autre, Robert Vaughan, qui étudiait à
Oxford en 1613, se distingua comme
antiquaire.
Ce n'est point sous son nom de famille que cet
adepte est
connu dans les fastes de l'art. A l'exemple du Cosmopolite, il avait adopté
un pseudonyme sous lequel tous ses autres noms se sont effacés dans l'
histoire.
Il se faisait appeler
Philalèthe, c'est-à-dire
ami de
la vérité, avec le prénom d'
Irénée,
qui signifie le
pacifique. On croit, d'après la tradition plutôt
que sur des témoignages certains, que, dans sa
jeunesse,
Philalèthe
fit de nombreuses transmutations en Angleterre, et on apprend de la même
manière que, dès le commencement de ses essais, il était
obligé de se cacher avec des précautions infinies.
C'est un écrivain anglais, Urbiger, qui seul se porte
garant des prouesses
hermétiques accomplies par
Philalèthe dans
sa
jeunesse. Urbiger nous assure, le tenant, s'il faut l'en croire, du roi lui-même,
que Charles II fut informé par la voix publique qu'un jeune
adepte, son
sujet, faisait beaucoup de bruits dans ses Etats par le nombre et l'éclat
de ses projections transmutatoires
[Note de l'auteur : Urbiger,
Confused]. Mais lorsque Charles II monta sur le trône,
en 1659,
Philalèthe avait quarante-sept ans : ce n'était donc pas
le jeune
adepte, tel que Urbiger nous le représente, excitant la convoitise
des Anglais par le nombre et l'éclat de ses projections
[Note
de l'auteur : Urbiger commet une erreur du même genre lorsqu'il nous cite
encore Charles II comme ayant parlé d'une mésaventure que Philalèthe
raconte lui-même, mais qu'il dit très explicitement lui être
arrivée hors d'Angleterre. Après avoir énuméré
tous les dangers auxquels les adeptes sont exposés par la quantité
ou la trop belle qualité des métaux précieux qu'ils produisent
: « Nous l'avons éprouvé nous-même, ajoute Philalèthe,
lorsque, dans un pays étranger, nous nous présentâmes,
déguisé en marchand, pour vendre 1200 marcs d'argent très
fin, car nous n'avions osé y mettre de l'alliage, chaque nation ayant son
titre particulier, qui est connu de tous les orfèvres. Si nous avions dit
que nous l'avions fait venir d'ailleurs, ils en auraient demandé la preuve,
et par précaution ils auraient arrêté le vendeur, sur le soupçon
que cet argent aurait été fait par art. Ce que je marque ici m'est
arrivé à moi-même ; et, quand je leur demandai à quoi
ils connaissaient que mon argent était de chimie, ils me répondirent
qu'ils n'étaient point apprentis dans leur profession, qu'ils le connaissaient
à l'épreuve, et qu'ils distinguaient fort bien l'argent qui venait
d'Espagne, d'Angleterre et des autres pays, et que celui que nous présentions
n'était au titre d'aucun Etat connu. Ce discours me fit évader furtivement,
laissant et mon argent et la valeur sans jamais la réclamer. » (Le
véritable Philalèthe ou l'Entrée ouverte au palais fermé
du roi, en latin et en français, chap. XIII, numéro 11 ; dans
l'Histoire de la philosophie hermétique, par Lenglet du Fresnoy,
tome II, p. 93.].
Tous les
historiens s'accordent à dire que la teinture
de
Philalèthe surpassait en puissance toutes celles qu'on avait
vues
jusqu'alors, ou qui pouvaient se trouver entre les mains des autres
adeptes
du dix-septième siècle. Un seul grain jeté sur une once
de mercure le changeait en or, et si on jetait cette once de métal transformé
sur une quantité dix fois plus grande de mercure, il se produisait une
teinture qui pouvait encore anoblir dix-neuf mille parties de métal.
Ce chiffre s'éloignant peu du résultat que Van Helmont obtint
dans la fameuse projection par laquelle il fut converti à l'
alchimie,
on en a inféré que l'
adepte inconnu de qui le savant Hollandais
avait reçu la petite quantité de poudre dont il se servit, était
Philalèthe lui-même. Cette conjecture est fortifiée par
une assertion positive de Starkey, ami et
disciple de
Philalèthe.
La transmutation opérée chez Van helmont
n'est point la seule que l'on ait attribuée à
Philalèthe.
Les événements du même genre arrivés vers la même
époque à Bérigard de
Pise, à Gros et à Morgenbesser,
ont été mis sur le compte de cet
adepte, d'après des présomptions
plus ou moins fondées. Mais si
Philalèthe eut quelque entrevue
avec Van Helmont, Bérigard de
Pise, Gros ou Morgenbesser et avec
beaucoup d'autres qui, sans être
adeptes eux-mêmes, ont fait des transmutations
au moyen d'une poudre qui leur fut remise par un inconnu, ce ne peut
être qu'après son retour du long voyage qu'il exécuta dans
des contrées très éloignées. Emporté par
son zèle ardent de
propagande hermétique,
Philalèthe s'était,
en effet, rendu en Amérique, où il passa plusieurs années
de sa vie. Suivant Lenglet du
Fresnoy, il fit très jeune ce voyage ;
son séjour dans l'autre hémisphère fut marqué par
des faits qui constituent la seule partie un peu historique de sa biographie.
Dans l'Amérique anglaise,
Philalèthe se lia avec un
de ses
compatriotes, l'apothicaire Starkey, dont le nom a survécu, grâce
à sa découverte du
savon de térébenthine,
composé
pharmaceutique encore en usage de nos
jours.
Philalèthe travaillait dans
son laboratoire, et, opérant en grand, il produisait, dit-on, d'énormes
quantités d'or et d'
argent. Il en fit plusieurs fois présent à
l'apothicaire et à son fils, George Starkey. De retour dans la mère
patrie, ces derniers n'oublièrent pas le grand artiste, et dans un ouvrage
imprimé à Londres, ils publièrent tous les détails
et les incidents d'une liaison qui les honorait. Ils ne furent peut-être
discrets que sur la manière dont cette liaison s'était rompue, mais
on peut aisément suppléer à leur silence.
Philalèthe était un homme simple et rangé,
de murs honnêtes et d'habitudes frugales ; aussi n'a-t-on jamais bien
compris pourquoi il fabriquait tant d'or, n'en ayant aucun besoin pour lui-même
et craignant toujours de s'attirer des persécutions en excitant l'
envie.
Il avait reconnu que Starkey en usait tout autrement, et se pressait de dépenser
en débauches tout l'or qu'il lui donnait. Cette conduite
inspira des alarmes
à notre philosophe, qui se hâta de disparaître. Quelques auteurs
attribuent sa fuite à une légèreté du fils de l'apothicaire.
Ce jeune homme, très aimé de l'
adepte, ayant reçu de lui
deux onces de
teinture blanche, n'aurait pas su conserver ce secret. Ces
deux versions n'ont rien, d'ailleurs, de contradictoire :
Philalèthe a
pu être amené à se séparer des Starkey tout à
la fois par les folles dépenses du père et par la vanité
babillarde du fils. Après s'être séparé ainsi de ses
compatriotes, notre
adepte ne tarda guère à quitter l'Amérique
[Note de l'auteur : Ce séjour de Philalèthe
en Amérique est parfaitement établi. Outre le témoigange
de Starkey, on peut citer encore à ce propos Michel Faustius. Ce médecin
philosophe, à qui l'on doit une bonne édition du principal ouvrage
de Philalèthe, assure avoir connu plusieurs Anglais qui s'étaient
trouvés à cette même époque en correspondance avec
l'adepte. Enfin, une des gloires scientifiques de l'Angleterre, l'illustre Boyle,
fut aussi en commerce de lettres et même en relations d'amitié avec
Philalèthe.].
Si ce que l'on raconte de
Philalèthe, depuis sa naissance
jusqu'à son départ du continent, ne repose, comme nous l'avons déjà
dit, que sur une tradition fort vague, ses aventures après son retour ne
sont guère mieux connues. On ne le suit qu'à la trace de sa poudre.
Les écrivains qui se sont occupés de lui supposent son passage ou
sa présence dans tous les lieux de l'
Europe où il s'est fait quelque
projection. Mais bien souvent ces opérations accuseraient tout au plus
l'emploi de ses dons ou ceux de quelque autre artiste nomade.
A cette époque, en effet, plusieurs de ces généreux
praticiens voyageaient en
Europe, et Van Helmont nous assure, par exemple, qu'il
reçut de la poudre philosophale de deux inconnus qui en possédaient
assez, l'un pour faire vingt tonnes d'or, l'autre pour en faire deux cent mille
livres !
C'est d'après de tels indices qu'on fait errer
Philalèthe
en France, en Italie, en
Suisse, en Allemagne et jusque dans les Indes orientales
[Note de l'auteur : Morhof.]. C'est encore sur
ces preuves fort indirectes que l'on s'appuie pour faire du même
adepte
le héros de l'aventure arrivée en 1666 à Helvétius,
dans la ville de La
Haye, et que nous avons rapportée en son lieu
[Note
de l'auteur : Chapitre III, page 242.]. On se fonde, pour lui attribuer
cette dernière transmutation, sur une affirmation de l'
adepte, qui, ouvrant
devant Helvétius la boîte qui renfermait sa poudre, assura que cette
poudre suffisait pour faire vingt tonnes d'or, c'est-à-dire exactement
le chiffre déclaré par l'un des inconnus auquel Van Helmont avait
eu affaire
[Note de l'auteur : Joh. Frederici Helvetii
vitulus aureus ; Hagæ, 1667.]. Tout ce que l'on peut affirmer,
c'est qu'en 1666
Philalèthe remit un de ses écrits à Jean
Lange, qui s'en fit le traducteur.
Il est donc suffisamment établi qu'à cette
date de 1666,
Philalèthe avait reparu en
Europe. Rien n'empêche
plus, dès lors, d'admettre qu'il ait fait des projections en Angleterre,
sous le règne de Charles II. Seulement, ce qui a lieu d'étonner,
eu égard aux habitudes des princes de ce temps, c'est que l'idée
ne soit point venue à Charles II de mettre en loge un artiste tel que
Philalèthe. Le Stuart restauré, prince prodigue et si mal en finances,
que, pendant tout son règne, il fut le pensionnaire de
Louis XIV, a droit
à nos éloges pour s'être abstenu d'exploiter à son
profit un philosophe
hermétique, capable de lui faire en un quart d'heure
cent fois plus d'or qu'il n'en retira de
Dunkerque vendu à la France.
C'est probablement à la prudence extrême qu'il
apportait dans sa conduite que
Philalèthe dut le privilège d'échapper
à l'attention de son souverain. Ce que cet
adepte redoutait avant tout,
c'était la persécution dont plusieurs de ses confrères
étaient devenus avant lui les victimes. Différant en cela de son
prédécesseur Alexandre Sethon, il n'avait aucun
goût pour
le
martyre philosophique, et n'oubliait aucune des précautions nécessaires
pour l'esquiver. Toujours fugitif, partout se cachant comme un proscrit, il
dissimulait, sous les apparences de la pauvreté, les immenses richesses
qu'il créait, chemin faisant, par son art miraculeux. Cette préoccupation
continuelle de dérober sa vie aux regards indiscrets se montre à
chaque instant dans ses écrits, et l'on comprend assez, en lisant les
nombreux passages de l'
Introitus, où
il raconte son existence errante, les motifs qui l'obligeaient à envelopper
ses actions d'un mystère continuel. Citons l'un des passages les plus
significatifs sous ce rapport :
« Plût à
Dieu, s'écrie-t-il que
l'or et l'
argent, ces
idoles du genre humain, fussent aussi communs que le fumier
! Nous ne serions pas obligé de nous cacher, nous regardant comme si nous
étions chargé de la malédiction de
Caïn. il semble que
je sois obligé de nous cacher, nous regardant comme si nous étions
chargé de la malédiction de
caïn. Il semble que je sois obligé
de fuir la présence du Seigneur ; dans une crainte continuelle, je suis
privé de la douce société de mes anciens amis. Et, comme
si j'étais agité par les
Furies, je ne me crois en sûreté
dans aucun lieu, et je me vois souvent contraint, à l'exemple de
Caïn,
de porter ma voix vers le Seigneur, en disant avec douleur : « Ceux qui
me rencontreront me feront mourir. »
Errant de royaume en royaume, sans aucune demeure assurée,
à peine osé-je prendre soin de ma famille, et quoique je possède
tout, je suis obligé de me contenter de peu. Quel est donc mon bonheur,
si ce n'est une simple idée ? Idée, à la vérité,
qui donne une grande satisfaction à mon
esprit. Ceux qui n'ont pas la parfaite
connaissanbce de cet art se flattent qu'ils feraient beaucoup de choses s'ils
le savaient. Nous avons autrefois pensé de même ; mais nous sommes
devenu plus circonspect par les dangers que nous avons courus. C'est ce qui nous
a fait embrasser une voie plus secrète. Quiconque est échappé
du péril de la mort deviendra plus prudent le reste de sa vie
[Note
de l'auteur : Le Véritable Philalèthe ou l'Entrée ouverte
au palais fermé du roi, en latin et en français, chap. XIII,
n° 2 et 3, dans l'Histoire de la philosophie hermétique de Lenglet
du Fresnoy, tome II, pages 79-81.]. »
Et plus loin :
« On ne saurait faire seul ce que l'on souhaite, pas
même dans les uvres de
miséricorde, sans se mettre en danger
de la vie. Je l'ai éprouvé depuis peu dans les pays étrangers,
où, m'étant hasardé de donner une médecine à
des moribonds abandonnés des médecins, par une espèce de
miracle, ils ont recouvré la santé. A l'instant ces guérisons
ont fait du bruit, et l'on a publié que c'était par l'
élixir
des sages, de manière que plusieurs fois je me suis trouvé dans
l'embarras, obligé de me déguiser, de me faire raser la tête
pour prendre la perruque, de changer de nom et de m'évader nuitamment ;
sans quoi je serais tombé entre les mains des méchants ou des gens
malintentionnés que la passion de l'or portait à me surprendre,
sur le seul soupçon que j'avais le secret d'en faire. Je pourrais raconter
beaucoup d'autres incidents pareils qui me sont arrivés
[Note
de l'auteur : Chap. XIII, n° 4.]. »
Cependant, grâce à ses constantes et sages
précautions,
Philalèthe réussit à éviter
toutes ces embûches, et les ouvrages qu'il composa sont presque une preuve
qu'il put jouir dans sa vieillesse de la tranquillité qu'il avait tant
désirée.
De tous ses ouvrages, le plus précieux à
consulter, celui que nous avons invoqué déjà, l'
Introitus,
est le seul dans lequel l'auteur se soit peint, et qui nous dévoile l'homme
en même temps que l'
adepte. C'est à cette source qu'il faut s'adresser
pour connaître le caractère et les sentiments philosophiques de
Philalèthe.
Le grand secret possédé et exploité
par cet
adepte paraît avoir été la pierre philosophale,
employée tout à la fois comme
agent de transmutation métallique
et comme médecine universelle.
Philalèthe exerçait l'art
de guérir au moyen de la poudre philosophale. Il suivait en cela l'exemple
de beaucoup d'alchimistes, et particulièrement celui des philosophes
de l'école de
Paracelse. Ce n'est pas là, d'ailleurs, le seul
trait de ressemblance que l'on trouve entre
Philalèthe et les Rose-Croix.
Sans les nommer, il se rencontre si souvent et même si littéralement
avec eux, qu'on pourrait le prendre pour un membre de leur confrérie.
Comme les
frères de la R.-C., il parle de cet
Elie artiste dont
Paracelse a prédit l'avènement et les miracles.
« J'annonce, nous dit-il, toutes ces choses aux hommes
comme un
prédicateur, afin qu'avant de mourir je puisse encore n'être
pas inutile au monde. Soyez, mon livre,
soyez le précurseur d'Elie,
préparez la voie du Seigneur
[Note de l'auteur
: L'Entrée ouverte au palais fermé du roi, chap. XIII,
n° 33].
Vous n'avez pas lieu de m'accuser de jalousie, parce que
j'écris avec courage, d'un style peu commun, en l'honneur de
Dieu et
pour l'utilité du prochain, et pour lui faire mépriser le monde
de ses richesses :
parce que déjà l'artiste Elie est né,
et l'on dit des choses admirables de la cité de
Dieu [Note
de l'auteur : Ibid, chap. XIII, n° 28.] »
On sait que cet
Elie artiste, prédestiné
à accomplir la plus heureuse comme la plus radicale des révolutions,
non seulement dans le monde
hermétique, mais dans toute la nature morale
et matérielle, était, selon la prétention des Rose-Croix,
un
Messie collectif qui avait pris pour
corps mystique leur confrérie même.
La cité de
Dieu était l'univers transformé par
Elie, et dont
Philalèthe parle en ces termes magnifiques :
« Quelques années encore, et j'espère
que l'
argent sera aussi méprisé que les
scories, et qu'on verrra
tomber en ruines cette bête contraire à l'
esprit de Jésus-Christ.
Le peuple en est fou et les nations insensées adorent comme une divinité
cet inutile et lourd métal. Est-ce là ce qui doit servir à
notre prochaine
rédemption et à nos espérances futures ?
Est-ce par là que nous entrerons dans la nouvelle Jérusalem, lorsque
ses places seront pavées d'or, lorsque des perles et des pierres précieuses
formeront ses portes, et que l'
arbre de vie placé au milieu du paradis
rendra par ses feuilles la santé à tout le genre humain ?
Je prévois que mes écrits seront aussi estimés
que l'or et l'
argent le plus pur, et que, grâce à mes ouvrages, ces
métaux seront aussi méprisés que le fumier. Croyez-moi, jeunes
hommes, et vous, vieillards, le temps va bientôt paraître. Je ne le
dis point par une imagination vainement échauffée, mais je vois
en
esprit que tous, tant que nous sommes, allons nous rassembler des quatre coins
du monde ; alors nous ne craindrons plus les embûches que l'on a dressées
contre notre vie, et nous rendrons grâce à
Dieu, Notre-Seigneur.
Mon cur me fait pressentir des merveilles inconnues. Mon
esprit me fait
tressaillir par le sentiment du bien qui va bientôt arriver à tout
Israël, le peuple de
Dieu [Note de l'auteur : L'Entrée
ouverte au palais fermé du roi, chap. XIII, n° 31 et 32.].
»
Philalèthe avait un
esprit très
religieux ;
on a prétendu qu'il était
catholique, ce qui expliquerait pourquoi
il aurait choisi la France pour son dernier asile, commes quelques-uns l'ont avancé.
On a vu, par une des citations rapportées plus haut, qu'il rendait, en
termes généraux,
hommage à la
religion du Christ. Dans aucun
autre endroit de ses écrits il n'est plus explicite, et le christianisme
qu'il professe s'allie même avec un intérêt très tendre
et très fréquemment manifesté pour les Israélites.
Nous avions déjà remarqué la même particularité
dans Nicolas Flamel, dont
Philalèthe se rapproche d'ailleurs beaucoup par
l'honnêteté des murs, la modestie des
goûts, la sobriété
du régime, et surtout par ce trait frappant, que tous les deux auraient
voulu multiplier la masse des métaux précieux, afin de les avilir,
et, par l'absence des richesses représentatives, ramener les hommes à
l'antique simplicité de la vie des
patriarches.
L'
Introitus apertus ad occlusum
regis palatium, ou l'Entrée ouverte au palais
fermé
du roi, considéré comme ouvrage de philosophie
hermétique,
n'est pas seulement le plus important de tous ceux de l'auteur, c'est encore,
dans l'opinion des
adeptes, le plus savant, le plus systématique et le
plus complet que cette science ait produit. Tout le procédé de la
pratique de l'
alchimie s'y trouve décrit avec exactitude. Toutefois, avons-nous
besoin de le dire ? une lacune s'y fait sentir, et c'est la même que l'on
regrette dans tous les autres livres
hermétiques : on y cherche en vain
l'indication de la recette pour obetnir le premier
agent, ce
mercure des philosophes,
qu'il faut d'abord se procurer pour fabriquer artificiellement de l'or. Les amateurs
prétendent, à la vérité, que ce premier élément
se découvre sans peine par la seule description que
Philalèthe en
a laissée. Mais comment donc alors les
adeptes ont-il si peu découvert
ou si mal employé ce
mercure des philosophes depuis que l'on a multiplié pour eux les éditions de l'
Introitus ?
Quelques auteurs ont dit que
Philalèthe avait d'abord écrit cet ouvrage en français ; mais l'opinion la plus commune est qu'il la composa en anglais. C'est celui que Lange reçut de sa main et traduisit en langue latine.
Les autres ouvrages de
Philalèthe sont : la
Métamorphose des métaux, publié en latin par Martin Birrius et imprimée dans la
Bibliothèque chimique de Manget. On en fit paraître une nouvelle édition à Hambourg, sous le titre de
Abyssus alchimiæ exploratus, par Thomas de Waghan.
Fons chimicæ veritatis, et
Brevis... clesteus, sont deux traités également publiés par Birrius, et recueillis dans la
Bibliothèque chimique de Manget.
On prétend que les trois derniers ouvrages que nous venons de citer sont
des produits de la
jeunesse de
Philalèthe, et que, depuis, il voulut, mais
trop tard, les faire disparaître, à peine livrés à
l'impression. Enfin, on a de lui un commentaire sur une lettre de l'alchimiste
George Ripley à Edouard IV, roi d'Angleterre. Cet opuscule n'est qu'une
sorte d'appendice à l'
Introitus.
Louis Figuier, L'alchimie et les alchimistes
- Chapitre VII - Pages 309-240