Saint Norbert, fondateur de l'ordre de
Prémontré
et
archevêque de Magdebourg, naquit vers l'an 1092, d'une famille
illustre,
à Santen, ville du
duché de Clèves.
Son père, Héribert,
était parent de l'empereur, et Hedwige, sa mère, appartenait à
la maison de Lorraine. Il reçut une éducation soignée, et
entra dans le monde avec tous les avantages qui peuvent rendre un jeune seigneur
recommandable. Lorsqu'il eut l'âge compétent, il prit le sous-diaconat,
moins par vocation que par des
vues humaines. Ayant joint à un patrimoine
considérable un canonicat de Santen et un autre de
Cologne, il alla résider
dans cette ville à la cour de l'
archevêque, et y mena une vie dissipée
et fastueuse. Ce théâtre lui parut même trop étroit
pour son ambition. Il passa à la cour de l'empereur Henri V, auquel il
avait l'honneur d'appartenir ; et ne manquant d'aucune des qualités qui
font réussir auprès des princes, il sut tellement s'insinuer dans
les bonnes grâces de Henri, qu'il fut mis au rang de ses aumôniers
et admis dans les conseils de l'empereur, qui voulut qu'il fût de tous ses
voyages. Henri ayant résolu d'aller se faire couronner à Rome, Norbert
l'accompagna. Ils partirent au mois d'août 1110. C'était
Pascal II
qui occupait le
saint-siège. Ce
pontife ne s'étant point prêté
aux
vues de Henri au sujet des investitures, ce prince le fit arrêter avec
tous les
cardinaux. Norbert essaya d'
adoucir l'empereur ; n'ayant pu y réussir,
il témoigna du moins au pape la douleur que lui causait ce traitement cruel
; il lui donna même, quelque temps après, une preuve de son respect
pour ses droits, en n'acceptant point l'
évêché de
Cambrai,
que Henri V lui offrait. Il continuait cependant sa vie dissipée.
Se trouvant à
Cologne en 1115, il se rendait à
cheval, accompagné d'un seul valet, à un village nommé Freden,
où l'appelait une partie de plaisir, lorsque tout à coup le tonnerre
gronde, la foudre éclate et le précipite à terre privé
de tout sentiment. Ayant repris ses sens, il se relève tout changé.
Ce n'était plus cet ecclésiastique mondain, avide d'honneurs et
de fortune ; il quitte la cour et se rend au
monastère de Sigeberg, qui
était alors gouverné par le saint abbé Conon, pour y faire
l'apprentissage de la vie spirituelle. Après y avoir passé le temps
convenable, il va rejoindre Frédéric, son
archevêque, et le
prie de l'ordonner. C'était le moment qu'il avait choisi pour rompre entièrement
avec le monde. Le samedi saint de l'an 1116, il se présente à l'
église
vêtu de ses riches habits : il s'en
dépouille publiquement pour prendre
les livrées de la pauvreté et de la pénitence ; et, sous
cet humble vêtement, il reçoit le
diaconat et la
prêtrise avec
une dévotion qui édifie tous les assistants. Autant ce spectacle
et la vie sainte et mortifiée que continua de mener Norbert avaient excité
l'admiration des personnes pieuses, autant cela déplut à une partie
du clergé, dont une telle régularité accusait la conduite.
On voulut se débarrasser de cette censure importune : on imagina de déférer
Norbert au
concile de Fritzlar que venait d'assembler Conon,
archevêque
de Préneste, par ordre de Gélase II, successeur de Pascal (1118).
Norbert y comparut ; ses
ennemis le représentèrent comme un
esprit
inquiet, un homme singulier, qui prêchait sans mission et affectait de se
vêtir d'une manière qui ne convenait ni à sa naissance ni
à l'état clérical. Norbert répondit à tout
avec tant de modestie et de sagesse, que non seulement Conon le renvoya absous,
mais encore le combla de témoignages d'estime et de bienveillance. Néanmoins,
autant pour se livrer tout entier aux travaux des missions que pour se soustraire
aux poursuites des méchants, Norbert résolut de quitter l'Allemagne
et d'aller trouver Gélase. Mais auparavant, il remit ses bénéfices
à son
archevêque, vendit son patrimoine et en distribua le prix aux
pauvres. Il s'achemina ensuite, à pied et par un
hiver rigoureux, vers
St-Gilles, près de
Nîmes, où le pape était alors, et
il en obtint les pouvoirs les plus amples. Il se remit aussitôt en route,
prêchant dans les villes et les villages, apaisant les querelles, réconciliant
les
ennemis. La veille du dimanche des Rameaux 1119, il était à
Valenciennes ; il y perdit trois
compagnons qui s'étaient associés
à lui. Il allait s'éloigner de cette ville, lorsqu'il apprit que
Burchard,
évêque de
Cambrai, s'y trouvait. Ils s'étaient vus
à la cour de l'empereur ; et c'était sur le refus de Norbert que
Burchard avait été pourvu de l'
évêché de cambrai.
Norbert crut lui devoir une visite ; Burchard eut peine à reconnaître
son ami, à son visage exténué et sous son vil habillement
; mais dès que Norbert se fut nommé, il le combla d'honneurs et
de caresses. C'est à cette occasion que Hugues de
Fosse, aumônier
de Burchard, ayant su que cet homme vêtu si pauvrement était d'une
naissance
illustre, et que, favori de l'empereur, il avait laissé des postes
brillants pour se dévouer à un
apostolat pénible, il voulut
partager ses travaux. Ils parcoururent ensemble le
diocèse de
Cambrai,
et ils se disposaient à visiter celui de
Liège lorsqu'ils apprirent
la mort de Gélase et l'
exaltation de
Calixte II. Un
concile était
indiqué à
Reims pour le mois d'
octobre, et le pape devait y assister.
Norbert résolut de s'y rendre ; il arriva en effet au temps marqué
; mais le pape avait une cour si nombreuse, et l'équipage dans lequel Norbert
et son
compagnon se pérsentaient donnait d'eux une idée si peu avantageuse,
qu'on ne voulût point les introduire. Ils quittaient
Reims tristement et
avaient pris le chemin de
Laon, lorsque l'
évêque de cette ville,
Barthélémi, apprenant d'eux qu'ils n'avaient pu être admis
auprès du pape, s'offrit de les reconduire et de les présenter lui-même.
Calixte fut charmé de son entretien : il confirma ses pouvoirs et l'eût
même retenu près de lui ; mais Norbert le supplia de lui permettre
de continuer l'uvre à laquelle il s'était dévoué.
Il retourna à
Laon avec l'
évêque avec l'
évêque
Barthélémi. Plus ce
prélat voyait Norbert, plus y désirait
de le
fixer près de lui. Il proposa d'abord de se charger de la réforme
des
chanoines réguliers de St-Martin dans un faubourg de la ville. Norbert
l'essaya, mais sans succès. Barthélémi alors le conduisit
dans différents lieux de son
diocèse propres à un établissement
religieux. Norbert choisit un vallon désert et marécageux nommé
Prémontré. Ce fut là qu'en 1120 il jeta les premiers fondements
de son ordre, qui avait pour objet la réforme des
chanoines réguliers
de St-Augustin. Hugues était encore son seul
disciple. Une
prédication
qu'il alla faire dans l'école de
Laon, dirigée par Raoul,
frère
du célèbre Anselme, lui gagna sept jeunes Lorrains,
enfants de qualité
et instruits dans les lettres. d'autres vinrent se
joindre à eux ; et à
la fin de cette année, ils étaient quarante, tous
chanoines ou qui
l'avaient été. Le
jour de
Noël, Norbert et eux firent profession
solennelle de la vie
canonique. Ce nouvel institut s'accrut avec rapidité.
A peine un siècle était révolu que l'on y comptait 1000
abbayes,
300 prévôtés, 500 communautés de filles, 7
archevêchés
et 9
évêchés, dont les sièges étaient occupés
par des
chanoines réguliers de l'ordre. De grands seigneurs, des
dames
de haute qualité, s'y engageaient
[Note de l'auteur
: Tels furent parmi les hommes le comte de Cappenberg et Othon, son frère
; Henri, comte d'Arnsberg ; Godefroi, comte de Namur ; Henri, cousin de Louis
le Gros ; Robert, cousin du roi d'Angleterre ; deux Hayton, l'un roi, l'autre
prince d'Arménie, etc., et parmi les femmes, Ermesende, comtesse de Namur
; Ermengarde, comtesse de Roussi ; Agnès de Baudemont, comtesse de Braine
; Béatrice, vicomtesse d'Amiens ; Anastasie, duchesse de Poméranie.]
Ce n'était pas néanmoins les biens temporels que cherchait Norbert.
Thibaut IV, comte de
Champagne, touché de la vie sainte qu'on menait à
Prémontré, accourut pour mettre aux pieds du fondateur les titres
et le riche héritage qu'il venait de recueillir, le conjurant de le recevoir
au nombre de ses
religieux [Note de l'auteur : Histoire
des comtes de Champagne, par le Pelletier, tome 1, p. 188 et suiv.].
Norbert, loin d'accueillir son offre, le dissuada de ce dessein et lui conseilla
de se marier. Il alla lui-même à ratisbonne demander en
mariage pour
thibaut la comtesse Mathilde, nièce de l'
archevêque. Cependant, il
ne cessait de parcourir lui-même ou par ses
disciples les villes et les
villages, pour y annoncer le royaume de
Dieu, ou y contribuer à de bonnes
uvres.
En 1124, l'occasion se présenta de rendre un grand
service à la ville d'
Anvers. Une hérésie funeste avait pénétré.
Tanchelin, son auteur, n'existait plus ; mais le poison qu'il avait répandu
continuait d'exercer ses ravages. Norbert vint dans cette ville avec deux de ses
disciples ; et tel fut l'effet de ses
prédications, qu'en très peu
de temps la
religion y fut ramenée à sa première pureté.
Jusque-là, l'institut de
Prémontré n'avait été
approuvé que par des
légats du
saint-siège [Note
de l'auteur : Pierre de Léon et Grégoire, cardinal de St-Ange, à
Noyon, le 28 juin 1126]. Norbert, étant à Ratisbonne,
et ayant appris qu'
Honorius II avait succédé à Calixte, se
rendit à Côme, dans le Milanais, où ce pape tenait sa cour,
et en obtint une
bulle, en date du 14 des
calendes de mars (16
février)
1126, confirmative de son ordre et de tous les établissements soumis à
la même règle.
Au retour de Norbert en France, le comte Thibaut exigea encore
de lui qu'il l'accompagnât en Allemagne, où il allait
épouser
la comtesse Mathilde. C'est dans ce voyage que, passant à Spire, il y trouva
Lothaire II, nouvellement élu empereur, et deux
légats du
saint-siège
qui délibéraient sur le choix d'un
archevêque, au sujet duquel
le chapitre de Magdebourg ne pouvait s'accorder. On désira que Norbert
parlât sur cette affaire. Il le fit avec tant d'éloquence et d'une
manière si touchante, qu'à son grand étonnement tout le monde
s'écria que c'était lui qu'on devait choisir. Il eut beau s'en défendre,
il fallut céder ; on l'entraîna et on le conduisit en triomphe à
Magdebourg, où il fut sacré le 25
juillet 1126.
Son premier soin,
lorsqu'il fut installé, fut de régler sa maison ; il en bannit toute
somptuosité. Des abus s'étaient glissés dans son
diocèse
; il les réprima et y rétablit l'ordre et une bonne discipline.
Ces réformes firent des mécontents : on attenta deux fois à
sa vie ; une providence marquée le déroba aux coups des assassins.
Son élection à un
archevêché laissait sa colonie de
Prémontré sans chef ; il invita ses
frères à en nommer
un.
Son vu était pour Hugues de
Fosse, son premier
disciple ; mais
il ne voulait point gêner les suffrages. Hugues fut élu d'une commune
voix (1129). La même année, Norbert introduisit des
chanoines réguliers
dans son ordre, dans l'
église de Ste-Marie de Magdebourg, à la tête
desquels il mit Evermode, depuis
évêque de Ratzbourg et canonisé.
Le zèle de Norbert eut bientôt à s'exercer
dans une de ces grandes calamités dont
Dieu permet quelquefois que son
église soit affligée. Après la mort d'
Honorius II, une double
élection donna naissance à un schisme ; et Pierre de
Léon,
sous le nom d'Anaclet, aidé de Roger, roi de
Sicile, et du crédit
que ses richesses lui donnaient à Rome, disputa la tiare à Innocent
II. Au milieu de cette perplexité, on s'en rapporta à saint
Bernard,
dans un
concile tenu à Etampes par ordre de
Louis le Gros.
Bernard décida
en faveur d'Innocent. Norbert partagea et fit aprtager ce sentiment à l'empereur
Lothaire. Etant venu au
concile assemblé à
Reims à cette
occasion en 1131, il y remit dans la deuxième session des lettres de ce
prince, par lesquelles il promettait d'employer toutes ses
forces pour faire descendre
l'intrus du trône
pontifical et y palcer le véritable pape. En effet,
ce prince ramassa une petite armée à la tête de laquelle il
marcha vers l'Italier. Norbert, par son ordre, le suivit et fit les fonctions
d'
archichancelier. Il entra à Rome avec Innocent, qui y prit possession
du trône
pontifical, et qui y couronna Lothaire et Richilde, son
épouse,
en qualité d'empereur et d'
impératrice. Pour reconnaître les
services que Norbert venait de rendre à l'
Eglise, Innocent attacha au siège
de Magdebourg la
primatie des deux Saxes.
Norbert ne jouit pas longtemps de cet honneur. Usé
de fatigues et d'austérités, il tomba malade en retournant dans
cette ville, et y expira le 06
juin 1134 dans de grands sentiments de dévotion.
Les écrits contemporains rendent les témoignages les plus honorables
aux vertus et à la sainteté de Norbert.
Saint Bernard, avec lequel
il était lié d'amitié, consulté sur des questions
difficiles, les lui renvoyait comme à un homme éclairé de
l'
esprit de
Dieu et habile à pénétrer les voix secrètes
du
ciel.
Il n'est pas douteux que Norbert n'ait
composé beaucoup
d'ouvrages ; mais la plupart périrent dans un
incendie. Il ne reste de
lui qu'une Exhortation à ses
frères, insérée dans
la Bibliothèque des Pères, et le discours qu'il adressa à
son peuple au retour de son exil. On lui attribue :
1° De visionibus
suis libri tres ;
2° De obitu sanctorum
sermones ad populum ;
3° des
Commentaires
sur l'Ecriture sainte, conservés dans l'
abbaye de Cappenberg,
en Westphalie ;
4° un
Office de
l'immaculée Conception.
Il fut mis au rang des saints par Grégoire XIII, le
28
juillet 1582. L'
Eglise célèbre sa fête le 06
juin et son
ordre le 11
juillet, en vertu d'un bref d'
Urbain VIII. Il avait voulu être
inhumé dans l'
église de Ste-Marie de Magdebourg. Cette
collégiale
ayant passé à des
chanoines luthériens après la réformation, ses
reliques, furent, en 1626, transférées à Prague.
Saint Norbert a été mis au rang des saints protecteurs et tutélaires de la Bohême. Un grand nombre d'auteurs ont écrit sa vie en diverses langues, en prose et en vers. La plus estimée est celle de Louis-Charles Hugo, abbé d'Estival, Luxembourg, 1704, in-4°. On trouve un
Panégyrique de
saint Norbert parmi ceux de l'abbé de la
Tour du
Pin.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 31 - Pages 26-29)